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A propos de livres...
8 juillet 2009

Les Naufragés de l'île Tromelin – Irène Frain

les_naufrag_s Michel Lafon – février 2009 – 371 pages

Grand prix du roman historique en 2009

Présentation de l'éditeur
Un minuscule bloc perdu dans l'océan Indien. Cerné par les déferlantes, harcelé par les ouragans. C'est là qu'échouent, en 1761, les rescapés du naufrage de L'Utile, un navire français qui transportait une cargaison clandestine d'esclaves. Les Blancs de l'équipage et les Noirs de la cale vont devoir cohabiter, trouver de l'eau, de la nourriture, de quoi faire un feu, survivre. Ensemble, ils construisent un bateau pour s'enfuir. Faute de place, on n'embarque pas les esclaves, mais on jure solennellement de revenir les chercher. Quinze ans plus tard, on retrouvera huit survivants : sept femmes et un bébé. Que s'est-il passé sur l'île ? À quel point cette histoire a-t-elle ébranlé les consciences ? Ému et révolté par ce drame, Condorcet entreprendra son combat pour l'abolition de l'esclavage.

Auteur : Née à Lorient en 1950, femme de lettres française, Irène Frain, de son vrai nom Irène Frain le Pohon, se consacre totalement à l'écriture après la publication de son roman 'Le Nabab’ pour lequel elle obtient le prix des Maisons de la presse en 1982. L'auteur, qui se dit fortement marquée par son origine bretonne, est agrégée de lettres classiques en 1972. Le début de sa carrière est marqué par son rôle de professeur qu'elle tient au Lycée et à la Sorbonne. En 1976, la jeune femme publie son premier ouvrage 'Quand les Bretons peuplaient les mers'. S'ensuit 'Les Contes du cheval bleu les jours de grand vent'. Très vite, elle se rend compte qu'elle est faite pour écrire. Son roman 'Le Nabab', écrit d'après la vie de René Madec, la lance pleinement dans l'écriture. Forte de cette reconnaissance, elle publie une vingtaine d'ouvrages dont 'Secret de famille' qui reçoit le prix RTL Grand public 1989. On notera aussi sa collaboration avec l'illustrateur André Juillard pour son roman 'La Vallée des hommes perdus'. Dotée d'une carrière bien remplie, Irène Frain est aujourd'hui une femme de lettres reconnue par le monde de la littérature.

Mon avis : (lu en juillet 2009)

C'est la rencontre d'Irène Frain avec Max Guérout, capitaine de vaisseau passionné d'archéologie, qui est à l'origine de ce livre. Il nous raconte une histoire vraie, bouleversante et passionnante : des faits réels peu glorieux pour les autorités de l'époque.
L’Utile, navire de la Compagnie française des Indes orientales est parti de Bayonne le 17 novembre 1760 avec un équipages de 143 hommes. Après un arrêt à Madagascar pour charger une cargaison clandestine de 160 esclaves, le navire fait naufrage sur l’île de Sable (île de Tromelin), le 31 juillet 1761. Il y aura 122 rescapés dans l'équipage ainsi que 88 esclaves, mais durant les premiers jours 28 esclaves vont mourir de soif. Les hommes creuseront un puits et trouveront de l'eau saumâtre mais potable. Avec les restes de l'épave de L'Utile, les marins vont construire un bateau avec l'aide des esclaves. Mais le bateau de trente-deux pieds de long par douze pieds de large ne pourra embarquer que les français et le 27 septembre, ils quittent l'île en abandonnant les malgaches avec 3 mois de vivres et la promesse de revenir les chercher. Mais le gouverneur de l'Ile de France (île Maurice actuelle) refuse d'honorer la promesse faite. Et ce n'est que quinze ans plus tard, le 29 novembre 1776 que La Dauphine et le capitaine Tromelin, récupéra les survivants : sept femmes et un bébé de huit mois.

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J’ai trouvé formidable le travail de nombreuses personnes (archivistes, archéologues) qui se sont plongés dans les archives pour retrouver ce qu’il s’est vraiment passé en 1761. Le récit fait revivre avec une incroyable vérité les personnages de cette aventure humaine extraordinaire. Nous revivons avec eux toutes les péripéties et après avoir fermé ce livre je n'ai eu qu'une envie, c'est vouloir partager ce morceau d'histoire de France avec mes proches ou d'autres lecteurs. A lire absolument !

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L'île de Tromelin, autrefois appelée île de Sable, est l'une des terres les plus isolées de l'océan Indien. Elle est située à 450 km à l'est de Madagascar et à environ 560 km au nord de Maurice. Elle est longue d'environ 1700 m et large d'environ 700 m et d'une superficie à peine supérieure à 1 km². Elle est entourée de fonds de l'ordre de 4000 mètres. Ses coordonnées sont : 15°53' de latitude Sud et 54°31' de longitude Est. L'île Tromelin fait partie des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).

Depuis plus de quarante ans, l'île abrite une importante station météorologique, les météorologistes, qui y travaillent, sont les seules personnes qui vivent sur l'île. Il y a une piste d'atterrissage pour avions. La flore y est assez pauvre. Classée réserve naturelle, Tromelin abrite des tortues de mer et et de nombreux oiseaux de mer : Frégates, fous masqués, fous à pied rouge, huîtriers, parfois sternes et paille-en-queue.


Pour plus de détails sur le livre, voir le site suivant : http://www.lesnaufragesdeliletromelin.fr


Vidéo sur la mission archéologique : "L'Utile 1761 esclaves oubliés" réalisée par l’Inrap (Institut National de recherches archéologiques préventives)

vestiges

vestiges du campement des esclaves oubliés

Extrait : (début du livre)

L’île est le sommet émergé d’un vieux volcan sous-marin. Il s’est éteint il y a des millénaires. La lave a bouché l’orifice de sa cheminée. Comme il se trouvait à fleur d’eau, les coraux l’on vite colonisé.

Sous les vagues, les pentes du volcan sont très raides. A deux encablures de l’île, l’abîme commence. Et les grandes houles, les courants sans fin. Il faut vraiment jouer de malchance pour se retrouver sur ce bloc de corail cerné par les déferlantes. Ou n’avoir peur de rien.

Pour pouvoir en repartir, il faudra aussi compter sur l’inconscience. A moins de chercher son salut dans l’énergie du désespoir. Nul ne s’est jamais installé ici. L’île est sans mémoire. Seuls les ouragans laissent leur trace dans les sables. Le reste va vite se perdre dans le vent, le tonnerre des lames qui, sans relâche, harcèlent les récifs. Nuit et jour, la mer bat. Elle flanche rarement. Même lorsqu’il fait beau. Quand elle consent à se calmer, c’est presque toujours dans les heures qui précèdent un cyclone. Ensuite, elle se déchaîne comme jamais, jette à l’assaut de l’île des vagues géantes qui l’engloutissent aux neuf dixièmes. Elle ne reflue qu’une fois l’ouragan passé. Pour recommencer comme avant. Même pouls méchant, têtu, mêmes lames qui frappent, fracassent et brisent, déferlent er redéferlent, frappent encore, roulent et cassent, broient, éparpillent, émiettent, s’acharnent contre cette minuscule plaque de corail perdue au cœur de l’océan.

Mais l’île est ultra dure, elle tient. La seule victoire que la mer ait jamais remportée sur elle, c’est d’empêcher les madrépores de former un rempart assez haut pour casser l’élan des déferlantes. Ici, pas de couronne de coraux, pas de lagon à l’abri des houles accourues du pôle Sud, longues et féroces – depuis l’Antarctique, elles n’ont  trouvé aucun obstacle. A quelques mètres du rivage, rien qu’un long récif frangeant que la mer mouline peu à peu en sable. Mais là encore, rien à voir avec la fine et douce farine des atolls des mers du Sud. Celui-ci est grenu, grumeleux, râpeux.

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28 juin 2009

Les carnets de guerre de Victorien Mars - Maxence Fermine

les_carnets_de_guerre_de_Victorien_Mars Albin Michel – octobre 2008 – 192 pages

Quatrième de couverture : « Cette histoire commence comme ça. On est tous les cinq dans cette tranchée qui n 'est pas la nôtre. Trois agenouillés au sol et deux debout. J'ai un pistolet sur la tempe. De l'autre côté du pistolet, il y a un soldat français. Et j'attends qu'il tire. »
Verdun, avril 1916. En première ligne, l'épouvante des tranchées: un gouffre de peur, de faim, de froid. Mais pas seulement. Non loin de l'ennemi déclaré, un autre, plus sournois, sévit. Un adjudant qui se repaît de la souffrance de ses hommes. Un bourreau que la guerre, enfin, autorise à tuer.
Dans ce roman atypique et dérangeant, Maxence Fermine explore cette « mise entre parenthèses de la vie » qu'impose la guerre. Mais plus que l'horreur du conflit, c'est, sous un angle humain, l'enfer psychologique et les sentiments extrêmes suscités par la crainte de la mort qu'il met en abyme avec un incontestable talent.

Auteur : Né à Albertville en 1968, écrivain ayant vécu entre Paris et l'Afrique, Maxence Fermine est l'auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles. En 1999, il se lance en publiant 'Neige' qui est une agréable surprise. Fort de ce premier succès, l'auteur se consacre pleinement à l'écriture. Toujours en 1999, il dévoile son deuxième roman, 'Le Violon noir'. En 2000, il écrit 'L' Apiculteur' qui reçoit le Prix del Duca et le Prix Murat en 2001. La même année, il co-écrit 'Sagesses et malices de Confucius le roi sans royaume' avec Olivier Besson. Véritable bourreau de travail, il enchaîne avec 'Opium' en 2002, 'Billard blues', 'Jazz blanc' et 'Poker' en 2003. En 2004, il décroche le Prix Europe 1 grâce au roman 'Amazone'. S'en suit les romans 'Tango Massaï' en 2005 et 'Le labyrinthe du temps' en 2006. En 2007, Maxence Fermine publie 'Le Tombeau d'étoiles'.

Mon avis : (lu en juin 2009)

Le narrateur, Victorien nous raconte le cauchemar de la Guerre 14-18 : la vie dans les tranchées. Il y a la peur, la faim, le froid... Dans les tranchées au delà du no man's land, il y a les ennemis allemands, mais l'ennemi peut aussi être dans son propre camp. Ici c'est le cruel As de Pique, un criminel devenu adjudant au début de la guerre et qui se joue de la mort : il revient toujours seul et indemne de toutes ses missions, pour lui la guerre, c'est le meurtre autorisé. Ce livre nous plonge dans le monde sombre de la guerre et de ses atrocités, mais surtout nous montre l'enfer psychologique que peut subir les soldats.

Le récit est simple, Victorien nous raconte sa guerre au front, jour après jour, il se battra à Ypres puis à Verdun. il s'interroge sur le comportement des officiers, à l'abri dans leurs bureaux et qui envoient au feu les hommes sans aucune considération pour la vie. J'ai trouvé ce livre intéressant pour son côté historique et très facile à lire. Il est pourtant très différent des premiers livres de Maxence Fermine.

Extrait : (début du livre)

C'est en avril 1916 que tout a commencé, dans une tranchée lugubre où pleuvaient les obus et les balles par centaines, sous un ciel obscur formant une voûte de fer, de grisaille, d'acier et de sang.

Ce spectacle, c'était la guerre. Et elle allait durer deux années de plus, même si nous ne le savions pas encore. Une guerre sans merci, dans laquelle nous n'étions que de bien piètres figurants. Je me souviens qu'il faisait horriblement froid. Le sol était recouvert d'un mélange de boue et de neige fondue qui collait à nos bottes et nous maculait jusqu'à l'entrecuisse. Chacun de nos pas était un supplice. Nos mains étaient pleines d'engelures, nos membres, nos corps engourdis, transis depuis des heures. Mais nous aurions eu tort de nous plaindre, souffrir c'est vivre encore. Car dans le long boyau de terre qui nous servait de refuge, une multitude de morts à demi enterrés attendaient en vain une sépulture plus décente que ce cimetière à ciel ouvert.

Nous étions entrés dans les ténèbres de l'humanité, aux frontières du néant, un champ de destruction où se dispersaient les dernières cendres du vivant. Un champ de mitraille qu'on appelait Verdun.

Cette tranchée n'était pas la nôtre. C'était celle de l'ennemi. Celle des Allemands, où nous aurions jamais dû aller, et d'où, peut-être, nous ne ressortirions jamais. Pourtant, des Allemands, il n'y en avait plus guère. Ou bien réduits en bouillie, amas d'os et de chair sanglante exposés aux quatre vents. Les derniers avaient été délogés avec fracas par notre armée et s'étaient repliés quelques dizaines de mètres plus loin. Pour notre état-major comme pour la Nation tout entière, ce recul constituait une immense victoire, même si nous n'étions pas dupes et que nous savions, nous, les soldats de troupe, que ce succès temporaire ne servirait à rien.

(…)

Le soleil se couchait à l'ouest. Il était peut-être six heures du soir, six heures et demie à tout prendre. L'heure de la brune. Bientôt, il ferait noire et nous serions plongés dans l'obscurité la plus totale. Nous n'étions plus que quatre hommes de la compagnie. Quatre survivants, c'était tout ce qui subsistait de l'Escouade des Braves.

26 juin 2009

Le sumo qui ne pouvait pas grossir - Éric-Emmanuel Schmitt

le_sumo_qui_ne_voulait_pas_grossir Albin Michel – avril 2009 - 101 pages

Quatrième de couverture :

Sauvage, révolté, Jun promène ses quinze ans dans les rues de Tokyo, loin d’une famille dont il refuse de parler.

Sa rencontre avec un maître du sumo, qui décèle un « gros » en lui malgré son physique efflanqué, l’entraîne dans la pratique du plus mystérieux des arts martiaux. Avec lui, Jun découvre  le monde insoupçonné de l force, de l’intelligence et de l’acceptation de soi.

Mais comment atteindre le zen lorsque l’on est que douleur et violence ? Comment devenir sumo quand on ne peut pas grossir ?

Derrière les nuages, il y a toujours un ciel…

Après Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose, L’Enfant de Noé, Éric-Emmanuel Schmitt poursuit « Le Cycle de l’Invisible » avec ce nouveau récit qui mêle enfance et spiritualité, nous conduisant ici à la source du bouddhisme zen.

Auteur : Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Éric-Emmanuel Schmitt s’est d’abord fait connaître au théâtre avec Le Visiteur, cette rencontre hypothétique entre Freud et peut-être Dieu, devenue un classique du répertoire international. Rapidement, d’autres succès ont suivi : Variations énigmatiques, Le Libertin, Hôtel des deux mondes, Petits crimes conjugaux, Mes Evangiles, La Tectonique des sentiments… Plébiscitées tant par le public que par la critique, ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l’Académie française. Son œuvre est désormais jouée dans plus de quarante pays.
Il écrit le Cycle de l’Invisible, quatre récits sur l’enfance et la spiritualité, qui rencontrent un immense succès aussi bien sur scène qu’en librairie : Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose et L’Enfant de Noé. Une carrière de romancier, initiée par La Secte des égoïstes, absorbe une grande partie de son énergie depuis L’Evangile selon Pilate, livre lumineux dont La Part de l’autre se veut le côté sombre. Depuis, on lui doit Lorsque j’étais une œuvre d’art, une variation fantaisiste et contemporaine sur le mythe de Faust et une autofiction, Ma Vie avec Mozart, une correspondance intime et originale avec le compositeur de Vienne. S'en suivent deux recueils de nouvelles : Odette Toulemonde et autres histoires, 8 destins de femmes à la recherche du bonheur,  inspiré par son premier film, et la rêveuse d'Ostende, un bel hommage au pouvoir de l'imagination. Dans Ulysse from Bagdad, son dernier roman, il livre une épopée picaresque de notre temps et interroge la condition humaine. Encouragé par le succès international remporté par son premier film Odette Toulemonde, il adapte et réalise Oscar et la dame rose. Sortie prévue fin 2009
.

Mon avis : (lu en juin 2009)

J’avais beaucoup aimé Oscar et la dame rose, L’Enfant de Noé et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran du « Cycle de l’Invisible » d’Éric-Emmanuel Schmitt. Cette fois-ci, j’ai été déçu par ce livre très court. Je n’ai pas été touchée par les personnages du livre. J’ai trouvé l’histoire un peu simpliste, manquant de profondeur et je m’attendais à en apprendre plus sur les sumos, la culture japonaise et sur le bouddhisme. Cependant on ne peut pas nier que ce livre est plein d’optimiste.

Extrait : (début du livre)

Alors que j'étais maigre, long, plat, Shomintsu s'exclamait en passant devant moi :

- Je vois un gros en toi.

Exaspérant ! De face, j'avais l'air d'une peau de hareng séchée sur du bois d'allumette ; de profil... on ne pouvait pas me voir de profil, je n'avais été conçu qu'en deux dimensions, pas en trois ; tel un dessin, je manquais de relief.

- Je vois un gros en toi.

Les premiers jours, je n'avais pas répliqué parce que je me méfie de moi : il m'arrive souvent de penser que les gens m'agressent en paroles, en grimaces, en gestes, puis de découvrir mon erreur , j'ai interprété, déformé, voire rêvé.

Paranoïa, je crois, on appelle ce genre d'illusion à répétition, oui, je fais de la paranoïa, en plus de l'allergie.

- Jun, calme-toi, tu te massacres, me sermonnai-je. Ce vieux bancal n'a pas pu dire ça.

La troisième fois, à l'approche de Shomintsu, inutile de préciser que j'avais les oreilles aussi écartées que les jambes d'un gardien avant un tir au but : pas question de manquer un mot, de rater une syllabe, j'intercepterais le moindre grognement que cet enfariné m'enverrait.      

- Je vois un gros en toi.

- Va te faire foutre !

Ce coup-là, j'étais certain d'avoir bien entendu.

Lui, en revanche, semblait ne pas avoir enregistré ma réponse : il sourit et reprit sa promenade comme si je n'avais pas réagi.

Le lendemain, en s'arrêtant, il s'écria, avec la mine inspiré de celui qui venait de l'inventer à l'instant :

- Je vois un gros en toi.

- Tu as le cerveau en potage ou quoi ?

Pas moyen de s'en désengluer ! Vlan, tous les jours, il remettait ça.

- Je vois un gros en toi.

- Soigne-toi !

Voilà désormais ce que je répondais, chaque matin, avec, selon mon degré d'exaspération, des variantes telles : « Mets des lunettes, grand-père, tu vas rentrer dans le mur », « On a enfermé des fous pour moins que ça ! », voire : « Me gonfle pas sinon je t'oblige à avaler les trois dents qui te restent. »

Imperturbable, Shomintsu remuait le museau et poursuivait son chemin, hilare, paisible, imperméable au fait que je lui avait gueulé dessus. Une tortue. J'avais l'impression de converser pendant trente secondes avec une tortue, tant son visage était ridé, kaki, dépourvu de poils, percé d'yeux minuscules que masquaient d'antiques paupières, oui, une tortue dont le cou desséché ployait sous le crâne lourd puis disparaissait dans les plis de son costume impeccable, amidonné, carapace rigide. J'en venais à me demander quelle maladie motivait son immuable comportement : était-il aveugle, sourd, crétin ou lâche ? Avec lui, question tares, on n'avait que l'embarras du choix.   

21 juin 2009

Que serais-je sans toi – Guillaume Musso

que_serais_je_sans_toi XO Editions – avril 2009 – 299 pages

Quatrième de couverture :

Gabrielle a deux hommes dans sa vie.

L’un est son père, l’autre est son premier amour.

L’un est un grand flic, l’autre est un célèbre voleur.

Ils ont disparu depuis longtemps, laissant un vide immense dans son cœur.

Le même jour, à la même heure, ils surgissent pour bouleverser sa vie.

Ils se connaissent, ils se détestent, ils se sont lancé un défi mortel.

Gabrielle refuse de choisir entre les deux,

elle voudrait les préserver, les rapprocher, les aimer ensemble.

Mais il y a des duels dont l’issue inéluctable est la mort.

Sauf si…

Des toits de Paris au soleil de San Francisco

Un premier amour qui éclaire toute une vie

Une histoire envoûtante, pleine de suspense et de féerie

Auteur : Né à Antibes en 1974, Guillaume Musso découvre la littérature à dix ans et il proclame qu'il écrira un jour des romans. Inspiré par un séjour à New York alors qu'il est encore étudiant, il commence à écrire et à rassembler ses idées. Après une licence de sciences économiques à Nice, Guillaume Musso débute une carrière d'enseignant. Mais il ne perd pas son but de tête et publie son premier roman en 2001 'Skidamarink', où il aborde des interrogations économiques et sociales. Encouragé par la critique, il publie 'Et après ...' en 2004. Sa diffusion dans sept pays étrangers confirme son talent. Oscillant entre roman sentimental et intrigue psychologique à suspense, il publie encore 'Seras-tu là ?' et 'Sauve-moi' en 2006.

Mon avis : (lu en juin 2009)

Ce livre de Guillaume Musso se lit facilement, et j'ai passé un bon moment mais pas plus. Ce roman démarre par une belle histoire d'amour entre Martin et Gabrielle qui dure quelques mois. Près de treize ans après, nous retrouvons Martin devenu policier et qui traque un mystérieux voleur d'art Archibald.

L'histoire est simple, un peu naïve puis surréaliste et pendant longtemps je me suis demandé où l'auteur voulais nous mener... J'ai été prise par l'histoire et le rebondissement final m'a surprise.

Extrait : (début du livre)

San Francisco, Californie - Été 1995

Gabrielle a 20 ans

Elle est américaine, étudiante en troisième année à l’université de Berkeley.
Cet été-là, elle porte souvent un jean clair, un chemisier blanc et un blouson de cuir cintré. Ses longs cheveux lisses et ses yeux verts pailletés d’or la font ressembler aux photos de Françoise Hardy prises par Jean-Marie Périer dans les années 1960.
Cet été-là, elle partage ses journées entre la bibliothèque du campus et son activité de pompier volontaire à la caserne de California Street.
Cet été-là, elle va vivre son premier grand amour.

Martin a 21 ans

Il est français, vient de réussir sa licence de droit à la Sorbonne.
Cet été-là, il est parti aux États-Unis en solitaire pour perfectionner son anglais et découvrir le pays de l’intérieur. Comme il n’a pas un sou en poche, il enchaîne les petits boulots, travaillant plus de soixante-dix heures par semaine: serveur, vendeur de crèmes glacées, jardinier…
Cet été-là, ses cheveux noirs mi-longs lui donnent des airs d’Al Pacino à ses débuts.
Cet été-là, il va vivre son dernier grand amour.

Cafétéria de l’université de Berkley

- Hé, Gabrielle, une lettre pour toi!
Assise à une table, la jeune femme lève les yeux de son livre.
- Comment?
- Une lettre pour toi, ma belle! répète Carlito, le gérant de l’établissement, en posant une enveloppe couleur crème à côté de sa tasse de thé.
Gabrielle fronce les sourcils.
- Une lettre de qui?
- De Martin, le petit Français. Son travail est terminé, mais il est passé déposer ça ce matin.
Gabrielle regarde l’enveloppe avec perplexité et la glisse dans sa poche avant de sortir du café.
Dominé par son campanile, l’immense campus verdoyant baigne dans une atmosphère estivale. Gabrielle longe les allées et les contre-allées du parc jusqu’à trouver un banc libre, à l’ombre des arbres centenaires.
Là, toute à sa solitude, elle décachette la lettre avec un mélange d’appréhension et de curiosité.

Le 26 août 1995

Chère Gabrielle,
Je voulais simplement te dire que je repars demain en France.
Simplement te dire que rien n’aura plus compté pour moi pendant mon séjour californien que les quelques moments passés ensemble à la cafétéria du campus, à parler de livres, de cinéma, de musique, et à refaire le monde.
Simplement te dire que, plusieurs fois, j’aurais aimé être un personnage de fiction. Parce que dans un roman ou dans un film, le héros aurait été moins maladroit pour faire comprendre à l’héroïne qu’elle lui plaisait vraiment, qu’il aimait parler avec elle et qu’il éprouvait quelque chose de spécial lorsqu’il la regardait. Un mélange de douceur, de douleur et d’intensité.
Une complicité troublante, une intimité bouleversante. Quelque chose de rare, qu’il n’avait jamais ressenti avant. Quelque chose dont il ne soupçonnait même pas l’existence.
Simplement te dire qu’un après-midi, alors que la pluie nous avait surpris dans le parc et que nous avions trouvé refuge sous le porche de la bibliothèque, j’ai senti, comme toi je crois, ce moment de trouble et d’attraction qui, un instant, nous a déstabilisés. Ce jour-là, je sais que nous avons failli nous embrasser. Je n’ai pas franchi le pas parce que tu m’avais parlé de ce petit ami, en vacances en Europe, à qui tu ne pouvais pas être infidèle, et parce que je ne voulais pas être à tes yeux un type «comme les autres», qui te draguent sans vergogne et souvent sans respect.
Je sais pourtant que si on s’était embrassés, je serais reparti le coeur content, me foutant de la pluie ou du beau temps, puisque je comptais un peu pour toi. Je sais que ce baiser m’aurait accompagné partout et pendant longtemps, comme un souvenir radieux auquel me raccrocher dans les moments de solitude. Mais après tout, certains disent que les plus belles histoires d’amour sont celles qu’on n’a pas eu le temps de vivre. Peut-être alors que les baisers qu’on ne reçoit pas sont aussi les plus intenses...
Simplement te dire que lorsque je te regarde, je pense aux 24 images seconde d’un film. Chez toi, les 23 premières images sont lumineuses et radieuses, mais de la 24e émane une vraie tristesse qui contraste avec la lumière que tu portes en toi. Comme une image subliminale, une fêlure sous l’éclat: une faille qui te définit avec plus de vérité que l’étalage de tes qualités ou de tes succès. Plusieurs fois, je me suis demandé ce qui te rendait si triste, plusieurs fois, j’ai espéré que tu m’en parles, mais tu ne l’as jamais fait.
Simplement te dire de prendre bien soin de toi, de ne pas être contaminée par la mélancolie. Simplement te dire de ne pas laisser triompher la 24e image. De ne pas laisser trop souvent le démon prendre le pas sur l’ange.
Simplement te dire que, moi aussi, je t’ai trouvée magnifique et solaire. Mais, ça, on te le répète cinquante fois par jour, ce qui fait finalement de moi un type comme les autres…
Simplement te dire, enfin, que je ne t’oublierai jamais.
Martin

13 juin 2009

Les sandales blanches - Malika Bellaribi

les_sandales_blanches Calmann-Levy – octobre 2008 – 225 pages

Quatrième de couverture :
Faire une carrière de mezzo-soprano qui vous porte à la présidence du jury de présélection de l'Eurovision, voilà qui n'est déjà pas à la portée de tout le monde. Mais connaître un tel succès quand on est né dans un bidonville à Nanterre, voilà qui est proprement stupéfiant, tant on imagine nombreux et dissuasifs les obstacles à surmonter. C'est peu dire, en effet, que rien ne prédestinait Malika Bellaribi à suivre ce parcours exceptionnel. Née dans ce "quart-monde" à la périphérie de Paris dénoncé par l'abbé Pierre, grandie tant bien que mal dans une famille nombreuse aux parents indifférents, Malika est victime d'un très grave accident qui la force à passer des années à l'hôpital et en rééducation dès sa plus tendre enfance. Mais à quelque chose ce malheur est bon. Loin de son univers familial, soignée par des religieuses bienveillantes, Malika se trouve, et découvre la musique: celle des chants religieux qui emplissent, chaque dimanche, la chapelle de l'hôpital. La musique: c'est, la petite fille le sent, la voie du salut et du bonheur. Il lui faudra endurer encore bien des humiliations et des vicissitudes, y compris une tentative de mariage forcé en Algérie, avant d'oser défier les règles de sa communauté. Elle décidera de choisir librement sa vie, son amour, et sa religion. Mais la réussite de Malika ne se borne pas à cette prouesse déjà exemplaire. A peine son nom commence-t-il à être connu qu'elle songe à faire profiter les autres de ce qu'elle a appris et à partager la joie que lui procure le chant lyrique. Elle crée en banlieue des ateliers de chant qui s'appuient sur une pédagogie utilisant la mémoire corporelle, les cinq sens, la créativité des jeunes, les relations affectives, les règles de groupe, les tabous... Malika n'a pas oublié d'où elle venait !

Auteur : Malika Bellaribi Le Moal (née à Nanterre en 1956) , est une cantatrice généreuse et engagée d'origine Algérienne. Elle se produit en soliste depuis 1987 et a donné près de 200 représentations. Après avoir présenté des récitals dans des salles aussi prestigieuses que les salles Cortot, Gaveau et Pleyel, elle décide de créer des spectacles d'airs d'opéra permettant de rendre l'opéra accessible à tous. Douée d’un timbre rare, plein d’ombre et de velours dans les graves et le médium comme chez les chanteuses noires américaines, sonore et généreux dans l'aiguë, Malika Bellaribi-Le Moal, qui n'a pas oublié ses racines, espère que la découverte qui a orienté toute sa vie, instille quelques étincelles dans celle de ses petites sœurs des banlieues.

Mon avis : (lu en juin 2009)

Un magnifique récit autobiographique où l'émotion nous étreint à chacune des pages. On souffre avec Malika petite fille née dans un bidonville de Nanterre la septième d'une famille de neuf enfants. Sa vie est souffrance dès son plus jeune âge car elle va être écrasée par un camion et va passer de longues années à l'hôpital et en maison de rééducation. C'est là qu'elle découvre le chant religieux lors d'une messe de Noël où elle assiste, elle a cinq ans. Dans la musique, Malika va trouver un but pour sa vie et la force de se battre pour apprendre à remarcher, puis le courage de trouver une vraie place dans la société malgré ses origines et enfin devenir une chanteuse lyrique. Elle va également faire profiter les autres de ce qu'elle a appris et partager la joie que lui procure la musique en créant en banlieue des ateliers de chant. Ce livre est une formidable leçon de vie pleine d'humanité. A lire !

 

Extrait : (page 13)

Aujourd'hui encore, je me souviens de ma surprise quand le lait bouillant s'est renversé sur mon épaule. Durant quelques secondes, je n'ai pas eu peur, ni mal, d'ailleurs. J'ai simplement poussé un petit cri quand le liquide a pénétré mes vêtements. Ensuite, ensuite seulement, est venue la douleur. Quelques picotements, d'abord – presque rien, juste des pointes d'aiguilles s'enfonçant, les unes après les autres, dans mes pores. Ensuite, il y a eu cette sensation de brûlure, d'abord supportable, puis de plus en plus vive, tandis que le liquide bouillant creusait son sillon dans mes chairs. Enfin est venue la souffrance – une souffrance insupportable. J'ai tellement mal que je ne crie pas. Je ne pleure pas, non plus. Je reste simplement là, debout, à tenter d'oublier ce feu qui lèche mon bras. Mais l'oubli ne vient pas, bien sûr. La brûlure se fait toujours plus vive. Et tandis que la pièce s'emplit d'une odeur âcre, acide un cri monte, enfin, du fond de ma gorge.
Des hurlements – ceux de ma mère et de Hayat. Des pleurs – ceux de ma sœur aînée, que l'on réprimande. Des allées et venues affolées, les voisines qui accourent, l'eau qui coule sur mon corps, des invectives contre le ciel quand on découvre l'étendue de ma plaie, et ce médecin qui arrive, et pose sur mes chairs une gaze cicatrisante. Ensuite ? Ensuite, plus rien – un oubli bienfaisant, le temps qui passe, des heures, des jours, et mon bras qui guérit, lentement, même s'il garde une vilaine cicatrice qui, aujourd'hui encore, étoile ma peau. Voilà tout ce qui reste de l'incident. Personne ne sait encore qu'il n'est qu'un prélude ; personne ne sait que bientôt, mon corps tout entier ne sera plus qu'une plaie. Pour moi, la vie reprend – une vie semblable à celle de tous les enfants du bidonville. Pas de crèche ni de jardin d'enfant. Pas d'école maternelle. Seulement les ruelles pour terrain de jeux, des boîtes de conserves vides pour ballon, quelques bouts de bois assemblés pour poupées, et les adultes qui passent, sans se soucier de nous, de moi, occupés qu'ils sont à gagner de quoi manger et à faire la guerre aux Français.
Quel jour est-on ? De quel mois ? Je ne le sais toujours pas. Chez moi, on ne fête ni les Noëls ni les anniversaires. Il n'y a ni bougies ni cadeaux, les jours coulent, les uns après les autres, tous semblables dans la même grisaille. Ce matin, comme d'habitude, Hayat prépare du café au lait, et elle m'en tend un grand bol. J'y trempe le pain que fabrique ma mère, en faisant bien attention à ne pas laisser couler une seule goutte du breuvage sur mes vêtements. J'ai beau être une toute petite fille, je sais déjà ce qu'il faut faire et ne pas faire pour éviter les coups – claques de ma mère, bourrades de mes frères, pinçons d'Hayat excédée par son rôle d'aînée soumise à toutes les corvées. Une fois ma faim apaisée, je me lève et je porte mon bol dans la bassine où s'entasse la vaisselle sale – et c'est alors que j'entends les cris qui viennent du dehors. « Au feu ! », hurle-t-on. Au feu ? Je n'ai pas le temps de comprendre que, déjà, des bras m'enserrent, ceux d'Hayat qui m'empoigne, me tire, me traîne hors de la maison. D'un coup, nous voilà toutes les deux enveloppées d'une chaleur intense. Le feu est bien là, qui dévaste le bidonville, frôle notre porte. D'où sont nées ces flammes orangées qui lèchent les murs des maisons ? Un brasero qui s'est renversé ? Un gosse qui a craqué une allumette ? Tout ce qui compte, à cet instant, c'est que l'incendie se propage très vite, dévastant tout sur son passage, faisant naître des cris, des pleurs, des imprécations, poussant les gens hors de leurs bâtisses, enveloppant la foule qui se presse dans les ruelles d'une fumée noire, hostile. Elle s'insinue dans mes poumons, me fait tousser, cracher, suffoquer. Est-ce que le brasier va nous rattraper, Hayat et moi, est-ce qu'il va nous transformer en torches vives, est-ce qu'il va nous réduire en cendres ? D'un coup, ma grande sœur desserre son étreinte, je sens d'autres bras m'emporter, ceux d'un homme, cette fois, il me soulève bien haut, il me juche sur ses épaules, et d'un coup l'air se fait moins dense, moins piquant, moins chaud, aussi – et lorsque enfin je rouvre les yeux, je réalise que nous sommes sortis de la zone ravagée par l'incendie…
Ensuite, il faut reconstruire – une reconstruction laborieuse, lente, un calvaire. Tout le monde s'y met – hommes et femmes, enfants et vieillards. Il faut remonter les murs des baraques, moellon après moellon, faire du ciment, aller chercher les tôles tenant lieu de toit. Cela dure des jours entiers, durant lesquels les familles s'entassent dans les rares maisons intactes. Mon père se charge du ravitaillement : n'est-il pas l'épicier, celui qui, dans sa petite boutique, faisait revivre la terre natale, grâce aux énormes sacs ouverts sur les épices, la semoule, les dattes et les figues séchées, le kemoun et les feuilles de menthe ?
L'épicerie. Aujourd'hui encore, si je ferme les yeux, je peux sentir l'odeur mi-poivrée, mi-sucrée que dégagent les lieux – et je revois les rayons sur lesquels sont entreposés des bassines en fer ou en plastique, du grésil, des balais, des serpillières, et cette eau de javel que n'utilisent que les nantis, comme lui. Nanti, oui. Car au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Et pauvres comme nous le sommes, nous n'en avons pas moins les moyens de manger et de nous habiller. Ici, aux Pâquerettes, c'est presque du luxe, il faut bien le dire…

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13 juin 2009

Louise – Didier Decoin

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Seuil – mars 1998 – 378 pages

Point – mai 1999 – 378 pages

Quatrième de couverture :

A quarante ans, Joanne égaye deux fois l'an son existence de coiffeuse à Saint-Pierre-et-Miquelon : lorsque son amant lui rend visite à chaque solstice. Dans cet archipel qui connut la fortune grâce au trafic d'alcool pendant la prohibition des années 20, sa rencontre avec Manon, une étudiante québécoise, va bouleverser l'ordre de sa vie.
Marquée par une expérience unique qui l'a conduite aux confins de la mort et l'a profondément transformée, Manon débarque à Saint-Pierre accompagnée de Louise, une grande oie des neiges qu'elle a recueillie. Là, elle va peu à peu apprendre à Joanne comment devenir pleinement elle-même, comment accepter l'amour, découvrir la liberté de donner et de prendre, connaître la joie dans son île brumeuse autant que dans l'incendie des étés indiens.

Auteur : Didier Decoin, né le 13 mars 1945 à Boulogne-Billancourt (Seine), est un scénariste et écrivain français récompensé du Prix Goncourt en 1977 pour John l'Enfer. Didier Decoin est le fils du cinéaste Henri Decoin. Il débute sa carrière comme journaliste de presse écrite à France Soir, au Figaro et à VSD, et de radio sur Europe 1. En parallèle il se lance dans l'écriture, et sera couronné par le Prix Goncourt en 1977 avec John l'Enfer. Tout en continuant son métier d'écrivain, il devient scénariste au cinéma puis à la télévision (adaptations et scripts pour la télévision comme les grands téléfilms Les Misérables, Le Comte de Monte-Cristo, Balzac ou Napoléon). En 1995, il est devenu le Secrétaire de l'Académie Goncourt.

Mon avis : (lu en avril 2004 et relu en juin 2009)

C'est une belle histoire de rencontre entre trois femmes et une oie. Il y a Joanne a 40 ans, elle possède un salon de coiffure de 36 m² appelé Al's. Elle attend le prochain solstice et la venue bisannuelle de son amant Paul. Sa mère, Denise a presque 80 ans et elle chipe des couverts dans les bars de Saint-Pierre. Un jour, Manon, étudiante québécoise débarque dans le salon de coiffure, elle est accompagnée par Louise, un oie des neiges qui a une aile cassée. L'arrivée de Manon et Louise va bousculer la vie tranquille de Joanne. C'est un livre plein de fantaisie et de poésie. J'ai beaucoup aimé.

L'histoire se passe sur l'archipel français Saint-Pierre et Miquelon situé dans l'Atlantique nord à 25 km au sud de l'île de Terre-Neuve (Canada). On découvre une partie de l'histoire de ce coin de France peu connu : on connaît la pêche à la morue qui a permis l'essor économique de l'île mais pour ma part je ne connaissais pas le rôle tenu par Saint-Pierre et Miquelon lors de la prohibition aux États-Unis d'Amérique. J'ai aimé découvrir cet archipel grâce aux nombreuses descriptions.

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Extrait :

Dans l'archipel, il y avait donc une petite ville pimpante qui sentait le poisson (moins qu'autrefois, mais quand même), le goudron, l'odeur aigrelette des brumes ; et dans cette ville, il y avait une rue.

- Une rue située par 46°49' de latitude nord et 56°10' de longitude ouest, ne manquait jamais d'indiquer Joanne quand elle donnait l'adresse.

Mieux valait être précis quand on vivait presque toute l'année dans ces brouillards d'eau filée, ces petites neiges de toile émeri qui rayaient pare-brise et lunettes, ces copeaux de glace volante qui transformaient les nez un peu proéminents en hérissons qui saignent.

Entre deux rangées de maisons à bardeaux de bois peints de couleurs vives, la rue descendait en pente douce vers le port. Au bout, on apercevait une flaque d'océan, huileuse et noire, sur laquelle était mouillé le bateau pilote de Saint-Pierre.

Le frein à main et la vitesse enclenchée ne suffisant pas toujours à empêcher sa voiture en stationnement de glisser sur la chaussée verglacée ou simplement détrempée, Joanne avais pris l'habitude d'engager une cale sous les roues du 4x4. Paul Ashland lui avait taillé cette cale au couteau, dans un fragment d'épave. Il lui avait donné une forme sensuelle et belle.

Lorsqu'il prendrait sa retraite, Paul se consacrerait à la sculpture des bois rejetés par la mer. Un art où l'habileté manuelle compte moins que la façon de regarder le matériau brut, de le tourner dans tous les sens pour le « lire », pour deviner ce que l'érosion des vagues a déjà commencé à faire de lui.

Joanne et Paul se promettaient de longues promenades qu'ils feraient ensemble, tôt le matin, le long d'un rivage fouetté par le vent, repérant l'affleurement des souches noires enfouies dans le sable, se penchant front contre front pour les exhumer. Ils auraient un chien qui fouillerait les plages avec eux. Quand on leur demanderait quelle sorte de chien c'était, ils répondraient : « un épavier – on dit bien un truffier, non ? » En rentrant, on mangerait des coquillages avec du pain beurré, on boirait du vin blanc. Le chien se secouerait longuement, et finirait par s'allonger devant le foyer en grognant de bien-être. Le bonheur semblait accessible, facile à mériter.

Un jour, en voulant allumer le feu dans la cheminée, Paul y jetterait, par distraction, une de leurs plus belles trouvailles du matin. Ils en riraient beaucoup. D'ailleurs, ils feraient en sorte de rire le plus souvent possible : ils avaient tous les deux un joli rire en cascade. C'était en se faisant rire mutuellement qu'ils étaient tombés amoureux l'un de l'autre.

10 juin 2009

Chiens perdus sans collier – Gilbert Cesbron

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paru en 1954

J'ai lu – 1958 – 314 pages

J'ai lu – juin 1982 – 314 pages

Quatrième de couverture
Des hommes, des femmes animés par une vocation irrésistible, se penchent sur les pauvres gosses dont la famille est indigne et sur ceux, plus malheureux encore, qui n'ont pas de famille du tout. Le " juge d'enfants " est un personnage caractéristique et bien mal connu de notre époque. Dans ce livre, Gilbert Cesbron le fait vivre et agir. Son problème, c'est celui de chaque père envers ses enfants, celui de chaque homme face à cet univers fermé et si souvent lucide : le monde des gosses.

Auteur : Ancien élève de l'École des Sciences Politiques, Gilbert Cesbron est né à Paris le 13 janvier 1913. Dès 1934, il publie un recueil de Poèmes, Torrent. Son premier roman paraît en Suisse : Les Innocents de Paris (1944). Sa notoriété s'affirme avec Notre Prison est un royaume (1948) - Prix Sainte-Beuve - et la pièce : Il est minuit, docteur Schweitzer (1950).
Romancier, essayiste, auteur dramatique, il s'attaque à des thèmes d'actualité : les prêtres ouvriers (Les Saints vont en enfer, 1952), la jeunesse délinquante (Chiens perdus sans collier, 1954), l'euthanasie (Il est plus tard que tu ne penses, 1958), la violence (Entre chiens et loups, 1962). Il exerce un second métier dans une société de production radiophonique.
Gilbert Cesbron est décédé en août 1979.

Mon avis : (lu et relu depuis 1980)

C'est un livre que j'ai lu et relu de nombreuses fois pendant mon adolescence. Il est beau et bouleversant, il nous fait partager l'univers peu connu des enfants abandonnés.

L'histoire se déroule en région parisienne dans les années 50. On découvre à travers les yeux d'un enfant, la vie de jeunes plutôt rebelles que dangereux qui sont confrontés à la rue, au poste de police, au tribunal, aux hospices et à un centre d'éducation spécialisé. Les situations décrites sont souvent très réaliste et le lecteur se laisse envahir par l'émotion. Tous les enfants décrits sont particulièrement attachants.

J’ai eu l’occasion récemment de voir en dvd, l’adaptation cinématographique de ce roman par Jean Delannoy en 1955 avec Jean Gabin. Il y joue le rôle du juge pour enfants avec beaucoup d'humanité.

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Extrait : (page 23)

L'enfant le plus ingrat, les sourcils noirs, les lèvres entrouvertes, s'acharne à dessiner sans joie une famille. Mlle Alice entame la lecture des documents annexes : curriculum vitae d'Alain Robert, déclarations (à l'encre violette) des parents nourriciers, rapport (sur copie d'écolier) de M. l'instituteur, certificats du médecin, enquête de l'assistance sociale, renseignements complémentaires reçus par téléphone, Carnet de Santé, premier Bulletin de Comportement en Division, ouf... A travers ces feuillets de tous formats et de toutes couleurs, une dizaine de grandes personnes tournent autour du pupille Alain Robert ; mais le secret de l'enfant Alain Robert leur demeure clos.

- Tu as fini la famille ? Alors, fais-moi un bonhomme : oui, quelqu'un que tu aimes ou n'aimes pas, que tu connais ou ne connais pas, comme tu voudras !

Alain Robert, si décidé d'avance à répondre non, à tout refuser, reprend les crayons avec plaisir : dessiner, comme courir ou s'endormir, l'allège, le détend, le délivre. Un bonhomme ?

- Voilà ! … Mais l'autre n'a pas encore terminé sa lecture. Le gosse l'observe froidement : ces lèvres qui balbutient sans paroles, ces yeux qui courent à la ligne... « Elle doit être un peu sonnée, le grand me l'avait bien dit ! »

En effet, voici qu'à présent, le dossier refermé, les dessins soigneusement rangés, Mlle Alice lui fait aligner des poids par ordre décroissant, rendre la monnaie, énumérer les mois (Merde ! Entre octobre et décembre, il y en avait pourtant un), définir une table, une auto (Elle me prend pour un crétin), la patrie (Euh...). Autre chose à présent ! Elle lui raconte une histoire absurde : «  Un enfant rentre de l'école et sa maman lui dit : « Ne commence pas tout de suite tes leçons, j'ai une nouvelle à t'annoncer. » Qu'est-ce que sa maman va lui dire ? »

- A ton idée...

- Que... que son fils est mort.

- Bien. (Pourquoi « Bien » ?) Écoute-moi maintenant : je vais te dire des phrases dans lesquelles il y a des bêtises et tu me diras lesquelles. Si je dis : « J'ai trois frères : Louis, Roger et moi », qu'est-ce qu'il y a de bête là-dedans ?

- C'est vous, répond le gosse, et il pense : « Elle est complètement cinglée, le grand avait raison ! »

- Ecoute encore : « Je viens de voir entrer chez mon voisin un médecin, un notaire et un prêtre. Que se passe-t-il chez mon voisin ?

- Ils vont faire une belote, suggère Alain Robert.

Mlle Alice rit beaucoup, on se demande pourquoi ; puis elle lui présente un labyrinthe dessiné dont il doit chercher à sortir. Mais, c'est d'ici surtout qu'il aimerait sortir, Alain Robert ! Cette grande personne, qui joue avec lui depuis un quart d'heure, ouvre une boîte de cubes, feuillete des dessins où il manque le nez au milieu du visage, « Très bien ! », lui montre des images inexplicables (jeune femme qui pleure au pied d'un escalier, vieillard tirant une voiture à bras) et lui en demande l'explication, tout cela n'est pas normal ! Et le pire est qu'elle note toutes les bêtises qu'il répond et les glisse dans le Dossier. Elle est en train de foutre son Dossier en l'air, oui ! Alors là, ça ne va plus !

- Voilà... maintenant, retourne en Division, mais tu reviendras demain voir le Docteur.

« Pauvre Docteur, pense Alain Robert, qu'est-ce qu'il dira quand il s'apercevra que son infirmière est devenue dingue ? A moins que lui-même... »

3 juin 2009

Nueva Königsberg - Paul Vacca

nueva_konigsberg Philippe Rey – mai 2009 – 213 pages

Présentation de l'éditeur
Mai 1946. Le philosophe français Jean-Baptiste Botul est appelé à Nueva Königsberg au Paraguay, auprès d'une communauté exilée vivant à la manière de Kant. Il est chargé de trancher un débat d'une importance capitale: quelle doit être leur vie sexuelle? Délicate question. S'ils pratiquent, ne risquent-ils pas d'être infidèles à leur illustre modèle, connu pour sa chasteté? Mais s'ils s'abstiennent, la survie de Nueva Königsberg sera de fait compromise... Le jeune Sébastien s'est trouvé entraîné dans cette expédition, qui oscille pour lui entre canular et cauchemar jusqu'à sa rencontre avec Sofia, membre de la communauté. Partageant discussions, disputes et confidences, ils découvrent un monde nouveau. Toutefois, l'issue de leur relation reste suspendue à la solution que proposera Botul. Sexe ou pas sexe? Un récit d'aventures, un suspense philosophique, le roman d'un amour fou, au-delà de la raison pure...

Biographie de l'auteur
Paul Vacca vit à Paris. Il a publié "La petite cloche au son grêle" en 2008.

Mon avis : (lu en juin 2009)

J'avais adoré "La petite cloche au son grêle" et j'ai été très surprise par "Nueva Konigsberg". En effet, ce livre est tellement différent du premier !

C'est une aventure philosophique qui conduit un philosophe Jean-Philippe Botul et un jeune homme de 25 ans, Sébastien au Paraguay dans une communauté qui vit à la manière de Kant. Jean-Philippe Botul est là pour donner huit causeries pour résoudre le problème que se pose la communauté : doivent-ils refuser toute vie sexuelle pour suivre au mieux les idées de Kant ? Au début, Sébastien a l’impression d’avoir débarqué chez les fous mais sa rencontre avec Sofia, une maîtresse d’école, va faire évoluer sa façon de voir le bonheur, le sens de la vie, l’amour.   

Le récit est tantôt léger et plein d’humour, tantôt sérieux et veut nous faire réfléchir et même philosopher sans que cela soit ennuyeux. En effet, le contenu philosophique de ce livre est très facile à comprendre. J’ai donc bien aimé cette façon de nous présenter de la philosophie. J’ai beaucoup appris sur Kant (je n’avais rien retenu de la philosophie faite en classe de terminale…), évidement je ne connaissais pas du tout l’existence du philosophe Jean-Philippe Botul.

Cette lecture a été savoureuse même si je n’ai pas eu le même coup de cœur que pour "La petite cloche au son grêle".

Extrait : (Prologue)
"Alors que les bombes soviétiques éventraient Königsberg, ils surent qu'il fallait partir.
Au milieu du fracas, ils montèrent avec femmes et enfants sur leurs embarcations appareillées, n'emportant que le strict nécessaire, et laissant derrière eux situations, richesses, patrimoines, pensions de retraite, bons du trésor et emprunts russes.
Mais pas les œuvres de Kant: le bibliothécaire avait sauvé des bombes tous les livres qui avaient appartenu au philosophe.
Ce fut une odyssée effroyable et rocambolesque.
Ballotés par des vents contraires, ils endurèrent tous les supplices. Une mise à l’épreuve sans pareille.

Chemin faisant, ils embarquèrent des cousins de nationalité française, espagnole, lusitanienne, italienne, qui tous partageaient cette envie d'un nouveau départ sous la houlette du grand Immanuel.
Un certain nombre ne termina pas le voyage. Certains cédèrent aux sirènes des rivages enchantés ou des îles mystérieuses ; d’autres, par familles entières, furent décimés par la dysenterie ou les fièvres tropicales. Les familles Braun, Schneider, Bosch et Porsche périrent en route ; elles furent passées par-dessus bord. Les survivants, eux, ne purent s’empêcher d’y lire la confirmation du bien-fondé moral de leur exode.

Enfin, les navires caressèrent les côtes de l’Amérique du Sud.

Ils accostèrent près de Rio de Janeiro, se dispersèrent sur des barques pour s'enfoncer dans le continent.
Lorsqu'ils virent l'endroit, ils surent que c'était là. Loin de la furie fracassante de la guerre, loin des méfaits de la civilisation perfectionnée, loin des illusions de l'idéalisme et des ravages du matérialisme, loin du dogmatisme et du scepticisme, ils décidèrent d'édifier leur nouvelle Königsberg.
Nueva Königsberg."

3 juin 2009

L’office des vivants – Claudie Gallay

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Éditions du Rouergue – janvier 2001 – 327 pages

Actes Sud – mars 2009 – 224 pages

Présentation de l'éditeur
Dans la maison perdue en haut de la montagne habitent le Père, la Mère, Marc et Simone. Et puis Manue, l'inattendue tombée du ciel une nuit, belle et forte comme une étoile. Derrière le village des Cimes il y a une forêt, pleine d'arbres majestueux et effrayants, et il y a des loups. Le Père travaille un peu, boit beaucoup, et cogne facilement; les enfants poussent telle l'herbe folle. Marc dit que, quand il sera grand, il partira loin, et il emmènera Manue avec lui. Dans un décor intemporel de nature sauvage et fascinante, de misère affective et de violence, l'amour fou d'un grand frère pour sa demi-sœur transcende un quotidien sordide par l'irruption du tragique le plus déchirant. Dès ce premier roman, Claudie Gallay étonne grâce à son style âpre et compassionnel et à un univers très personnel, sombre mais traversé par la recherche de l'espoir, du salut, de la beauté.

Biographie de l'auteur
Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L'Office des vivants (2001), Mon amour ma vie (2002), Les années cerises (2004), Seule Venise (2004, prix Folies d'encre et pris du Salon d'Ambronay), Dans l'or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008), grand succès public et critique.

Mon avis : (lu en mai 2009)

C’est le premier roman de Claudie Gallay, elle nous décrit avec beaucoup de justesse la misère sociale et intellectuelle d'une famille qui vit dans une ferme isolée en haut de la montagne. Cette histoire est sans âge. Il y a le Père qui travaille peu, boit et est violent. La Mère qui se remet difficilement de la naissance de son troisième enfant mort-né. Marc et Simone sont deux enfants qui s’élèvent seuls : ils sont souvent sales, ils ont des poux et vont à l’école seulement si le temps le permet. Marc aime la forêt et parle aux loups. Simone a un œil en moins. Un jour, Mado, la fille de ferme, dépose devant la porte le bébé que lui a fait le Père : c’est Manue. Dans cette misère, Manue devient le rayon de soleil de Marc, il va aimer cette sœur sans aucune retenue, il va tout faire pour la protéger.

Les personnages sont profondément humains mais aussi dur et parfois presque sauvage. L'histoire est sombre mais si bien écrit avec des phrases courtes, simples.et percutantes que ce livre m’a bouleversé.

Extrait : (page 32)

Il fait nuit. Chez M’mé Coche, les volets sont fermés. Avec la lune, il y a des ombres épaisses sous les arbres.

Marc est à la fenêtre à regarder les éclairs claquer derrière la montagne quand il voit revenir Mado. Elle longe le mur et elle fait le tour parle jardin pour entrer dans la cour.

Le chien est dehors. Quand Mado arrive au puits, il vient la renifler et lui donne sa grosse tête à caresser.

Mado tient un paquet dans les bras. Elle s’approche de la maison, elle hésite un peu et elle pose son paquet sur la marche, juste devant la porte.

Elle reste un moment comme ça à regarder la porte, le paquet et la nuit tout autour. Après, le tonnerre se met à craquer plus fort dans les arbres, d’un coup Marc ne voit plus rien.

Quand la lumière revient, Mado est au chemin, elle court droit devant elle en relevant sa robe. Le paquet est resté devant la porte. La pluie se met à tomber, des grosses gouttes lourdes qui cognent contre les tuiles. Marc accroche les volets et il redescend.

En bas, ça sent bon. La mère est devant le poêle. Elle fait une sauce avec de la farine, des oignons et du vin.

Le Père aiguise son couteau et Simone joue sous la table avec des chiffons.

C’est comme ça dans la maison quand Marc ouvre la porte. Il fait rentrer le froid. La pluie tombe dru, des gouttes serrées qui inondent la cour et font déborder les chenaux. D’un coup, on ne voit plus rien de la lune.

La mère dit : - Dieu du ciel, ferme cette porte!

Il fait nuit dehors mais avec les éclairs, on y voit comme en plein jour. La couverture du paquet est mouillée. Marc se baisse pour voir ce qu’il y a dessous.

Quand il voit, il appelle la Mère.

- Dieu du ciel ! elle dit.

Tout de suite après, le Père est là, et puis Simone.

Après, le bébé se met à pleurer et la Mère le ramasse pour le mettre au chaud. Elle le pose sur la table et ils restent tous autour à regarder.

C’est comme ça qu’elle voit le papier.

Elle le déplie et elle devient très pâle. Le Père lit à son tour et ça fait un grand silence dans la cuisine.

La Mère envoie Marc et Simone jouer dehors. Il pleut tellement que la pluie reste dans la cour. Ils traversent comme ils peuvent et ils vont de mettre à l’abri sous la remise.

Quand ils reviennent, le Père n’est plus là et l Mère fait chauffer du lait.

Marc récupère le papier, il le lit.

Après, il vient vers Simone. Il la touche du coude.

- C’est une fille, elle s’appelle Manue.

On dirait le bébé qui était sur le lit de la Mère et qu’ils ont mis sous le gravier.

Ce n’est pas possible.
Marc dit que si, qu’on appelle cela une résurrection et que si on écoute bien Dieu, ça peut arriver à n’importe qui.
De mourir et de revenir.

Simone n’aime pas l’idée. Elle préfère vivre.

Marc pense que Mado s’occupe des enfants qui ressuscitent. C’est un métier merveilleux. C’est pour ça qu’elle est partie, elle a beaucoup de travail et elle ne peut pas laisser les enfants seuls trop longtemps. C’est pour ça qu’elle a pris l’argent.

Il va le dire à M’mé Coche parce qu’il sait que M’mé Coche aime Dieu. Il lui dit aussi que quand il sera grand, il veut ressusciter les enfants.

26 mai 2009

La vie d'une autre – Frédérique Deghelt

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Actes Sud – janvier 2007 – 340 pages

Actes Sud - juin 2008 - 340 pages

LGF – janvier 2010 – 251 pages

Présentation de l'éditeur
Marie a vingt-cinq ans. Un soir de fête, coup de foudre, nuit d'amour et le lendemain... Elle se retrouve douze ans plus tard, mariée, des enfants et plus un seul souvenir de ces années perdues. Cauchemar, angoisse... Elle doit assumer sa grande famille et accepter que l'homme qu'elle a rencontré la veille vit avec elle depuis douze ans et ne se doute pas du trou de mémoire dans lequel elle a été précipitée. Pour fuir le monde médical et ses questions, elle choisit de ne rien dire et devient secrètement l'enquêtrice de la vie d'une autre. Ou plutôt de sa propre vie. C'est avec une énergie virevoltante et un optimisme rafraîchissant que Frédérique Deghelt a composé ce roman plein de suspense sur l'amour et le temps qui passe, sur les rêves des jeunes filles confrontés au quotidien et à la force des choix qui déterminent l'existence.

Biographie de l'auteur
Journaliste et réalisatrice de télévision, voyageuse infatigable avec Paris pour port d'attache, Frédérique Deghelt est également l'auteur chez Actes Sud de Je porte un enfant et dans mes yeux l'étreinte sublime qui l'a conçu (2007),
La grand-mère de Jade (2009).

Mon avis : (lu en mai 2009)

C'est le deuxième livre que je lis de cette auteur, après "La grand-mère de Jade" que j'ai beaucoup aimé. C'est l'histoire de Marie qui a 25 ans, lors d'une fête elle a un coup de foudre pour Pablo, elle passe une nuit d'amour et le lendemain... elle se réveille douze ans plus tard, mariée, des enfants et sans aucun souvenirs des douze années passées. Cauchemar, angoisse... elle décide de ne rien dire de son amnésie et chaque jour elle explore son quotidien oublié et enquête sur « la vie d'une autre » qui pourtant est sa propre vie.

Le récit est formidable, j'ai été happée par la vie de Marie, personnage très attachant. J’ai ressenti avec elle ses troubles devant des situations déstabilisantes. Ce livre est à la fois beau, étrange, troublant et fabuleux.

Extrait : (page 128)
Je me regarde dans la glace : à quoi ressemble mon visage ce matin ? Depuis quinze jours, je me débats dans mes souvenirs, mes oublis et ma seconde nouvelle vie avec mes enfants. Jamais je n'ai eu un moment de répit, quelques jours qui s'écoulent yeux dans les yeux avec Pablo... Tout au plus quelques heures autour d'un dîner. Je n'ai jamais eu l'occasion de l'observer vraiment dans un contexte différent, hors de cette famille que nous avons faite et que je viens de découvrir. la solution est peut-être là, dans cette maison qui a sans doute été importante dans notre rapport amoureux. J'en suis là de mes réflexions quand mon estomac me rappelle qu'il est vide. Quand je descends l'escalier en pierre, Pablo achève de dresser une table sur une terrasse fleurie. la maison est construite sur une avancée rocheuse et ne doit pas avoir beaucoup de fenêtres qui ne donnent pas sur la mer.

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