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A propos de livres...
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3 juin 2009

L’office des vivants – Claudie Gallay

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Éditions du Rouergue – janvier 2001 – 327 pages

Actes Sud – mars 2009 – 224 pages

Présentation de l'éditeur
Dans la maison perdue en haut de la montagne habitent le Père, la Mère, Marc et Simone. Et puis Manue, l'inattendue tombée du ciel une nuit, belle et forte comme une étoile. Derrière le village des Cimes il y a une forêt, pleine d'arbres majestueux et effrayants, et il y a des loups. Le Père travaille un peu, boit beaucoup, et cogne facilement; les enfants poussent telle l'herbe folle. Marc dit que, quand il sera grand, il partira loin, et il emmènera Manue avec lui. Dans un décor intemporel de nature sauvage et fascinante, de misère affective et de violence, l'amour fou d'un grand frère pour sa demi-sœur transcende un quotidien sordide par l'irruption du tragique le plus déchirant. Dès ce premier roman, Claudie Gallay étonne grâce à son style âpre et compassionnel et à un univers très personnel, sombre mais traversé par la recherche de l'espoir, du salut, de la beauté.

Biographie de l'auteur
Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L'Office des vivants (2001), Mon amour ma vie (2002), Les années cerises (2004), Seule Venise (2004, prix Folies d'encre et pris du Salon d'Ambronay), Dans l'or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008), grand succès public et critique.

Mon avis : (lu en mai 2009)

C’est le premier roman de Claudie Gallay, elle nous décrit avec beaucoup de justesse la misère sociale et intellectuelle d'une famille qui vit dans une ferme isolée en haut de la montagne. Cette histoire est sans âge. Il y a le Père qui travaille peu, boit et est violent. La Mère qui se remet difficilement de la naissance de son troisième enfant mort-né. Marc et Simone sont deux enfants qui s’élèvent seuls : ils sont souvent sales, ils ont des poux et vont à l’école seulement si le temps le permet. Marc aime la forêt et parle aux loups. Simone a un œil en moins. Un jour, Mado, la fille de ferme, dépose devant la porte le bébé que lui a fait le Père : c’est Manue. Dans cette misère, Manue devient le rayon de soleil de Marc, il va aimer cette sœur sans aucune retenue, il va tout faire pour la protéger.

Les personnages sont profondément humains mais aussi dur et parfois presque sauvage. L'histoire est sombre mais si bien écrit avec des phrases courtes, simples.et percutantes que ce livre m’a bouleversé.

Extrait : (page 32)

Il fait nuit. Chez M’mé Coche, les volets sont fermés. Avec la lune, il y a des ombres épaisses sous les arbres.

Marc est à la fenêtre à regarder les éclairs claquer derrière la montagne quand il voit revenir Mado. Elle longe le mur et elle fait le tour parle jardin pour entrer dans la cour.

Le chien est dehors. Quand Mado arrive au puits, il vient la renifler et lui donne sa grosse tête à caresser.

Mado tient un paquet dans les bras. Elle s’approche de la maison, elle hésite un peu et elle pose son paquet sur la marche, juste devant la porte.

Elle reste un moment comme ça à regarder la porte, le paquet et la nuit tout autour. Après, le tonnerre se met à craquer plus fort dans les arbres, d’un coup Marc ne voit plus rien.

Quand la lumière revient, Mado est au chemin, elle court droit devant elle en relevant sa robe. Le paquet est resté devant la porte. La pluie se met à tomber, des grosses gouttes lourdes qui cognent contre les tuiles. Marc accroche les volets et il redescend.

En bas, ça sent bon. La mère est devant le poêle. Elle fait une sauce avec de la farine, des oignons et du vin.

Le Père aiguise son couteau et Simone joue sous la table avec des chiffons.

C’est comme ça dans la maison quand Marc ouvre la porte. Il fait rentrer le froid. La pluie tombe dru, des gouttes serrées qui inondent la cour et font déborder les chenaux. D’un coup, on ne voit plus rien de la lune.

La mère dit : - Dieu du ciel, ferme cette porte!

Il fait nuit dehors mais avec les éclairs, on y voit comme en plein jour. La couverture du paquet est mouillée. Marc se baisse pour voir ce qu’il y a dessous.

Quand il voit, il appelle la Mère.

- Dieu du ciel ! elle dit.

Tout de suite après, le Père est là, et puis Simone.

Après, le bébé se met à pleurer et la Mère le ramasse pour le mettre au chaud. Elle le pose sur la table et ils restent tous autour à regarder.

C’est comme ça qu’elle voit le papier.

Elle le déplie et elle devient très pâle. Le Père lit à son tour et ça fait un grand silence dans la cuisine.

La Mère envoie Marc et Simone jouer dehors. Il pleut tellement que la pluie reste dans la cour. Ils traversent comme ils peuvent et ils vont de mettre à l’abri sous la remise.

Quand ils reviennent, le Père n’est plus là et l Mère fait chauffer du lait.

Marc récupère le papier, il le lit.

Après, il vient vers Simone. Il la touche du coude.

- C’est une fille, elle s’appelle Manue.

On dirait le bébé qui était sur le lit de la Mère et qu’ils ont mis sous le gravier.

Ce n’est pas possible.
Marc dit que si, qu’on appelle cela une résurrection et que si on écoute bien Dieu, ça peut arriver à n’importe qui.
De mourir et de revenir.

Simone n’aime pas l’idée. Elle préfère vivre.

Marc pense que Mado s’occupe des enfants qui ressuscitent. C’est un métier merveilleux. C’est pour ça qu’elle est partie, elle a beaucoup de travail et elle ne peut pas laisser les enfants seuls trop longtemps. C’est pour ça qu’elle a pris l’argent.

Il va le dire à M’mé Coche parce qu’il sait que M’mé Coche aime Dieu. Il lui dit aussi que quand il sera grand, il veut ressusciter les enfants.

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2 juin 2009

Un siècle de novembre – Walter D. Wetherell

Livre lu dans le cadre du partenariat Blog-o-Book - Livre de Poche

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traduit de l’anglais (États-Unis) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné

Les Allusifs – aout 2006 – 200 pages

Le Livre de Poche – novembre 2008 - 218 pages

Présentation de l'éditeur
A l'automne 1918, le magistrat Charles Marden juge les hommes et cultive ses pommes parmi les Indiens et les pionniers de l'île de Vancouver. Mais les grands maux de l'humanité le frappent de plein fouet : sa femme, Laura, est emportée par la grippe espagnole et son fils, le caporal William C. Marden, disparaît dans la mêlée des Flandres. Désormais seul au monde, Charles Marden entreprend un périple fou pour trouver l'endroit où la mort a fauché son fils. Dans sa quête, il apprend qu'une jeune femme le devance de peu sur les routes. W. D. Wetherell, qui vit au New Hampshire, signe ici un roman d'une beauté terrifiante, entre songe et réalité.

Biographie de l'auteur
Né en 1948, Walter D. Wetherell a déjà écrit plusieurs romans : Morning, Chekhov's Sister (traduit et publié en 1990 par les éditions J.-C. Lattés), ainsi que deux recueils de nouvelles, The Man Who Loved Levittown et Wherever That Great Heart May Be. Ses récits de voyage paraissent dans le New York Times. Il a récemment obtenu la bourse d'écriture Strauss de l'American Academy of Arts and Letters. A Century of November, publié aux Etats-Unis par les Presses de l'université du Michigan en 2004 et en édition de poche en 2005, a été unanimement salué par la critique et a remporté le prix littéraire le plus prestigieux du Michigan. Une adaptation cinématographique est en cours de préparation sous l'égide du scénariste Jay Wolpert, auteur des scénarios des films Pirates des Caraïbes ou encore Le Comte de Monte-Cristo. W. D. Wetherell vit aujourd'hui à Lyme dans le New Hampshire.

Mon avis : (lu en juin 2009)

Automne 1918, Charles Marden vient de recevoir la lettre officielle annonçant la disparition de son fils William au cours d'un assaut en Flandre. Trois semaines auparavant, il a perdu sa femme Laura de la grippe espagnole. Il quitte donc son île de Vancouver pour trouver l'endroit où est tombé son fils « pour apprendre à ne rien attendre, une fois pour toutes ». Il va faire un long voyage : la traversée du Canada d'ouest en est, Vancouver à Halifax en train, puis la traversée de l'Atlantique en bateau jusqu'à Southampton. A Salisbury, au camp du régiment de son fils, il apprend qu'il ne pourra se rendre là où est mort son fils seulement lorsque la guerre sera fini. Il découvre également qu'une jeune fille recherche aussi William. Charles Marden a alors un nouvel objectif, retrouver cette jeune fille Elaine qui ne peut-être que l'amie de son fils. Il se rend donc à Londres où il apprend que la guerre est finie : plus rien ne l'empêche de continuer son long voyage vers la Flandre. Après la traversée de la Manche de Folkestone à Calais puis le voyage en voiture jusqu'à Amiens, en autocar jusqu'à Poperinghe en Belgique, il arrivera à pieds à Ypres sur les champs de batailles.

Ce livre est très bien écrit : l'auteur nous fait des descriptions superbes et précises des paysages traversés, des champs de batailles, des tranchées abandonnées... Il nous décrit également les sentiments qui envahissent cet homme en deuil avec sa douleur et sa solitude. Cette histoire sombre comme les ciels de novembre, nous évoque avec beaucoup de sensibilité l'horreur de la guerre en particulier pour les survivants. J'ai beaucoup aimé lire ce livre.

Extrait : (début du livre)
Il jugeait les hommes et cultivait des pommes, et cet automne-là n’était propice ni à la justice ni aux vergers. Un automne surprise – les pommiers avaient pourtant fait miroiter de belles promesses. Les fleurs, précoces, abondantes, étaient d’un blanc-rose riche dont il n’avait jamais vu l’égal. Pour une fois, il n’y avait pas eu de neiges tardives, pas de tempêtes venues du Pacifique, pas de gel.

Extrait : (page 10)
S'il était magistrat, c'était parce que, dans cette région de la côte, il était le seul à pouvoir exercer cette fonction - celle de salarié ayant pour mandat, selon le libellé de son serment d'office, d'assurer des droits égaux aux pauvres comme aux riches, au meilleur de ses connaissances, de son jugement et de ses compétences. En temps normal, sa charge n'avait rien d'une sinécure. On lui avait déjà tiré dessus. À la faveur d'une embuscade tendue pendant que, comme maintenant, il arpentait les longues allées du verger en inspectant les arbres un par un. C'était le printemps. Le projectile avait sectionné une branche au-dessus de sa tête et fait pleuvoir sur lui des pétales blancs. Raté, se souvenait-il d'avoir pensé, tandis que la détonation résonnait sur tout le promontoire et que les fleurs lui chatouillaient le visage. À l'époque, il était aveugle, stupide. Raté.
L'arbre et sa branche scindée en deux devinrent pour lui une sorte de temple, un lieu où il allait se recueillir chaque fois qu'il était tenté de prendre ses responsabilités judiciaires à la légère ou encore trop au sérieux. C'était aujourd'hui bien plus : un coin béni, un sanctuaire, l'unique lieu où il se sentait en sécurité. La cicatrice laissée par la balle semblait avoir déclenché dans l'arbre une sorte d'élan vital : c'était, de toute la rangée, le seul qui avait produit un fruit complet. Une vaste blague, évidemment. Depuis des années qu'il était juge, il avait à maintes reprises été témoin des sales tours du destin. Il tendit la main vers la pomme. Après la pluie du matin, sa peau était humide et glissante, mais le poids familier, la plénitude ovale dans sa main, lui firent plaisir.
Il resta planté là, les mains de nouveau fourrées dans les poches de son blouson, dont il avait remonté le col pour se protéger des assauts du vent. Il vit alors quelque chose voiler et assombrir brièvement l'étroite ouverture sur la mer qu'on avait depuis le verger. Quiconque venait de la plage était forcément arrivé par bateau. Il eut une prémonition.

Extrait : (page 155)
"Ypres – et pourtant, je ne voyais qu'un nuage. Comme si la ville en ruines avait la couleur et la consistance d'un nuage. Un nuage brisé. Un nuage effiloché et déchiré, d'où aurait fui le fluide et le doux, un nuage dont il ne serait resté que des scories acérées et tranchantes, un nuage blessé. Derrière se profilait une silhouette crénelée, semblable à une lointaine chaîne de montagnes. A la longue, j'ai fini par y reconnaître des vestiges d'immeubles. Plus près, les montrant du doigt; aurait-on dit, des arbres en forme de glaives, comme ceux que nous avions déjà aperçus, clouaient le nuage au sol. L'odeur du plâtre mouillé était accablante. Seulement, elle s'accompagnait maintenant d'une puanteur fuligineuse. Plus moyen de respirer sans étouffer. Chacun regardait – jusqu'au bout de la route, les pèlerins étaient tournés du même côté, hypnotisés par la silhouette édentée, les nuages en lambeaux, les ruines déchiquetées.

Livre lu dans le cadre du partenariat logotwitter_bigger - logo 

26 mai 2009

La vie d'une autre – Frédérique Deghelt

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Actes Sud – janvier 2007 – 340 pages

Actes Sud - juin 2008 - 340 pages

LGF – janvier 2010 – 251 pages

Présentation de l'éditeur
Marie a vingt-cinq ans. Un soir de fête, coup de foudre, nuit d'amour et le lendemain... Elle se retrouve douze ans plus tard, mariée, des enfants et plus un seul souvenir de ces années perdues. Cauchemar, angoisse... Elle doit assumer sa grande famille et accepter que l'homme qu'elle a rencontré la veille vit avec elle depuis douze ans et ne se doute pas du trou de mémoire dans lequel elle a été précipitée. Pour fuir le monde médical et ses questions, elle choisit de ne rien dire et devient secrètement l'enquêtrice de la vie d'une autre. Ou plutôt de sa propre vie. C'est avec une énergie virevoltante et un optimisme rafraîchissant que Frédérique Deghelt a composé ce roman plein de suspense sur l'amour et le temps qui passe, sur les rêves des jeunes filles confrontés au quotidien et à la force des choix qui déterminent l'existence.

Biographie de l'auteur
Journaliste et réalisatrice de télévision, voyageuse infatigable avec Paris pour port d'attache, Frédérique Deghelt est également l'auteur chez Actes Sud de Je porte un enfant et dans mes yeux l'étreinte sublime qui l'a conçu (2007),
La grand-mère de Jade (2009).

Mon avis : (lu en mai 2009)

C'est le deuxième livre que je lis de cette auteur, après "La grand-mère de Jade" que j'ai beaucoup aimé. C'est l'histoire de Marie qui a 25 ans, lors d'une fête elle a un coup de foudre pour Pablo, elle passe une nuit d'amour et le lendemain... elle se réveille douze ans plus tard, mariée, des enfants et sans aucun souvenirs des douze années passées. Cauchemar, angoisse... elle décide de ne rien dire de son amnésie et chaque jour elle explore son quotidien oublié et enquête sur « la vie d'une autre » qui pourtant est sa propre vie.

Le récit est formidable, j'ai été happée par la vie de Marie, personnage très attachant. J’ai ressenti avec elle ses troubles devant des situations déstabilisantes. Ce livre est à la fois beau, étrange, troublant et fabuleux.

Extrait : (page 128)
Je me regarde dans la glace : à quoi ressemble mon visage ce matin ? Depuis quinze jours, je me débats dans mes souvenirs, mes oublis et ma seconde nouvelle vie avec mes enfants. Jamais je n'ai eu un moment de répit, quelques jours qui s'écoulent yeux dans les yeux avec Pablo... Tout au plus quelques heures autour d'un dîner. Je n'ai jamais eu l'occasion de l'observer vraiment dans un contexte différent, hors de cette famille que nous avons faite et que je viens de découvrir. la solution est peut-être là, dans cette maison qui a sans doute été importante dans notre rapport amoureux. J'en suis là de mes réflexions quand mon estomac me rappelle qu'il est vide. Quand je descends l'escalier en pierre, Pablo achève de dresser une table sur une terrasse fleurie. la maison est construite sur une avancée rocheuse et ne doit pas avoir beaucoup de fenêtres qui ne donnent pas sur la mer.

23 mai 2009

Ça t'apprendra à vivre – Jeanne Benameur

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Denoël – février 1993 – 127 pages

Seuil jeunesse – mai 1998 – 119 pages

Actes Sud – janvier 2007 – 111 pages

Présentation de l'éditeur
Un père, une mère et quatre enfants noués par le silence. La violence muette de ces liens et celle, assourdissant d'un pays qui entre en guerre. Algérie 1958.
Mi-Arabes, mi-Français, ils s'exilent dans une ville de la façade atlantique. Jamais ils n'y retrouveront leur ciel, ni leur place.
C'est la cadette qui raconte, rompant l'omerta familiale. C'est dans sa bouche que naît enfin la parole, entre silence et cri. La parole pour vivre.
Récit pudique, émotion âpre, Jeanne Benameur manie superbement les raccourcis de l'enfance. Ses mots simples et justes sont autant de cailloux noirs sur la route des souvenirs.

Quatrième de couverture : (édition Seuil jeunesse)

Elle a cinq ans. Elle vit en prison. Son père en est le directeur. 1958. Elle vient d’être arrachée à son pays, l’Algérie. Il fait froid à La Rochelle et elle vit dans une nouvelle prison. Comment s’habituer au déracinement, à l’emprisonnement ? Comment s’intégrer ? Une petite fille a peur. Par petites scènes, par mille détails, elle va tenter de faire surgir la vérité dans la rage, la colère. La petite fille modèle, sage comme une image, ne veut plus être une image.

Ça t’apprendra à vivre rompt la loi du silence qui a tout envahi. Jeanne Benameur a su trouver les mots pour le dire et, peut-être, pour chasser la peur.

Auteur : Jeanne Benameur est l'auteur de nombreux livres pour la jeunesse, dont récemment La Boutique jaune. Longtemps enseignante, elle se consacre désormais à l'écriture. Ses livres : Les Demeurées (2000), Un jour mes princes sont venus (2001), Les Mains libres (2004), Laver les ombres (2008)

Mon avis : (lu en mai 2009)

C’est un roman autobiographique de Jeanne Benameur qui nous parle de l’exil à travers le regard d’une petite fille de cinq ans. Elle est arrachée au pays où elle est née, l'Algérie, exilée avec sa famille en métropole à La Rochelle. L’adaptation est difficile. Elle nous raconte son quotidien, sa famille, ses souffrances : car c’est une petite fille très sensible, elle attend un peu plus de gestes d'amour de la part de ses parents. Elle essaie d'être parfaite mais en réponse elle ne ressent aucune attention particulière. Les chapitres sont courts, les phrases sont simples qui décrivent la difficulté du retour en France. L’histoire est très touchante.

Extrait : Creuser – enfouir – perdre

Depuis qu'on est arrivé dans cette ville atlantique, on va à la plage.

Pour moi, la plage, c'est creuser.

Un jour, c'est un briquet, un petit briquet carré que j'ai trouvé, qui tient bien dans ma main.

Je l'enfouis profond, là où le sable a fini d'être sec. Creuser dans le mouillé, les grains qui s'encastrent sous les ongles, je ne sais pas si j'aime ça mais je le fais.

Je creuse, j'enfouis.

Et puis peu à peu le sable remis rebouche le trou. C'est bien. Et du sable sec par-dessus. Jusqu'à ce qu'on ne voie plus le lieu où j'ai enfoui.

Moi seule, je repère.

Et puis je joue à oublier le lieu.

Et d'un coup me le redonner : là, c'est sûr, je le sais, si je creuse, je retrouve le briquet.

Mais je ne le fais pas. Je tente l'oubli encore plus fort. C'est un drôle de jeu.

Je vais à la mer.

Les bras le long du corps, les mains qui sentent le dur de l'eau contre elles. J'avance et puis je m'arrête.

Immobile, je laisse les vagues faire. Lapent les cuisses, repartent. Le froid qui pique avant qu'elles reviennent me claquer la peau. Je compte. Dix fois. Et puis je retourne au sable. Je passe, rapide, les galets, en équilibre, les flaques. La mer descend. Le soir. Bientôt nous allons rentrer.

Ma mère est assise au milieu de nos affaires, sur sa serviette. La plage, elle n'aime pas. Elle lit Intimité ou Nous Deux tout en tricotant encore pour cet hiver des pulls qui me feront des boules sous les bras. Elle n'est pas douée.

Parfois elle lève les yeux sur ces femmes aux corps sveltes et sûrs qui s'ébrouent, bronzent, nagent, ont l'air heureux. Intimidée.

Elle les envie.

J'envie leurs enfants.

Nous, où qu'on aille, on a toujours l'air de rétablir le campement. On se protège. On n'étale pas les matelas pneumatiques, les transats, les nattes. On s'assoit sur des serviettes éponge de toilette, maladroitement. On ne sait pas prendre nos aises.

Dans nos corps resserrés par des générations de l'exil répété, nous savons le peu d'espace qu'on nous laisse. Encore en prenons-nous moins. Habitués à nous faire oublier. Nous ne savons pas vivre comme les autres. Toujours trop ou trop peu.

Nous ne sommes libres que de partir. C'est dans l'âme. 

23 mai 2009

OPA sur le Vendée Globe – Alain Bach

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Présentation de l'éditeur
Le Vendée Globe est une des plus grandes courses du monde à la voile en solo et sans assistance. Tous les 4 ans les concurrents s'élancent pour ce challenge unique aux couleurs, souvent prestigieuses, de ceux qui financent leurs monstres de course. Epreuve d'endurance et de courage mais aussi enjeux importants entre les sponsors pour remporter la victoire médiatique. Dans " OPA sur le Vendée Globe ", Alain Bach nous fait partager le combat héroïque d'une skippeure sablaise. Sa course autour du monde en solitaire devient, progressivement, l'enjeu de luttes implacables et violentes entre deux multinationales de la haute finance dont l'une est prête à tous les coups bas pour réussir à s'assurer le contrôle de l'autre. Une aventure humaine magnifiquement documentée dans le monde rude de la haute compétition en mer et dans celui des requins de la haute finance internationale.

Biographie de l'auteur
Alain Bach vit en Vendée, aux Sables d'Olonne. S'il écrit depuis plus de 15 ans, sa passion pour l'écriture romanesque n'est apparue qu'en 2001 avec un premier roman aux éditions d'Orbestier : " l'Or de Brocéliande " qui fut distingué par deux prix littéraires. Alain Bach dirige, dans l'Ouest, des enquêtes publiques auprès des collectivités territoriales dans les domaines de l'environnement ou de l'aménagement foncier. Son métier l'amène à côtoyer tous les milieux et constitue sa principale source d'inspiration.

Mon avis : (lu en mai 2009)

Comme l'indique son titre, ce roman est construit autour de deux thèmes : tout d'abord le mythique Vendée Globe, course à la voile, autour du monde et sans escale, réservée aux navigateurs solitaires mais aussi la bourse avec l'OPA (offre publique d'achat) d'un sponsor sur un autre sponsor. La partie financière du roman a été plutôt obscure pour moi et ne m'a pas vraiment intéressée. La partie course m'a beaucoup plu, l'héroïne de l'histoire est Marie-Pierre, navigatrice professionnelle, qui part avec plusieurs handicaps : elle a un bateau vieillissant mais surtout elle est au prise avec des problèmes psychologiques. Elle est très courageuse et pleine de détermination, elle va brouiller les cartes en gagnant la bataille de la communication.

Ce livre se lit assez bien et est très distrayant. J'ai toujours aimé les livres d'aventures autour de la mer.

Extrait : (début du livre)

Mars en Vendée (J - 620)

Rendues ivres par le vent du nord, les poubelles titubaient, tombaient et vomissaient leurs déchets sur les quais déserts de La Chaume. De violentes bourrasques mêlées à une fine pluie cinglante harcelaient la nuit et faisaient miauler les fils électriques. Les longues et fines hampes des réverbères agitaient leurs grosses ampoules en un ballet fantasmagorique pendant que, du bout du quai, vers la jetée, parvenait la rumeur grondante de l’armée des vagues.

Étienne regrettait amèrement l’absence d’une capuche sur son imperméable. Il sentait les gouttes de pluie glacée lui piquer le visage comme de fines aiguilles et enfonçait ses poings dans les poches avec d’autant plus de vigueur que l’air et l’eau lui gelaient le corps.

« Troisième bistrot à droite après la boulangerie… ça fait un moment que j’aurais dû le trouver! Même pas un pingouin à qui demander! » Étienne était furieux : lui, le jeune cadre parisien dynamique portant beau la quarantaine, chouchou de son grand patron. Lui, dont le bureau, climatisé toute l’année, donnait sur la Seine et la tour Eiffel. Lui, qui faisait glousser les petites secrétaires de l’état major de la firme. Lui, qui veillait à toujours assortir ses mi-chaussettes en fil d’écosse avec sa cravate en soie ! Eh bien lui, il avait de la flotte plein les chaussures et le moral qui barbotait dedans.

- Mais où est ce fichu bistrot ? se surprit-il à dire à haute voix.

Une camionnette passa à vive allure, provoquant une gerbe d’eau qu’il ne chercha pas à éviter. Il en était à ce point de fatalisme que même ce genre d’incident ne comptait plus vraiment.

Place Anselme Maraud, sur le quai des Boucaniers, une devanture rappelait vaguement celle d’un café des années trente. Sur la vitre, au-dessus de petits rideaux douteux, une grande inscription en lettres anglaises blanches s’étalait à mi-hauteur : « Chez Lili et Marcel, sandwichs à toute heure ». De quoi alpaguer le chaland qui aurait l’âme gelée et qui chercherait désespérément un peu de chaleur humaine ou son lot d’alcool ! L’absence de néon racoleur — un simple éclairage intérieur aux reflets jaunes — et la présence de quelques guéridons vieillots, confirmaient la première impression. Un comptoir en placage d’acajou protégeait une série d’étagères remplies d’une collection de bouteilles ; leur grande variété de formes et d’étiquettes témoignait de la vaste culture éthylique des clients autochtones.

Il entra, précédé d’un bruit de vieux grelot asthmatique. Quelques têtes se tournèrent vers la porte d’entrée. Derrière le bar, une cigarette coincée sur l’oreille, un homme torchonnait des verres avec la conviction d’un pré-retraité : Marcel, le « patron », visiblement. Il avait le nez délicat de ces barmen attentifs à leur clientèle dépressive. Le nez — Étienne ne vit que lui — donnait une cohérence lamentable à l’ambiance déprimante de cet estaminet hors d’âge. Son propriétaire devait rarement oublier de se servir un petit rouge « limé » pour accompagner, par compassion, une malheureuse histoire. Et il y en avait sûrement beaucoup, ici, de malheureuses histoires !

Enfin à l’abri, un « déca » fumant sur le comptoir, Étienne lança un regard circulaire dans la salle. Quatre anciens en casquette de marin bousculaient des cartes en communiquant à l’aide de grognements, tandis qu’un grand maigre s’accrochait au comptoir en soliloquant à voix basse. Il n’y avait personne d’autre…

« Diable, se dit Étienne, elle est sans doute en retard! » Il haussa les épaules. « Avec un temps pareil ! » Il s’était demandé comment trouver Marie-Pierre Rousseau dont il n’avait pas réussi à obtenir l’adresse. Il était venu tout exprès de Paris dans l’espoir de la rencontrer. « Tu verras, lui avait-on dit, pas moyen de la rater, elle habite quelque part aux Sables d’Olonne, on ne sait pas où. Elle est systématiquement dans ce bar de La Chaume en fin de journée, chez Lily et Marcel. »

Les gens devraient se méfier des mots. L’habituel n’est pas forcément systématique : visiblement, la Rousseau n’était pas dans son lieu de prédilection !

« Elle fait une cure, avait-on continué à lui expliquer avec un sourire en coin. Pour ne pas mourir elle se soigne à l’eau-de-vie. À la fermeture, elle est assez chargée pour dormir jusque tard dans la matinée. Elle ne mange pas. Elle est épaisse comme une sauterelle du Niger. Fais gaffe, elle ne parle pas facilement et ne veut l’aide de personne ! Franchement, une femme pareille, dans cet état et au RMI ! C’est incroyable, non ? »

Oui, vraiment, il était incroyable que la femme la plus adulée du monde de la voile, vainqueure à vingt-huit ans d’une solitaire du Figaro, d’un tour de France à la voile, de la Lorient – Saint Barth de la même année, devenue la navigatrice la plus prometteuse de son époque, se soit effondrée, disloquée psychiquement l’année suivante au cours du Vendée Globe. Elle était en seconde position derrière Loïc Le Guennec et remontait très fort sur lui. Mais elle fut disqualifiée, suite à une dénonciation de Le Guennec, pour non-respect de la réglementation.

Une affaire obscure, jamais vraiment élucidée, malgré les explications de Le Guennec. Curieusement Marie-Pierre Rousseau avait authentifié la version du dénonciateur. Le comité arbitral de la course l’avait éliminée, ce qui avait clos le débat. La presse avait vendu pas mal de papier autour de cette histoire. Un large public, sympathisant de la malheureuse navigatrice, estimait la « gagne » rageuse de Le Guennec outrancière.

Après quoi, cette jolie femme de formation « ingénieur » au sourire malicieux, brune, mince, nerveuse et endurante, avait disparu des circuits, du jour au lendemain. Quatre mois auparavant elle était réapparue aux Sables d’Olonne, sa ville natale. Mais dans quel état ! Alcoolique à l’avant-dernier degré, sans le sou, abandonnée de tous, y compris de sa famille, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Après des débuts si prometteurs, qui aurait pu prévoir une telle déchéance ? Elle était hébergée quelque part à la Chaume sans que personne ne sache vraiment où.

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19 mai 2009

Les mains libres – Jeanne Benameur

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Denoël – janvier 2004 - 148 pages

Folio – janvier 2006 – 160 pages

Présentation de l'éditeur
'Y a-t-il un signe de vie dans le ciel qui indique que quelque part, dans une ville, au milieu de tant et tant de gens, deux êtres sont en train de vivre quelque chose qui ne tient à rien, quelque chose de frêle comme un feu de fortune ?'

Mme Lure est une vieille femme comme on en croise sans les remarquer. Dans l'appartement de son mari disparu, elle maintient chaque chose à sa place, tranquille et pour toujours. Elle évite tout souvenir, mais rêve grâce aux brochures de voyages qu'elle étale sur la table de la cuisine. Yvonne Lure entre dans les photographies, y sourit, y vit. Un jour, surprenant les doigts voleurs d'un jeune homme dans le grand magasin, elle se met à le suivre de façon irréfléchie jusqu'à son campement, sous l'arche d'un pont. Qu'ont-ils en commun, Yvonne, celle qui garde, et Vargas, l'errant ? D'une écriture forte et lumineuse, Jeanne Benameur capte comme jamais les destins obscurs de deux parias innocents, tissant entre eux des liens intenses. Ressuscitant des pans de mémoire palpitante, elle aiguise le vide en chacun de nous.

Biographie de l'auteur
Jeanne Benameur est l'auteur chez Denoël de Les Demeurées, 2000, Un jour mes princes sont venus, 2001, Ça t'apprendra à vivre, 2003, et de nombreux livres pour la jeunesse, dont récemment La Boutique jaune. Longtemps enseignante, elle se consacre désormais à l'écriture
 

Mon avis : (lu en mai 2009)

C’est le deuxième livre que je lis de cette auteure après « les demeurées ».

C’est l’histoire d’Yvonne Lure une vieille dame qui vit seule depuis la mort de son mari. Elle est « transparente » pour les autres, elle occupe ses journées avec le ménage et ses courses. Elle rêve grâce aux catalogues de voyages et aux photos dans lesquels elle se projette et s’évade. Un jour, elle va surprendre les mains voleuses d’un jeune homme, Vargas, dans un supermarché, sans réfléchir elle va le suivre jusqu’à sa caravane sur un terrain vague en face de chez elle. Elle va d’abord le surveiller de sa fenêtre, puis déposer à proximité du campement le livre de son défunt mari. Ils vont s’apprivoiser l’un et l’autre grâce à ce livre et à la lecture…

Je ne peux donc pas être insensible à ce livre plein de poésie, de tendresse avec ces deux personnages si perdus dans leur solitude.

Le style est fait de phrases courtes, de mots simples mais justes qui nous entraînent dans une histoire pleine de d’émotions.

Extrait : (début du livre)

Madame Lure va, vient, vit. Proprement seule.

Madame Lure a ce qu’il faut.

L’entretien de son appartement et les commissions quotidiennes comblent son besoin de déplacement physique. Comment combler l’espace des rêves ?

Cela a lieu dans la cuisine.

Madame Lure étale une carte de géographie sur la toile cirée. D’abord, elle défait les pliures de la tranche de sa main bien tendue. Elle appuie.

A chaque passage, le dos de sa main semble faire reculer un mur invisible.

Plus loin. Encore.

Le coude se déplie. Le bras se tend. Elle lisse les mers, les pays, de sa paume courte, ferme.

Viennent alors les noms des lieux qu’elle prononce tout bas, tête penchée. C’est une prière secrète. Elle s’efforce à une diction claire. Il faut que chaque syllabe soit distincte. Parfois même, elle détache, nette, une lettre d’une autre lettre.

L’évocation gagne encore en étrange. Elle entend sa voix résonner comme une autre.

Elle crée l’ailleurs dans sa bouche. Roc et sel.

Auprès de la carte dépliée, une brochure de voyages.

Personne ne connaît ses départs.

Personne n’agite de mouchoir.

Cela dure. Qu’importe le temps des horloges.

Personne ne l’attend. A aucune escale. C’est une voyageuse  de la terre qu’elle ne quitte pas. Ses valises n’ont jamais eu à être bouclées.

De tout temps, il n’y a jamais eu de bagage.

Madame Lure, dans ses périples, est légère.

Son poids sur la terre ne pèse plus rien. 

9 mai 2009

L’implacable brutalité du réveil – Pascale Kramer

l_implacable_brutalit__du_r_veil_1 Mercure de France – janvier 2009 – 140 pages

Présentation de l'éditeur
Una tétait en donnant des petits coups avec sa tête. Alissa la sentait à peine. Sur l'ordinateur resté allumé s'égrenaient toujours ces mêmes images d'elle et de lui, ce monde hypnotisant d'avant le réveil. Una la fixait de ses yeux bleus comme troublés de gelée. Une feuille morte prise dans le ventilateur de la climatisation grattait le silence. Il semblait que le temps pourrait ne plus bouger pendant des heures, et Alissa ne savait pas qui aller trouver. Comment les choses pouvaient-elles se montrer à ce point sans pitié, n'offrir ni recours ni alternative, désormais ? Alissa n'en revenait pas de ce qu'elle avait laissé se faire. Ce ne pouvait pas être ça la vie qui avait été promise.

Alissa et Richard étaient connus pour être le couple le plus sexy du campus. De leurs amours vient de naître Una. C'est l'été : le ciel californien est éclatant, on entend bourdonner les climatiseurs dans la résidence où ils viennent d'emménager. Laissée seule avec le bébé dont la totale dépendance l'émeut et l'accable, Alissa sombre inexorablement dans le doute. Mais le moment du choix est passé. Il n'y a pas de retour en arrière possible désormais.

Biographie de l'auteur
Pascale Kramer a publié plusieurs romans, dont Les Vivants, L'adieu au Nord et Fracas.

Mon avis : (lu en mai 2009)

J'ai pris ce livre un peu par hasard, il est très bien écrit mais l'ambiance est lourde, difficile...

On suit heure par heure la dépression d'Alissa après la naissance de sa fille Una. Elle vient d'emménager dans un appartement avec son mari Richard, leur bébé a 3 semaines. Cette naissance a bouleversé sa vie : elle ne ressent pas d'attachement pour son bébé, elle ne le comprend pas, elle se sent seule, abandonnée... Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Au même moment, ses parents se séparent et la maison de son enfance va être vendue. Alissa n'a plus de repère, elle doute de son aptitude à être une mère, mais il est trop tard, Una est là, il faut faire face à ses responsabilités.

J'ai été prise par ce roman, je me suis attachée aux personnages et j'ai été curieuse de savoir comment cela allait se terminer... En résumé un roman troublant.

 

Extrait : (début du livre)

Tout était absolument calme. La surface presque immobile de la piscine berçait le reflet du ciel et des galeries. Alissa y poussa du bout du pied un sachet de bonbons que quelqu'un avait laissé traîner dans les galets le long du mur des remises. Presque nue dans ses bras, Una tétait, poings crispés. L'effort tuméfiait son visage de sang sous la curieuse constellation de minuscules points blancs qui affleurait autour du nez. Alissa se concentra sur le mâchonnement des gencives dont la sensation mouillée la troublait. Au creux de sa main se soulevait doucement la cage des côtes menues sur lesquelles plissait la chair. Leurs peaux collaient un peu. La petite devait avoir chaud elle aussi, mais Alissa ne se décidait pas à l'emmener à nouveau dans l'eau, son regard laiteux et son affolement de souris l'avaient frappée d'une conscience tellement angoissante du rien qu'était encore cette vie dont elle avait désormais la charge.

Le portable était resté à l'entrée du bassin, près de la palissade en bois qui cachait les poubelles sous une poussée de jasmin. Alissa l'avait posé là tout à l'heure pour que Richard puisse les entendre se baigner et les encourager de son rire râpeux comme une toux dans le mauvais écho du haut-parleur. C'était une heure plus tôt. Alissa n'avait parlé à personne depuis, il n'y avait pas eu le moindre mouvement derrière l'écran grisâtre des moustiquaires, comme si le temps se dévidait lentement au seul bruit de vibration des climatiseurs. Ils avaient emménagé la semaine précédente. Ses parents étaient venus les aider le week-end, le frère de Richard avait passé la soirée à monter les étagères et la nuit sur le canapé d'où il avait plaisanté tard à travers la paroi. Rien ne laissait présager alors qu'il n'y aurait personne dans la chaleur blanche et bleue de la résidence pendant les longues heures silencieuses qu'il faudrait passer auprès d'Una. Alissa était seule pour la première fois, à vingt-sept ans, seule comme on l'est quand personne ne vous regarde. Elle n'arrivait pas encore à mettre de mots sur le silence de cette absence de regards.

8 mai 2009

Le Voile noir - Anny Duperey

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Seuil – avril 1992 – 235 pages

Points – octobre 2003 - 256 pages

Quatrième de couverture
J'avais pensé, logiquement, dédier ces pages à la mémoire de mes parents - de mon père, surtout, l'auteur de la plupart des photos, qui sont la base et la raison d'être de ce livre. Curieusement, je n'en ai pas envie. Leur dédier ce livre me semble une coquetterie inutile et fausse. Je n'ai jamais déposé une fleur sur leur tombe, ni même remis les pieds dans le cimetière où ils sont enterrés. Sans doute parce que obscurément je leur en veux d'avoir disparu si jeunes, si beaux, sans l'excuse de la maladie, sans même l'avoir voulu, quasiment par inadvertance. C'est impardonnable. Mon père fit ces photos. Je les trouve belles. Il avait, je crois, beaucoup de talent. J'avais depuis des années l'envie de les montrer. Parallèlement, montait en moi la sourde envie d'écrire, sans avoir recours au masque de la fiction, sur mon enfance coupée en deux. Ces deux envies se sont tout naturellement rejointes et justifiées l'une l'autre. Ces photos sont beaucoup plus pour moi que de belles images, elles me tiennent lieu de mémoire. J'ai le sentiment que ma vie a commencé le jour de leur mort - il ne me reste rien d'avant, d'eux, que ces images en noir et blanc.

Auteur : L'enfance radieuse d'Anny Duperey prend fin avec la mort par asphyxie de ses parents au monoxyde de carbone. La petite fille de huit ans subit alors une autre déchirure : celle d'être séparée de sa soeur. Elevée par sa tante, elle est en revanche libre d'opérer d'audacieux choix de carrière : l'inscription au Conservatoire de Rouen, la 'montée' à Paris, les prestigieux cours Simon, financés par quelques séances de mannequinat. Jean Mercure, fondateur du Théâtre de la Ville, va choisir de travailler avec elle pendant dix ans. Remarquée par ses pairs pour sa prestation dans 'La guerre de Troie n'aura pas lieu', l'actrice force ensuite les portes du 'septième art', et tourne pour Godart, Deville, Resnais... En 1970, elle rencontre son premier mari, Bernard Giraudeau, sur les planches de la comédie musicale 'Attention fragile'. De la même façon, elle tombe sous le charme de Cris Campion durant le tournage d''Une famille formidable'. Son rôle dans cette série lui vaut d'ailleurs de partager un 7 d'Or avec Bernard Le Coq. Elle est également reconnu comme écrivain grâce à des ouvrages tels que 'Le Voile noir', 'L' Admiroir', 'Les Chats de hasard' et plus récemment 'Allons voir plus loin, veux-tu ?' qui a connu un très grand succès. Elle triomphe en 2006, dans la pièce de théâtre 'Oscar et la dame rose'. Dynamique, généreuse, fine plume... elle est adorée du public.

Mon avis : (lu 1992)

Dans ce livre, Anny Duperey est bouleversante. Le drame qu'elle a subit lorsqu'elle avait 8 ans est tellement fort que « le choc de leur disparition a jeté sur les années qui ont précédé un voile opaque, comme si elles n’avaient jamais existé. » Avec ce livre et les photos de son père, Anny Duperey nous dévoile les sentiments qu'elle a gardé en elle pendant longtemps. Elle retrace son enfance avant mais aussi sa vie après la disparition de ses parents. Elle a longtemps culpabilisé de ne pas être mort avec eux mais aussi elle en a voulu à ses parents de l'avoir abandonnée. Elle a terriblement souffert d'être séparée de sa sœur après la mort de ses parents. Ayant perdu moi-même mes parents à l'âge de 19 ans, j'ai été très touchée et bouleversée par ce livre, il m'a aidé à me poser des questions et m'a donné certaines réponses. Cette lecture m'a beaucoup apaisée.

Extrait :

Faites pleurer les enfants

« On rêve toujours que ce que l’on écrit puisse être utile à quelqu’un , ne serait-ce qu’à une seule personne, que ce que l’on a sorti de soi avec peine ne reste pas un monologue stérile, sinon autant vaudrait prendre ces pages et les enfermer tout de suite dans un tiroir.
Alors, à tout hasard…
Si vous voyez devant vous un enfant frappé par un deuil se refermer violemment sur lui-même, refuser la mort, nier son chagrin, faites-le pleurer. En lui parlant, en lui montrant ce qu’il a perdu, même si cela paraît cruel, même s’il s’en défend aussi brutalement que je l’ai fait, même s’il doit vous détester pour cela mais ce que je dis là est impossible à faire…[…] Une personne aimante a envie d’épargner. Et pourtant… Pourtant, percez sa résistance, videz-le de son chagrin pour que ne se forme pas tout au fond de lui un abcès de douleur qui lui remontera à la gorge plus tard.
Le chagrin cadenassé ne s’assèche pas de lui-même, il grandit, s’envenime, il se nourrit de silence, en silence il empoisonne sans qu’on le sache.
Faites pleurer les enfants qui veulent ignorer qu’ils souffrent, c’est le plus charitable service à leur rendre. »

8 mai 2009

La forêt des ombres – Franz Thilliez

la_foret_des_ombres Le Passage – août 2006 – 394 pages

Présentation de l'éditeur
Hiver 2006. Cœur de la Forêt-Noire. Le froid, la neige, l'isolement... Les conditions idéales pour écrire sur un tueur en série, retrouvé pendu voilà plus d'un quart de siècle. Le Bourreau 125.

Arthur Doffre, riche héritier, vieil homme paraplégique, souhaite le ramener à la vie par l'intermédiaire d'un roman. Un thriller que David Miller, auteur de polar occasionnel et embaumeur de profession, a un mois pour écrire, enfermé dans un chalet avec sa famille, Doffre et sa jeune compagne. Mais il est des portes qu'il vaut mieux laisser fermées... et très vite, la psychose s'installe. Ne reste alors qu'une seule solution : combattre ses peurs, repousser la folie, grouper ses maigres forces ; et affronter l'impensable...

La Forêt des ombres, huis clos infernal, nous entraîne dans les méandres de la folie et de la perversion.

Biographie de l'auteur
Franck Thilliez est l'auteur de La Chambre des morts (Prix Quais du polar 2006).
 

 

Mon avis : (lu en mai 2009)

Ce polar m'a donné des frissons... Les personnages sont ambigus, ils ont des secrets... L'auteur nous embarque dans un monde de folie, il sait nous tenir en haleine et nous perdre sur plusieurs pistes. Je reconnais que l'histoire est bien construite : c'est un huis clos dans un chalet sous la neige perdu au milieu de la Forêt Noire. L'atmosphère est oppressante. On explore les limites de la cruauté humaine... Bien sûr ce n'est qu'à la fin que l'on découvre la vérité. Le mélange action et psychologie est parfaitement dosé.

Pour ma part, je me suis retenue d'imaginer les scènes décrites tellement l'horreur est présente. Je ne suis pas vraiment friande de ce genre de policier où il y a une escalade dans le gore...

A lire si vous aimez les thrillers !

A éviter si comme moi vous faites parti des âmes sensibles car les descriptions sont précises et surtout très écœurantes !

 

Extrait : (page 139)
Le jeune homme traîna son escabeau jusqu'au charmant Bundy, non sans réprimer un certain dégoût. Le sang, qui avait gelé en gouttelettes noires, outrageait la blancheur ouatée déposée par la nature. Cette mort-là, puant la charogne, n'était pas la sienne, pas celle qu'on pouvait masquer à l'aide de produits conservateurs ou à coups de bistouri. Elle se déployait ici librement, sans tabou, et creusait toujours plus ces sculptures, secondées par la lente maturation du temps. Cette mort-là était celle de l'enfant que le meurtrier enterre et laisse pourrir dans son jardin, celle de l'adolescente, abandonnée ligotée contre un arbre, en proie aux bêtes sauvages. Cette mort-là était celle dont on ne parle jamais.
Seul sous ces cosses morbides, David la défiait, le yeux dans le yeux.

 

Extrait : (page 190)
En d'autres circonstances, l'épopée de David dans ce feu d'artifice de verdure, au volant d'un puissant 4X4, aurait été fantastique. Des hectares de silence. Des infinis rendus violets par la réfraction de la lumière à travers la glace. Des sculptures irréelles, que seul l'hiver savait modeler. Mais les événements des dernières heures donnaient à l'endroit une toute autre tonalité. Nettement plus terne, plus macabre.
David fixait le GPS lorsque l'arrière du véhicule se mit à chasser dramatiquement. Il écrasa la pédale de frein, entraînant la masse d'acier sur le côté gauche puis, dans un contrecoup, sur le côté droit. Il plaqua ses paumes sur le volant. Qu'est-ce qui s'était passé ?... Etait-il possible que...
Il descendit, l'oeil rivé au sol. A ses pieds, des traces de pas de petite taille, orientées vers le chalet. Des traces de course... Des traces de fuite. Celle de la femme aux cheveux noirs.
L' héroïne, échappée de son roman. Encore elle.
David se retourna vers la voiture. Alors ses joues se creusèrent, sa gorge se serra. Pneus avant et arrière gauche crevés ! 'Eh merde !' Il souffla dans ses mains nues, contourna le véhicule. Juste pour vérifier.
Les quatre pneus étaient à plat !

Extrait : le quatrième chapitre est en libre accès sur le site des livres de poche Pocket.

6 mai 2009

Le pendule de Foucault - Umberto Eco

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Grasset – février 1990 – 657 pages

LGF - avril 1992 – 656 pages

Résumé :
Après l'immense succès du Nom de la rose, voici le second grand roman d'un géant incontesté de la littérature mondiale. A Paris, au Conservatoire des Arts et Métiers où oscille le pendule de Foucault, Casaubon, le narrateur, attend le rendez-vous qui lui révélera pourquoi son ami Belbo se croit en danger de mort. A Milan, trois amis passionnés d'ésotérisme et d'occultisme ont imaginé par jeu un gigantesque complot ourdi au cours des siècles pour la domination mondiale. Et voici qu'apparaissent en chair et en os les chevaliers de la vengeance... Telles sont les données initiales de ce fabuleux thriller planétaire, incroyablement érudit et follement romanesque, regorgeant de passions et d'énigmes, qui est aussi une fascinante traversée de l'Histoire et de la culture occidentales, des parchemins aux computers, de Descartes aux nazis, de la kabbale à la science. Un de ces romans que l'on n'oublie plus jamais. Et assurément un classique.

Auteur : Umberto Eco, né le 5 janvier 1932 à Alexandrie (Alessandria), Piémont (Italie), est l'auteur mondialement connu de nombreux essais universitaires sur la sémiotique, l'esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique et la philosophie. Il est surtout connu du grand public pour ses œuvres romanesques. Titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l'École supérieure des sciences humaines à l'Université de Bologne, il en est professeur émérite depuis 2008. Son premier roman, Le Nom de la rose (1980) connaît un succès mondial avec 16 millions d'exemplaires vendus à ce jour et des traductions en vingt-six langues, son deuxième roman, Le Pendule de Foucault (1988) connaît également un énorme succès.

Mon avis : (lu en 1993)

Ce livre m'a autant passionné que le Nom de la Rose.

Avec près de vingt ans d’avance, Umberto Eco applique les recettes qu’utilisera plus tard Dan Brown dans le Da Vinci Code en imaginant un fil rouge à toutes les traditions ésotériques existantes. Par ce livre l'auteur cherche à dénoncer l'ésotérisme. C'est donc un livre anti-initiatique et anti-ésotérique.

Le Pendule de Foucault fait appel à beaucoup de références et de thèmes historiques, ésotériques, mythologiques, religieux, scientifiques, philosophiques, artistiques, politiques... On retrouve certaines dans des ouvrages ou des mythes mais d'autres viennent de l'imagination créative de l'auteur. Le livre peut alors sembler difficile d'accès mais il est possible de suivre l'histoire proposée sans avoir pour autant la vaste culture qu'Umberto Eco.

Un pendule de Foucault, du nom du physicien français Jean Bernard Léon Foucault, est une expérience conçue pour mettre en évidence la rotation de la Terre par rapport à un référentiel galiléen. Elle s'explique par l'existence de la force de Coriolis dans le référentiel non galiléen lié à un observateur terrestre.

Vidéo du pendule de Foucault au Musée des Arts et Métiers :

Une caméra est installée en haut du pendule de Foucault de l'Institut de géophysique de Munich. On peut ainsi le voir évoluer en direct.

 

Extrait : « - Mais en somme, et je m'excuse si je suis banal, les Rose-Croix existent ou pas ?
- Que signifie exister ?
- A vous l'honneur.
-La Grande Fraternité Blanche, que vous les appeliez Rose-Croix, que vous les appeliez chevalerie spirituelle dont les Templiers sont une incarnation occasionnelle, est une cohorte de sages, peu, très peu d'élus, qui voyage à travers l'histoire de l'humanité pour préserver un noyau de sapience éternelle. L'histoire ne se développe pas au hasard. Elle est l'aeuvre des Seigneurs du Monde, auxquels rien n'échappe. Naturellement, les Seigneurs du Monde se défendent par le secret. Et donc, chaque fois que vous rencontrerez quelqu'un qui se dit Seigneur, ou Rose-Croix, ou Templier, celui-là mentira. Il faut les chercher ailleurs.
-Mais alors cette histoire continue à l'infini ?
-C'est ainsi. Et c'est l'astuce des Seigneurs.
-Mais qu'est-ce qu'ils veulent que les gens sachent ?
-Qu'il y a un secret. Autrement pourquoi vivre, si tout était ainsi qu'il apparaît ?
-Et quel est le secret ?
-Ce que les religions révélées n'ont pas su dire. Le secret se trouve au-delà ».

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