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A propos de livres...
france
12 avril 2009

Le rapport Brodeck - Philippe Claudel

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Stock – août 2007 – 410 pages

Livre de Poche - avril 2009 - 374 pages

Prix Goncourt des lyçéens 2007

Mot de l'éditeur :
Le métier de Brodeck n’est pas de raconter des histoires. Son activité consiste à établir de brèves notices sur l’état de la flore, des arbres, des saisons et du gibier, de la neige et des pluies, un travail sans importance pour son administration. Brodeck ne sait même pas si ses rapports parviennent à destination. Depuis la guerre, les courriers fonctionnent mal, il faudra beaucoup de temps pour que la situation s’améliore.
« On ne te demande pas un roman, c’est Rudi Gott, le maréchal-ferrant du village qui a parlé, tu diras les choses, c’est tout, comme pour un de tes rapports. »
Brodeck accepte. Au moins d’essayer. Comme dans ses rapports, donc, puisqu’il ne sait pas s’exprimer autrement. Mais pour cela, prévient-il, il faut que tout le monde soit d’accord, tout le village, tous les hameaux alentour. Brodeck est consciencieux à l’extrême, il ne veut rien cacher de ce qu’il a vu, il veut retrouver la vérité qu’il ne connait pas encore. Même si elle n’est pas bonne à entendre.
« A quoi cela te servirait-il Brodeck ? s’insurge le maire du village. N’as-tu pas eu ton lot de morts à la guerre ? Qu’est-ce qui ressemble plus à un mort qu’un autre mort, tu peux me le dire ? Tu dois consigner les événements, ne rien oublier, mais tu ne dois pas non plus ajouter de détails inutiles. Souviens-toi que tu seras lu par des gens qui occupent des postes très importants à la capitale. Oui, tu seras lu même si je sens que tu en doutes... » Brodeck a écouté la mise en garde du maire.
Ne pas s’éloigner du chemin, ne pas chercher ce qui n’existe pas ou ce qui n’existe plus. Pourtant, Brodeck fera exactement le contraire.

Auteur : Né à Dombasle-sur-Meurthe le 02 février 1962 et considéré comme l'un des meilleurs auteurs contemporains, Philippe Claudel est à la fois enseignant, scénariste et écrivain. Maître de conférences à l'université de Nancy, il enseigne à l'Institut européen du cinéma et de l'audiovisuel.
Depuis son premier roman, 'Meuse l'oubli', paru en 1999, l'écrivain lorrain enchaîne les succès littéraires. 'J' abandonne', en 2000, lui a permis de recevoir le prix France Télévisions. Il enchaîne avec 'Le Bruit des trousseaux', tiré de son expérience de professeur de français dans les prisons, puis 'Les Petites Mécaniques' sont récompensées par la bourse Goncourt de la nouvelle en 2003. Avec ses 'Ames grises', œuvre unanimement reconnue par la critique, Philippe Claudel est lauréat du prix Renaudot en 2003 et parrain du 16e Festival du premier roman la même année. Il publie encore 'Trois petites histoires de jouets' et 'La Petite Fille de monsieur Linh' en 2005. Ponctuel, il revient l'année suivante avec 'Le Monde sans les enfants', dans lequel il aborde les tabous de notre société, dont la maltraitance, la guerre ou la mort. En 2007 sort 'Le Rapport de Brodeck', dans la lignée de son maître Jean Giono. En 2008, il réalise son premier film 'Il y a longtemps que je t'aime' avec Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein. Par ses romans, l'auteur nous emmène dans un univers imperceptible néanmoins empreint de réalité. Philippe Claudel a sa place parmi les grands romanciers du XXIe siècle.

Mon avis : (lu en décembre 2007)
Ce livre est à la fois magnifique, bouleversant mais aussi terrifiant.
Brodeck doit faire un rapport sur un fait qui a eu lieu dans son village. Ce fait est le meurtre collectif de "l'Anderer" (l'étanger). Brodeck ne va pas faire un simple rapport, il veut également rapporter toute la genèse de l'évènement. Il veut laisser un témoignage le plus complet possible et ainsi participer à la mémoire collective. Brodeck décrit tout simplement, sans émettre aucun jugement.
Ce conte est intemporel. On n'a aucune notion précise du lieu et de la période où se situe cette histoire. Tout ce que l'on sait, on le devine en lisant entre les lignes, en interprétant chaque détail. C'est untrès grand roman universel qui parle des hommes, de leurs peurs et de leur lâcheté, de la mémoire et de l'oubli aussi, et comment les hommes choisissent d'accommoder leur vie pour continuer à vivre.
L'écriture de ce livre est très belle, fluide et d'une simplicité apparente, ce livre est à la fois un leçon de français, d'humanité et d'histoire.

Extrait : "Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache. Moi je n’ai rien fait, et lorsque j’ai su ce qui venait de se passer, j’aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu’elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer. Mais les autres m’ont forcé : « Toi, tu sais écrire, m’ont-ils dit, tu as fait des études. » J’ai répondu que c’étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d’ailleurs, et qui ne m’ont pas laissé un grand souvenir. Ils n’ont rien voulu savoir : « Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses. Ça suffira. Nous on ne sait pas faire cela. On s’embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croiront. Et en plus, tu as la machine. »

La machine, elle est très vieille. Plusieurs de ses touches sont cassées. Je n’ai rien pour la réparer. Elle est capricieuse. Elle est éreintée. Il lui arrive de se bloquer sans m’avertir comme si elle se cabrait. Mais cela, je ne l’ai pas dit car je n’avais pas envie de finir comme l’Anderer.

Ne me demandez pas son nom, on ne l’a jamais su. Très vite les gens l’ont appelé avec des expressions inventées de toutes pièces dans le dialecte et que je traduis : Vollaugä – Yeux pleins – en raison de son regard qui lui sortait un peu du visage ; De Murmelnër – Le Murmurant – car il parlait très peu et toujours d’une petite voix qu’on aurait dit un souffle ; Mondlich – Lunaire – à cause de son air d’être chez nous tout en n’y étant pas ; Gekamdörhin – celui qui est venu de là-bas.

Mais pour moi, il a toujours été De Anderer – l’Autre –, peut-être parce qu’en plus d’arriver de nulle part, il était différent, et cela, je connaissais bien : parfois même, je dois l’avouer, j’avais l’impression que lui, c’était un peu moi. Son véritable nom, aucun d’entre nous ne le lui a jamais demandé, à part le maire une fois peut-être, mais il n’a pas, je crois, obtenu de réponse. Maintenant, on ne saura plus. C’est trop tard et c’est sans doute mieux ainsi. La vérité, ça peut couper les mains et laisser des entailles à ne plus pouvoir vivre avec, et la plupart d’entre nous, ce qu’on veut, c’est vivre. Le moins douloureusement possible. C’est humain. Je suis certain que vous seriez comme nous si vous aviez connu la guerre, ce qu’elle a fait ici, et surtout ce qui a suivi la guerre, ces semaines et ces quelques mois, notamment les derniers, durant lesquels cet homme est arrivé dans notre village, et s’y est installé, comme ça, d’un coup.

Pourquoi avoir choisi notre village ? Il y en a tellement des villages sur les contreforts de la montagne, posés entre les forêts comme des œufs dans des nids, et beaucoup qui ressemblent au nôtre. Pourquoi avoir choisi justement le nôtre, qui est si loin de tout, qui est perdu ?

Tout ce que je raconte, le moment où ils ont dit qu’ils voulaient que ce soit moi, ça s’est passé à l’auberge Schloss, il y a environ trois mois. Juste après… juste après le… je ne sais pas comment dire, disons l’événement, ou le drame, ou l’incident. À moins que je dise l’Ereigniës. Ereigniës, c’est un mot curieux, plein de brumes, fantomatique, et qui signifie à peu près, « la chose qui s’est passée ».

C’est peut-être mieux de dire cela avec un terme pris dans le dialecte, qui est une langue sans en être une, mais qui épouse si parfaitement les peaux, les souffles et les âmes de ceux qui habitent ici. L’Ereigniës, pour qualifier l’inqualifiable. Oui, je dirai l’Ereigniës.

Cela venait donc de se produire. À l’exception de deux ou trois vieillards demeurés près de leurs fourneaux, et sans doute du curé Peiper qui devait cuver sa prune quelque part dans sa petite église aux murs larges comme l’envergure d’un aigle, tous les hommes étaient là, dans l’auberge qui est comme une grosse caverne un peu sombre, étouffée de fumée de tabac et de fumée d’âtre, hébétés, assommés par ce qui venait de se passer, et dans le même temps, comment dire, soulagés, parce qu’il fallait bien que ça se termine, d’une façon ou d’une autre. On n’en pouvait plus, vous savez.

Chacun était comme replié dans son silence, même si à presque quarante personnes dans l’auberge, on se trouvait serrés comme des joncs de saule dans un fagot, à s’étrangler, à sentir les odeurs des autres, leurs haleines, leurs pieds, la poisse âcre de leur sueur, de leurs vêtements humides, de vieille laine et de drap, frottés de poussière, de forêt, de fumier, de paille, de vin et de bière, surtout de vin. Ce n’est pas que les uns et les autres étaient saouls, non, ce serait trop facile l’excuse de l’ivresse. On gommerait d’un coup toute atrocité. Trop simple. Beaucoup trop simple. Je vais essayer de ne pas réduire ce qui est très difficile, et complexe. Je vais essayer. Je ne promets pas que j’y arriverai. Que l’on me comprenne bien, je le redis, moi, j’aurais pu me taire, mais ils m’ont demandé de raconter, et quand ils m’ont demandé cela, la plupart avaient les poings fermés ou les mains dans les poches, que j’imaginais serrées autour des manches de leurs couteaux, ceux-là mêmes qui venaient juste de… Il ne faut pas que j’aille trop vite, mais c’est difficile parce que je sens maintenant dans mon dos des choses, des mouvements, des bruits, des regards. Depuis quelques jours, je me demande si je ne me change pas peu à peu en gibier, avec toute une battue à mes trousses et des chiens qui reniflent. Je me sens épié, traqué, surveillé, comme si toujours désormais il y avait quelqu’un derrière mon épaule pour saisir le moindre de mes gestes et lire dans mon cerveau.

J’y reviendrai à ce à quoi les couteaux ont servi. Forcément j’y reviendrai. Ce que je voulais dire, c’est que refuser ce qu’on vous demande, dans cette humeur si particulière où tout le monde a encore la tête pleine de sauvagerie et d’idées de sang, ce n’est pas possible, et c’est même très dangereux. Donc, j’ai accepté, bien malgré moi. Je me suis simplement trouvé dans l’auberge, au mauvais moment, quelques minutes après l’Ereigniës, à ce moment de stupeur qui est un moment de bascule et d’indécision, où l’on se raccrochera au premier qui ouvrira la porte, soit pour en faire un sauveur, soit pour le tailler en pièces.

 

Challenge Prix Goncourt des Lycéens
2007

Challenge Goncourt des Lycéens
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chez Enna

Déjà lu du même auteur : 

les_ames_grises Les âmes grises la_petite_fille La petite fille de Monsieur Linh 
 le_monde_sans_les_enfants1 
Le monde sans les enfants  

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11 avril 2009

Le monde sans les enfants et autres histoires – Philippe Claudel

le_monde_sans_les_enfants   le_monde_sans_les_enfants1

Stock – octobre 2006 – 181 pages

LGF - mars 2008 – 153 pages

Présentation de l’éditeur
Les enfants aujourd'hui ne s'en laissent pas conter, mais ce sont néanmoins des enfants, avec leurs angoisses, leur naïveté, leurs interrogations, leurs espoirs. Ces histoires, souvent cocasses et drôles, leur ouvrent une fenêtre poétique et parfois philosophique sur le monde. Au fil des pages, on croise des fées maladroites, des balayeuses de soucis, des chasseurs de cauchemars, des fillettes qui inventent des vaccins pour rendre les gens heureux, et d'autres personnages pleins de tendresse.

Toujours avec pudeur et émotion, Philippe Claudel aborde, grâce à eux, des sujets graves ou tabous, comme la maltraitance, la maladie, la guerre, la mort, la différence, mais aussi tout simplement ces petites peurs ou ces complexes que l'on doit vaincre pour devenir grand. Ces histoires à partager en famille sont une invitation au dialogue, au débat avec les adultes une fois le livre refermé car les grandes personnes oublient trop facilement les enfants qu'elles ont été, et leur responsabilité à l'égard des générations à venir. De superbes illustrations de Pierre Koppe accompagnent ce livre touchant et poétique, pour petits et grands.

Quatrième de couverture (LGP)
Vingt histoires, à dévorer, à murmurer, à partager. Vingt manières de rire et de s’émouvoir. Vingt prétextes pour penser à ce que l’on oublie et pour voir ce que l’on cache. Vingt chemins pour aller du plus léger au plus sérieux, du plus grave au plus doux. Vingt façons de se souvenir de ce qu’on a été et de rêver à ce que l’on sera. Vingt regards pour saisir le monde, dans sa lumière et dans ses ombres. Vingt raisons de rester des enfants ou de le redevenir. Vingt sourires. Vingt bonheurs. Vingt battements de cœur.

Auteur : Philippe Claudel est né en 1962. Auteur notamment des Ames grises (Stock, 2003) et de La petite fille de Monsieur Linh (Stock, 2005). Ses livres sont traduits en plus de vingt-cinq langues.

Mon avis : (lu en novembre 2006 et relu en avril 2009)
C’est un ensemble de 20 histoires ou poèmes autour de l'enfance. Ce livre est très touchant, il nous montre à quel point il est important de rester enfant, ou de le redevenir pour continuer d'espérer, de rêver, de voir le monde en couleur.

Dans ces vingt textes courts plein de poésies, de tendresses, de drôlerie et de réflexion sur notre monde, on trouve un monde où tous les enfants ont disparu, un grand-père qui ne trouve pas d'histoire à raconter à ses petits enfants, Coraline qui ne croit pas au pouvoir d'une fée, Louis qui fait d'horribles cauchemars, Lucas qui disparaît dans les pages d'un livre, Wahid, le petit voisin, qui explique que pas très loin de chez nous, tout à côté, il y a la guerre, comme dans les films sauf que chez lui à Bagdad ce n'est pas un film et qu'il y a des morts et pas des morts qui se relèvent après avoir joué aux morts. Non, des vrais morts qui restent morts tout le temps et pour toujours... Il y a aussi Zazie qui invente un vaccin pour rendre les gens gentils, Juju qui ne s'aimait pas du tout, la petite fille à la bulle, Raymond un vieux chasseur de cauchemars, Jaimé, fillette de 6 ans, qui travaille sur un grand tas d'ordures, un petit âne qui voulait devenir blanc, le gros Marcel, la petite fille qui ne parlait jamais, Léon qui regardait trop la télévision...

J'ai beaucoup aimé ce livre en particulier les nouvelles « Le petit voisin » et « Jaimé ». Ce livre peut être lu aussi bien par les adultes que des pré-ados.

Extrait : (page 64)
Chaque matin, lorsque je vais à l'école, enfin ce qui reste de mon école car les murs et le toit sont percés comme une passoire, je dois faire très attention, c'est ce que me dit ma mère. Je pense que la tienne te dit la même chose, c'est normal, les mères, elles sont toujours inquiètes pour leurs enfants.
Je suppose que, quand tu traverses la route, tu dois faire attention aux voitures qui passent. Moi, c'est comme toi, mais je dois aussi faire attention aux voitures qui ne roulent pas. Celles qui sont arrêtées, immobiles, avec personne dedans, parce que de celles-là, il y en a tous les jours qui explosent, sans prévenir. Le problème, c'est qu'on ne sait pas distinguer celles qui vont exploser de celles qui sont inoffensives, qui sont de vraies voitures quoi !

Extrait : (page 101)
Jaimé marche sur le chemin de la décharge
Elle tient dans sa main droite
Un grand crochet de fer
Dans sa main gauche
Le bras de son petit frère

Demain je quitterai la ville
J'aurai un bel habit très blanc
Et je rendrai visite à mon prince charmant

Jaimé fillette de six ans
Se lève bien avant le soleil
Et se couche après lui
Elle a des cheveux d'or
des yeux couleur de miel
Une peau de cuivre clair

Demain je ferai le tour de la Terre
J'aiderai toujours mon père et ma mère
Mes six soeurs et mes trois frères
Je mangerai deux fois par journaliste
J'aurai une vraie maison
De pierre de brique ou bien de bois

Déjà lu du même auteur : 

les_ames_grises Les âmes grises la_petite_fille La petite fille de Monsieur Linh 

 

 

 

11 avril 2009

La grand-mère de Jade – Frédérique Deghelt

la_grand_m_re_de_Jade Actes Sud – janvier 2009 – 391 pages

Présentation de l'éditeur
J'ai beaucoup lu, depuis très longtemps. Je suis une lectrice assidue, une amoureuse des livres. On pourrait le dire ainsi. Les livres furent mes amants et avec eux j'ai trompé ton grand-père qui n'en n'a jamais rien su pendant toute notre vie commune. Jade eut l'impression que Mamoune lui assénait cette révélation comme si elle avait fait le trottoir, transformant la lecture en une activité inavouable.

Mot de l'éditeur :
Une jeune femme moderne « kidnappe » sa grand-mère pour lui éviter la maison de retraite. Frédérique Deghelt livre un intimiste récit à deux voix. A travers le charme délicat de l’aveu, d’une écriture légère, elle procure à ses personnages la force et l’audace de réinventer leur vie. Pour éviter à sa grand-mère – Mamoune au parfum de violette et de fleur d’oranger – un placement en maison de repos, Jade « l’enlève » et l’installe dans son appartement parisien. L’octogénaire savoyarde et la jeune femme célibataire, journaliste indépendante, vont tisser avec douceur et simplicité une vie commune nourrie de leurs souvenirs. Mais, derrière les choses ténues du quotidien, c’est l’émouvante tragédie de la vie qui se déroule. Celle-ci se dévoile dans les récits croisés des deux femmes, l’une, écrivain en devenir, l’autre, lectrice passionnée qui a secrètement fait de ses montagnes savoyardes son cabinet de lecture. Se construit alors un échange littéraire au cours duquel elles se livrent et se découvrent. Jade, qui concevait sa vie sans ancrages ni repères, apprend de sa grand-mère que c’est dans la confiance et l’acceptation de l’autre, et seulement là, que l’on a des chances d’être soi. Grâce à Mamoune, touchante dans sa dignité chancelante, l’appartement de Jade devient le lieu de tous les possibles. Habilement, de sa prose douce et bienveillante, Frédérique Deghelt nous raconte la libération d’une jeune femme perdue dans l’agitation de sa vie. Et livre le portrait étonnant et tendre d’une grand-mère en qui éclot un sentiment amoureux imprévisible.

Biographie de l'auteur
Journaliste et réalisatrice de télévision, voyageuse infatigable, avec Paris pour port d'attache, Frédérique Deghelt a publié en 1995 aux éditions Sauret, un premier roman, La valse renversante et chez Actes Sud, La vie d'une autre (2007), je porte un enfant et dans mes yeux l'étreinte sublime qui l'a conçu (2007).

Mon avis : 5/5 (lu en avril 2009)

Ce livre m'a été plusieurs fois conseillé et lorsque son tour est arrivé dans ma PAL, je l'ai pris en mains avec envie et je n'ai pas été déçue, j'ai adoré.

Ce livre est plein de tendresse, j'ai beaucoup aimé cette complicité qu'il y a entre Jade et sa grand-mère. "Mamoune" est une vieille dame exceptionnelle, cultivée, remplie de joie de vivre. Comme Jade, elle a une passion pour les mots, les belles phrases qui ont du sens. Elles vont se découvrir l'une et l'autre avec douceur et simplicité.

J'ai passé un formidable moment de lecture que j'aurai voulu prolonger longtemps... Je savais que la fin était surprenante, et pas un instant je ne l'avais imaginée ainsi ! Ce livre m'aura donné beaucoup de bonheur et d'émotions multiples. A lire absolument si comme moi, vous aimez les livres et lire !

Extrait : « Je suis entrée dans les livres par effraction, sans l'instruction qui donne le goût et l'aptitude à la lecture. En ouvrant des livres, j'ai choisi la pire chose qu'une femme de mon milieu puisse faire. J'ai contemplé un monde qui m'était interdit. J'avais parfaitement conscience que ce n'était pas le mien. Je l'ai contemplé longtemps. Puis j'ai refermé la porte, mais il m'était désormais impossible d'oublier  ce que j'avais entrevu : un espace immense dont je ne pourrais plus me passer. Pourquoi  ai-je passé ma vie à effectuer des allers-retours entre la terre sur laquelle je suis née et celle que je convoitais sans jamais la sentir mienne ? J’ai pris bien soin de refermer la porte derrière moi, de ne jamais mélanger mes deux vies : celle de la petite montagnarde et celle de la lectrice de romans.

Quand je vivais dans la première, penser que la seconde existait me donnait de la force puis, quand je rejoignais la seconde, je ne pensais plus qu’il puisse en exister une autre. J’ai changé ce qui était au départ une grande timidité en manière de vivre.

Et puis j’ai découvert comment le monde des livres fort de son savoir avait parfois éliminé le mien, celui des contes inlassablement répétés au coin du feu. Des histoires qui auraient été écrites par ceux qui venaient de chez moi s’évaporaient dans la nature dont elles étaient issues. Leurs auteurs oubliaient leurs origines trop modestes.

Je suis une femme entre deux cultures. Je sais le nom de chaque plante et leurs vertus thérapeutiques que ma mère m’a enseignées. Je connais plus d’histoires que mon fils n’en a dans sa bibliothèque. Lui ne sait plus rien, il a des livres. Avant que la météo ne m’annonce les erreurs du lendemain, le ciel m’a murmuré ce que ne disent pas les images satellites. J’ai appris cela avec mon grand-père qui était berger. Lui ne savait pas lire et disait que la mort se moque des livres et des savoirs. Il n’y a pas de mode d’emploi, de guide de l’au-delà disponible en librairie ou enseigné par qui que ce soit. Une lueur d’infini peut-être. Tout ce qui meurt dans la nature finit par renaître. Est-ce un espoir pour autant ? »

5 avril 2009

La Trahison de Thomas Spencer - Philippe Besson

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Julliard – janvier 2009 – 265 pages

Présentation de l'éditeur
Ils ne sont pas frères, mais se disent jumeaux. Paul et Thomas sont, en effet, nés le même jour. Ce hasard les a rendus inséparables. Leur enfance se déroule à Natchez, dans le Sud des États-Unis, au fil de baignades inoubliables dans le fleuve Mississippi. Les années 1950 sont, pour eux, un âge d'or. La télévision, petite lucarne sur l'extérieur, délivre les images toutes faites d'une Amérique triomphante. Les années 1960 ont le goût de la jeunesse. Paul et Thomas connaissent des heures inoubliables. Pendant longtemps, ils croient leur amitié inaltérable. Jusqu'à leur rencontre avec Claire, une jeune femme libre. Donc dangereuse...
Un parcours de trente ans dans une Amérique ambivalente, traversée par des conflits politiques qui révèlent ses contradictions. De la guerre de Corée à celle du Vietnam, de l'assassinat de Kennedy à celui de Martin Luther King, des soubresauts de la ségrégation à l'incendie des campus universitaires, l'Amérique n'en finit pas de se tordre dans ses propres convulsions. Et de trahir ses valeurs. De son côté, Thomas est embarqué dans les mouvements de révolution des murs, tandis que Paul choisit, lui, l'engagement militaire contre les vietcongs. Des divergences d'opinion qui les conduiront à commettre chacun l'irréparable.

L'auteur : Philippe Besson, né en 1967, est l'auteur de En l'absence des hommes, Son frère (porté à l'écran par Patrice Chéreau), L'Arrière-saison (grand prix RTL-Lire), Un garçon d'Italie, Les Jours fragiles, Un instant d'abandon, Se résoudre aux adieux et Un homme accidentel. Ses romans sont traduits dans dix-sept langues. Il a entamé une collaboration avec André Téchiné.

Mon avis : (lu en avril 2009)

C'est le premier roman de Philippe Besson que je lis.

En toile de fond c'est l'histoire des États-Unis pendant 30 ans à partir du jour où Hiroshima a été détruite par la bombe atomique, le 6 août 1945, ce jour là c'est aussi le jour de la naissance de Thomas Spencer et Paul Bruder, ils ont chacun un vide dans leur vie : père disparu pour Thomas et frère décédé pour Paul. Ils vont devenir inséparables. Nous sommes dans le sud américain profond, et l'ambiance y est merveilleusement décrite. Nous allons les suivre pendant leur enfance, durant l'adolescence avec les premiers émois amoureux, les premières petites amis, la séparation pour l'université... et puis leur rencontre avec Claire MacMullen. Cette histoire d’amitié entre Paul et Thomas plus que frères, de véritables jumeaux est vraiment très belle. L'écriture est simple, fluide. J'ai passé un excellent moment de lecture.

Extrait : (page 33)
Nous avons grandi avec ces instants de recueillement. Avec cette mollesse, parfois, qui s'accordait bien à la torpeur de nos étés. Je dis recueillement et ce n'est pas tout à fait par hasard. En effet, nous n'étions pas seulement dans une indolence qui aurait pu paraître effrayante tant elle ressemblait à de l'hébétude : nous partagions quelque chose aussi, il se produisait un échange entre nous, une communion, comme à l'église, mieux qu'à l'église. Une communion secrète, mutique, mais bien réelle. Avec le recul, j'ai acquis la conviction que c'est dans ces heures inertes et silencieuses que notre amitié s'est forgée, est devenue cette chose dure, ronde, et rassurante. (...) Nous nous aimions, et nous empruntions des voies détournées pour le comprendre.

Extrait : (page 61)
Je me souviens parfaitement du visage et de l'allure de cet homme. C'est stupéfiant comme la photographie est nette. Il était blond, la peau claire, les traits fins. Il avait des épaules rondes. Il portait une chemise de lin beige. Je dois admettre qu'il était beau. Il est devenu d'une absolue laideur à l'instant où il a posé ses doigts sur la joue de ma mère.

Extrait : (page 157)
Nous avons dormi dans un motel dont j'ai oublié le nom (peut-être n'en avait-il pas). La chambre était miteuse (nous n'avions pas d'argent). Elle donnait sur une mangrove superbe plantée de palétuviers fantomatiques ; dans le lointain, on apercevait des maisons créoles. La logeuse qui nous a reçus, une grosse femme aux seins lourds et aux cheveux collants, nous a regardés d'un sale œil. Au début, nous avons cru qu'elle rechignait à louer à des jeunes gens. Son établissement n'était pourtant pas du genre à se montrer sélectif. Nous avons compris plus tard qu'elle éprouvait le plus vif dégoût pour les garçons qui dormaient dans le même lit. Il aurait été facile de lui expliquer que nous étions fauchés. Il était plus facile encore de la laisser mariner dans sa bêtise et dans sa graisse.

10/18 – janvier 2010 – 265 pages

3 avril 2009

Les mains nues - Simonetta Greggio

les_mains_nues Stock – février 2009 – 169 pages

Présentation :
Emma est vétérinaire de campagne. À quarante-trois ans, au beau milieu d'une vie rude, autarcique et solitaire, elle voit débarquer le jeune Giovanni, adolescent fugueur de quatorze ans, dont elle a autrefois connu les parents, Micol et Raphaël. Ce qui s'est joué entre eux, elle a voulu l'oublier, l'enfouir au plus profond. Elle souhaiterait que Giovanni parte, mais il reste. Et s'installe peu à peu entre eux une histoire tendre, fiévreuse et maladroite. Lorsque Micol revient chercher son fils, elle croit comprendre l'irréparable, la liaison entre Emma et Gio. Il y aura procès. Il y aura vengeance. Mais de quoi, et de qui, se venge-t-on ? D'un amour qui reste tabou ? Ou d'un passé dont les blessures ne se sont pas refermées ?

L'auteur :

Italienne, Simonetta Greggio écrit en français. Elle a publié chez Stock deux romans, La douceur des hommes (2005) et Col de l'Ange (2007), et une longue nouvelle, Etoiles (Flammarion, 2006). Elle a également participé à un recueil de nouvelles intitulé Huit (Calmann-Lévy, 2008).

Mon avis : (lu en avril 2009)

Ce livre nous dresse le beau portrait  d’Emma, une femme aux mains nues et rugueuses. Emma est vétérinaire à la campagne : elle ne ménage pas sa peine, elle ne compte pas son temps, il n’y a pas de congés pour elle. Elle habite seule dans une campagne rude.

Quand elle avait 25 ans, elle a beaucoup aimé Raphaël.

Maintenant elle a 43 ans, Gio le fils de Raphaël a bientôt 15 ans, il fuit sa famille et vient passer l’été avec Emma. Malgré la différence d’âge, une histoire d’amour va naître…

Cet amour tabou va être puni par un procès, mais aussi par l’exclusion de la part des bien-pensants.

Le sujet est délicat, mais ce roman est tout en subtilité, beaucoup de sensibilité et de justesse. Il y a de la noblesse dans les sentiments évoqués : l’amitié, l’amour filial, l’amour pour les hommes, l’amour pour les animaux. Le livre est bien écrit et se lit avec plaisir.

Extrait : (début du livre)

«Cette nuit, comme tant d’autres, je ne dors pas. Je reviens en arrière et je repense à nous, à ce que nous aurions dû être, à ce que nous avons été. J’essaie de comprendre ce qui nous a poussés à agir comme nous l’avons fait. A quel moment la vie nous a donné le choix, et pourquoi nous l’avons dédaigné. Mais changer de direction aurait été renoncer à soi-même. Ce que nous n’avons pas fait.

   Le jour où tout a commencé – recommencé, devrais-je dire -, je n’avais aucune idée que, né du cœur même de mon histoire, nid de vipères dans ma réserve de bois pour l’hiver, avant le soir quelqu’un allait frôler ma joue du bout du doigt et, aussi inévitable que l’explosion d’une bombe à retardement, ce simple geste allait se répercuter non seulement sur mon avenir mais aussi sur la vision que j’avais de mon passé.

   C’était au mois de juin, il y a un peu plus de quatre ans, maintenant. A quelle date exactement, je ne m’en souviens pas. Tout le reste je le sais par cœur, tout le reste je ne l’oublierai plus. Mais la date, non, même en allant chercher dans un calendrier. Disons que ça devait être au début du mois, car le vêlage, qui débute en janvier, se termine généralement en avril avec la mise en herbe, et la génisse pour laquelle on m'avait appelée était très en retard.»

Extrait : (page 169)

« L’ai-je déjà dit ? Je suis fière de mes mains. Elles sont dures et lisses comme du cuir, les ongles coupés ras, les tendons saillants. Jamais je ne mets de gants, la délivrance, j'ai besoin de la toucher. Je vois cela comme un héritage de maman : si elle n’a pas réussi à faire de moi une musicienne, elle m’a tout de même légué sa poigne puissante et sensible. Des mains comme de bons outils, faites pour plonger au cœur de la vie. Je n’ai pas d’anneau aux doigts, pas de liens aux poignets. J'aurais traversé ma vie les paumes ouvertes et laissé couler le temps comme de l'eau, comme du sable, sans rien garder.»

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2 avril 2009

La petite cloche au son grêle - Paul Vacca

la_petite_cloche_gr_le Philippe Rey - 6 mars 2008 – pages 182

Présentation de l'éditeur
" Un soir, tu entres dans ma chambre alors que je me suis endormi. Le livre m'a échappé des mains et gît sur ma descente de lit. Tu t'en saisis, comme s'il s'agissait d'un miracle. - Mais tu lis, mon chéri ! souffles-tu en remerciement au ciel. Incrédule face à ce prodige, craignant quelque mirage, tu palpes l'objet. Non, tu ne rêves pas: ton fils lie. Intimidée. tu ouvres le livre, fascinée à ton tour... ".

Quand la découverte de Marcel Proust bouleverse la vie d'un garçon de 13 ans, de ses parents cafetiers et des habitants de leur petit village du Nord de la France. Des jeux innocents aux premiers émois de l'amour, de l'insouciance à la tragédie: l'histoire tendre et drôle des dernières lueurs d'une enfance colorée par le surprenant pouvoir de la littérature.

Biographie de l'auteur
Paul Vacca vit à Paris. Il signe ici son premier roman.

Mon  avis : (lu en avril 2009)

La petite cloche au son grêle est celle de la porte du café que tiennent les parents du narrateur qui est un jeune garçon de 13 ans qui va découvrir la lecture grâce à un livre « Du côté de chez Swann » de Marcel Proust oublié par une belle femme qu'il aime en secret. Ce livre va être à l'origine d'une belle complicité entre lui et sa mère. Ensuite, petit à petit, le père, les habitants du village vont apprendre à découvrir Marcel Proust et son œuvre. Le narrateur apprendra aussi que sa mère est malade et avec son père, ils vont s'efforcer de lui faire des surprises pour la faire sourire et garder le goût à la vie : un voyage à Cabourg, une rencontre avec Pierre Arditi, organiser et monter un spectacle avec les gens du village…

Ce livre est un hymne à la littérature et plus particulièrement  à Proust. C'est aussi une belle histoire d'amour filial, et j'y ai ressenti beaucoup d'émotions en particulier lors de la fin du livre. C'est également un livre sur la famille, sur la maladie, sur la fin de l'enfance… La petite cloche au son grêle est la «madeleine» du narrateur... J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre, il  est plein de poésie et de tendresse ! Merci aux blogs qui m'ont incitée à lire ce joli livre, en particulier Bellesahi et Florinette...

Extrait :

- Eh bien, voilà, je voulais vous poser une question...Est-ce que c'est une lecture que... que vous conseilleriez... à un enfant de douze ans ? Enfin, presque treize...

La libraire marque un mouvement de recul. Un éclat de rire lui échappe.

- La Recherche du temps perdu à douze ans ? Quelle drôle d'idée ! C'est un peu dense, tout de même , un peu compliqué, il me semble. En tous cas, c'est la première fois que l'on me pose une question pareille ! Je connais tellement d'adultes qui y sont réfractaires...

Tes épaules s'affaissent. Quelle déception !

- Vous le déconseillez alors ? Dis-tu d'une voix blanche.

Mme Thibault, sentant ton trouble, se ressaisit aussitôt.

- Déconseiller ? Pourquoi déconseiller ? Au contraire. Qu'est-ce qui interdirait de lire Proust à treize , douze ou même sept ans ? Si votre fils ne comprend pas tout, quelle importance ? Est-ce que nous mêmes, nous comprenons tout ce que nous lisons ? Je n'en suis pas persuadée. Au fond, n'est-ce pas mieux comme cela ? Lire c'est aller vers l'inconnu, c'est chercher à découvrir de nouveaux mondes, à percer de nouvelles énigmes... Sans garantie de succès. D'ailleurs, on ne fait jamais le tour d'un livre, on n'épuise jamais la totalité de son mystère. C'est même peut-être ce qui nous échappe qui est le plus important...

Peu à peu tu souris de nouveau.

- Avec Proust, votre enfant va partir à l'abordage de l'un des plus magnifiques nouveaux mondes qui soient. Un monde aux ressources inépuisables qu'il aura l'occasion de redécouvrir encore et encore, avec d'autres yeux, plus tard. Quelle chance il a, et vous aussi ! Bonne lecture alors !

29 mars 2009

Passagère du silence : Dix ans d'initiation en Chine – Fabienne Verdier

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Albin Michel – septembre 2003 – 350 pages

Quatrième de couverture
Tout quitter du jour au lendemain pour aller chercher, seule, au fin fond de la Chine communiste, les secrets oubliés de l'art antique chinois, était-ce bien raisonnable ? Fabienne Verdier ne s'est pas posé la question en ce début des années 80, la jeune et brillante étudiante des Beaux-Arts est comme aimantée par le désir d'apprendre cet art pictural et calligraphique dévasté par la Révolution culturelle. Et lorsque, étrangère et perdue dans la province du Sichuan, elle se retrouve dans une école artistique régie par le Parti, elle est déterminée à affronter tous les obstacles : la langue et la méfiance des Chinois, mais aussi l'insupportable promiscuité, la misère et la saleté ambiantes, la maladie et le système inquisitorial de l'administration... Dans un oubli total de l'Occident, elle devient l'élève de très grands artistes méprisés et marginalisés qui l'initient aux secrets et aux codes d'un enseignement millénaire. De cette expérience unique sont nés un vrai récit d'aventures et une oeuvre personnelle fascinante, qui marie l'inspiration orientale à l'art contemporain, et dont témoigne son extraordinaire livre d'art L'unique trait de pinceau (Albin Michel).

Auteur : Elève aux Beaux-Arts de Toulouse dans les années 1980, Fabienne Verdier se découvre une attirance pour l'art asiatique, et plus particulièrement pour la peinture chinoise. Elle décide dès lors de tout quitter pour partir étudier en Chine. Après six mois d'insistance, elle est enfin acceptée comme élève par un maître chinois qui l'initie à l'art pictural et calligraphique. Après dix ans passés en Chine, elle est l'une des rares gardiennes européennes de ce précieux savoir.

Mon avis : (lu en février 2007)

Ce livre est vraiment exceptionnel, cette histoire est un mélange de récit d'aventure et d'une quête initiatique auprès de grands artistes de la calligraphie chinoise. C'est un témoignage sur la Chine des années 80, on découvre la vie difficile d'une étudiante étrangère seule dans une école artistique chinoise dirigée par le Parti. Elle doit lutter contre la méfiance des chinois, l'administration inquisitrice, la misère, la maladie... Mais c'est aussi une quête initiatique qui nous révèle beaucoup sur la culture chinoise, sur sa philosophie, sur sa civilisation... Son maître lui enseigne non seulement la technique de la calligraphie, mais tout un art de vivre oublié de nos jours en Chine. Superbe témoignage !

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Extrait : « C’est l’éclat spirituel qui doit générer l’œuvre; la pensée ne doit pas l’emporter sur le naturel de l’ensemble. C’est l’unité qui importe. Pars toujours d’une intuition poétique et essaie d’exprimer la substance des choses; tel est le principe constant.

On enrichit sa peinture en vivant pleinement l’humeur du jour. Le peintre ne copie pas la nature, mais elle est sa révélation première; il en restitue les traits, les états, l’ossature. Un brin d’herbe est source de connaissance. Il apprend la ligne drue, coupante, dense. La danse de l’oiseau en vol indique comment se déployer, prendre son élan, piquer vers le sol.

Le peintre, au cours de son existence, se construit une banque de données psychiques à partir de sa connivence avec le monde. C’est ce qu’il restitue dans son trait. Un jour, de cette banque de données naîtra naturellement, en un geste spontané, un acte créatif. Le beau en peinture chinoise, c’est le trait animé par la vie, quand il atteint le sublime du naturel ».

Extrait : « Si tu veux travailler les perceptions infinies à travers les lavis d’encre, il faut une attitude d’humilité, de transparence; c’est seulement ainsi que tu feras naître dans tes peintures une présence subtile. Quiétude, calme, silence. C’est le vide qui nourrira ton futur tableau; sur ce terrain vierge la pensée doit jaillir dans l’instant, comme une étincelle limpide».

Extrait : « Ma peinture exprime un désir de volupté, de béatitude, un refuge contre la tristesse, le plaisir procuré par les beaux paysages qui, depuis mon enfance, m’ont apporté les moments les plus intenses de joie et de paix. J’ai compris que l’extase, qu’elle se crie ou se taise, n’est pas un don du Ciel qu’on attend les bras croisés, mais qu’elle se conquiert, se façonne, et que l’intelligence y a aussi sa part ».

29 mars 2009

Ker Violette – Karine de Fougeray

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Montalant – février 2008 – 254 pages

Présentation de l'éditeur :

« J’avais trente-cinq ans et je roulais en voiture. À vive allure, en rétrogradant sèchement dans les virages, en mordant la ligne blanche. Il faisait beau mais le temps qu’il faisait importait peu.
Il fallait que j’avance.
La route longeait la côte, tournait dans tous les sens. Au deuxième village je suis descendue sur le port et je me suis garée là, dans les odeurs de casiers fraîchement débarqués. On m’a regardée. On m’a dévisagée par-dessous les casquettes,
par-dessus les cols des cabans et des vestes de quart. Des hommes ont rivé leurs yeux sur moi parce que je leur étais inconnue et cela ne m’a pas dérangée. Au contraire. »
Venant de nulle part, Clara débarque un matin dans un port, en Bretagne. Elle recherche son cheval mais c’est Félix, un homme de mer qu’elle rencontre, puis Violette, une étrange vieille dame qui l’accueille dans sa maison d’hôtes.
L’indépendance de Clara, sa franchise, attirent les relations passionnées.
Libre, Clara sait exactement ce qu'elle veut. Pour autant, elle masque un passé difficile qui va lentement et sauvagement remonter à la surface. Sa quête emporte Félix, Violette et les nombreux personnages qui traversent son chemin.
Ker Violette, c’est l’histoire d'un bout de vie, avec son lot de rires, de surprises, d'emballements.
Ker Violette, c’est aussi l’histoire des mers qui pénètrent dans les terres, des chevaux et des bateaux qui scellent les cœurs à jamais.

Auteur : Karine Fougeray est née à Saint-Malo en 1963. Son premier recueil de nouvelles, Elle fait les galettes, c’est toute sa vie, est paru en 2005 aux Editions Delphine Montalant puis chez Pocket en 2007. Fine observatrice des femmes et des hommes de tout âge, elle débusque leurs passés sans la moindre complaisance. Son univers est composé de quatre sortes d’humains. Les vivants. Les morts. Ceux qui partent sur le pont d’un bateau. Ceux qui partent sur le dos d’un cheval.

Mon avis : (lu en mars 2009)

J'avais beaucoup aimé le recueil de nouvelles de Karine Fougeray "Elle fait les galettes, c’est toute sa vie" et ce premier roman m'a également enchanté. Une fois le livre commencé, je n'ai pas pu le lâcher, j'ai été transportée par l'histoire !

Clara 36 ans débarque un beau matin dans un petit port breton, elle est à la recherche de son cheval ! Elle va rencontrer alors Félix un pêcheur – peintre qui va la conduire chez Violette une vieille dame qui tient des chambres d'hôtes. On va découvrir petit à petit au fil des chapitres l'histoire de Clara, son passé et ses secrets, mais en parallèle on découvre qui sont Félix et Violette... Ils ont également un secret qui les hante. On est tour à tour dans le présent et dans le passé. C'est une histoire d'amour mais aussi d'abandon...

Chaque chapitre a pour narrateur un des personnages du roman et il s'exprime à la première personne du singulier... Il faut parfois quelques phrases avant de découvrir qui parle !

La Bretagne est très présente dans le livre, la mer mais aussi la campagne s'affronte. On est pris par les odeurs que peut susciter les descriptions : les embruns, les algues, l'écurie, la violette, les fleurs... Une lecture pleine d'émotions et de bonheur !

Extrait : (page 91)

"Pour ma naissance, mon père a eu une initiative remarquable. Une idée qui a ruiné sa vie, qui l'a mise en bouillie petit à petit, et ce sans qu'il ne puisse jamais rien faire pour que cette purée reprenne à un moment ou à un autre la consistance ferme et lisse de la matière d'une vie normale. C'était un cadeau magnifique, une arme fatale affûtée de mille petits hachoirs noirs, de mille surprises improbables et tranchantes.

Il a offert un cheval à ma mère.

Mon père était fou d'elle jusqu'à ce jour de septembre où je suis arrivée pour la première fois dans ma maison, où ma mère m'a déposée amoureusement dans le berceau emberlificoté sous les dentelles. Où, tout de suite après, elle a retiré ses sandales et est sortie dans le jardin pour sentir la terre sous ses pieds nus. Elle a vérifié chaque fleur, chaque pied de roses trémières, chaque buisson d'hortensias, et bien sûr, arborant son ventre encore flasque, elle est descendue au potager, heureuse, si heureuse, pour le plaisir de reconnaître ses tomates, pour s'assurer qu'elles ne s'étaient pas enfuies lors de son séjour à la clinique. Oui, elles étaient bien là, ses tomates charnues, rouges, rondes et quelquefois déformées d'excroissances incontrôlées. Les préférées de ma mère.

Mon père m'a raconté cette scène plusieurs fois et, les dernières fois, il fondait en larmes dès l'évocation des tomates. Mais j'insistais toujours, malgré le désespoir, malgré la voix cassée.

Raconte papa, raconte-moi quand maman a cessé de nous voir pour toujours. Raconte-moi comment c'est possible qu'elle ne m'ait regardée vraiment que huit jours. Les premiers huit jours de ma vie, dans une chambre de clinique, en compagnie des infirmières, des sages-femmes, des pédiatres, des cadeaux à déballer, de toutes ces choses qui m'empêchaient d'être seule avec elle.

Il faisait beau, ma mère venait d'avoir son unique enfant et elle est descendue au potager. C'était marée basse et l'air était saturé des senteurs de la vase. Alors ma mère, ma radieuse de jeune mère a tourné la tête au-delà du carré de légumes organisé en courtes allées, derrière, afin d'apercevoir le fil turquoise de l'eau qui serpentait parmi vert-de-gris. Il y avait la maison, le jardin, le potager, et puis la mer à reconquérir. Là, à cet endroit, au milieu des herbes qui entraînent pas à pas le jardin vers les vasières. Là où la terre se meurt pour la rivière, ma jeune mère a vu un cheval qui la regardait dans les yeux."

27 mars 2009

Dans l’or du temps - Claudie Gallay

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Edition du Rouergue – janvier 2006 - 320 pages

Actes Sud – février 2008 – 365 pages

Présentation de l'éditeur
Le narrateur passe l'été en famille, avec sa femme et leurs jumelles de sept ans, dans leur maison normande au bord de la mer. II rencontre par hasard Alice, une vieille dame abrupte et bienveillante à la fois, volontiers malicieuse. Il lui rend visite à plusieurs reprises et une attente semble s'installer : l'homme est en vacances, vacant pour ainsi dire, intrigué et attiré malgré lui ; Alice a des choses à raconter, qu'elle n'a jamais pu dire à personne, des souvenirs qui n'attendaient que lui pour remonter à la surface et s'énoncer. Tout commence par un voyage à New York qu'elle a effectué dans sa jeunesse, en 1941, en compagnie de son père photographe et d'André Breton. Ensemble, ils ont approché les Indiens hopi d'Arizona, dont l'art et les croyances les ont fascinés. Dans l'or du temps plonge au plus intime de ses personnages par petites touches, l'air de rien. Hommage à la figure d'André Breton et à la culture sacrée des Indiens hopi, ce magnifique roman célèbre les rencontres exceptionnelles, celles qui bouleversent l'âme et modifient le cours des existences

Biographie de l'auteur
Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié L'Office des vivants (2000), Mon amour ma vie (2002), Les Années cerises (2004), Seule Venise (2004, prix Folies d'encre et prix du Salon d'Annonay) et Les Déferlantes (2008)

Mon avis : (lu en mars 2009)

Je suis en train de devenir une inconditionnelle de Claudie Gallais... J'ai adoré "Les Déferlantes" et pour "Dans l'or du temps" l'effet a été le même. Ce livre m'a transporté : cette rencontre entre le narrateur et Alice est pleine de tendresse et d'émotions.

A travers une très belle rencontre entre une vieille dame et un jeune homme en quête du sens de sa vie, ce roman raconte une transmission, c’est aussi une plongée dans la culture sacrée des Indiens Hopi et un hommage littéraire à la figure d’André Breton.

La vie quotidienne d’Alice et du narrateur alterne avec les souvenirs chez les Indiens hopi. Les phrases sont courtes, les descriptions rendent l’atmosphère particulière, il se dégage du texte une certaine poésie et on est comme hypnotisé par le livre et on ne le lâche plus ! (j'ai failli plusieurs fois rater ma station de train...) Passionnant et superbe !

Le titre fait écho à l'épitaphe de la tombe d'André Breton "Je cherche l'or du temps".

Ce livre est superbement documenté, entre autres, il fait référence au livre "Soleil hopi" de Don C. Talayesva (autobiographie d’un indien hopi).

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Extrait : "Notre maison, La Téméraire, face à la mer, à quelques kilomètres seulement au sud de Dieppe. On l’a achetée juste après la naissance des filles. Un coup de cœur, a dit Anna.

On a emprunté pour dix ans.

L’hiver, La Téméraire prend toutes les tempêtes. On ne vient jamais l’hiver. L’été seulement. Et puis quelques week-ends au printemps. On trouve des troncs d’arbres et des bouées de bateaux dans le jardin. Du sable, des planches, des cadavres de mouettes. Il faut des jours pour tout nettoyer.

Quand on est arrivés il pleuvait. J’ai arrêté la voiture au plus près de la porte. Les jumelles ont pris leurs affaires et elles sont montées directement dans leur chambre. Elles avaient été sages, tout le trajet à remplir leur cahier de vacances. Des trucs de filles. Avec des garçons, on n'aurait pas eu ça.

- Ça quoi ? A demandé Anna.

Je n'ai pas eu envie d'expliquer.

On a ouvert les volets et on a commencé à décharger.

A midi, on a mangé des sandwichs. Les filles avaient trouvé des vieux livres de Martine dans une caisse au grenier. Anna ne voulait pas qu'elles lisent ça alors les filles les lisaient en cachette, à l'école ou quand elles allaient à la bibliothèque du quartier.

L'après-midi, la pluie s'est arrêtée et Anna a emmené les jumelles à la plage. Je suis resté sur la terrasse. C'était marée basse. Les filles couraient. Elles sont allées loin jusqu'à toucher le bord de l'eau.

Quand elles sont revenues, elles avaient faim. Anna a préparé des crêpes. Les filles se sont installées dehors, sur la table blanche de la terrasse."

Extrait : "Le camion était là. Je me suis garé sur le terre-plein. L'épicier avait déjà rabattu la moitié de son auvent. Quand il m'a vu, il a bloqué son geste. Il m'a demandé si je voulais quelque chose et j'ai dit, Oui, des fraises, un kilo. Il a relevé le battant. Il a mis les fraises dans un sac. Le sac, en papier brun. Et comme les fraises étaient rouges et vraiment appétissantes, je lui ai demandé d'en rajouter une poignée.

Je suis retourné à la voiture. Un chemin de terre s'enfonçait, humide, sous le couvert des arbres. Une vieille dame s'éloignait. Elle portait un panier. Elle faisait un pas, un autre. Son panier était plein. Elle devait souvent le poser pour changer de main.

- Voulez-vous que je vous aide ? j'ai demandé en prenant le chemin derrière elle.

Elle s'est arrêtée. Elle m'a toisé moi et elle a toisé la Deux Chevaux. J'ai soulevé le panier.

- Qu'est-ce que vous avez là-dedans pour que ce soit si lourd ?

- Cinq kilos de poires à confitures, elle a dit. Plus le sucre.

Sa voix était grave. Traînante. Je l'ai suivie, une centaine de mètres sur ce chemin de terre. Plus de boue que de la terre. Elle s'est arrêtée devant un portail, une grille en fer en partie envahie par du lierre. Il n'y avait pas d'autres maisons après celle-là. Simplement le sentier qui se resserrait encore et puis les arbres.

Elle a poussé la grille."   

25 mars 2009

La Belle maison - Franz Bartelt

la_belle_maison Le Dilettante – février 2008 - 192 pages

Présentation de l'éditeur
Les meilleures intentions du monde ont quelquefois des conséquences tragiques. Les Capouilles, seuls pauvres authentiques de la petite ville, vont pâtir des bienfaits dont les comblent les autres habitants, lesquels ne comprendront pas à temps que ce n'est pas parce qu'on n'a rien qu'on n'a rien à cacher.

Biographie de l'auteur
Franz Bartelt est né au bord de la Seine de Maupassant, a grandi au bord de la Vence de René Daumal et vit au bord de la Meuse d'Arthur Rimbaud. Sans doute est-ce pourquoi il a développé un certain respect pour l'eau qui coule, le goût de la littérature qui en découle et le regret, à mesure qu'il prend de la bouteille, de n'avoir pas vu le jour dans des régions viticoles.

Mon avis : (lu en mars 2009)

Ce livre se lit très facilement, c'est une fable sociale moqueuse et cruelle avec des personnages hauts en couleurs : le maire mégalo-maniaque, sa femme hypocondriaque, Chéchème l'épicier... C'est la chronique d'un village rurale Cons-sur-Lombe qui a les ambitions d'une grande ville.

J'ai trouvé très attachant le couple formé par Mortimer et Constance Boulu que tout le monde appelle Capouilles et qui se tiennent à l'écart de ce village qui se veut si parfait. Ils font désordre et le maire veut leurs faire une grande surprise en leur offrant "La Belle Maison" que tout le village aura rénové bénévolement.

Mais peux-t-on faire le bonheur des gens malgré eux ?

Le lecteur va découvrir ce que ne sait pas le village, Mortimer et Constance ont un secret... Ils aiment et lisent de la poésie. Ils ont même une certaine complicité avec les poètes puisqu'ils les nomment par leurs prénoms (Paul, Arthur...) "Ainsi, à l'instar de bien des humains qui savent ce qui est bon, ils recevaient les poètes à domicile, sans cérémonie, en pure amitié."

Extrait : Avec près de deux mille habitants, une place équipée de sept bancs de couleur, d’un jet d’eau et d’un abri bus pourvu d’un plan de la commune, avec également une salle des fêtes de dimensions respectables, une église remarquable pour des raisons mystérieuses, des barbecues municipaux ouverts à tous et des toilettes publiques à participation de l’usager, Cons-sur-Lombe était un village qui se donnait des airs de grande métropole sans renier ses origines céréalières que rappelaient, devant la mairie, quelques anciennes machines agricoles, désormais exposées sur des socles de béton : « Afin que nul n’en ignore », disait le maire, M. Balbe, un homme qui aurait pu être communiste, tant il avait le sens de la collectivité, mais qui s’était résigné à carriérer dans le centrisme pour faire plaisir à tout le monde, ce qui revient à peu près au même.

C’était ce qu’on appelle «un homme à idées ». Sa générosité paraissait sans limites. Ses amis le comparaient volontiers et sans rire à saint Vincent de Paul. Il n’avait pas d’ennemis car, très fort en gueule et pesant plus de cent soixante kilos, il savait se faire respecter en s’imposant à l’heure de l’apéritif comme le meilleur buveur de boissons anisées d’un canton qui, en la matière, ne comptait pourtant que des champions. Sa devise ne manquait pas d’ambition : «Toujours plus et toujours mieux qu’ailleurs. » Elle l’exposait quelquefois à des déconvenues administratives de premier ordre. Par exemple, il aurait voulu doubler la surface du terrain de football.

«Avec un terrain plus long et plus large, et des buts en proportion, nous montrerions au monde entier que les Consiens sont des fameux joueurs, qu’ils courent plus vite et plus longtemps que les châtrés des autres équipes ! »

Par mesquinerie sportive autant que par conformisme politique, les potentats du conseil général avaient fait obstacle au projet, et les footballeurs de Cons devaient se contenter d’un terrain, certes réglementaire, mais où leur talent se sentait à l’étroit.

« Sur un terrain adapté, même à six contre douze, on gagnerait ce qu’on voudrait ! », soupirait Balbe à chaque fois qu’il repensait à cette histoire. Ses compagnons de comptoir abondaient dans son sens, car on ne contrarie pas un édile qui, bien souvent et de sa poche, règle l’ensemble des tournées.

Extrait : Une des petites maisons était occupée par un couple adorable que la commune avait recueilli vingt ans auparavant, lors d’un hiver radical. On ne savait pas très bien qui ils étaient, d’où ils venaient, ni quelle inspiration miraculeuse les avait conduits jusqu’à Cons plutôt que dans un des nombreux bourgs des alentours ou à Larcheville où le Secours catholique et d’autres pourvoyaient aux besoins des plus démunis. Ils vivaient comme des clochards, sales, en loques, misérables, mais soutenus dans leur malheur par toute la population. En fait, ils ne manquaient de rien, et surtout pas de travail. La belle saison les voyait dans les jardins, la mauvaise dans la forêt ou dans les granges, à couper le bois. Ils débouchaient les éviers, rangeaient les greniers, vidaient les caves, donnaient la main à toutes sortes de nécessités du quotidien des autres. Au fil du temps, ils s’étaient rendus indispensables.

On les surnommait affectueusement les Capouilles, mais ils s’appelaient Boulu : Mortimer et Constance Boulu. Tous deux d’un calibre médiocre, petits et maigres, immensément chaussés de bottes épaisses, vêtus de dépenailles, et bien qu’on leur fît don régulièrement d’habits encore mettables, ils se complaisaient dans la négligence la plus farouche. La crasse, la barbe et la moustache gauloise se partageaient le visage de Mortimer. Sur la figure de Constance, un surcroît de crasse compensait l’absence de pilosité. Ne les aurait-on pas connus d’aussi longue date qu’on les aurait chassés à coups de bâton et en leur lançant des pierres, comme à des lépreux.

«Trop pauvres pour être fiers de se sentir propres », répétait souvent M. Balbe que les maladies quasi mortelles de sa femme vouaient au culte de l’hygiène, et même de l’asepsie.

Il les aimait sincèrement et ne ratait jamais une occasion de proclamer : « Il faut faire quelque chose pour les Capouilles ! », mais, depuis vingt ans, l’éventualité ne s’était jamais présentée de concrétiser cette aimable résolution.

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