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27 janvier 2010

Le cœur est un chasseur solitaire – Carson McCullers

Lu dans le cadre des Challenges : challenge_100_ans_article_300x225 et coeur_vs3

le_coeur_des_un_chasseur_solitaire Stock – mars 2007 – 530 pages

traduit de l'anglais (États-Unis) par Frédérique Nathan

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LGF – 1972 – 445 pages

LGF – 1983 – 445 pages

LGF – 1997 – 445 pages

Stock – avril 2000 – 476 pages

LGF – avril 2001 - 445 pages

Quatrième de couverture :

Habitants d'une petite ville du fin fond des États-Unis, les personnages du Cœur est un chasseur solitaire se sentent profondément seuls, abandonnés avec leurs révoltes. Subsistent cependant certains rêves. Pour Mick l'adolescente complexée, celui d'apprendre à jouer du violon qu'elle s'est confectionné, et qu'elle cache sous son lit. Biff, lui, observe ses clients pour échapper à sa vie de couple bien terne. Jake rêve d'un monde plus juste. Le docteur Copeland essaie pour sa part d'œuvrer concrètement à la réalisation de ce monde car sa couleur de peau l'expose à des brimades quotidiennes. Leur rencontre avec John Singer, sourd-muet dont le calme et la courtoisie inspirent confiance, leur permet d'entrevoir la possibilité d'être compris.
Cette édition comprend également l'esquisse de ce grand roman ainsi que l'ensemble des essais et des articles que Carson McCullers a publiés de son vivant. Ces textes précisent les références de ce prodige de la littérature américaine tout en mettant en valeur sa sensibilité et son engagement.

Auteur : Née à Columbus, Georgie le 19 février 1917, dans le vieux Sud des États-Unis, l'adolescente Lula Carson Smith trompe son ennui entre le piano, qu'elle découvre à l'âge de 10 ans, et l'écriture. En 1934, elle délaisse ses ambitions de concertiste pour se rendre à New York. Là, elle se consacre à l'écriture en suivant des cours de création littéraire à la Columbia University. Un an plus tard, elle épouse le caporal James Reeves McCullers. Carson se consacre à l'ébauche du roman 'Le cœur est un chasseur solitaire' (1940) qui est un véritable succès. D'autres œuvres suivront parmi lesquelles 'Reflet dans un œil d'or' (1942) et 'La ballade café triste' (1943). Après avoir divorcé de McCullers, elle se remarie avec celui-ci bien qu'elle entretienne une relation amoureuse avec son amie Annemarie Schwarzenbach. Fascinée par Paris comme tous ceux de la 'Lost Generation', elle s'y rend régulièrement et se promène à Saint-Germain-des-Prés aux côtés de son mari. Malgré leur relation de plus en plus tendue, ils achètent une maison à Bachiviliers en 1952. Un an plus tard, Reeves se suicide et laisse une Carson de plus en plus fébrile. Les problèmes de rhumatismes aigus qu'elle connaît depuis ses 15 ans l'handicapent ; Carson se fragilisera d'année en année pour mourir à seulement 50 ans le 29 septembre 1967.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Livre lu dans le cadre du Challenge Les coups de coeur de la blogosphère proposé par Brize et du Challenge 100 ans de littérature américaine

Ce roman a été écrit en 1940 par une jeune femme de 22 ans, Carson McCullers, c’est son premier roman. L’histoire se situe à la fin des années trente, dans une petite ville du Sud profond des Etats-Unis. L’auteur nous dresse le portrait de personnages attachants qui sont tous les clients du "Café de New York". Biff Brannon est le propriétaire du café, il aime observer ses clients pour oublier sa vie de couple qui ne lui plaît pas. Il aime aider les marginaux, les anormaux de toutes espèces. Jack Blount est un révolté que personne ne veut entendre surtout lorsqu’il est imbibé d’alcool ! Il rêve d’un monde plus juste. Benedict Copeland est le seul médecin noir de la ville, il souffre du mépris des Blancs qu’il subit au quotidien. Et il se bat chaque jour pour sortir son peuple de l’ignorance et de la servitude. Mick Kelly est une jeune fille garçon manqué qui ne rêve que de musique, la nuit Mick rôde dans les rues pour écouter la musique qui s’échappe des fenêtres ouvertes. Mick rêve de devenir un jour une grande musicienne. John Singer est silencieux et énigmatique, il est sourd-muet et lit sur les lèvres. Il a une grande écoute et chacun va lui confier sa révolte, ses espoirs, ses rêves. Mais aucun ne sait pas que toutes les pensées de Singer sont pour son ami Antonapoulos, sourd-muet également, qui est enfermé dans un hôpital psychiatrique.

Un livre sur la solitude des hommes plutôt pessimiste mais surtout plein d’humanité. Une superbe découverte d’un beau roman américain !

Extrait : (page 51)

Mick joignit les mains en forme de coupe les serra fort, et souffla à travers l’interstice entre ses pouces. Ses joues se gonflèrent et on n’entendit d’abord que le bruit de l’air s’engouffrant dans ses poings. Puis un sifflement aigu, perçant, retentit, et au bout de quelques secondes Bubber surgit du coin de la maison.

Elle secoua la sciure des cheveux de Bubber et redressa le bonnet de Ralph. Ralph ne possédait rien de plus beau que ce bonnet. Il était en dentelle et entièrement brodé. Le ruban du menton était bleu d’un côté et blanc de l’autre, et de larges rosettes surmontaient les oreilles. Sa tête était devenue trop grosse pour le bonnet et la broderie s’effilochait ; pourtant, Mick le lui mettait toujours quand elle l’emmenait en promenade. Ralph n’avait pas de véritable landau comme la plupart des bébés, ni de chaussons d’été. Il fallait le trimbaler dans un vieux chariot ringard qu’elle avait reçu pour Noël trois ans auparavant. Mais le beau bonnet lui donnait fière allure.

La rue était déserte : c’était dimanche, en fin de matinée, il faisait très chaud. Le chariot grinçait et bringuebalait. Bubber ne portait pas de chaussures, et le trottoir lui brûlait les pieds. Les ombres courtes des chênes verts donnaient une fausse impression de fraîcheur.

« Monte dans le chariot, dit-elle à Bubber. Et prends Ralph sur tes genoux. – Je peux très bien marcher. »

Le long été donnait toujours la colique à Bubber. Il était sans chemise, et on voyait ses côtes blêmes et saillantes. Le soleil, au lieu de le bronzer, le rendait pâle, et ses petits tétons se détachaient sur son torse comme des raisins secs bleutés.

« Ça ne me dérange pas de te tirer, insista Mick. Monte. – D’accord. »

Mick, nullement pressée d rentrer, traînait lentement le chariot. Elle se mit à parler aux gosses. En fait, c’était à elle-même plutôt qu’aux enfants qu’elle s’adressait.

« C’est curieux, les rêves que j’ai faits ces temps-ci. On dirait que je nage. Mais c’est pas dans l’eau que je nage, je pousse les bras, à travers des grandes foules de gens. La foule est cent fois plus nombreuse que chez Kresses la samedi après-midi. C’est la plus énorme du monde. Et quelquefois je hurle et je nage au travers, en bousculant les gens sur mon passage – et d’autres fois je suis par terre et on me piétine et mes intestins se répandent sur le trottoir. Ça ressemble davantage à un cauchemar qu’à un rêve ordinaire… »

Le dimanche, la maison était pleine de monde parce que les pensionnaires avaient des visites. On froissait des journaux, et il y avait de la fumée de cigare, et des bruits de pas dans l’escalier.

« Certains trucs, on veut simplement les garder pour soi. Pas parce qu’ils sont pas bien, seulement parce qu’on veut que ça reste secret. Il y a deux ou trois choses que je ne voudrais pas que vous sachiez, même vous. »

Bubber sortit quand ils arrivèrent au coin pour l’aider à descendre le chariot sur la chaussée et à le hisser sur le trottoir suivant.

« Il y a une chose pour laquelle je donnerais n’importe quoi. Un piano. Si on avait un piano, je m’exercerais chaque soir et j’apprendrais tous les morceaux du monde. Y a rien que je désire plus. »

Lu dans le cadre du challenge coeur_vs3 proposition de Brize

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Livre lu dans le cadre du Challenge 100 ans de littérature américaine

Voir le_coeur_des_un_chasseur_solitaire_25 (suite) Carson McCullers

A propos de l'édition qui comprend également l'esquisse de ce grand roman ainsi que l'ensemble des essais et des articles que Carson McCullers a publiés de son vivant. Ces textes précisent les références de ce prodige de la littérature américaine tout en mettant en valeur sa sensibilité et son engagement.

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23 janvier 2010

Présent ? - Jeanne Benameur

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (8/26)

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Edition Denoël – août 2006 – 209 page

Folio – mai 2008 – 221 pages

Présentation de l'éditeur :

Elle aurait voulu être une bête, au moins ça aurait été clair. Elle est juste professeur de la vie et de la terre, mais il n'y a plus de vie il n y a plus de terre sous ses pieds quand son amant part. Alors au collège, elle n y va pas. Qu'est-ce qu'elle enseignerait, hein ? Son corps enseignant, il est ici. Son intelligence, sa patience, son savoir, tout pourrit sans caresse. Elle se racornit comme les feuilles de certaines plantes quand elles manquent d'eau. Elle peut juste attendre qu'il revienne ou qu'elle reparte le voir. Toute la vie suspendue dans l'intervalle. Sans son corps, elle ne peut pas enseigner C'est comme ça. Elle n'a de tête que si tout le corps vit. Et elle a beau essayer de penser autrement, elle n y arrive pas. Elle pense par la peau. Son corps la mène dans la vie et elle découvre un gouffre. Le corps peut manquer à l'appel. D'une écriture incisive et empathique, Jeanne Benameur brosse le portrait de tous les acteurs d'un collège de banlieue avant les émeutes, questionnant leur présence vive. Avec émotion, elle débusque les symboliques occultées du monde scolaire et les drames intimes de chacun: une brèche s'ouvre pour une pédagogie à rebours de tous les tabous.

Auteur : Jeanne Benameur a été professeur dans les établissements dits difficiles jusqu'en 2001 et se consacre désormais à un enseignement nomade, ponctuel. Elle a récemment publié chez Denoël Les Reliques.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ironie de la vie, c'est le livre que j'étais en train de lire lors de la réunion parents-professeurs pour la classe de 3ème d'un de mes fils. Ce livre m’a vraiment beaucoup plu, il nous montre la vie d’un collège un jour de conseil de classe et d’orientation d’une classe de 3ème. C’est le jour où se joue l’avenir des élèves de la classe. On découvre la Principale, les différents enseignants, le conseiller d’orientation, les parents, le personnel de service, le «factotum» qui détient les clés, la documentaliste et bien sûr les élèves. Tous ces personnages sont plein d'humanité et ils sont très attachants.

Le prof de français profite des récréations pour se plonger dans un livre pour fuir le monde. «Lire, c’est rêver. Lire, c’est laisser des images se former à partir des mots choisis par les auteurs.» La jeune prof de SVT ne supporte plus d’aller au collège, elle n’arrive pas à tenir ses élèves et elle a perdue confiance en elle. Madison est une élève qui se trouve nulle en classe car ses notes sont médiocres, elle est discrète, presque invisible, mais elle a un don pour le dessin. D. est un élève bagarreur, qui va découvrir l’atelier d’écriture de la documentaliste et reprendre confiance en lui. La documentaliste donne au CDI un aspect de bien-être avec bouquets de fleurs, elle propose aux élèves un atelier d'écriture, elle initie à la lecture les élèves mais aussi le personnel du collège...

Un livre plutôt optimiste qui fait réfléchir sur le collège et l’avenir de nos enfants, il se lit très facilement. A découvrir sans tarder !

Extrait : (début du livre)

Il y a toujours trop de monde dans les couloirs.

Couloirs. Couloir du latin colare : couler, s’écouler. Dans les couloirs, les corps devraient s’écouler. Comme de l’eau. C’est l’étymologie.

On voudrait bien.

Glisser son corps au milieu des autres, fluide. De face, impossible. Il faut biaiser. En avant ! les épaules à l’égyptienne. Ça passe, un peu. Et puis tôt ou tard, la masse fait pression plus fort. Même de biais, on n’arrive plus. On a du mal à respirer. C’est la dynamique du trop.

Dans les couloirs, on est réduit.

C’est peut-être pour ça que les enfants se poussent. Les enfants, leur dynamique à eux est verticale. De la plante des pieds à la tête, ils se dressent, cherchent à voir au-dessus de la tête des autres, plus loin. Ils résistent. Peu importe le nombre. Les épaules en avant. Cohue, cris. C’est joyeux ou ça pleurniche, coude dans une côte, pied écrasé. Qui a commencé ?

Les profs n’aiment pas être pris là-dedans. Les profs ont déjà eu le corps resserré dans les couloirs du métro. Ils ont déjà dû faire paquet avec les autres, cartable pendue au bout du bras, toujours trop lourd. Impossible de jeter un coup d’œil sur la montre : le poignet ne peut plus se frayer de chemin. Ils ont poussé aussi, comme les gamins, contents de se trouver une place assise. Mais les épaules sont lasses.

Au collège, ils attendent que le flot soit passé en buvant un petit café avec les collègues. Reprendre force. Certains, plus sûrs, se lancent, d’autorité occupent un bord du couloir. Les élèves se plaquent un peu plus contre le mur d’en face. Ceux qui ont quitté le havre de la salle des profs dans la bousculade taillent alors un passage, pour un seul corps. Un plus timide peut emboîter le pas à son collègue. Si c’est une femme, c’est galant. Le temps d’un couloir on ouvre la voie, épaules élargies, on est un chevalier.

Les couloirs sont froids, immenses quand ils sont vides. Rien n’est parfait.

L’élève en retard est seul. Toujours.

La principale du collège aussi qui va constater les dégâts faits par un coup de pied dans une porte.

Ce serait bien de pouvoir être dans un couloir, juste à deux, coude à coude, avec seulement les murs pour border la conversation.

On pourrait marcher.

On pourrait apprendre, en marchant, dans le mouvement du corps. Il y a des idées parfois comme ça qui traversent la tête.

Mais dans le collège, les couloirs sont faits pour être bondés, puis vidés.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (8/26)

Déjà lu du même auteur :

les_demeur_es Les demeurées    les_mains_libres_p_ Les mains libres

ca_t_apprendra___vivre_p Ça t'apprendra à vivre   laver_les_ombres Laver les ombres

si_m_me_les_arbres_meurent_2 Si même les arbres meurent

21 janvier 2010

Ravel - Jean Echenoz

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (7/26)

ravel_ Les Editions de Minuit - janvier 2006 – 123 pages

Présentation de l'éditeur :

Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner. Son corps était si léger qu'en 1914, désireux de s'engager, il tenta de persuader les autorités militaires qu'un pareil poids serait justement idéal pour l'aviation. Cette incorporation lui fut refusée, d'ailleurs on l'exempta de toute obligation mais, comme il insistait, on l'affecta sans rire à la conduite des poids lourds. C'est ainsi qu'on put voir un jour, descendant les Champs-Élysées, un énorme camion militaire contenant une petite forme en capote bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant trop gros. Ce roman retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937).

Auteur : Né en 1947, Grand nom de la littérature française contemporaine, Jean Echenoz s'impose avec un sens de l'observation unique et un style singulier. L'ancien étudiant en sociologie et en génie civil déclare être l'auteur de romans 'géographiques'. Il tâche en effet dans son oeuvre de tracer les conditions, les décors et les milieux qui fondent une existence, celle de personnages fictifs ou réels à l'instar de Ravel dans un roman éponyme ou d'Emile Zatopek dans 'Courir'. Amené à l'écriture suite à la découverte d''Ubu Roi' d'Alfred Jarry, Echenoz imprime sa propre empreinte avec un sens de la dérision hérité du dramaturge. Lauréat du prix Goncourt en 1999 pour 'Je m'en vais', l'auteur joue à détourner les codes du langage et les genres littéraires. Ainsi, il s'approprie le roman policier avec 'Cherokee' ou le roman d'espionnage avec 'Le Lac'. Ecrivain de la quête et de l'enquête, Jean Echenoz succède avec brio et innovation à la génération du Nouveau Roman, qui a fait la renommée de sa maison d'édition, Minuit.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Lu dans le cadre du Challenge des coups de cœur de la blogosphère proposée par Denis et du Challenge ABC 2010.

Ayant beaucoup aimé « Courir » de Jean Echenoz, j’étais très curieuse de découvrir ce livre qui nous raconte les dix dernières années de la vie de Ravel.

Cela commence avec son départ et son voyage sur le paquebot France pour sa tournée triomphale aux Etats-Unis. Grace à des recherches très documenté de l’auteur, le lecteur découvre ses goûts, ses manies, son quotidien mais aussi son travail. Ravel s’enferme dans la solitude, il est angoissé et insomniaque. Il est également conscient qu’il perd progressivement ses capacités à cause d’une maladie neurologique d’abord la mémoire puis l’usage de ses mains… Le style d'écriture donne de la fluidité à la lecture, le récit est concis et précis.

Je n’ai pas autant aimé ce livre que « Courir », mais j’en ai appris beaucoup sur Maurice Ravel et été très émue par sa fin de vie. une belle lecture.

Extrait : (page 20)

Une fois les lieux rapidement inspectés, Ravel jette un coup d’œil par l’un des hublots qui, pour un moment encore, commandent le quai : il observe la masse de parents et alliés qui s’y pressent en agitant des mouchoirs comme à Saint-Lazare, mais également des chapeaux et des fleurs et d’autres choses encore. Il ne cherche pas à reconnaître qui que ce soit dans cette foule : s’il a bien voulu qu’on l’escorte à la gare, c’est tout seul qu’il préfère embarquer. Une fois qu’il a ôté son manteau, déplié trois affaires et disposé son nécessaire de toilette autour des lavabos, Ravel va réserver une place dans la salle à manger auprès du maître d’hôtel puis, auprès du chef de deck, un emplacement de chaise longue. En attendant qu’on appareille, il s’attarde un moment au fumoir le plus proche dont les murs d’acajou sont incrustés de nacre. Il y grille encore une ou deux Gauloises et, à certains regards qui s’attardent ou se détournent, certains sourires discrets ou connivents, il croit comprendre qu’on le reconnaît.

Il y a de quoi, et c’est assez normal : il est à cinquante-deux ans au sommet de sa gloire, il partage avec Stravinsky le rôle de musicien le plus considéré du monde, on a pu voir souvent son portrait dans le journal. C’est assez normal aussi vu son physique : son visage aigu rasé de près dessine avec son long nez mince deux triangles montés perpendiculairement l’un sur l’autre. Regard noir, vif, inquiet, sourcils fournis, cheveux plaqués en arrière et dégageant un front haut, lèvres minces, oreilles décollées sans lobes, teint mat. Distance élégante, simplicité courtoise, politesse glacée, pas forcément bavard, il est un homme sec mais chic, tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (7/26)

Lu dans le cadre du challenge coeur_vs3 proposition de Denis

16 janvier 2010

Happy birthday grand-mère – Valérie Saubade

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (6/26)

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Anne Carrière - août 1999 – 235 pages

Pocket - janvier 1999 – 235 pages

France loisirs – 2000 – 217 pages

Pocket – janvier 2009 – 235 pages


Présentation de l'éditeur

" J'ai décidé hier après-midi de tuer ma fille. A quatre-vingts ans, cela ne va pas être facile. D'autant que je me déplace en fauteuil roulant. ". mais cette octogénaire hémiplégique est bien déterminée à parvenir à ses fins. Car entre mère et fille, la haine est réciproque et implacable. Ancienne pianiste, adulée par les hommes, despotique, Eleonore ne s'est jamais préoccupée de personne sauf d'elle-même. Terne et aigrie, sa fille Elisabeth attend de pied ferme l'héritage. Et soigne sa mère indigne de façon très personnelle...

 

Auteur : Valérie Saubade, née en 1966, a été journaliste pendant sept ans. "Happy birthday grand-mère"  est son premier roman. Elle enseigne aujourd’hui à Bordeaux.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ce livre un peu loufoque se lit très facilement. La narratrice, Éléonore est une vieille dame de 80 ans qui se retrouve dans un fauteuil roulant hémiplégique et muette suite à une attaque. Elle attaque fort dès la première phrase : « J'ai décidé hier après-midi de tuer ma fille. A quatre-vingts ans, cela ne va pas être facile. D'autant que je me déplace en fauteuil roulant. » Tout au long du livre, mois après mois, elle nous raconte une année de sa vie dans les griffes de sa fille Élisabeth qui est venue s’installer dans la maison familiale avec son mari Michel. « Ma vie jusque-là paisible se transforma en cauchemar »

Depuis toujours les rapports entre la mère et la fille ont été difficiles. Élisabeth n’hésite pas à maltraiter insidieusement puis de plus en plus ouvertement sa mère. « Il est facile de gâcher la vie d’une vieille dame infirme. Ma fille s’y entendait admirablement. » Malgré son handicap, Éléonore résiste grâce à l’aide de Léonie sa fidèle dame de compagnie depuis 40 ans, de son vieil ami et notaire Charles de Beaulieu, d’Antoine veuf qu ‘elle rencontre lors de son séjour dans la maison de retraite des Lauriers, de Charlotte sa nouvelle dame de compagnie âgée de 25 ans…

Le ton est à la fois corrosif et plein d’humour les méchancetés entre la mère et la fille sont de plus en plus fortes. Tous les personnages rencontrés dans cette histoire sont particulièrement bien décrits et l’auteur n’hésite pas à aborder les thèmes de l’héritage, de la maltraitance des personnes âgées, de l’absence d’amour entre une mère et ses enfants, du parricide et de l’infanticide sans aucun tabou. Qui d’Élisabeth ou Éléonore parviendra à ses fins ?


Extrait : (page 33)

J’avais donc décidé d’aller chez le notaire pour me venger des humiliations qu’Élisabeth m’infligeait. Je savais qu’elle était obsédée par la perspective d’hériter de notre maison de famille. Et très inquiète à l’idée que je décide d’avantager son demi-frère. Brian vivait aux Etats-Unis et ne venait me voir qu’une fois tous les deux ans. Comme feu son père, il était brillant mais un peu volage.

Pour Élisabeth, occuper le terrain – c’est-à-dire ma maison – semblait le plus sûr moyen de parvenir à ses fins. Sans doute s’imaginait-elle ainsi pouvoir contester un héritage défavorable, en arguant qu’elle s’était occupée de moi jusqu’à ma mort. Quoi qu’il en soit, elle se montrait excessivement préoccupée chaque fois qu’une rencontre avec mon notaire était organisée. D’autant qu’en dépit de mon handicap, je parvenais à lui interdire d’assister à ces entretiens confidentiels.

A l’issue de chacun de mes rendez-vous avec Charles de Beaulieu, Élisabeth me jetait un regard interrogateur, parfois proche de la panique lorsque je la toisais d’un air moqueur. Un plaisir innocent dont je ne me privais pas. D’autant que durant les deux jours suivant ces visites, ma fille redoublait d’attentions à mon égard.

Ma visite chez mon ami Charles de Beaulieu avait également pour but de rappeler à ma fille que, même physiquement diminuée, j’étais encore propriétaire des lieux. Élisabeth ne manifestait pas une tendresse excessive à mon égard, mais il était clair qu’elle s’était prise d’une grande affection pour ma maison. C’était peut-être le seul sentiment que nous partagions, elle et moi.



Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (6/26)

14 janvier 2010

Le Tailleur de pierre – Camilla Läckberg

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (5/26)

le_tailleur_de_pierre Actes Sud – octobre 2009 – 477 pages

Traduit du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus 

Présentation de l'éditeur :

" La dernière nasse était particulièrement lourde et il cala son pied sur le plat-bord pour la dégager sans se déséquilibrer. Lentement il la sentit céder et il espérait ne pas l'avoir esquintée. Il jeta un coup d'œil par-dessus bord mais ce qu'il vit n'était pas le casier. C'était une main blanche qui fendit la surface agitée de l'eau et sembla montrer le ciel l'espace d'un instant. Son premier réflexe fut de lâcher la corde et de laisser cette chose disparaître dans les profondeurs... " Un pêcheur de Fjâllbacka trouve une petite fille noyée. Bientôt, on constate que Sara, sept ans, a de l'eau douce savonneuse dans les poumons. Quelqu'un l'a donc tuée avant de la jeter à la mer. Mais qui peut vouloir du mal à une petite fille ? Alors qu'Erica vient de mettre leur bébé au monde et qu'il est bouleversé d'être papa, Patrik Hedstrôm mène l'enquête sur cette horrible affaire. Car sous les apparences tranquilles, Fjâllbacka dissimule de sordides relations humaines - querelles de voisinage, conflits familiaux, pratiques pédophiles - dont les origines peuvent remonter jusqu'aux années 1920. Quant aux coupables, ils pourraient même avoir quitté la ville depuis longtemps. Mais lui vouer une haine éternelle.

Auteur : Camilla Läckberg-Eriksson, née le 30 août 1974, est l'auteur de plusieurs romans noirs mettant en scène Erica Falck et dont l'intrigue se situe toujours à Fjâllbacka, port de pêche de la côte ouest en Suède. Ses ouvrages se sont tous classés parmi les meilleures ventes de ces dernières années dans son pays et le succès est aussi de mise à l'étranger. Dans la collection "Actes noirs" ont déjà paru La Princesse des glaces (2008) et Le Prédicateur (2009).

Mon avis : (lu en janvier 2010)Ayant beaucoup aimé les deux livres précédents : La Princesse des glaces et Le Prédicateur, j’ai retrouvé avec beaucoup de plaisir Erica Falk et Patrik Hedstrôm qui sont maintenant les jeunes parents d’une petite fille de deux mois Maja. Sara, une petite fille de sept ans est retrouvée dans le filet d'un pêcheur. Sa mère Charlotte et son mari Niclas sont désespérés, ils ont également un fils Albin et ils vivent chez Lilian, la mère de Charlotte. Lilian est en conflit avec son voisin Kaj qui a un fils Morgan atteint de la maladie d’Asperger (autisme avec un QI élevé). Tout le commissariat de Fjâllbacka (Patrick, Martin, Ernst, Gosta) se mobilise pour mener l’enquête.

Parallèlement, le lecteur suit entre 1923 et 1928 l'histoire d'une jeune fille Agnès qui cherche à s'émanciper et qui va se trouver liée pour son malheur avec le tailleur de pierre.

L'histoire est prenante et le suspens est fort car on cherche à comprendre le lien entre l’enquête et l’histoire du début du siècle et les nombreuses fausses pistes corsent la résolution de l’énigme. Tout comme les deux livres précédents, je me suis régalée en lisant les nouvelles aventures d’Erica et Patrick et j’attends avec impatience la traduction des volumes suivants !

Merci au site logo_alapage qui m'a fait cadeau

de "Le Tailleur de pierre" – Camilla Läckberg.

Extrait : (début du livre)

La pêche au homard avait connu des jours meilleurs. Autrefois, les pêcheurs professionnels travaillaient dur pour capturer les crustacés noirs. Aujourd’hui, les estivants passaient une semaine de vacances à pêcher pour leur plaisir personnel. Sans rien respecter. Au fil des ans, il avait constaté bien des entorses au règlement. Des gens sortaient discrètement des brosses pour éliminer les œufs bien visibles sur les femelles et ainsi faire croire qu’elles étaient licites. Certains relevaient des casiers qui ne leur appartenaient pas, et on voyait même des plongeurs cueillir les homards directement avec les mains. Il se demandait où cela s’arrêterait, si l’on ne pouvait même plus compter sur un code d’honneur entre pêcheurs. Une fois, dans la nasse qu’il remontait il avait trouvé une bouteille de cognac à la place des crustacés disparus, c’était déjà ça. Ce voleur-là avait malgré tout fait preuve d’une certaine classe, sinon d’humour. Frans Bengtsson trouva deux homards magnifiques dès le premier casier, et il sentit sa mauvaise humeur s’évaporer. Il avait l'œil pour repérer leurs passages et il connaissait quelques véritables mines d’or où les nasses se rem plissaient avec la même abondance d’année en année. Trois paniers plus tard, il avait amassé un tas non négligeable de ces précieuses bêtes. Il ne comprenait pas pourquoi le homard se vendait à des prix aussi éhontés. Certes, ce n’était pas mauvais, mais à choisir il préférait le hareng pour son dîner. C’était bien meilleur et d’un prix plus raisonnable. Mais les revenus qu’il en tirait augmentaient avantageusement sa retraite à cette époque de l’année.

La dernière nasse était particulièrement lourde et il cala son pied sur le plat-bord pour la dégager sans se déséquilibrer. Lentement il la sentit céder et il espérait ne pas l’avoir esquintée. Il jeta un coup d'œil par-dessus bord mais ce qu’il vit n’était pas le casier. C’était une main blanche qui fendit la surface agitée de l’eau et sembla montrer le ciel l’espace d’un instant.

Son premier réflexe fut de lâcher la corde et de laisser cette chose disparaître dans les profondeurs avec le casier. Mais il se reprit et tira à nouveau sur la corde. Il dut mobiliser toutes ses forces pour réussir à hisser sa trouvaille macabre dans la snipa en bois. Le corps mouillé, livide et inanimé roula sur le fond du bateau et lui fit immédiatement perdre son sang-froid. C’était un enfant qu’il avait sorti de l’eau. Une petite fille, les cheveux longs collés sur le visage et les lèvres aussi bleues que les yeux qui fixaient le ciel sans rien voir.

Frans Bengtsson se précipita pour vomir par-dessus bord.

Jamais Patrik n’avait pu imaginer qu’on puisse être aussi fatigué. Toutes ses illusions sur le sommeil des nourrissons avaient été systématiquement brisées ces deux derniers mois. Il passa les mains dans ses cheveux châtains coupés court pour les démêler, sans grand résultat. Si lui était crevé, il n’arrivait même pas à imaginer l’état d’Erica. Lui au moins était dispensé des fréquentes tétées nocturnes. Patrik se faisait du souci pour elle. Il n’arrivait pas à se rappeler l’avoir vue sourire depuis son retour de la maternité, et elle avait de grands cernes noirs. Le dé s espoir se lisait dans ses yeux le matin et il avait du mal à les laisser, Maja et elle. Pourtant il devait avouer qu’il était franchement soulagé de pouvoir s’échapper vers son monde professionnel rempli d’adul tes. Il adorait Maja par-dessus tout, mais se retrouver avec un bébé était comme entrer dans un univers inconnu, avec sans cesse de nouvelles raisons d’être aux aguets et stressé. Pourquoi ne dort-elle pas ? Pourquoi crie-t-elle ? A-t-elle trop chaud ? trop froid ? Est-ce qu’elle n’a pas des boutons bizarres ? Alors que les voyous adultes, il les pratiquait depuis longtemps et il savait comment les gérer.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (5/26)

Lu du même auteur :

la_princesse_des_glaces La Princesse des glaces  le_pr_dicateur Le Prédicateur

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6 janvier 2010

L'homme de cinq heures - Gilles Heuré

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (3/26)

l_homme_de_cinq_heures Éditions Viviane Hamy – août 2009 – 285 pages

Présentation de l'éditeur :

 

"Le fleuve tirait languissamment les dernières lueurs de cette fin d'après-midi d'automne et, là-haut, les nuages se livraient à d'étranges joutes avec le vent capricieux. Paul Béhaine songea à des tableaux impressionnistes, saluant mentalement l'Apollinaire, jadis flâneur des deux rives. L'esprit libre, il ne prêta attention au personnage qui s'approcha de lui que quand il entendit ces mots, plus chuchotés sur le mode de la confidence que proclamés : - Ne les écoutez pas ceux qui le disent et le répètent ! [...] On m'a fait dire qu'on ne pourrait plus commencer un roman par "la marquise sortit à cinq heures". [...] j'avoue que j'ai été agacé de lire dans le Premier Manifeste du surréalisme que Breton m'avait attribué cette affirmation dont personne, au demeurant, n'a jamais pu vérifier la véracité. J'ai beau être le fantôme de moi-même, je sais encore ce que je dis et me souviens parfaitement de ce que je n'ai pas écrit. Malgré mon grand âge, le mécanisme de mon cerveau n'est pas grippé au point de ne plus pouvoir fonctionner. - Puis-je savoir qui vous êtes monsieur ? demanda Paul. - Je m'appelle Paul Valéry. Mettons. "

Pourquoi notre narrateur décide-t-il de partager le destin de cet homme rencontré une fin d'après-midi ? C'est en dénouant le mystère des Cinq heures du soir qu'il résoudra celui de l'étrange Monsieur V, l'inconnu de la Bibliothèque nationale qui disait se nommer Paul Valéry, poète et académicien mort en 1945, "donc physiologiquement inapte à discuter sur un pont enjambant la Seine dans ces années du XXe siècle finissant."

Auteur : Gilles Heuré est grand reporter à Télérama. Il a publié L'Insoumis, Léon Werth 1878-1955 aux éditions Viviane Hamy. L'Homme de cinq heures est son premier roman.

 

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ce livre est un roman étrange... Au début, je croyais lire un roman policier (j'ai été trompé par le fait que pour moi, les Éditions Viviane Hamy sont associées aux livres de Fred Vargas... j'avais oublié la couleur rouge (et non noir) de la couverture !), il s'agit en fait de l'histoire de la rencontre entre Paul Béhaine et l'étrange Monsieur V. qui est obsédé par «les cinq heures du soir» que l'on retrouve dans de nombreuses œuvres ou évènements. Ainsi, l'auteur nous convie à un voyage au gré de références historiques, littéraires, cinématographiques, musicales, picturales...

J'ai trouvé ce livre un peu difficile à lire car le récit est dense, le style très littéraire, employant un vocabulaire très riche (j'ai été obligé plusieurs fois d'avoir recours au dictionnaire...) et bien sûr faisant références à de nombreuses œuvres que je connaissais pas. Il n'est pas toujours aisé de suivre l'intrigue du livre à travers toutes ces informations et ces réflexions sur l'Art et sur les artistes... Malgré cela le livre en lui-même est très intéressant.

Extrait : (début du livre) Prologue

Où notre héros, Paul Béhaine, est abordé par un curieux personnage qui dit se nommer Paul Valéry et supplie : « Surtout ne les écoutez pas, ceux qui le disent et le répètent ! »

Il aurait bien travaillé un peu plus longtemps, mais l’on ne plaisante pas avec le XVIIe siècle. La Bibliothèque nationale, illustre établissement public fondé par le cardinal Richelieu, avait en effet des horaires stricts. La première cloche, indiquant le quart d’heure avant cinq heures, ayant retenti, Paul Béhaine, comme tous les autres lecteurs, s’était donc résigné à ranger ses affaires et à rendre ses livres au guichet central. Certains avaient accéléré le pas pour doubler ceux de devant, comme des écoliers turbulents ne voulant pas faire la queue, ou redoutant une sanction pour n’avoir pas obtempéré à temps. Car la fermeture était irrémédiablement fixée à cinq heures du soir.

Paul Béhaine descendit la rue Vivienne, traversa les jardins du Palais-Royal, et longea la Comédie-Française, jusqu’à la place Colette. Allait-il prendre le bus ? Se dire, comme la petite Claudine à Paris de la même Colette : « Voici poindre Panthéon-Courcelles, pacifique et zigzaguant », bref, sauter dans l’omnibus parisien ? Non. La marche lui sembla plus propice à dégourdir son esprit. Il se dirigea vers le pont des Arts et s’accouda à la rambarde en contemplant le monde alentour. Son regard survola ses contemporains, touristes en goguette, Parisiens survoltés sortant du travail ou baladant paisiblement des chiens en quête de petits tapis de verdure.

On mentirait en disant qu’il ne pensait plus à ce qui avait occupé son esprit depuis le matin, mais beaucoup des mots de sa journée, imprimés ou écrits, commençaient à s’envoler, telles des feuilles d’automne dispersées par une soudaine bourrasque. La métaphore vaut ce qu’elle vaut, mais, en y réfl échissant, elle ne lui semblait pas ridicule et lui apparaissait même assez pertinente. Voilà, s’était-il dit, redeviens atome parmi les atomes, sois passant parmi les passants, lève le nez, hume l’air, marche, rêve et détends-toi. Va, et ne te hais point de ne plus travailler.

L’air était transporté par une brise fraîche, la Seine tirait languissamment les dernières lueurs de cette fin d’après-midi d’automne et, là-haut, les nuages se livraient à d’étranges joutes avec le vent capricieux. Sensible à ce panorama parisien, il songea à des tableaux impressionnistes, saluant mentalement l’Apollinaire, jadis flâneur des deux rives. L’esprit libre, il ne vit pas tout de suite le personnage qui s’approcha de lui. Il ne lui prêta attention que quand il entendit ces quelques mots, plus chuchotés sur le mode de la confidence que proclamés :

— Ne les écoutez pas ceux qui le disent et le répètent !

L’homme avait le visage creusé par deux grandes parenthèses autour de sa bouche surplombée par une moustache abondante, le front barré par une grande mèche de cheveux blancs. Il sortit une montre de son gousset et fi t une grimace :

— Évidemment on ne peut pas toujours être exact, mais que voulez-vous, les mots et les heures n’ont pas toujours fait bon ménage. Il faut se résoudre à l’idée que l’inexactitude fait partie de ce monde et en est même un des éléments constitutifs. J’ai beau avoir toujours éprouvé une passion pour les mathématiques, je reste néanmoins attaché à la conviction qu’il faut parfois un peu de désordre, et je n’en démordrai pas. Comme disait le poète américain Philip Freneau : « In spite of all the learned have said, I still my old opinion keep. » (En dépit des doctes, je garde ma vieille opinion.) Je suis en effet persuadé que les grandes catastrophes naissent d’une trop grande précision, et que la liberté dont nous pouvons encore nous prévaloir dans ce monde de fous doit bénéficier de quelques inexactitudes salutaires et libératrices. N’est-ce pas votre avis, vous, docte esprit à qui sa conscience suggère de rêvasser à l’étendue du monde ?

Paul ne fut pas réellement surpris par ces paroles insolites car, comme nous croyons l’avoir dit plus haut, l’expérience de l’instant ne pouvait l’effrayer. À ce moment moins qu’à un autre. La puissance compacte de la raison se fissure heureusement quand la rêverie se fait fluide. Cette dernière phrase ne constituant aucunement une théorie, mais suggérant, en termes un peu pompeux, que Paul Béhaine était suffisamment las pour ne pas s’étonner qu’un type inconnu lui tienne des propos auxquels il n’aurait, en temps ordinaire, prêté qu’une attention des plus distraites. Cette fin d’après-midi, en effet, autorisait le décousu, l’improbable, et plaidait pour le discontinu. Il aurait pu voir Moby Dick souffler sous le pont des Arts ou un calamar géant entourer un bateau-mouche de ses immenses tentacules pour l’entraîner par le fond, qu’il ne s’en serait pas formalisé le moins du monde, convaincu en cet instant suspendu que chacun, homme, cétacé ou céphalopode, a le droit de vivre sa vie comme il l’entend. Or donc, et pour reprendre le fil de ce récit, son voisin, encouragé par un silence qu’il interpréta comme une invitation à poursuivre, poursuivit.

— Contrairement à ce que certains peuvent soutenir, affirmer dans de plus ou moins savants développements, ou formuler en de supposés brillants aphorismes qui ne traduisent que l’imprécision de leur jugement, cinq heures du soir est bien une heure importante. On m’a fait dire, dans un texte assez connu, qu’on ne pourrait plus commencer un roman par « la marquise sortit à cinq heures ». Le responsable en est André Breton, ce charmant collectionneur qui a enchâssé les textes les plus admirables autant que les inepties les plus confondantes. Je ne sais ce qui l’a autorisé à affirmer cela, n’ayant personnellement jamais tenu de tels propos ni soutenu une telle affirmation. Ce que j’ai pensé, dit et écrit, est plus complexe et ne peut se résumer aussi succinctement. Le monde des intellectuels et des écrivains, j’y inclus les poètes, est plein de gens qui légifèrent parfois avant même de douter, et s’autorisent à échafauder les théories les plus bizarres pour exciter l’intérêt ou la jalousie de leurs pairs. Je dis cela sans acrimonie à l’égard d’André Breton, que j’admire par ailleurs, même si je suis en désaccord avec beaucoup de ses écrits et de ses oukases — un joli mot tombé en désuétude, peur d’être incompris sans doute —, et qui a préféré se réfugier dans l’oubli, car les mots, le savez-vous, ont parfois suffisamment de liberté de pensée pour disparaître quand ils se sentent devenus inutiles. Mais j’avoue, donc, que j’ai été agacé de lire dans le Premier Manifeste du surréalisme que Breton m’avait attribué, cette affirmation dont personne, au demeurant, n’a jamais pu vérifier la véracité. J’ai beau être le fantôme de moi-même, je sais encore ce que je dis et me souviens parfaitement de ce que je n’ai pas écrit. Malgré mon grand âge, le mécanisme de mon cerveau n’est pas grippé au point de ne plus pouvoir fonctionner.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (3/26)

5 janvier 2010

La couleur pourpre – Alice Walker

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Robert Laffont - avril 1984 – 261 pages

J'ai lu - mars 1988 - 252 pages

Robert Laffont - Pavillon Poche – mars 2008 - 344 pages

traduit de l'américain par Mimi Perrin

Quatrième de couverture :

Depuis leur séparation, depuis des années, Nettie et Celie, deux jeunes Noires, soeurs tendrement unies, n'ont cessé de s'écrire. Mais aucune missive, jamais, n'est parvenue ni à l'une ni à l'autre.

C'est que Celie, restée là-bas, près de Memphis, subit la loi d'un mari cruel qui déchire toutes les lettres venues d'Afrique – où Nettie est missionnaire. Alors Celie, la femme-enfant, écrira via le bon Dieu, qui, lui, sait tout... Pourquoi, entre elles, cette correspondance déchirante et sans fin, obstinée, presque immatérielle ?

Steven Spielberg a écrit : « J'ai passé de la colère au rire et du rire aux larmes ; enfin, j'ai éprouvé tous ces sentiments en même temps. Il y a des années que je n'avais lu un livre qui ait suscité en moi pareille émotion. »

Auteur : Née en 1944, huitième et dernier enfant de parents pauvres, Alice Malsenior Walker perd son œil droit lorsque son frère la blesse accidentellement avec une arme. Honteuse de sa cicatrice, elle s'isole, se réfugiant dans la lecture et l'écriture. Grâce à une bourse, elle s'inscrit à Spelman Collège et au Sarah Lawrence College à New York. Diplômée en 1965, elle repart dans le Sud et s'engage dans le Civil Rights Mouvement, où elle rencontre Mel Leventhal, l'avocat du mouvement. Ils seront le premier couple mixte officiellement marié dans le Mississipi. Alice Walker publie son premier recueil de poème, 'Once', en 1965, suivi de 'Revolutionnary Petunias & Other Poems' en 1973. Son œuvre met l'accent sur la lutte des femmes noires contre le racisme de la société des blancs, contre le sexisme et le patriarcat de la communauté noire et contre la violence de la société américaine en général. Son premier roman, 'The Third Life of Grange Copeland', sort en 1970, suivi de 'Meridian' en 1976. Alice Walker est la première femme afro-américaine à obtenir le Pulitzer Prize pour 'The Color Purple' (1983), son roman le plus célèbre, également récompensé par le American Book Award et qui forme une sorte de trilogie avec 'The Temple of My Familiar' (1989) et 'Possessing The Secret of Joy' (1992). Sa nouvelle 'Kindred Spirits' (1986) obtient le O. Henry Award. Alice Walker est également connues pour ses recueils de nouvelles comme 'In Love and Trouble' (1973), 'You can' t Keep a Good Woman Down : Stories' (1982) ou 'The Complete Stories' (1994).

Mon avis : (relu en janvier 2010)

Livre lu dans le cadre des challenges « 100 ans de littérature américaine – Yes we can »

J’avais déjà lu ce livre à l’époque de la sortie du film de Spielberg. J’ai été contente de le relire.

C’est un livre dans la grande tradition des romans sudistes. A travers une correspondance entre deux sœurs noires qui ont été séparées à l’adolescence nous découvrons la vie difficile de Célie et Nettie.

Célie a été marié à 14 ans un homme violent qui l’empêche de recevoir les lettres de sa sœur. Célie n’ayant pas de réponses continue à écrire en adressant ses lettes au bon Dieu.  Elle nous raconte sa vie de femme noire du sud des Etats-Unis au début du XXème siècle. Elle est battue par son mari, elle subit la ségrégation, le racisme, la misère, la violence. Elle va se lier d’amitié avec Shug Avery, la maîtresse de son mari, qui chante et qui est libre. Shug va aider Célie a se battre et à ne plus se soumettre.

Nettie est partie comme missionnaire en Afrique. Elle nous raconte sa vie dans un village Olinka, elle participe à la scolarisation des garçons, les indigènes refusant que leurs filles étudient. Elle raconte la colonisation avec la construction d’une route qui va détruire une partie du village, puis les expropriations des terres pour installer des plantations. Elle raconte également les rites tribaux.

Alice Walker a écrit un livre magnifique et bouleversant qui ne peut pas nous laisser indifférents. A lire absolument !

En 1985, La Couleur pourpre (The Color Purple) a été adapté dans un film réalisé par Steven Spielberg avec Danny Glover, Whoopi Goldberg, Margaret Avery, Oprah Winfrey… Il a été nominé 11 fois aux Oscars en 1986

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Extrait : (page 129)

Chère Célie,

Cela fait longtemps que je n’ai pas eu le temps d’écrire. De toutes façons, quoi que je fasse, à tous moments, je t’écris. Chère Célie, je dis dans ma tête pendant les Vêpres, au milieu de la nuit, pendant que je fais la cuisine ; Chère, chère Célie. Et j'imagine que tu reçois vraiment mes lettres et que tu me réponds : Chère Nettie, voici à quoi ressemble ma vie.

Nous nous levons à cinq heures pour un léger petit déjeuner de porridge de millet avec des fruits, puis ce sont les cours du matin. Nous enseignons aux enfants l’anglais, la lecture, l’écriture, l’histoire, la géographie, l’arithmétique et nous leur lisons des histoires de la Bible. A onze heures, nous nous arrêtons pour déjeuner et nous occuper des travaux ménagers. Entre une heure et quatre heures il fait trop chaud pour bouger, mais quelques mères s’installent pour coudre derrière leurs huttes. A quatre heures, les enfants plus âgés viennent étudier, et le soir nous sommes à la disposition des adultes. Les plus grands ont l’habitude de venir à l’école de la mission, mais pas les petits. Il arrive que les mères doivent les traîner jusqu’ici, hurlant et se débattant. Ce sont tous des garçons. Il y a une seule fille, Olivia.

Les Olinkas ne considèrent pas que les filles doivent être éduquées. Une mère à qui je demandais pourquoi, m’a expliqué :

- Une fille n’est rien en soi. Seul son mari peut lui permettre de devenir quelque chose.

- Que peut-elle devenir ? lui demandai-je.

- Pourquoi, dit-elle, la mère de ses enfants.

- Pourtant, lui ai-je répondu, je n'ai pas d'enfant, je ne suis pas mère, mais je suis quelque chose.

- Vous n’êtes pas grand-chose, dit-elle. La bonne à tout faire du missionnaire.

Il est vrai que je travaille dur, plus dur que je n'aurais jamais imaginé, je balaie l’école et je nettoie après les heures de service, mais je n’ai pas l’impression d’être une bonne à tout faire. J’ai été surprise d’apprendre que cette femme, dont le nom chrétien est Catherine, me voie ainsi.

Elle a une petite fille, Tashi, qui joue avec Olivia après l’école. Adam est le seul garçon qui parle à Olivia à l’école. Ce n’est pas qu’ils soient méchants avec elle, c’est simplement que… quoi, au fait ? Qu’elle se trouve là où ils font leurs ‘trucs de garçons’, alors ils ne la voient pas. Mais ne t’inquiète pas, Célie, Olivia possède ton entêtement et ta vision claire des choses, elle est plus intelligente que tous les garçons réunis, y compris Adam.

- Pourquoi Tashi ne peut-elle pas venir à l’école ? m’a-t-elle demandé. Quand je lui ai dit que les Olinkas ne croyaient pas à l’éducation des filles, elle m’a répondu, rapide comme l’éclair,

- Ils sont comme les Blancs chez nous qui ne veulent pas que les gens de couleur soient instruits.

Oh, elle est intelligente, Célie. A la fin de la journée, quand Tashi en a terminé avec toutes les tâches ménagères que lui assigne sa mère, elle et Olivia se rencontrent en secret dans ma hutte, et

Olivia partage avec Tashi tout ce qu’elle a appris. Pour Olivia, Tashi représente à elle seule toute l’Afrique. L’Afrique radieuse qu’elle espérait trouver par-delà l’océan.

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Livre lu dans le cadre du Challenge 100 ans de littérature américaine

3 janvier 2010

L'Échappée belle – Anna Gavalda

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (2/26)

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Omnia - mai 2001 – 101 pages

Le dilettante – novembre 2009 - 164 pages

Présentation de l'éditeur :

Simon, Garance et Lola, trois frères et sœurs devenus grands (vieux ?), s'enfuient d'un mariage de famille qui s'annonce particulièrement éprouvant pour aller rejoindre Vincent, le petit dernier, devenu guide saisonnier d'un château perdu au fin fond de la campagne tourangelle. Oubliant pour quelques heures marmaille, conjoint, divorce, soucis et mondanités, ils vont s'offrir une dernière vraie belle journée d'enfance volée à leur vie d'adultes. Légère, tendre, drôle, L'Échappée belle, cinquième livre d'Anna Gavalda aux éditions Le Dilettante, est un hommage aux fratries heureuses, aux belles-sœurs pénibles, à Dario Moreno, aux petits vins de Loire et à la boulangerie Pidoune.

Auteur : Née en 1970, auteur à succès, Anna Galvalda occupe une place de choix dans les rayons de littérature populaire. Après avoir grandi en Eure-et-Loir dans une atmosphère folklorique, Anna Gavalda est envoyée en pension, à 14 ans, à la suite de la séparation de ses parents. Elle suit une hypokhâgne et obtient une maîtrise de lettres à la Sorbonne. Profitant du calme de la Seine-et-Marne et maman de deux enfants, elle cumule les métiers de chroniqueuse pour le cahier Paris-Ile-de-France du Journal du Dimanche, de professeur de français et d'assistante vétérinaire. Cette jeune femme dynamique reçoit le Grand Prix RTL-Lire pour son premier recueil de nouvelles 'Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part' en 1999. Mélange de simplicité, de merveilleuses et tragiques vérités quotidiennes, ce titre ne quitte pas les classements des meilleures ventes pendant des mois et est traduit dans une trentaine de langues. Elle s'essaie les années suivantes à de nouveaux styles, écrit son premier roman et un livre pour enfants. C'est durant l'été 2003 qu'elle commence à travailler sur son quatrième titre, un nouveau roman, 'Ensemble, c'est tout', un véritable succès dans le monde littéraire, critique et public, adapté au cinéma en 2007 par Claude Berri.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ce court roman d'Anna Gavalda est une ré-édition de Le Dilettante, initialement publié par France-Loisirs en 2001. Anna Gavalda est une auteur que j'aime beaucoup, dans ce livre j'ai retrouvé le ton léger et plein de simplicité de «Ensemble, c'est tout». Ici, l'auteur nous raconte la fugue durant un week-end de deux frères et deux sœurs : ils ont la trentaine et le temps de ce week-end, ils vont revivre les souvenirs de leur adolescence. Les personnages sont attachants et vraiment bien décrits : il y a Garance, la narratrice, célibataire, sans situation stable, son frère aîné, Simon, marié à Carine qui « est tout un poème » et il semble satisfait par sa vie bien rangée. Il y a aussi Lola, la sœur aînée, qui sort d'un divorce difficile et le petit dernier, Vincent, qui reste un éternel adolescent.

J'ai pris beaucoup de plaisir à les accompagner dans cette belle «échappée» si agréable et pleine de nostalgie. Dommage que ce livre soit bien trop court !

Extrait : (page 85)

Simon nous a suppliées de ne pas nous parfumer toutes les trois en même temps.

Nous sommes arrivés à Pétaouchnoque dans les temps. J’ai enfilé ma jupe derrière la voiture et nous nous

sommes rendus sur la place de l’église sous les yeux médusés des Pétaouchnoquiens aux fenêtres.

La jolie jeune femme en gris et rose qui discutait avec l’oncle Georges, là-bas, c’était notre maman. Nous lui

avons sauté au cou en prenant garde aux marques de ses baisers.

Diplomate, elle a d’abord embrassé sa belle-fille en la complimentant sur sa tenue, puis s’est tournée vers nous en riant :

– Garance… Tu es superbe… Il ne te manque que le point rouge au milieu du front !

– Manquerait plus que ça, a lâché Carine avant de se précipiter sur le pauvre tonton fané, on n’est pas au carnaval que je sache… Lola a fait mine de me tendre son chapeau et nous avons éclaté de rire.

Notre mère s’est tournée vers Simon :

– Elles ont été insupportables comme ça tout le trajet ?

– Pire que ça, a-t-il acquiescé gravement.

Il a ajouté :

– Et Vincent ? Il n’est pas avec toi ?

– Non. Il travaille.

– Il travaille où ?

– Eh bien, toujours dans son château…

Notre aîné a perdu dix centimètres d’un coup.

– Mais… Je croyais… enfin il m’avait dit qu’il venait…

– J’ai essayé de le persuader mais rien à faire. Tu sais, lui, les petits-fours…

Il semblait désespéré.

– J’avais un cadeau pour lui. Un vinyle introuvable. J’avais envie de le voir en plus… Je ne l’ai pas vu depuis Noël. Oh, je suis tellement déçu… Je vais boire un coup, tiens…

Lola a grimacé :

– Calamba. Il n’est pas dou tout en forme notle Simone…

– Tu m’étonnes, ai-je rétorqué en matant miss Rabat-Joie qui se frottait à toutes nos vieilles tantes, tu m’étonnes…

– En tout cas, vous, mes filles, vous êtes splendides ! Vous allez nous le remonter, vous allez le faire danser

votre frère ce soir, n’est-ce pas ?

Et elle s’est éloignée pour assurer les civilités d’usage. Nous suivions du regard cette petite femme menue. Sa grâce, son allure, son peps, son élégance, sa classe… La Parisienne…

Le visage de Lola s’est rembruni. Deux adorables petites filles couraient rejoindre le cortège en riant.

– Bon, elle a dit, je crois que je vais aller rejoindre Simon, moi… Et je suis restée comme une idiote plantée au milieu de la place, les pans du sari tout flapis.

Pas pour longtemps tu me diras, parce que notre cousine Sixtine s’est approchée en caquetant :

– Hé, Garance ! Harikrishna ! Tu vas à un bal costumé ou quoi ?

J’ai souri comme j’ai pu en me gardant bien de commenter sa moustache mal décolorée et son tailleur vert pomme du Christine Laure de Besançon.

Quand elle s’est éloignée, c’est la tante Geneviève qui s’y est collée :

– Mon Dieu, mais c’est bien toi, ma petite Clémence ? Mon Dieu, mais qu’est-ce que c’est que cette chose en

fer dans ton nombril ? Ça ne te fait pas mal au moins ?

Bon, je me suis dit, je vais aller rejoindre Simon et Lola au café, moi… Ils étaient tous les deux en terrasse.

Un demi à portée de main, la gorge au soleil et les jambes allongées loin devant.

Je me suis assise dans un « crac » et j’ai commandé la même chose qu’eux.

Ravis, en paix, les lèvres festonnées de mousse, nous regardions les bonnes gens sur le pas de leur porte qui glosaient sur les bonnes gens devant l’église. Merveilleux spectacle.

– Hé, ce serait pas la nouvelle femme de ce cocu d’Olivier, là-bas ?

– La petite brune ?

– Nan, la blonde à côté des Larochaufée…

– Au secours. Elle est encore plus moche que l’autre. Mate le sac…

– Faux Gucci.

– Exact. Et même pas la qualité Vintimille. Faux Goutch’ de chez Beijing…

– La honte.

On aurait pu continuer comme ça encore longtemps si Carine n’était pas venue nous chercher :

– Vous venez ? Ça va commencer…

– On arrive, on arrive… a dit Simon, je termine ma bière.

– Mais si on n’y va pas tout de suite, insista-t-elle, on sera mal placés et je ne verrai rien…

– Vas-y, je te dis. Je te rejoins.

– Tu te dépêches, hein ?

Elle était déjà à vingt mètres, quand elle a crié :

– Et passe à la petite épicerie d’en face pour acheter du riz !

Elle s’est encore retournée :

– Pas du trop cher, hein ? Prends pas de l’Uncle Ben’s comme la dernière fois ! Pour ce qu’on en fait…

– Ouais, ouais… il a bougonné dans sa barbe.

On a aperçu la mariée au loin et au bras de son papa. Celle qui allait bientôt avoir une tripotée de petits ratons avec des oreilles de Mickey. On a compté les retardataires et ovationné l’enfant de chœur qui galopait à toute berzingue en se prenant les pieds dans son aube.

Quand les cloches se sont tues et que les autochtones sont retournés à leurs toiles cirées, Simon a dit :

– J’ai envie de voir Vincent.

– Tu sais, même si on l’appelle maintenant, a répondu Lola en soulevant son sac, le temps qu’il vienne…

Un gamin de la noce en pantalon de flanelle et raie sur le côté est passé à ce moment-là. Simon l’a alpagué :

– Hep ! Tu veux gagner cinq parties de flipper ?

– Ouais…

– Alors retourne suivre la messe et viens nous chercher à la fin du sermon.

– Vous me donnez l’argent tout de suite ? Je rêve. Les gamins d’aujourd’hui sont incroyables…

– Tiens, jeune escroc. Et pas de blagues, hein ? Tu viens nous chercher ?

– J’ai le temps d’en faire une maintenant ?

– Allez, vas-y, a soupiré Simon, et après, direction les orgues…

– O.K.

On est restés encore un moment comme ça et puis il a ajouté :

– Et si on allait le voir ?

– Qui ?

– Ben, Vincent !

– Mais quand ? j’ai dit.

– Maintenant.

– Maintenant ?

– Tu veux dire : maintenant ? a répété Lola.

– Tu dérailles ? Tu veux prendre la voiture et partir maintenant ?

– Ma chère Garance, je crois que tu viens de résumer parfaitement le propos de ma pensée.

– Tu es fou, a dit Lola, on ne va pas partir comme ça ?

– Et pourquoi pas ? (Il cherchait de la monnaie dans sa poche.) Allez… Vous venez les filles ?

Nous ne réagissions pas. Il a levé les bras au ciel :

– On se casse, je vous dis ! On se tire ! On met les bouts. On prend la tangente et la poudre d’escampette. On se fait la belle !

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (2/26)

Lu du même auteur :

ensemble_c_est_tout Ensemble, c'est tout   la_consolante La Consolante 

2 janvier 2010

La vaine attente – Nadeem Aslam

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (1/26)

la_veine_attente Seuil – août 2009 – 386 pages

traduit de l'anglais par Claude Demanuelli

Présentation de l'éditeur :

Afghanistan, 2005, à l'ombre des monts de Tora Bora. Dans une maison aux murs ornés de fresques, aux plafonds recouverts de livres cloués, avec sa fabrique où l'on distillait autrefois des parfums, le vieux médecin anglais Marcus Caldwell pleure sa femme Qatrina et sa fille Zameen disparues, et désespère de retrouver son petit-fils Bihzad. Vers ce lieu, où l'amour régnait sous toutes ses formes, où les sens sont tous sollicités, convergent des êtres esseulés. La Russe Lara à la recherche de son frère, soldat de l'armée soviétique; l'Américain David, ancien agent de la CIA, sur les pas de Zameen et de son fils; Casa, jeune orphelin endoctriné par les talibans. Dans ce roman qui jette une lumière crue sur une région brutalisée, à travers les trajectoires de personnages aux destins liés qui apprennent à s'aimer et à faire revivre les êtres aimés, tout s'emboîte de façon inéluctable. A peine s'est-on réfugié dans la maison de Marcus que la sauvagerie du monde extérieur nous agresse. Nadeem Aslam met dans la balance la fragilité des liens humains, de la raison, de l'art, face à la domination de l'ignorance et de la cruauté étayées par une doctrine suffocante. La langue est chargée de parfums et de couleurs, la narration alterne sans répit entre passé et présent. Ce livre poignant et à niveau d'homme restera en mémoire par sa maîtrise impressionnante et l'émotion qu'il génère. On le referme le cœur battant.

Auteur : Nadeem Aslam est est né en 1966 au Pakistan. Sa famille se réfugie dans le nord de l'Angleterre lorsqu'il a 14 ans. L'auteur confirme ici le talent déjà remarqué dans son premier roman traduit en français, La Cité des amants perdus.

Traducteur : Claude Demanuelli, agrégée d'anglais, traduit depuis une vingtaine d'années les ouvrages, entre autres, de John Lanchester, Susan Minot, Zadie Smith, Muriel Spark, Rose Tremain, John Updike, Virginia Woolf, ainsi que nombre d'auteurs anglophones du sous-continent indien, parmi lesquels Arundhati Roy, Hari Kunzru, Shashi Tharoor, Nadeem Aslam et Kiran Desai.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Le récit se passe en Afghanistan, dans une petite ville Usha qui subit constamment la violence de la guerre depuis 1979 avec l'invasion soviétique. Nous sommes en 2005, Marcus Caldwell, un vieux docteur anglais vit dans une maison ornés de fresques persanes, aux plafonds couverts de livres cloués, et où autrefois on y distillait des parfums. Sa femme Qatrina est décédée en 2001 et sa fille Zameen a disparu. Il espère un jour retrouver sa fille et son petit-fils Bihzad. Dans cette maison, véritable Tour de Babel, le lecteur va rencontrer des personnages très différents comme Lara une Russe à la recherche d'un frère disparu, David un ancien agent de la CIA qui recherche Zameen. avec qui il a vécu, Casa un jeune mercenaire fanatisé par le djihad... L'auteur nous dévoile ainsi l'Afghanistan, pays meurtri par la guerre civile, pris en otages par des soldats venus du monde entier puis par le fanatisme religieux.

Dans ce livre se mêle à la fois de la poésie, de la violence, de l'amour, de la cruauté... Le lecteur est plongé directement dans la complexité de la situation de l'Afghanistan aujourd'hui où se côtoie à la fois le raffinement et la beauté à la cruauté et la barbarie. C'est un très beau livre mais pour les âmes sensibles il vaut mieux s'abstenir !

Extrait : (début du livre)

Son esprit est une demeure hantée.

La femme qui se nomme Lara lève les yeux, croyant avoir entendu un bruit. Repliant la lettre qu’elle vient de relire, elle s’approche de la fenêtre qui surplombe le jardin. Dehors, l’aube emplit le ciel de lumière, même si quelques étoiles sont encore visibles.

Au bout d’un moment, elle se détourne et se dirige vers le miroir circulaire appuyé contre le mur du fond. L’apportant jusqu’au centre de la pièce, elle le pose dos contre le sol, doucement, sans un bruit, par égard pour son hôte qui dort dans une pièce voisine. Indifférente à l’image qu’il lui renvoie d’elle-même, elle s’attarde sur le reflet du plafond qu’elle y voit dans la lumière pâle de l’avant-jour.

Le miroir est grand : à supposer que le verre soit de l’eau, elle pourrait plonger et disparaître sans en toucher les bords. Sur le vaste plafond, il y a des centaines de livres, chacun maintenu en place par un clou qui le transperce de part en part. Une pointe de fer enfoncée dans les pages de l’Histoire, dans celles de l’amour, celles du sacré. À genoux sur le sol poussiéreux à côté du miroir, elle essaie de déchiffrer les titres. Les mots sont inversés, mais la tâche se révèle plus facile que si elle restait des minutes entières la tête renversée à regarder le plafond.

Aucun bruit hormis celui de sa respiration régulière et, dehors, le bruissement de la brise agitant de ses robes ondoyantes le jardin envahi par les mauvaises herbes.

Elle fait glisser le miroir sur le sol, comme si elle passait à une autre section d’une bibliothèque.

Les livres sont tous là-haut, les gros comme ceux qui ne sont pas plus épais que les parois du coeur humain. De temps à autre l’un d’eux tombe de lui-même, à moins qu’on ne choisisse de déloger l’ouvrage voulu grâce au maniement judicieux d’une perche en bambou.

Originaire de la lointaine Saint-Pétersbourg, elle a accompli un long voyage pour arriver dans ce pays, celui qu’Alexandre le Grand a traversé sur sa licorne, cette terre de vergers légendaires et d’épaisses forêts de mûriers, de grenadiers qui ornent les frises de manuscrits persans écrits voilà plus de mille ans.

Son hôte s’appelle Marcus Caldwell. Anglais de naissance, il a passé la majeure partie de sa vie ici en Afghanistan, après avoir épousé une Afghane. Il a soixante-dix ans, et sa barbe blanche, ses gestes mesurés évoquent ceux d’un prophète, un prophète déchu. Elle n’est là que depuis quelques jours et ne sait rien ou presque de cette main gauche que Marcus a perdue. La coupe de chair qu’il pouvait former avec les paumes de ses mains est brisée en deux. Un jour, tard dans la soirée, elle l’a interrogé à ce propos, avec délicatesse, mais il s’est montré si réticent qu’elle n’a pas insisté. En tout état de cause, il n’est besoin d’aucune explication dans ce pays. Il ne serait guère surprenant qu’un jour les arbres et les vignes d’Afghanistan cessent de pousser, de peur que leurs racines en continuant de croître entrent en contact avec une mine enfouie à proximité.

Elle approche sa main de son visage pour respirer l’odeur du santal déposée sur ses doigts par le cadre du miroir. Le bois d’un santal sur pied ne sent rien, lui a dit Marcus l’autre jour, le parfum ne prenant corps qu’une fois l’arbre coupé.

À la manière de l’âme qui quitte l’enveloppe charnelle après la mort, songe-t-elle.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (1/26)

30 décembre 2009

Challenges 2010

Après les deux premiers challenges auxquels je me suis inscrite mi-novembre et qui sont en cours :

coeur_vs31er challenge : Les coups de coeur de la blogosphère

livre n°1 :   Seule Venise - Claudie Gallay  proposé par Gil

livre n°2 :  Elle s'appelait Sarah - Tatiana de Rosnay proposé par Suffy

livre n°3 : L'attrape-cœurs - J. D. Salinger proposé par Anneso

livre n°4 : Mon enfant de Berlin -Anne Wiazemsky  proposé par Clarabel

livre n°5 :  Ravel - Jean Echenoz proposé par Denis

livre n°6 : Le cœur est un chasseur solitaire - Carson McCullers proposé par Brize

livre n°7 :  Le club des incorrigibles optimistes - Jean-Michel Guenassia proposé par Clarabel

livre n°8 : A l'ouest - Olivier Adam proposé par Amy

livre n°9 : La mécanique du cœur - Mathias Malzieu proposé par Lael

livre n°10 : Hunger games - Suzanne Collins proposé par Clarabel et Gawou

challenge_100_ans_article_300x225 2ème challenge : 100 ans de littérature américaine

livre n°1 :  Jours de fête à l'hospice - John Updike

livre n°2 :  L'attrape-cœurs - J. D. Salinger

livre n°3 :  La couleur pourpre – Alice Walker

livre n°4 :  Le cœur est un chasseur solitaire - Carson McCullers

livre n°5 :  Un été prodigue – Barbara Kingsolver 

En cette fin d'année, je me suis inscrite à de nouveaux challenges :

a_lire_et_a_manger 3ème challenge : A lire et à manger

Ce challenge est organisé par Chiffonette et il s'agit de lire un roman culinaire et d'en adapter une recette...

Je n'ai pas encore choisi le livre pour ce Challenge... peut-être Une gourmandise de Muriel Barbery qui se trouve dans ma PAL (perso).

logo_challenge_ABC 4ème challenge : Challenge ABC 2010

Challenge organisé par Miss Giny et Ankya, il s'agit de lire 26 livres avec un auteur pour chaque lettre de l'alphabet... certaines lettres sont difficiles à trouver !

Voici ma liste qui peut encore un peu évoluer :

A – Aslam Nadeem - La veine attente

B – Benameur Jeanne – Présent ?

C – Conroy Pat – Le prince des marées

D - Decoin Didier - Les 3 vies de Babe Ozouf

E – Echenoz Jean – Ravel

F – Follett Ken – Un monde sans fin

ou Francis Scott Fitzgerald - L'étrange histoire de Benjamin Button

G – Gavalda Anna - L'échappée belle

H – Heuré Gilles - L'homme de cinq heures

I – Indridason Arnaldur – Hypothermie (à paraître)

J – Johnson Maureen – 13 petites enveloppes bleues

K – Kingsolver Barbara - Un été prodigue

L – Läckberg Camilla – Le tailleur de pierre

M – Mankell Henning

N – Nesbo Jo

O - Ovaldé Véronique - Ce que je sais de Véra Candida

P – Perez-Reverte Arturo – Le cimetière des bateaux sans noms ou Le peintre des batailles

Q – Queffelec Yann - Les noces barbares

R – Radge Anne B. – La ferme des Neshov (à paraître)

S – Saubade Valérie - Happy Birthday grand-mère

T – Tropper Jonathan - Perte et fracas

U – Unger Lisa

V – de Vigan Delphine - Les heures souterraines 

W – Winkler Martin - Les Trois Médecins

X - Xinran - Chinoises

Y - ?

Z – Zweig Stefan - Le voyage dans le passé

logo_coup_de_coeur_polar_oiseaux_coeur 5ème challenge : Coup de coeur polar 2009

Challenge organisé par Fersenette, chaque participant fait une liste de ses 3 coups de coeur polar en 2009, puis il lira un des coups de coeur proposé qu'il ne connaît pas.

Mes trois polars coups de coeur pour 2009 sont :

1 - Millénium 1, 2 et 3 de Stieg Larsson (Suède)

2 - Hiver arctique de Arnaldur Indridason (Islande)

3 - La princesse de glace de Camilla Läckberg (Suède)

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