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A propos de livres...
30 décembre 2011

Le cas Sneijder - Jean-Paul Dubois

cas_sneijder L'Olivier – octobre 2011 – 217 pages

Quatrième de couverture :
« Je devrais être mort depuis le mardi 4 janvier 2011. Et pourtant je suis là, chez moi, dans cette maison qui m?est de plus en plus étrangère, assis, seul devant la fenêtre, repensant à une infinité de détails, réfléchissant à toutes ces petites choses méticuleusement assemblées par le hasard et qui, ce jour-là, ont concouru à ma survie. »
Victime d'un terrible - et rarissime - accident d'ascenseur dans une tour de Montréal, Paul Sneijder découvre, en sortant du coma, qu'il en est aussi l'unique rescapé. C'est le début d'une étrange retraite spirituelle qui va le conduire à remettre toute son existence en question. Sa femme, ses fils jumeaux, son travail, tout lui devient peu à peu indifférent. Jusqu'au jour où, à la recherche d'un emploi, il tombe sur la petite annonce qui va peut-être lui sauver la vie.
Ce roman plein de mélancolie est aussi une comédie étincelante. L'auteur d' Une vie française y affirme à nouveau avec éclat son goût pour l'humour noir.

Auteur : Jean-Paul Dubois est né en 1950 à Toulouse où il vit actuellement. Journaliste, puis grand reporter en 1984 pour Le Nouvel Observateur, il examine au scalpel les États-Unis et livre des chroniques qui seront publiées en deux volumes aux Éditions de l'Olivier : L'Amérique m'inquiète (1996) et Jusque-là tout allait bien en Amérique (2002).Écrivain, Jean-Paul Dubois a publié de nombreux romans, Je pense à autre chose, Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, etc. Il a obtenu le prix France Télévisions pour Kennedy et moi (Le Seuil, 1996) et le prix Femina et le prix du roman Fnac pour Une Vie française.

Mon avis : (lu en décembre 2011)
J'ai pris ce livre à la Bibliothèque sans a priori, mes lectures précédentes de cet auteur avaient été mitigées, j'avais beaucoup aimé Une vie française mais j'avais déçu par Les accommodements raisonnables.  
Cela commence par un accident tragique d'ascenseur, Paul aurait du y rester mais il est miraculeusement le seul survivant. Dans l'accident, il perd sa fille Marie qui l'accompagnait.

Il se met à détester sa vie passée, il abandonne son travail de négociant en vins. Et il supporte de moins en moins sa femme Anna, qui a toujours refusé la présence de Marie (fille d'un premier mariage) dans sa vie et celle de ses fils jumeaux. Il se met à faire des recherches documentaires sur les ascenseurs, et pour échapper à des angoisses lorsqu'il se trouve entre des murs, il prend un travail en pein air et devient Dogwalker (promeneur de chiens)...
Le personnage de Paul est attachant et émouvant dans sa mélancolie, sa solitude au contraire Anna et ses jumeaux deviennent de plus en plus cyniques le livre avançant.
C'est un livre qui mélange des passages graves et d'autres d'humour noir et décalé, on y rencontre des personnages hauts en couleurs. C'est très bien écrit, très prenant, très sombre mais aussi tragiquement drôle. A découvrir !

Extrait : (début du livre)
Je me souviens de tout ce que j’ai fait, dit ou entendu. Des êtres et des choses, de l’essentiel comme du détail, fût-il mièvre, insignifiant ou superfétatoire. Je garde, je stocke, j’accumule, sans discernement ni hiérarchie, m’encombrant d’un acca­blant fardeau qui en permanence travaille mon âme et mes os. Je voudrais parfois libérer mon esprit et me déprendre de ma mémoire. Trancher dans le passé avec un hachoir de boucher. Mais cela m’est impossible. Je ne souffre ni d’hypermnésie ni d’un de ces troubles modernes du comportement solubles dans le Bromazepam. Je crois savoir ce qui ne fonctionne pas chez moi. Je n’oublie rien. Je suis privé de cette capacité d’effacement qui nous permet de nous alléger du poids de notre passé. En le retaillant saison après saison, en lui donnant une forme acceptable, nous nous efforçons de le cantonner dans des domaines raisonnables. C’est la seule façon de lutter contre cette fonction d’enregistrement envahissante et des­tructrice. Mais quelle que soit l’ampleur de nos coupes, année après année, tel un lierre têtu et dévorant, lentement, notre mémoire nous tue.

Je devrais être mort depuis le mardi 4 janvier 2011. Et pourtant je suis là, chez moi, dans cette maison qui m’est de plus en plus étrangère, assis, seul devant la fenêtre, repensant à une infinité de détails, réfléchissant à toutes ces petites choses méticuleusement assemblées par le hasard et qui, ce jour-là, ont concouru à ma survie. Nous étions cinq dans la cabine. Je suis le seul survivant.
L’accident s’est produit à 13 h 12 précises. Le mécanisme de ma montre s’est bloqué sous l’effet du choc. Depuis ma sortie de l’hôpital je la porte à mon poignet droit. Elle m’accom­pagne partout, silencieuse, l’oscillateur mécanique à l’arrêt, le balancier et la trotteuse figés, me rappelant, parfois, lorsque la manche de ma chemise découvre le cadran, l’heure qu’il est vraiment et qu’il sera sans doute à chaque minute, jusqu’à la fin de ma vie.
Avant de parler de ce 4 janvier, il me faut revenir sur un évé­nement qui s’est produit le 3 au soir et qui, depuis, ne cesse de m’accompagner comme une ombre qui ne serait pas la mienne.
J’étais dans la cuisine, je préparais des pâtes au pesto en regardant la neige recouvrir le jardin et former une accumu­lation cotonneuse sur le rebord de la fenêtre. La télévision donnait des nouvelles qui se diluaient dans l’air chargé des effluves de basilic. Mon attention fut attirée par les images d’un curieux reportage. On y voyait des hommes vêtus de combinaisons blanches, portant des gants de protection, et le visage recouvert d’un masque à gaz, ramasser d’innombrables oiseaux morts dans les rues et sur les toits des maisons d’un petit village. Ces fossoyeurs aviaires saisissaient délicatement les cadavres avec une pince ou du bout des doigts, comme s’ils manipulaient une matière dangereuse, et les glissaient dans des sacs en plastique noirs. La scène se déroulait à Beebe en Arkansas, bourgade peuplée de cinq mille six cents habitants. En tout, on retrouva un peu plus de cinq mille oiseaux écrasés sur le sol. Presque un par habitant. L’hécatombe s’était produite durant la nuit. Les gens avaient entendu des bruits et surtout de violents impacts sur leurs toits. Comme si quelqu’un, dehors, jetait des pierres sur les bardeaux. Certains étaient sortis sur le seuil de leur porte et avaient vu alors tous ces oiseaux tombés du ciel : des carouges à épaulettes.

Déjà lu du même auteur :

 les_accommodements_raisonnables Les accommodements raisonnables  
 une_vie_francaise 
Une vie française

Challenge 4%
Rentrée Littéraire 2011
RL2011b
26/28

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27 décembre 2011

La vie devant soi - Emile Ajar (Romain Gary)

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Mercure de France – septembre 1975 – 269 pages

France Loisirs - 1975 – 274 pages

Folio – mars 1982 – 273 pages

Belin - novembre 2002 -

Belin – août 2009 -

Prix Goncourt 1975

Quatrième de couverture :
Entre Madame Rosa et Momo, c'est un amour maternel qui ne passerait pas par les liens du sang, c'est l'amitié entre les peuples juif et arabe, c'est le poids de l'Histoire allégé par l'appétit de vivre. Le roman se passe à Belleville, vingtième arrondissement de Paris, sixième étage sans ascenseur. Momo a dix ans, peut-être quatorze en réalité. Cela fait beaucoup de chiffres pour un môme qui réinvente le dictionnaire et a le sens de la maxime : " Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre très jeune, parce qu'après on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux. " Lisez, vous serez touchés par les mots de Momo.

Auteur : Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew, est un romancier français, d'origine juive ashkénaze, de langue française et de langue anglaise. Il naît le 8 mai 1914 à Vilnius (Lituanie), alors dans l'empire russe. Après la séparation de ses parents, il arrive avec sa mère en France, à Nice, à l'âge de 14 ans. Il étudie le droit à Paris. Naturalisé français en 1935, il est appelé au service militaire pour servir dans l'aviation où il est incorporé en 1938. Engagé dans les Forces Aériennes Françaises Libres, durant la Seconde Guerre mondiale, Roman prend le pseudonyme de Gary comme nom de résistant. Décoré commandeur de la Légion d'honneur à la fin de la guerre, il embrasse la carrière diplomatique en 1945. Cette même année, paraît son premier roman L'Éducation européenne. Pendant sa carrière diplomatique, il écrit de nombreuses œuvres, dont le roman Les racines du ciel, pour lequel il reçoit le Prix Goncourt en 1956. Il quitte le Quai d'Orsay en 1961, après avoir représenté la France en Bulgarie, en Suisse, en Bolivie, aux États-Unis.
Désireux de surprendre et se renouveler, Romain Gary utilise, tôt dans sa carrière littéraire, des pseudonymes. Ainsi, publie-t-il L'Homme à la colombe, sous le nom de Fosco Sinibaldi, en 1958. Dans les années 1970, il utilise à la fois les noms de Romain Gary, de Shatan Bogat et d'Emile Ajar.
Cas unique dans l'histoire du Prix Goncourt, il en fut double récipiendaire, en 1956 pour Les Racines du ciel et en 1975 pour La vie devant soi sous le nom d’Émile Ajar.
Romain Gary se suicide et meurt le 2 décembre 1980 à Paris.

Mon avis : (relu en décembre 2011)
Le narrateur Momo est âgé d'une dizaine d'année, fils d'une prostituée, il a été accueilli par Madame Rosa, une vieille femme juive, ancienne prostituée, devenue nourrice pour enfants de prostituées.
Momo se sent de plus en plus impuissant devant la lente et pitoyable déchéance de Madame Rosa dont la santé décline. Avec l'aide les résidents du quartier, il va tout faire pour garder sa nounou en vie.
C'est une magnifique histoire d'amour racontée par Momo avec toute sa fraîcheur et sa simplicité d'enfant. Une histoire poignante qui nous fait découvrir les quartiers déshérités de Paris des années soixante et où se côtoient les difficultés économiques mais aussi la solidarité.
L'histoire est poignante et émouvante avec malgré tout de nombreux passages plein d'humour. A lire sans hésiter !

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Le roman a été adapté au cinéma par Moshé Mizrahi en 1977 avec Simone Signoret (César de la meilleure actrice en 1978) dans le rôle de Madame Rosa. Le film est très fidèle au livre et j'ai été beaucoup émue par l'un et l'autre.

Ce roman a été adapté au théâtre par Xavier Jaillard en 2008 dans une mise en scène de Didier Long et avec Myriam Boyer, Aymen Saïdi, Xavier Jaillard, et Magid Bouali dans les rôles principaux. Cette pièce de théâtre a été récompensée la même année du Molière de la comédienne, Molière du meilleur spectacle du théâtre privé et du Molière de la meilleure adaptation.

Extrait : (début du livre)
La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur.
Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Madame Rosa pour la première fois. Avant, on n'a pas de mémoire et on vit dans l'ignorance. J'ai cessé d'ignorer à l'âge de trois ou quatre ans et parfois ça me manque.
Il y avait beaucoup d'autres Juifs, Arabes et Noirs à Belleville, mais Madame Rosa était obligée de grimper les six étages, seule. Elle disait qu'un jour elle allait mourir dans l'escalier, et tous les mômes se mettaient à pleurer parce que c'est ce qu'on fait toujours quand quelqu'un meurt. On était tantôt six ou sept tantôt même plus là-dedans.
Au début, je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l'ai appris, j'avais déjà six ou sept ans et ça m'a fait un coup de savoir que j'étais payé. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on était quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleuré toute une nuit et c'était mon premier grand chagrin.
Madame Rosa a bien vu que j'étais triste et elle m'a expliqué que la famille ça ne veut rien dire et qu'il y en a même qui partent en vacances en abandonnant leurs chiens attachés à des arbres et que chaque année il y a trois mille chiens qui meurent ainsi privés de l'affection des siens. Elle m'a pris sur ses genoux et elle m'a juré que j'étais ce qu'elle avait de plus cher au monde mais j'ai tout de suite pensé au mandat et je suis parti en pleurant. Je suis descendu au café de Monsieur Driss en bas et je m'assis en face de Monsieur Hamil qui était marchand de tapis ambulant en France et qui a tout vu.
Monsieur Hamil a de beaux yeux qui font du bien autour de lui. Il était déjà très vieux quand je l'ai connu et depuis il n'a fait que vieillir.
- Monsieur Hamil, pourquoi vous avez toujours le sourire ?
- Je remercie ainsi Dieu chaque jour pour ma bonne mémoire, mon petit Momo. Je m'appelle Mohammed mais tout le monde m'appelle Momo pour faire plus petit.
- Il y a soixante ans, quand j'étais jeune, j'ai rencontré une jeune femme qui m'a aimé et que j'ai aimée aussi. Ça a duré huit mois, après, elle a changé de maison, et je m'en souviens encore, soixante ans après. Je lui disais : je ne t'oublierai pas. Les années passaient, je ne l'oubliais pas. J'avais parfois peur car j'avais encore beaucoup de vie devant moi et quelle parole pouvais-je donner à moi-même, moi, pauvre homme, alors que c'est Dieu qui tient la gomme à effacer ? Mais maintenant, je suis tranquille. Je ne vais pas oublier Djamila. Il me reste très peu de temps, je vais mourir avant.
J'ai pensé à Madame Rosa, j'ai hésité un peu et puis j'ai demandé :
- Monsieur Hamil, est-ce qu'on peut vivre sans amour ?
Il n'a pas répondu. Il but un peu de thé de menthe qui est bon pour la santé. Monsieur Hamil portait toujours une jellaba grise, depuis quelque temps, pour ne pas être surpris en veston s'il était appelé. Il m'a regardé et a observé le silence. Il devait penser que j'étais encore interdit aux mineurs et qu'il y avait des choses que je ne devais pas savoir. En ce moment je devais avoir sept ans ou peut-être huit, je ne peux pas vous dire juste parce que je n'ai pas été daté, comme vous allez voir quand on se connaîtra mieux, si vous trouvez que ça vaut la peine.

Lu dans le cadre du Baby Challenge Contemporain 2011
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Baby Challenge - Contemporain Livraddict :
14/20 déjà lus Médaille de bronze

30 novembre 2011

Mon traître – Sorj Chalandon

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Grasset – janvier 2008 – 275 pages

Livre de Poche – août 2009 – 216 pages

Quatrième de couverture :
"Il trahissait depuis près de vingt ans. L'Irlande qu'il aimait tant, sa lutte, ses parents, ses enfants, ses camarades, ses amis, moi. Il nous avait trahis. Chaque matin. Chaque soir..." Sorj Chalandon

Auteur : Sorj Chalandon, né en 1952, a été longtemps journaliste à Libération avant de rejoindre Le Canard Enchaîné. Ses reportages sur l’Irlande du Nord et le procès Klaus Barbie lui ont valu le Prix Albert-Londres en 1988. Il a publié Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon Traître (2008), La Légende de nos pères(2009), Retour à Killybegs (2011, Grand Prix du roman de l’Académie Française).

Mon avis : (lu en novembre 2011)
J'ai découvert Sorj Chalandon avec son dernier livre « Retour à Killybeg » qui est la suite de « Mon traître » et que je voulais donc absolument lire. Ce n'est pas gênant de l'avoir fait après « Retour à Killybeg ».
L'auteur a choisi d'utiliser la fiction pour raconter une réalité le touchant personnellement. A l'origine, il y a eu les aveux de son ami Denis Donaldson. C'était un leader de l'Armée Républicaine Irlandaise et de Sinn Féin. En décembre 2005, Denis avoue sa collaboration avec les Britanniques.
Dans son livre, Sorj Chalandon devient Antoine, luthier à Paris et Denis Donaldson devient Tyrone Meehan. Les deux livres sont complémentaires. Dans « Mon traître », Antoine est le narrateur, dans « Retour à Killybeg », c'est Tyrone Meehan qui prend la parole.
Le livre s'ouvre sur la rencontre d'Antoine et Tyrone... En 1974, pour Antoine l'Irlande « c'était L'Homme tranquille, Le Taxi mauve, l'île d'Emeraude, les pulls blancs torsadés, le whiskey, l'Eire des mots croisés. (…) Elle était d'herbe verte, de rousses Maureen, de pierres plates en murets, de toits de chaume »
« - Vous ne connaissez pas le Nord ? Alors vous ne connaissez pas l'Irlande, avait dit Pêr », un client breton d'Antoine amoureux de l'Irlande. Ainsi, lors d'un voyage à Dublin pour ses trente ans, Antoine décide, sur un coup de tête, de prendre un billet aller-retour pour Belfast, il fait par hasard la rencontre de Jim O'Leary, de sa femme Cathy, qui l'accueilleront chez eux à chacun de ses voyages en Irlande du Nord. Plus d'un an après son premier séjour, il fait la rencontre de Tyrone Meehan, un vétéran. Antoine est fasciné par l'Irlande, il rencontre des militants de l'IRA, et se sent proche de la lutte. Il devient l'ami de Jim, de Tyrone Meehan un leader incontesté de l'IRA. Il devient comme leur frère, il veut participer à cette lutte pour l'indépendance. « J'étais différent. J'étais quelqu'un en plus. J'avais un autre monde, une autre vie, d'autres espoirs. J'avais un goût de briques, un goût de guerre, un goût de tristesse et de colère aussi. J'ai quitté les musiques inutiles pour ne plus jouer que celles de mon nouveau pays. » Antoine fera de nombreux aller-retour entre Paris et Belfast, il hébergera des Irlandais de passage à Paris.
Et trente ans plus tard, c'est le choc, Antoine apprend que Tyrone Meehan est un traître, « Il trahissait depuis près de vingt ans. L'Irlande qu'il aimait tant, sa lutte, ses parents, ses enfants, ses camarades, ses amis, moi. Il nous avait trahis. Chaque matin. Chaque soir... » Et de nombreuses questions se bousculent dans son esprit, Antoine veut avoir une explication. Pourquoi ? Pourquoi ?
Ce livre est le portrait d'un peuple et d'un pays, c'est un livre sur l'amitié, la solidarité...

Un livre fort et poignant.

Extrait : (début du livre)

Tyrone Meehan

La première fois que j'ai vu mon traître, il m'a appris à pisser. C'était à Belfast, au Thomas Ashe, un club réservé aux anciens prisonniers républicains. J'étais près de la porte, à côté de la grande cheminée, assis à une table couverte de verres vides et de bou-teilles mortes. C'était la place préférée de Jim et de Cathy O'Leary, qui m'ouvraient un lit quand je venais en Irlande du Nord. Jim O'Leary était un ami. Il avait fait de la prison pour transport d'armes. Il était menuisier mais catholique. Et donc chômeur, comme sa femme. Et il a été chômeur jusqu'à la fin.
La première fois que j'ai vu mon traître, c'était ce soir-là, le samedi 9 avril 1977, en compagnie de Cathy et Jim O'Leary. Jim revenait du comptoir, trois pintes de bière serrées dans ses grosses mains. Une bière amère, noire, lourde comme un repas d'hiver, avec une mousse ocre et douceâtre qui retourne le cœur. Il a posé les verres devant moi. Il plaisantait avec un homme, levé à une table voisine. Au Thomas Ashe, Jim connaissait tout le monde. Une petite foule qui vivait entre liberté et captivité, qui avait sa place aux tables à bières, et puis ses habitudes derrière les barbelés. Cette veille de Pâques, j'avais bu depuis le milieu de l'après-midi. Un verre ici, un autre là, en attendant que Jim ait fini ses missions. Il m'avait emmené au Rock Bar, au Busy Bee, ailleurs encore protégé par un guetteur de rue, un détour par cette impasse, un rendez-vous dans ce parc, une poignée de main au père Mullan, trois mots en gaélique murmurés à hauteur d'un passant, un billet à glisser, une intrigue entre deux portes. Et moi je suivais Jim. Je n'étais d'aucun secret, d'aucune confidence. Je regardais à peine. Je n'ai jamais posé de question. J'étais juste fier de marcher avec lui, le long des rues inquiètes, avec ces gens qui le saluaient. J'étais fier parce qu'ils me remarquaient à ses côtés. Ils retenaient mon visage, et Antoine, mon prénom.
Nous étions au début de la nuit. Les bières revenaient encore et encore. Mes yeux brû-laient de leurs cigarettes. J'étais ivre. Le choc des pintes. Le rire de Jim et tous les rires autour. L'éclat brut des voix, le tumulte en vagues qui bousculait les tables. Le regard de Cathy, qui cherchait son reflet dans son verre levé. Et puis cette musique.
- Une chanson rebelle, m'a soufflé Jim.
J'ai tourné la tête vers la scène.
O, then tell me, Shawn O'Farrell, where the gath'rin is to be ?
Je me souviens d'avoir fermé les yeux. J'avais mon verre en main, et deux verres pleins encore, sur la table mouillée.
Les musiciens chantaient la guerre.
A mes débuts d'Irlande, je ne maîtrisais pas la langue de ce pays. Lorsque c'était l'accent champêtre, rugueux, pierreux du Kerry ou boueux du Donegal, je ne comprenais rien du tout. Je laissais les mots anglais sonder ma mémoire écolière. Je capturais une phrase, un son, pas grand-chose. Les musiciens chantaient la guerre. Une chanson rebelle, avait dit Jim. Mais qui parlait de quoi ? Je ne savais pas. Tout m'échappait. Simplement, j'écoutais la douleur du violon et les notes en sanglots. Longtemps, je n'ai retenu des paroles irlandaises que leur harmonie, leur couleur, leur effet sur mes voisins de table. Plus tard, bien après, à les entendre, et encore, et encore, je finirai par donner un sens à ces lamentations. Celles qui pleurent la Grande Famine, celles qui célèbrent l'insurrection de 1916, celles qui racontent la guerre d'indépendance ou le martyre des grévistes de la faim. Mais à mes débuts d'Irlande, je me laissais juste emporter par la gravité des autres. Je les regardais tout bas. Je me laissais guider par une main levée de femme, ou par un homme debout contre la scène, qui saluait le chant comme un très vieux soldat. Je hochais la tête comme les autres, je tendais le poing comme les autres, je riais quand tous riaient et me levais lorsque tous se levaient. Souvent, entre deux mélodies, un musicien nous parlait au micro. C'était bref comme un salut. Quelques mots, un nom de famille que je distinguais parce qu'il était prononcé avec respect. Puis le chanteur tendait le doigt vers une table, en fond de salle. Alors un homme se levait, à la fois rieur et timide, ovationné par l'assemblée debout.
- Il a fait treize ans. Il a été libéré ce ma-tin, soufflait Jim.
Ou alors c'était une femme de prisonnier, saluée en hôte parce qu'elle venait d'une autre ville. Ou la mère d'un soldat de l'IRA, mort en opération, dont on saluait la mé-moire. Ou encore un visiteur américain, ir-landais de racines, enfoui dans un pull neuf de laine blanche à côtes torsadées, qui chan-celait devant tant d'honneurs.
Une chose et une seule m'a été immédiatement familière : l'hymne national irlandais. Le Soldier Song fut mon premier repère. Il était parfois joué en début de soirée, au moment où l'on repose les bières sur les tables sans bruit, encore soucieux du jour passé. D'autres fois, l'orchestre l'interprétait en toute fin de pub, pour dire que c'était fini, juste avant d'éteindre les lumières, puis de les rallumer de la façon la plus violente qui soit, avec les ramasseurs de verres qui crient haut qu'il est temps de rentrer. J'ai toujours aimé cet instant de l'hymne. Cette communion, cette cérémonie d'appartenance, lorsque l'Irlande rappelle ses filles et ses fils au pied du drapeau. Jim n'avait plus besoin de me dire que c'était le moment. Avant même qu'il soit joué. Dans le silence d'après chansons, dans la manière qu'avaient les musiciens de prendre une autre place sur la scène, dans le flottement d'avant solennel, l'hymne était déjà commencé. Et là, au milieu de tous, debout avec tous, avec le même regard blessé, le même visage de craie, les mêmes cheveux de pluie, la même respiration fragile, j'étais comme irlandais.



Déjà lu du même auteur : 
Retour___Killybegs  Retour à Killybegs

22 novembre 2011

Veuf – Jean-Louis Fournier

veuf Stock – octobre 2011 – 160 pages

Quatrième de couverture :
« Je suis veuf, Sylvie est morte le 12 novembre.
C’est bien triste.
Cette année on n’ira pas faire les soldes ensemble. »

Auteur : Jean-Louis Fournier est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Grammaire française et impertinente, Il a jamais tué personne, mon papa, Le CV de Dieu, Poète et paysan… Il a reçu le prix Femina 2008 pour Où on va, papa ?

Mon avis : (lu en novembre 2011)
Ce livre est une merveilleuse déclaration d'amour de Jean-Louis Fournier pour sa femme Sylvie. Cette dernière est décédée le 12 novembre 2010, Jean-Louis a perdu sa moitié et il évoque leur quarante ans de vie commune avec son ton à la fois tendre et drôle.
« Tu as été ma plus belle qualité, j'espère ne pas avoir été ton plus gros défaut. »
Ce livre est à la fois triste et émouvant, il nous parle de son quotidien, de sa solitude, du silence de la maison, du manque qu'il ressent...
« Depuis que tu es partie, j'ai pu compter jusqu'à sept millions neuf cent quarante-huit mille huit cents. Tu as eu le temps d'aller te cacher loin. Je cherche partout. Je ne trouve pas, je désespère. La partie de cache-cache dure trop longtemps. Allez, tu as gagné, tu peux sortir de ta cachette. Je n'ai plus envie de jouer. Sors de ta cachette, tu as gagné. Sors de ta cachette, je t'en supplie, j'ai perdu, j'ai tout perdu. »
Mais au détour d'une phrase, il sait nous fait rire lorsqu'il évoque le questionnaire de satisfaction du crématorium ou les courriers et les publicités que sa femme continue à recevoir quelques mois après sa mort...
« J'ai reçu un questionnaire du crématorium du Père-Lachaise, ils veulent savoir si j'ai été satisfait des prestations. Je dois mettre des croix dans des petites cases, de « insatisfaisant » à « très bien ». On demande aussi mes observations et mes suggestions. Tout est passé en revue, l'accueil, la courtoisie, le choix des textes, le choix des musiques. Il y a aussi un service traiteur. A la rubrique « suggestion », je vais proposer un barbecue géant. »
Un livre plein de sensibilité et d'émotion, à découvrir sans hésiter !

Extrait : (début du livre)
Je suis veuf, Sylvie est morte le 12 novembre.
C’est bien triste.
Cette année on n’ira pas faire les soldes ensemble.

Sylvie est partie discrètement sur la pointe des pieds, en faisant un entrechat et le bruit que fait le bonheur en partant.
Elle ne voulait pas déranger, elle m'a dérangé au-delà de tout.
Cette année, l'hiver a commencé plus tôt, le 12 novembre. Je crois qu'il va durer très longtemps et être particulièrement rigoureux.
Sylvie m’a quitté, mais pas pour un autre. Elle est tombée délicatement avec les feuilles. On discutait de la couleur du bec d’un oiseau qui traversait la rivière. On n’était pas d’accord, je lui ai dit tu ne peux pas le voir, tu n’as pas tes lunettes, elle ne voulait pas les mettre par coquetterie, elle m’a répondu je vois très bien de loin, et elle s’est tue, définitivement. Les pompiers sont arrivés, ils n'ont pas réussi à ranimer le feu, elle s'était éteinte.
Elle n'aimait pas parler d'elle encore moins qu'on en dise du bien. Je vais en profiter, maintenant qu'elle est partie.

Déjà lu du même auteur :

ou_on_va_papa_p Où on va papa ? le_cv_de_Dieu Le CV de Dieu

l_arithm_tique_impertinente L'arithmétique appliquée et impertinente

la_grammaire_impertinente La grammaire française et impertinente

il_a_jamais_tu__personne_mon_papa Il a jamais tué personne, mon papa

j_irai_pas_en_enfer_p J'irai pas en enfer

 

Challenge 4%
Rentrée Littéraire 2011
RL2011b
23/28

 

16 novembre 2011

Retour à Killybegs - Sorj Chalandon

coup_coeur_voh1

Retour___Killybegs Grasset – août 2011 – 336 pages

Grand Prix du roman de l’Académie Française 2011

Quatrième de couverture : 
« Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L'IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n'ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j'en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j'enrage. N'écoutez rien de ce qu'ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m'avoir connu. Personne n'a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu'après moi, j'espère le silence. »

                         Killybegs, le 24 décembre 2006
                                              Tyrone Meehan

Auteur : Sorj Chalandon, né en 1952, a été longtemps journaliste à Libération avant de rejoindre Le Canard Enchaîné. Ses reportages sur l’Irlande du Nord et le procès Klaus Barbie lui ont valu le Prix Albert-Londres en 1988. Il a publié Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon Traître (2008) et La Légende de nos pères (2009).

Mon avis : (lu en novembre 2011)
Je n'ai pas lu « Mon Traître » avant de lire « Retour à Killybegs » (je le lirai certainement dès que le livre sera disponible à la bibliothèque !). Les billets sur les lectures ou les rencontres avec l'auteur de Valérie, Canel, Sandrine m'ont vraiment donnée envie de lire sans tarder ce livre...
Et c'est un coup de cœur pour moi !
Dans ce livre, Sorj Chalandon donne la parole à son « traître », à travers le personnage de Tyrone Meehan, il imagine sa version des faits, une explication plausible à cette trahison.
Nous suivons en alternance la voix de Tyrone depuis son enfance et son engagement comme jeune républicain et celle de Tyrone durant ses derniers jours, il a quatre-vingt un ans, sa trahison vient d'être dévoilée. Il est retourné à Killybegs en République Irlandaise dans la maison de son père, il sait que ses jours sont comptés.
L'histoire du jeune Tyrone Meeghan commence, avec la mort de son père Pat Meehan devenu alcoolique. Pat était un ancien de l'Armée Républicaine Irlandaise qui avait participé en 1921 à la guerre d'indépendance contre les Britanniques. En 1936, il voulait s'engager aux côté des Républicains Espagnols, contre Franco. Mais sa femme lui a fait entendre raison, sa famille (neuf enfants) a besoin de lui. Pourtant, « Pat Meehan est mort des cailloux plein les poches. C'est comme ça qu'on a su qu'il avait voulu en finir avec la vie. Il nous a laissés seuls en décembre 1940. » C'est alors la misère pour toute la famille. Quelques mois plus tard, son oncle Lawrence les accueille tous chez lui à Belfast, il faut donc quitter Killybegs et la République d'Irlande pour l'Ulster. Ils vont habiter au nord de Belfast dans un ghetto catholique cerné par des quartiers protestants. C'est là que Tyrone rencontre Tom Williams auprès duquel il s'engage dans la lutte.
En suivant les différents épisodes de la vie de Tyrone, le lecteur découvre les difficultés d'être catholique et irlandais en Irlande du Nord, la haine vis à vis de l'occupant britannique, le combat au sein de l'IRA, les conditions inhumaines des prisons...
Par omission, pour ne pas avoir avoué un grosse faute, Tyrone se trouve au centre d'un processus qui va l'entraîner à trahir malgré lui, il s'est piégé lui-même. Tout au long du livre, l'auteur fait allusion à d'autres trahisons, la plus célèbre étant celle de Judas.
Tyrone est malgré tout un personnage magnifique auquel je me suis attachée. J'ai découvert également l'histoire de la guerre civile irlandaise.
Voilà livre très fort, qui m'a bouleversée...

D'autres avis Clara, Constance93

Extrait : (page 13)
Quand mon père me battait il criait en anglais, comme s'il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait il n'était plus mon père, seulement Patraig Meehan. Gueule cassée, regard glace, Meehan vent mauvais qu'on évitait en changeant de trottoir. Quand mon père avait bu il cognait le sol, déchirait l'air, blessait les mots. Lorsqu'il entrait dans ma chambre, la nuit sursautait. Il n'allumait pas la bougie. Il soufflait en vieil animal et j'attendais ses poings.
Quand mon père avait bu, il occupait l'Irlande comme le faisait notre ennemi. Il était partout hostile. Sous notre toit, sur son seuil, dans les chemins de Killybegs, dans la lande, en lisière de forêt, le jour, la nuit. Partout, il s'emparait des lieux avec des mouvements brusques. On le voyait de loin. On l'entendait de loin. Il titubait des phrases et des gestes. Au Mullin's, le pub de notre village, il glissait de son tabouret, s'approchait des tables et claquait ses mains à plat entre les verres. Il n'était pas d'accord ? Il répondait comme ça. Sans un mot, les doigts dans la bière et son regard. Les autres se taisaient, casquettes basses et les yeux dérobés. Alors il se redressait, défiait la salle, bras croisés. Il attendait la réplique. Quand mon père avait bu, il faisait peur.
Un jour, sur le chemin du port, il a donné un coup de poing à George, l'âne du vieux McGarrigle. Le charbonnier avait appelé son animal comme le roi d'Angleterre pour pouvoir lui botter les fesses. J'étais là, je suivais mon père. Il marchait à pas heurtés, chancelant de griserie matinale, et moi je trottais derrière. A un angle de rue, face à l'église, le vieux McGarrigle peinait. Il tirait son baudet immobile, une main sur le bât, l'autre sur le licol, en le menaçant de tous les saints. Mon père s'est arrêté. Il a regardé le vieil homme, son animal cabré, le désarroi de l'un, l'entêtement de l'autre, et il a traversé la rue. Il a poussé McGarrigle, s'est mis face à l'âne, l'a menacé rudement, comme s'il parlait au souverain britannique. Il lui a demandé s'il savait qui était Patraig Meehan. S'il imaginait seulement à quel homme il tenait tête. Il était penché sur lui, front contre front, menaçant, attendant une réponse de l'animal, un geste, sa reddition. Et puis il l'a frappé, un coup terrible entre l'œil et le naseau. George a vacillé, s'est couché sur le flanc et la charrette a versé ses galets de houille.
- Éirinn go Brách ! a crié mon père.
Puis il m'a tiré par le bras.
- Parler gaélique, c'est résister, a-t-il encore murmuré. Et nous avons continué notre chemin.

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12 novembre 2011

Du domaine des Murmures - Carole Martinez

du_domaine_des_murmures Gallimard - août 2011 – 208 pages

Prix Goncourt des Lycéens 2011

Quatrième de couverture :
En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui » : elle veut faire respecter son vœu de s’offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe...
Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père et son souffle parcourra le monde jusqu'en Terre sainte.
Carole Martinez donne ici libre cours à la puissance poétique de son imagination et nous fait vivre une expérience à la fois mystique et charnelle, à la lisière du songe. Elle nous emporte dans son univers si singulier, rêveur et cruel, plein d’une sensualité prenante.

Auteur : Carole Martinez, née en 1966, a été comédienne avant de devenir enseignante. Son premier roman, Le cœur cousu (2007) a connu un grand succès de librairie et a reçu de nombreux prix littéraires, dont le prix Renaudot des lycéens et le prix Ouest-France Étonnants Voyageurs.

Mon avis : (lu en novembre 2011)
J'avais beaucoup aimé son livre précédent "Le cœur cousu". J'ai pu emprunter celui-ci à la bibliothèque le vendredi précédent l'annonce du Prix Goncourt des Lycéens... J'avais également entendu Carole Martinez à la Grande Librairie raconter la naissance de ce livre.
Cette histoire se déroule à la fin du XIIe siècle, en Franche-Comté, au domaine des Murmures. Esclarmonde est une jeune fille de quinze ans qui ose dire « non ». Esclarmonde ne veut pas épouser l'homme que son père lui destine. Elle trouve Lothaire violent, « gorgé de rage et d'ambition ». Le jour des fiançailles officielles, Esclarmonde refuse de dire « oui ».
« Jamais fille d'ici n'avait osé pareil affront. 
Et, sachant qu'un tel acte ne me serait pas pardonné, j'ai sorti le petit couteau que je tenais caché sous ma robe d'apparat et, prenant pour modèle Ode, la future sanctifiée, je me suis tranché l'oreille. M'adressant alors à l'archevêque, j'ai déclaré que je m'étais déjà offerte au Christ, mais que personne jusqu'ici n'avait voulu l'entendre, tant il est dur pour une fille d'être écoutée même d'un père juste et aimant. »
C'est la première fois, qu'Esclarmonde dit non à l'évêque, à son père, à son futur fiancé.
Elle demande alors à devenir une recluse dans le château de son père.
« J'ai ajouté que Christ voulait que ma dot servît à lever une chapelle en pierre aux Murmures et qu'on aménageât, contre ses murs, un réduit où l'on m'enfermerait à jamais. Dieu avait d'autres projets pour moi que ces noces avec Lothaire. La chapelle, une fois construite, serait dédiée à Sainte Agnès et, depuis ma tombe, je prierais, à la fois vivante et morte, pour tous ceux que je venais par mon refus d'offenser. »
La construction de la chapelle, puis de son tombeau dureront deux ans. Et c'est le jour pour Esclarmonde de rentrer dans sa tombe. « Qu'il faisait doux au matin de ma mort ! », voilà comment elle évoque le jour de son enfermement. 
Après une célébration, la bénédiction de l'évêque, Esclarmonde est conduite et enfermée dans sa cellule. Ensuite la porte est murée. Après quatre jours de jeûne et d'obscurité, Esclarmonde sera autorisée à ouvrir le volet de sa fenestrelle grillée, ouverture lui permettant d'être nourrie et de parler avec ceux qui viennent la rencontrer.
Et contrairement à ce qu'elle avait imaginé ce n'est pas la solitude qui occupe sa vit de recluse... Beaucoup de voyageurs font le détour pour venir la rencontrer et Esclarmonde découvre le monde à travers toutes ces rencontres...
A travers cette histoire de recluse,
Carole Martinez évoque des thèmes variés comme celui de la femme, de la religion, des croyances populaires, des Croisades, de l'amour d'un père pour sa fille...
Cette histoire se lit comme un conte, l'écriture est superbe, pleine de poésie et de beauté, je me suis laissée porter par la narration d'Esclarmonde.

Elles ont également aimé ce livre, Canel, Clara, Isabelle, Aifelle, Gambadou, Sandrine.

Extrait : (page 17)
Je suis l'ombre qui cause.
Je suis celle qui s'est volontairement clôturée pour tenter d'exister.
Je suis la vierge des Murmures.
A toi qui peux entendre, je veux parler la première, dire mon siècle, dire mes rêves, dire l'espoir des emmurées.

En cet an 1187, Esclarmonde, Damoiselle des Murmures,
prend le party de vivre en recluse à Hautepierre, enfermée
jusqu'à sa mort dans la petite cellule scellée aménagée pour elle
par son père contre les murs de la Chapelle qu'il a bâtie sur
ses terres en l'honneur de sainte Agnès, morte en martyre à
treize ans de n'avoir pas accepté d'autres époux que le Christ.

J'ai tenté d'acquérir la force spirituelle, j'ai rêvé de ne plus être qu'une prière et d'observer mon temps à travers un judas, ouverture grillée par où l'on m'a passé ma pitance durant des années. Cette bouche de pierre est devenue la mienne, mon unique orifice. C'est grâce à elle que j'ai pu parler enfin, murmurer à l'oreille des hommes et les pousser à faire ce que jamais mes lèvres n'auraient pu obtenir, même dans le plus doux des baisers.
Ma bouche de pierre m'a offert la puissance de la sainte. J'ai soufflé ma volonté depuis la fenestrelle et mon souffle a parcouru le monde jusqu'au portes de Jérusalem. Mes yeux, dans la tombe entrouverte, ont suivi les croisés en route vers Saint-Jean-d'Acre, jadis nommée Ptolémaïs.
Mais ma voix a déplu, on me l'a arrachée. Et les phrases avalées, les mots mort-nés m'étouffent. La foule des peines souterraines me tourmente.

Déjà lu de cette auteur :
coeur_cousu Le cœur cousu

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Challenge Prix Goncourt des Lycéens2011

Challenge Goncourt des Lycéens
goncourt_lyceen_enna
chez Enna

 

10 novembre 2011

Eux sur la photo - Hélène Gestern

eux_sur_la_photo1 Arléa – août 2011 – 273 pages

Quatrième de couverture :
Une petite annonce dans un journal comme une bouteille à la mer. Hélène cherche la vérité sur sa mère, morte lorsqu’elle avait trois ans. Ses indices : deux noms et une photographie retrouvée dans des papiers de famille, qui montre une jeune femme heureuse et insouciante, entourée de deux hommes qu’Hélène ne connaît pas. Une réponse arrive : Stéphane a reconnu son père.
Commence alors une longue correspondance, parsemée de détails, d’abord ténus, puis plus troublants. Patiemment, Hélène et Stéphane remontent le temps, dépouillant des archives cherchant dans leur mémoire. Peu à peu, les histoires se recoupent, se répondent, formant un récit différent de ce qu’on leur avait dit.
Avec
Eux sur la photo, Hélène Gestern nous livre une magnifique réflexion sur le secret de famille et la mémoire particulière que fixe la photographie.

Auteur : Hélène Gestern vit et travaille à Nancy. Eux sur la photo est son premier roman.

Mon avis : (lu en novembre 2011)
Hélène n'a jamais vraiment connu sa mère qui est morte alors qu'Hélène avait trois ans. Plus de trente ans plus tard, son père étant mort depuis quelques années, elle trouve une photo où deux noms sont mentionnés. Alors, comme une bouteille à la mer, Hélène publie une petite annonce dans le journal pour en savoir un peu plus sur sa mère. Quelques temps plus tard, elle obtiendra une réponse de Stéphane, il a reconnu son père sur la photographie. Ainsi commence une longue correspondance entre Stéphane et Hélène, peu à peu leur enquête progresse et de photographies en photographies le lecteur découvre l'histoire d'une famille avec ses non-dits, ses secrets.
Dès le début de cette lecture, j'ai pensé au livre La pluie, avant qu'elle tombe de Jonathan Coe où l'héroïne s'appuie sur la descriptions de photos pour raconter ses souvenirs.
C'est une histoire émouvante, construite avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité. Un premier roman à découvrir que j'ai beaucoup aimé !

Extrait : (début du livre)
La photographie a fixé pour toujours trois silhouettes en plein soleil, deux hommes et une femme. Ils sont tout de blanc vêtus et tiennent une raquette à la main. La jeune femme se trouve au milieu : l’homme qui est à sa droite, assez grand, est penché vers elle, comme s’il était sur le point de lui dire quelque chose. Le deuxième homme, à sa gauche, se tient un peu en retrait, une jambe fléchie, et prend appui sur sa raquette, dans une posture humoristique à la Charlie Chaplin. Tous trois ont l’air d’avoir environ trente ans, mais peu être le plus grand est-il un peu plus âgé. Le paysage en arrière-plan, que masquent en partie les volumes d’une installation sportive, est à la fois alpin et sylvestre : un massif, encore blanc à son sommet, ferme la perspective en imprimant sur la scène une allure irréelle de carte postale.
Tout, dans ce portrait de groupe, respire la légèreté et l’insouciance mondaine. Pourtant, la jeune femme ne s'est pas départie d'un soupçon de gravité, que ne démentent pas tout à fait son sourire et la lumière malicieuse de son regard. Elle est grande, elle aussi, moins que l'homme qui lui parle, mais suffisamment pour donner l'impression d'une harmonie dans leurs allures. Son corps est élancé, sa beauté un peu austère, avec son visage allongé et ses pommettes hautes et rondes. Le creux des joues est balayé par des cheveux épais, courts, coupés au carré. Et un chapeau blanc, posé de côté, fit de rappeler les élégantes des photographies des Séeberger.

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Rentrée Littéraire 2011
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20/21

Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC
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"Objet"

Challenge des Agents Littéraires
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Lu dans le cadre du Challenge Défi Premier roman
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30 octobre 2011

Le pacte des vierges – Vanessa Schneider

Lu en partenariat dans le cadre des
Matchs de la Rentrée Littéraire de Priceminister
les matchs de la rentrée littéraire

le_pacte_des_vierges Stock – août 2011 – 192 pages

Quatrième de couverture :
« A la fin de l'année scolaire, le lycée de Gloucester (Massachusetts) comptait 17 jeunes filles enceintes […]. La moitié d'entre elles – toutes ont moins de seize ans – ont avoué avoir fait un pacte pour avoir leurs bébés et les élever ensemble. »

Auteur : Vanessa Schneider est journaliste politique. Auteur d’un essai et d’un film documentaire, elle a publié deux romans, La mère de ma mère et Tâche de ne pas devenir folle.

Mon avis : (lu en octobre 2011)
En 2008, à Gloucester, ville de pêcheurs du Massachusetts à 60 kilomètres au nord de Boston aux États-Unis, un fait divers fait la une de la presse. Dix-huit jeunes filles d'un même lycée, âgées de moins de seize ans sont enceintes en même temps. Il semblerait qu'un pacte aurait été conclu entre elles.
A partir de ce fait divers ayant réellement existé, l'auteur imagine une journaliste venue faire son enquête et qui donne la parole à quatre jeunes filles parmi les dix-huit.
Il y a la meneuse, Lana dont le père est parti un jour, laissant seule Lana et sa maman qui n'a jamais supporté cet abandon. Elle passe ses journées devant la télévision, droguée à l'alcool et aux médicaments. Il y a Cindy que Lana a rencontré autrefois dans un foyer. Cindy a été recueilli par une tante après avoir été abandonnée à l'âge de par sa mère. Cindy est la seule à avoir un copain Tim. Il y a Sue qui vient d'une bonne famille très religieuse et bien pensante. Et enfin, il y a Kylie qui depuis toute petite est une habituée des concours de Mini-Miss. Elle aimerait être vraiment aimée, pas seulement pour son physique.
Tour à tour, on découvre la vie de chacune des quatre adolescentes, leurs blessures, leurs envies. A travers les voix de Lana, Sue, Cindy et Kylie, Vanessa Schneider nous décrit une société américaine où se mêlent rêves et réalités. C'est un prétexte pour évoquer certains problèmes d'éducation comme l'absence des parents, la drogue, l'alcool, la sexualité précoce... A aucun moment, l'auteur ne prend parti et ne blâme les jeunes adolescentes ou leurs parents. Elle garde un regard neutre et objectif.

Je suis cependant restée un peu sur ma faim, car l'auteur reste sur le fait divers, on a seulement une conclusion six mois après, et j'aurais aimé en savoir un peu plus sur l'après... Que sont-elles devenues quelques années plus tard ? Et le lecteur n'a pas de réponses à toutes les questions que se posent la journaliste.
C'est un livre intéressant qui se lit très facilement et qui m'a donné envie d'en savoir plus pour ce fait réel.

Merci à Priceminister pour ce partenariat et au Café Lecture Blog de ma Bibliothèque qui en me choisissant comme marraine pour participer aux Matchs de la Rentrée Littéraire de Priceminister m'a permis de gagner ce livre.

Extrait : (début du livre)
Que voulez-vous savoir au juste ? Mes secrets vous ne les aurez pas. Je peux seulement vous raconter deux ou trois choses sur comment tout cela s'est passé. Ça va, ne faites pas cette tête. Vous devriez être contente. Vous voilà ici, chez moi, c'est ce que vous vouliez, non ? 
Alors ne vous gênez pas, posez vos questions. Je suis lycéenne et enceinte. Une gamine avec un gros ventre, c'est ce que vous pensez, j'en suis sûre. Ça a l'air de vous plaire les simplifications. Je ne pensais pas que ça ferait tout un foin cette histoire. Je ne comprends pas pourquoi on nous ennuie avec ça. Il n'y a pas d'âge légal pour avoir un enfant à ce que je sache. J'ai quinze ans. Je sais je fais plus, mais j'en ai connu des vertes et des pas mûres et croyez-moi, ce que j'ai vécu, ça use. En fait je ne les aurai que dans quatre mois, pour la naissance du bébé. Quinze, ça fait mieux que quatorze pour être mère, non ? Je ne sais pas pourquoi je vous parle, je ne suis pas sûre que votre tête me revienne, en fait. Je n'aime pas les rousses. Ni les femmes qui portent des lunettes. Si vous m'aviez précisé ça au téléphone, je veux dire pour la couleur de cheveux, je ne pense pas que j'aurais accepté de vous voir. C'est naturel ou c'est une teinture ? Bon, je vois, vous êtes du genre « Je ne parle pas, je suis là pour écouter », j'en ai fréquenté des femmes comme vous. J'ai été en foyer, j'en ai vu défiler des nanas qui essayaient de me tirer les vers du nez. Je perçois bien les gens, vous savez. Je fonctionne à l'instinct, j'y ai été contrainte. Je n'ai jamais pu faire confiance à quiconque, sauf aux filles de la bande. Elles, elles savent vraiment qui je suis, elles connaissent tout de mon âme, elles m'apprécient ainsi. Avec les autres, les gens de l'extérieur, avec vous par exemple, je joue les dures. C'est plus simple. Je vous expliquerai pourquoi je suis comme ça un autre jour, si on se revoit.
Depuis la parution de ce foutu article de Time Magazine, ils sont tous venus. Des journalistes du Gloucester Diary d'abord, puis d'autres, de Boston, et de New York aussi. Ça vous épate, hein ? Il y a eu la radio, la télé, et même des reporters pour Internet. Je ne savais pas qu'ils avaient des reporters sur Internet. Ils sont à peine plus âgés que nous, mais ils se laissent pousser la barbe pour avoir l'air vieux. C'est un peu ridicule si vous voulez mon avis. Bref, ils voulaient nous voir, faire des interviews, nous photographier, nous filmer. « Même de dos, ça ira », ils disaient. Enregistrer nos voix. Ça nous a fait bizarre. D'habitude, il n'y a pas grand monde qui vient jusqu'ici. Il faut dire qu'il ne se passe jamais rien de spécial à Gloucester. Nos vies n'intéressent personne. Du moins jusqu'à maintenant. La Fox a proposé de payer pour qu'on raconte. Mais on n'a pas voulu. On s'est concertées, on s'est parlé. On a décidé de ne pas le faire. Kylie a failli dire oui, mais je l'ai regardée droit dans les yeux. Je lui ai dit : « Tu ne peux pas choisir toute seule, on a toujours fait les choses ensemble. » Elle a fini par approuver. En même temps, je comprends qu'elle ait été tentée. Son père s'est barré avec une pouffiasse quand elle était petite et sa mère galère avec trois boulots pour payer les traites de la baraque. C'est vrai qu'elle en aurait eu bien besoin des chèques de la Fox, Kylie, ne serait-ce que pour le bébé. Il paraît que ça coûte pas mal de pognon en fait. Rien que pour les couches, des centaines de dollars par an ! Mais on lui a toutes dit, enfin, surtout moi, qu'il ne fallait pas s'en faire pour ça. On va s'arranger autrement. On va se débrouiller. L'argent de la Fox aurait tout sali.

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8/50 : Massachussets
L'histoire se situe à Gloucester, ville de pêcheurs du Massachussets 

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27 octobre 2011

Mots de tête – Dominique Resch

 Lu dans le cadre de de Critique en Masse de Babelio
en partenariat avec les éditions Autrement

mots_de_t_te Autrement – août 2011 – 152 pages

Quatrième de couverture :
"Prof n'est pas un vrai métier. C'est une discipline sportive. Une épreuve d'endurance. Un marathon où le plus teigneux gagne à la fin."
Chaque jour, je retrouve Tonio, Nadir, Jérémy et les autres. Chaque jour, dans ce lycée des quartiers Nord de Marseille, je m'apprête à vivre l'inattendu : les rencontres OM/PSG qui rythment la vie et le moral de la classe, les samoussas préparés par Hafoussouate qui réveillent mes papilles, l'arrivée du nouveau surveillant en béton armé qui chancelle au bout d'une semaine, Tonio qui perturbe allègrement la répétition de Cyrano de Bergerac, et cette course à vélo où les élèves foncent à folle allure dans un décor de cinéma...
En une vingtaine de séquences étonnantes, drôles et plus vraies que nature, l'auteur dévoile son goût passionné pour l'enseignement grâce à un regard à la fois lucide et attendri.

Auteur : Dominique Resch est professeur de français, d'histoire-géographie et d'éducation civique dans un lycée professionnel des quartiers Nord de Marseille.

Mon avis : (lu en octobre 2011)
Ce livre est écrit par un professeur de lycée professionnel en banlieue de Marseille. Il raconte son quotidien dans de courts chapitres. Une vingtaine d'épisodes, drôles ou attendrissants qui nous raconte la réalité de l'enseignement dans un cours de français ou d'histoire-géo en lycée professionnel.
Les anecdotes sont variées, parfois effrayantes comme celle où un coup de feu est tiré dans la classe, amusantes quand le professeur apprend à Tonio à respecter sa mère ou à Loïc à respecter les homosexuels, Dominique Resch donne également son palmarès des « bons mots » de ces élèves...
Ce livre se lit très facilement et l'on sent l'attachement du professeur pour ses élèves. J'ai passé un très bon moment de lecture.

Merci Babelio et les éditions Autrement pour ce partenariat.

Extrait : (début du livre)
Je connais tout.
La superficie du Groenland au centimètre carré près, le poids de l'armure de Bayard au gramme près et le temps de digestion de la loutre des Pyrénées à la seconde près.
Tout.
Je sais absolument tout.
Si un conflit vient à éclater entre l'Irlande de Nord et la Corée du Sud, non seulement je sais exactement c'est la faute à qui mais en plus je sais qui va avoir gain de cause et de quel côté est Dieu.
Tout.
Normal je suis prof.

Si le prof doute, sortez les sarbacanes et envoyez les boulettes. Du coup, pas de problème : je connais tout. Je maîtrise tout. Je parle comme un livre ouvert. Et je ne doute jamais de rien.
Jamais.
Un prof qui doute, c'est une cible. On raconte n'importe quoi aux apprentis profs quand ils apprennent le métier : quelqu'un qui enseigne aurait le droit de douter, voire de se tromper comme tout le monde... Bien sûr que non. Tout le monde a le droit de commettre des erreurs – même les médecins -, mais pas les profs. S'aider d'un dictionnaire ou de n'importe quel bouquin afin de pouvoir répondre à la question un peu pointue d'un élève, c'est la meilleure façon de devenir, oui, une cible. Le prof doit parler comme un livre ouvert parce qu'il a la science infuse. C'est simple. En classe, en cas de doute, je préfère mille fois inventer n'importe quoi que vérifier ma réponse par une aide extérieure. Le prof qui pompe, c'est zéro. Déjà qu'il lui arrive d'être noté par un inspecteur (ça, c'est pas clair), s'il se met à tricher, ce n'est plus possible.

 

 

Challenge 2%
Rentrée Littéraire 2011
RL2011b
13/14

 

Challenge le nez dans les livres
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La Lectrice : 2/2

 

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15 octobre 2011

Rien ne s'oppose à la nuit - Delphine de Vigan

Lu dans le cadre du Challenge Un mot, des titres...
un_mot_des_titres 

Le mot : NUIT

rien_ne_s_oppose___la_nuit Jean-Claude Lattès – août 2011 – 436 pages

Prix du Roman FNAC 2011

Quatrième de couverture :
« La douleur de Lucile, ma mère, a fait partie de notre enfance et plus tard de notre vie d’adulte, la douleur de Lucile sans doute nous constitue, ma sœur et moi, mais toute tentative d’explication est vouée à l’échec. L’écriture n’y peut rien, tout au plus me permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. 
La famille de Lucile, la nôtre par conséquent, a suscité tout au long de son histoire de nombreux hypothèses et commentaires. Les gens que j’ai croisés au cours de mes recherches parlent de fascination ; je l’ai souvent entendu dire dans mon enfance. Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. 
Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. » 
Dans cette enquête éblouissante au cœur de la mémoire familiale, où les souvenirs les plus lumineux côtoient les secrets les plus enfouis, ce sont toutes nos vies, nos failles et nos propres blessures que Delphine de Vigan déroule avec force.

Auteur : Delphine de Vigan est notamment l’auteur du best seller No et moi, plus de 400 000 exemplaires vendus toutes éditions Prix des Libraires 2008, adapté au cinéma par Zabou Breitman, et des Heures souterraines (2009), près de 100 000 exemplaires vendus en édition première et traduit dans le monde entier. Elle faisait partie de la dernière sélection du Goncourt. Elle vit à Paris.

Mon avis : (lu en octobre 2011)
Dès que le nouveau mot du Challenge a été dévoilé, mon choix a été immédiat car j'avais déjà dans ma PAL le dernier livre de Delphine de Vigan. J’ai découvert cette auteur fin 2008 avec son livre No et moi que j’ai beaucoup aimé, l’année dernière j’ai également été émue par Les heures souterraines.
Ce roman qui n’en est pas vraiment un, car Delphine nous raconte sa mère à travers les témoignages qu'elle a recueilli auprès de sa famille.
Le livre commence en 2008, sur une scène brutale, Delphine de Vigan retrouve sa mère âgée de soixante-et-un ans morte dans son appartement depuis quelques jours. Delphine mettra plusieurs mois à admettre la vérité : sa mère s’est suicidée. Elle décide alors de retracer en détail la vie de Lucile pour ne pas oublier. Et Delphine entame une vraie enquête auprès de ses proches. « Alors j'ai demandé à ses frères et sœurs de me parler d'elle, de me raconter. Je les ai enregistrés, eux et d'autres, qui avaient connu Lucile et la famille joyeuse et dévastée qui est la nôtre. J'ai stocké des heures de paroles numériques sur mon ordinateur, des heures chargées de souvenirs, de silences, de larmes et de soupirs, de rires et de confidences. 
J'ai demandé à ma sœur de récupérer dans sa cave les lettres, les écrits, les dessins, j'ai cherché, fouillé, gratté, déterré, exhumé. J'ai passé des heures à lire et à relire, à regarder des films, des photos, j'ai reposé les mêmes questions, et d'autres encore. 
Et puis, comme des dizaines d'auteurs avant moi, j'ai essayé d'écrire ma mère. » 
Dans une première partie, Delphine raconte l’enfance de Lucile, elle est la troisième d’une famille nombreuse. Ses parents Liane et Georges et ses nombreux frères et sœurs, Lisbeth, Barthélemy, Anthonin, Jean-Marc, Milo, Justine, Violette et Tom. Il y a des souvenirs heureux mais aussi plusieurs drames et des non dits. Puis dans la deuxième partie du livre, Delphine utilise le « je » car c'est l'époque où Lucile est devenue maman, et très jeune, Delphine devient un témoin privilégié des souffrances de sa maman. En parallèle de l’histoire de sa mère, Delphine de Vigan raconte l’histoire du livre qu’elle est en train d’écrire. Elle nous confie ses états d’âme, ses réflexions, ses interrogations, ses doutes dans sa démarche d'écrire ce livre.
Un témoignage bouleversant, et un bel hommage de Delphine pour sa maman. C'était très courageux de la part de Delphine de mener à bien cet ouvrage et à sa famille d'accepter le portrait de Lucile par Delphine.
J'ai eu un vrai coup de cœur pour ce livre qui ne laisse pas indifférent.

Extrait : (début du livre)
Ma mère était bleue, d'un bleu pâle mêlé de cendres, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l'ai trouvée chez elle, ce matin de janvier. Les mains comme tachées d'encre, au pli des phalanges. 

Ma mère était morte depuis plusieurs jours. 
J'ignore combien de secondes voire de minutes il me fallut pour le comprendre, malgré l'évidence de la situation (ma mère était allongée sur son lit et ne répondait à aucune sollicitation), un temps très long, maladroit et fébrile, jusqu'au cri qui est sorti de mes poumons, comme après plusieurs minutes d'apnée. Encore aujourd'hui, plus de deux ans après, cela reste pour moi un mystère, par quel mécanisme mon cerveau a-t-il pu tenir si loin de lui la perception du corps de ma mère, et surtout de son odeur, comment a-t-il pu mettre tant de temps à accepter l'information qui gisait devant lui ? Ce n'est pas la seule interrogation que sa mort m'a laissée. 
Quatre ou cinq semaines plus tard, dans un état d'hébétude d'une rare opacité, je recevais le prix des libraires pour un roman dont l'un des personnages était une mère murée et retirée de tout qui, après des années de silence, retrouvait l'usage des mots. A la mienne j'avais donné le livre avant sa parution, fière sans doute d'être venue à bout d'un nouveau roman, consciente cependant, même à travers la fiction, d'agiter le couteau dans la plaie. 
Je n'ai aucun souvenir du lieu où se passait la remise du prix, ni de la cérémonie elle-même. La terreur je crois ne m'avait pas quittée ; je souriais pourtant. Quelques années plus tôt, au père de mes enfants qui me reprochait d'être dans la fuite en avant (il évoquait cette capacité exaspérante à faire bonne figure en toute circonstance), j'avais répondu pompeusement que j'étais dans la vie. 
Je souriais aussi au dîner qui fut donné en mon honneur, ma seule préoccupation étant de tenir debout, puis assise, de ne pas m'effondrer d'un seul coup dans mon assiette, dans un mouvement de plongeon similaire à celui qui m'avait projetée, à l'âge de douze ans, la tête la première dans une piscine vide. Je me souviens de la dimension physique, voire athlétique, que revêtait cet effort, tenir, oui, même si personne n'était dupe. Il me semblait qu'il valait mieux contenir le chagrin, le ficeler, l'étouffer, le faire taire, jusqu'au moment où enfin je me retrouverais seule, plutôt que me laisser aller à ce qui n'aurait pu être qu'un long hurlement ou, pire encore, un râle, et m'eût sans aucun doute plaquée au sol. Au cours des derniers mois les évènements qui me concernaient s'étaient singulièrement précipités, et la vie, cette fois encore, fixait la barre trop haut. Ainsi, me semblait-il, le temps de la chute, n'y avait-il rien d'autre à faire que bonne figure, ou bien faire face (quitte à faire semblant). 
Et pour cela je sais depuis longtemps qu'il est préférable de se tenir debout que couché, et d'éviter de regarder en bas. 
Dans les mois qui ont suivi j'ai écrit un autre livre sur lequel je prenais des notes depuis plusieurs mois. Avec le recul j'ignore comment cela a été possible, si ce n'est qu'il n'y avait rien d'autre, une fois que mes enfants étaient partis à l'école et que j'étais dans le vide, rien d'autre que cette chaise devant l'ordinateur allumé, je veux dire pas d'autre endroit où m'asseoir, où me poser. Après onze années passées dans la même entreprise - et un long bras de fer qui m'avait laissée exsangue - je venais d'être licenciée, consciente d'en éprouver un certain vertige, quand j'ai trouvé Lucile chez elle, si bleue et si immobile, et alors le vertige s'est transformé en terreur puis la terreur en brouillard. J'ai écrit chaque jour, et je suis seule à savoir combien ce livre qui n'a rien à voir avec ma mère est empreint pourtant de sa mort et de l'humeur dans laquelle elle m'a laissée. Et puis le livre a paru, sans ma mère pour laisser sur mon répondeur les messages les plus comiques qui fussent au sujet de mes prestations télévisées. 

Déjà lu du même auteur :

no_et_moi_p No et moi   les_heures_souterraines  Les heures souterraines   

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