L’office des vivants – Claudie Gallay
Éditions du Rouergue – janvier 2001 – 327 pages
Actes Sud – mars 2009 – 224 pages
Présentation de l'éditeur
Dans la maison perdue en haut de la montagne habitent le Père, la Mère, Marc et Simone. Et puis Manue, l'inattendue tombée du ciel une nuit, belle et forte comme une étoile. Derrière le village des Cimes il y a une forêt, pleine d'arbres majestueux et effrayants, et il y a des loups. Le Père travaille un peu, boit beaucoup, et cogne facilement; les enfants poussent telle l'herbe folle. Marc dit que, quand il sera grand, il partira loin, et il emmènera Manue avec lui. Dans un décor intemporel de nature sauvage et fascinante, de misère affective et de violence, l'amour fou d'un grand frère pour sa demi-sœur transcende un quotidien sordide par l'irruption du tragique le plus déchirant. Dès ce premier roman, Claudie Gallay étonne grâce à son style âpre et compassionnel et à un univers très personnel, sombre mais traversé par la recherche de l'espoir, du salut, de la beauté.
Biographie de l'auteur
Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L'Office des vivants (2001), Mon amour ma vie (2002), Les années cerises (2004), Seule Venise (2004, prix Folies d'encre et pris du Salon d'Ambronay), Dans l'or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008), grand succès public et critique.
Mon avis : (lu en mai 2009)
C’est le premier roman de Claudie Gallay, elle nous décrit avec beaucoup de justesse la misère sociale et intellectuelle d'une famille qui vit dans une ferme isolée en haut de la montagne. Cette histoire est sans âge. Il y a le Père qui travaille peu, boit et est violent. La Mère qui se remet difficilement de la naissance de son troisième enfant mort-né. Marc et Simone sont deux enfants qui s’élèvent seuls : ils sont souvent sales, ils ont des poux et vont à l’école seulement si le temps le permet. Marc aime la forêt et parle aux loups. Simone a un œil en moins. Un jour, Mado, la fille de ferme, dépose devant la porte le bébé que lui a fait le Père : c’est Manue. Dans cette misère, Manue devient le rayon de soleil de Marc, il va aimer cette sœur sans aucune retenue, il va tout faire pour la protéger.
Les personnages sont profondément humains mais aussi dur et parfois presque sauvage. L'histoire est sombre mais si bien écrit avec des phrases courtes, simples.et percutantes que ce livre m’a bouleversé.
Extrait : (page 32)
Il fait nuit. Chez M’mé Coche, les volets sont fermés. Avec la lune, il y a des ombres épaisses sous les arbres.
Marc est à la fenêtre à regarder les éclairs claquer derrière la montagne quand il voit revenir Mado. Elle longe le mur et elle fait le tour parle jardin pour entrer dans la cour.
Le chien est dehors. Quand Mado arrive au puits, il vient la renifler et lui donne sa grosse tête à caresser.
Mado tient un paquet dans les bras. Elle s’approche de la maison, elle hésite un peu et elle pose son paquet sur la marche, juste devant la porte.
Elle reste un moment comme ça à regarder la porte, le paquet et la nuit tout autour. Après, le tonnerre se met à craquer plus fort dans les arbres, d’un coup Marc ne voit plus rien.
Quand la lumière revient, Mado est au chemin, elle court droit devant elle en relevant sa robe. Le paquet est resté devant la porte. La pluie se met à tomber, des grosses gouttes lourdes qui cognent contre les tuiles. Marc accroche les volets et il redescend.
En bas, ça sent bon. La mère est devant le poêle. Elle fait une sauce avec de la farine, des oignons et du vin.
Le Père aiguise son couteau et Simone joue sous la table avec des chiffons.
C’est comme ça dans la maison quand Marc ouvre la porte. Il fait rentrer le froid. La pluie tombe dru, des gouttes serrées qui inondent la cour et font déborder les chenaux. D’un coup, on ne voit plus rien de la lune.
La mère dit : - Dieu du ciel, ferme cette porte!
Il fait nuit dehors mais avec les éclairs, on y voit comme en plein jour. La couverture du paquet est mouillée. Marc se baisse pour voir ce qu’il y a dessous.
Quand il voit, il appelle la Mère.
- Dieu du ciel ! elle dit.
Tout de suite après, le Père est là, et puis Simone.
Après, le bébé se met à pleurer et la Mère le ramasse pour le mettre au chaud. Elle le pose sur la table et ils restent tous autour à regarder.
C’est comme ça qu’elle voit le papier.
Elle le déplie et elle devient très pâle. Le Père lit à son tour et ça fait un grand silence dans la cuisine.
La Mère envoie Marc et Simone jouer dehors. Il pleut tellement que la pluie reste dans la cour. Ils traversent comme ils peuvent et ils vont de mettre à l’abri sous la remise.
Quand ils reviennent, le Père n’est plus là et l Mère fait chauffer du lait.
Marc récupère le papier, il le lit.
Après, il vient vers Simone. Il la touche du coude.
- C’est une fille, elle s’appelle Manue.
On dirait le bébé qui était sur le lit de la Mère et qu’ils ont mis sous le gravier.
Ce n’est pas possible.
Marc dit que si, qu’on appelle cela une résurrection et que si on écoute bien Dieu, ça peut arriver à n’importe qui.
De mourir et de revenir.
Simone n’aime pas l’idée. Elle préfère vivre.
Marc pense que Mado s’occupe des enfants qui ressuscitent. C’est un métier merveilleux. C’est pour ça qu’elle est partie, elle a beaucoup de travail et elle ne peut pas laisser les enfants seuls trop longtemps. C’est pour ça qu’elle a pris l’argent.
Il va le dire à M’mé Coche parce qu’il sait que M’mé Coche aime Dieu. Il lui dit aussi que quand il sera grand, il veut ressusciter les enfants.