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A propos de livres...
france
11 avril 2010

Les disparues de Vancouver – Élise Fontenaille

les_disparues_de_vancouvert Grasset – février 2010 – 194 pages

Présentation de l'éditeur :

" Pourquoi sortir l'affaire des disparues de Vancouver au moment des Jeux olympiques ? Parce qu'elle en est le négatif absolu... D'un côté, les cimes, la blancheur, la glace, l'exploit, la vitesse, les corps vainqueurs, venus du monde entier, ce que Vancouver veut montrer au monde, une image rêvée... De l'autre, la noirceur, un gouffre au coeur de la ville, les corps vaincus, détruits, drogués, les Indiennes, l'échec, la mort, tout ce que l'on voudrait cacher. " A Vancouver, les prostituées du downtown eastside disparaissent. Soixante-neuf déjà. Parmi elles, Sarah, jolie, rieuse, pleine de vie. Mais qui se soucie du sort de ces filles qui vendent leur corps pour un peu d'héroïne ? Dans ce roman vrai, émouvant, lucide, Elise Fontenaille offre à Sarah un espoir de survie : tombeau et résurrection.

Auteur : Elise Fontenaille, romancière, née à Nancy en 1960, elle a été journaliste pendant quelques années. Elle est l'auteur de La gommeuse (1997), Le Palais de la femme (1999), Demain les filles on va tuer papa (2001), L'enfant rouge (2002), Brûlements (2006), L'aérostat (2008). Fabuleuse raconteuse d'histoire, elle aime explorer des univers singuliers et mettre en scène des personnages atypiques.

Mon avis : (lu en avril 2010)

J'ai entendu parler de ce livre lors d'une émission de radio «Café crime» de Jacques Pradel sur Europe 1. Ce roman appartient à la collection « Ceci n'est pas un fait divers » et s'est inspiré d'un horrible fait divers. A Vancouver, durant plusieurs années, soixante-neuf prostituées du downtown eastside disparaissent sans explication. Le 5 février 2002, le coupable sera arrêté et la vérité atroce sur ses disparitions sera connue de tous. « Le procès Pickton durera six mois, de mai à décembre 2007 »

A travers ce récit l'auteur nous montre le combat difficile des proches des disparues pour tenter de les retrouver et de comprendre, elle dénonce aussi l'absence totale d'action de la part de police et des autorités considérant que les disparitions de pauvres indiennes, droguées et prostituées ne nécessitent pas d'enquête. Nous découvrons également la vie difficile des femmes de ce quartier downtown eastside et plus largement celle de la communauté indienne qui est méprisée et laissée pour compte.

Downtown Eastside (DTES) est le quartier le plus pauvre du Canada, il est situé en plein centre de Vancouver, « dix blocs qui ressemblent à l'enfer » et affichent des taux très élevés de toxicomanie et de séropositivité. C'est une réalité que les autorités préfèrent ignorer. Les disparues sont des prostituées du DTES, elles font cela pour « se payer des doses de crack et d'héroïne ». Elles sont pour la plupart indiennes, putes et drogués, leurs disparitions n'inquiètent pas la police, c'est la juste conséquence de la vie qu'elles mènent ! L'auteur va nous raconter l'histoire de l'une des disparues, Sarah. « Métisse de Black et d'Indienne, adoptée tout bébé par une famille libéral », « Une enfance heureuse, en apparence... En proie au racisme et au rejet à l'école, mais ça, à la maison, personne ne le savait, elle n'en parlait jamais. Trop fière pour ça Sarah, trop blessée. », « A l'adolescence, tout à volé en éclats : fugue, drogue, prostitution... » Lorsque Sarah à disparue, son ami, Wayne Leng, tente de retrouver son corps pour lui offrir de dignes funérailles : il monte un site et réunit les proches des autres disparues pour alerter les médias et l'opinion publique.

Avec ce livre, Élise Fontenaille dénonce également le racisme des canadiens vis à vis des populations indiennes. A travers un des chapitres du livre, elle revient sur un épisode tragique de l'histoire canadienne : depuis les années 1860 et jusqu'en 1970, les autorités canadiennes ont mis en place des orphelinats (les residential schools), « qui ressemblaient plutôt à des camps de concentration pour enfants », ils étaient destinés à assimiler les jeunes Indiens arrachés à leur tribu. L'auteur évoque aussi un livre de photos réalisées par Lincoln Clarkes, fasciné par les filles du Downtown Eastside, il les a traité « comme si elles devaient faire la Une de Vogue, comme si chacune était Sharon Stone ».

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(la photo de la couverture est l'une des photos réalisées par Lincoln Clarkes)

Une histoire vraie qui nous donne de Vancouver une autre image que celle montrée lors des JO d'hiver. Le livre est court et percutant, il m'a donné envie d'en savoir plus.

Extrait :

Crab Park, la cérémonie

En ce matin de mai, il pleut à Vancouver, le port est embrumé. On devine la silhouette d'un cargo au loin, de hautes grues rouges qui oscillent en grinçant ; la cime des monts, de l'autre côté de la baie, a disparu, gommée par les nuages gris.
Le ciel est bas et lourd, comme souvent ici, mais cela n'altère en rien la splendeur du paysage : le spleen sied à Vancouver. Ciel liquide, océan, forêt, cité… Tout se confond, tout est noyé.
Une foule silencieuse est massée sous des parapluies colorés, face à l'océan Pacifique, devant un banc portant une plaque de cuivre gravé, dont la bruine ne parvient pas à ternir l'éclat.
Sur cette plaque, onze noms de femmes.

IN MEMORY OF L. COOMBES, S. DE VRIES,
M. FREY, J. HENRY, H. HALLMARK,
A. JARDINE, C. KNIGHT, K. KOSKI,
S. LANE, J. MURDOCK, S. SPENCE
& ALL OTHER WOMEN
WHO ARE MISSING. WITH OUR LOVE.
MAY 12, 1999.

Crab Park : une simple bande de gazon donnant sur le port industriel. Ici viennent les marins, les dockers… et aussi les filles de Skid Row, quand elles veulent se laver l'âme entre deux passes, en regardant l'océan, oublier un instant le downtown eastside, l'œil errant sur le gris ondoyant des vagues… Le Pacifique lave de tout, même des souillures de Skid Row.
Rassemblées en demi-cercle autour du banc, une centaine de femmes, la plupart indiennes, serrées les unes contre les autres, à deux ou trois sous un même parapluie, quelques hommes aussi. Soudain, les femmes se redressent, entonnent un chant rauque et lent, les hommes les accompagnent au tambour, battement sourd… Sans même comprendre, on a la gorge nouée. Une langue oubliée, surgie d'un passé obscur, qu'on croyait aboli… Même celles qui chantent, le sens des mots leur échappe, les jeunes surtout. Ce sont les anciennes qui mènent, elles savent, elles se souviennent… Il est question d'un départ, d'un chagrin qui n'a pas de fin.
A Vancouver, si l'on meurt, et si l'on a les moyens - cela coûte tout de même vingt mille dollars - on peut laisser un banc à son nom, dans un des parcs qui entourent la ville, avec quelques mots gravés, invitant les passants à se reposer un moment, à contempler l'océan… Un mémorial bucolique et léger.
Les femmes dont les noms sont inscrits ici ne sont pas mortes, pas officiellement en tout cas. Elles ont juste disparu.
Elles étaient là, au coin d'une rue… Soudain, elles n'y sont plus, nul n'a rien vu, rien entendu.
La mélopée s'interrompt, une femme s'empare d'un bâton hérissé de plumes d'aigle, le talking stick, elle prend la parole… Une Blanche robuste, Pat de Vries, la mère de Sarah, épaulée par Maggie, sa fille aînée.
S. DE VRIES : le deuxième nom sur le banc.
- Ce matin, je veux vous parler de Sarah, vous dire quelle enfant rieuse elle était, drôle, gaie, pleine d'énergie et de talents : elle dessinait, chantait, écrivait des poèmes aussi…
Les Indiennes opinent en silence, bras croisés, regards acérés ; des femmes fortes, elles en ont vu.
- … toujours à nous jouer des tours, tu nous faisais mourir de rire… Sarah, on ne rit plus aujourd'hui. Où es-tu ? Où êtes-vous toutes ?
Pat s'essuie les yeux. Un homme s'avance, prend le bâton à son tour : Wayne Leng, un ami de Sarah. La quarantaine gracile, un visage juvénile, barré d'une fine moustache à la Errol Flynn.
- Avant de disparaître, Sarah a laissé son Journal chez moi. Ceci, elle l'a écrit un soir de Noël, elle était seule dans les rues, elle avait froid… J'étais loin à ce moment-là.
Il lit, sa voix tremble un peu.
- Et voilà, une fois de plus c'est Noël. Cette année j'ai le regret de vous annoncer qu'il n'y aura pas d'arbre, pas de décoration, pas de dinde farcie pour le dîner. Le blues s'amplifie à chacun de mes souffles, le vide en moi grandit, il prend toute la place… Je sais que je n'en ai plus pour longtemps, je sais que bientôt, je vais disparaître. Ce soir je le ressens plus fort que jamais, déjà, je ne suis plus qu'une ombre… Est-ce qu'ils se souviendront seulement de moi, quand je ne serai plus là, les autres, leur vie continuera-t-elle comme avant ? Leurs yeux verseront-ils des larmes, le jour où ils me diront adieu…
Wayne plie la feuille en deux, la glisse dans sa poche, ému.
- On se souvient tous de toi, Sarah, on ne t'oubliera jamais… Je pense à toi très fort chaque jour et chaque nuit, tu seras toujours en moi.
Sarah, ça fait deux ans que Wayne la cherche, avec acharnement… Il a même quitté son travail, pour lui consacrer tout son temps.
C'est en déposant des affiches dans le downtown eastside, avec la photo de Sarah, qu'il a découvert qu'il y en avait bien d'autres, des disparues… Des affiches, il en a vu partout, sur les murs de Skid Row, laissées par des proches : des dizaines de femmes rayées de la carte du jour au lendemain, certaines depuis des années.
Quand il a vu les photos, il a compris que quelque chose de grave leur était arrivé, à toutes ces femmes… Il a essayé d'alerter les autorités, les flics lui ont ri au nez.
Un micheton, s'inquiéter pour une pute ? On aura tout vu…
Pour pallier le laxisme de la police, Wayne a créé un site, MISSING… C'est devenu sa vie, il y travaille jour et nuit.
Les enfants de Sarah sont là eux aussi, devant le banc, tout petits, blottis entre Pat et Maggie ; Pat pense que c'est bien qu'ils sachent, qu'ils soient présents, en ce jour. Ce qu'on leur cache, ils le devinent, alors…
- Pourquoi elle a pas de tombe, maman…, chuchote Sarah-Jean, petite fille aux grands yeux noirs, vivant portrait de Sarah.
Wayne se penche, caresse la petite tête brune… Il soupire, se relève, passe le bâton à la mère d'Angela Jardine.

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1 avril 2010

La Vierge en bleu - Tracy Chevalier

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traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie-Odile Fortier-Masek

Édition de La Table Ronde – novembre 2004 – 317 pages

Folio – mars 2006 – 427 pages

Présentation de l'éditeur :

Récemment arrivée des États-Unis avec son mari, Ella Turner a du mal à trouver sa place dans cette bourgade de province du sud-ouest de la France. S'y sentant seule et indésirable, elle entreprend des recherches sur ses ancêtres protestants qui eurent à fuir les persécutions. Elle est alors loin d'imaginer que cette quête va bouleverser sa vie. Quatre siècles plus tôt, en pleine guerre de religion, Isabelle du Moulin, surnommée " La Rousse " en raison de sa flamboyante chevelure, risque un procès en sorcellerie pour le culte qu'elle voue à la Vierge Marie. Cependant, l'enfant qu'elle porte ne lui laisse d'autre choix que d'entrer dans l'intolérante famille des Tournier qui a embrassé la Réforme. Séparées par des générations mais unies par un mystérieux héritage, Ella et Isabelle vont renouer les fils du temps à deux voix. Premier roman de l'auteur de La jeune fille à la perle, La Vierge en bleu livre l'histoire tragique et foisonnante des Tournier, sur fond de guerre de religion.

Auteur : Née à Washington, Columbia en 1962, après des études dans l'Ohio, Tracy Chevalier part en 1984 à Londres pour un séjour de six mois. Amoureuse des livres, elle reste finalement en Angleterre, y fonde une famille et commence à travailler dans l'édition. Pourtant, le virus de l'écriture, déjà côtoyé durant ses études, la rattrape. Après quelques cours d'écriture, Tracy voit ses écrits publiés dans le magazine Fiction, avant que son premier roman, 'La Jeune fille à la perle', ne lui apporte en 1998 un grand succès sur ses terres d'adoption. Confirmation dès lors que ses ouvrages se diffusent à grand échelle. Tracy Chevalier enchaîne, au début des années 2000, avec 'Le Récital des anges', 'La Dame à la licorne' puis 'La Vierge en bleu', et rencontre à chaque fois son public. Elle revient dans les librairies en 2007 avec 'L' Innocence'. Désormais, la sortie de chaque nouveau livre de Tracy Chevalier est un événement.

Mon avis : (lu juin 2004 en et relu en mars 2010)

Après avoir découvert et beaucoup aimé "La jeune fille à la perle", j’avais lu et aimé "La Vierge en bleu ". A l’occasion du concours Tracy Chevalier organisé par BoB, j’ai relu ce livre avec toujours autant de plaisir.

Ce livre nous raconte deux histoires en parallèle : au XVIème siècle, dans les Cévennes, Isabelle est enceinte de l'enfant d'Etienne Tournier, le fils de riches paysans protestants. Elle doit l'épouser et vivre avec sa famille. Pourtant, elle est à l'origine catholique et elle a beaucoup d'admiration pour la Vierge Marie. Les guerres de religions faisant rage, la famille Tournier doit fuir et ils se réfugient à Moutier une petite ville suisse. Au XXème siècle, deux américains Ella et Rick viennent s'installer à Lisle-sur-Tarn une petite ville proche de Toulouse. Mal à aise dans ce village et en attendant de reprendre des études pour travailler en France, Ella Turner s'intéresse à ses ancêtres protestants et entreprend des recherches avec l'aide du bibliothécaire. Les deux récits vont se rejoindre lorsqu’Ella découvrira les lieux de ses origines, et un peu plus sur l’histoire de cette famille.

Extrait : (début du livre)

Elle s'appelait Isabelle. Enfant, ses cheveux changeaient de couleur en moins de temps qu'il n'en faut à l'oiseau pour appeler son compagnon.

Cet été-là, le duc de l'Aigle rapporta de Paris une statue de la Vierge à l'Enfant et un pot de peinture destinés à la niche au-dessus du portail de l'église. Le village célébra par une fête l'installation de la statue. Assise au pied d'une échelle, Isabelle regardait Jean Tournier peindre la niche d'un bleu intense, de la couleur d'un ciel vespéral. Au moment où il achevait, le soleil apparut derrière un pan de nuages, rendant le bleu si vif qu'Isabelle croisa les mains sur sa nuque et serra les coudes contre sa poitrine ; ses rayons posèrent sur sa chevelure une auréole mordorée qui y demeura après qu'il eut disparu. A partir de ce jour, on l'appela La Rousse en souvenir de la Vierge Marie.

Quelques années plus tard, ce surnom perdit toute résonance affectueuse, avec l'arrivée au village de M. Marcel, aux mains maculées de tanin, qui s'exprimait avec des paroles empruntées à Calvin. Lors de son premier sermon, dans les bois, bien loin des regards du curé, il déclara que la Vierge Marie leur barrait le chemin de la Vérité.

30 mars 2010

Zulu – Caryl Férey

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Gallimard – avril 2008 – 391 pages

Folio – avril 2010 -

Grand Prix des Lectrices de ELLE 2009

Présentation de l'éditeur :

Enfant, Ali Neuman a fui le bantoustan du KwaZulu pour échapper aux milices de l'Inkatha, en guerre contre l'ANC, alors clandestin. Même sa mère, seule rescapée de la famille, ne sait pas ce qu'elles lui ont fait... Aujourd'hui chef de la police criminelle de Cape Town, vitrine de l'Afrique du Sud, Neuman doit composer avec deux fléaux majeurs : la violence et le sida, dont le pays, première démocratie d'Afrique, bat tous les records. Les choses s'enveniment lorsqu'on retrouve la fille d'un ancien champion du monde de rugby cruellement assassinée dans le jardin botanique de Kirstenbosch. Une drogue à la composition inconnue semble être la cause du massacre. Neuman qui, suite à l'agression de sa mère, enquête en parallèle dans les townships, envoie son bras droit, Brian Epkeen, et le jeune Fletcher sur la piste du tueur, sans savoir où ils mettent les pieds... Si l'apartheid a disparu de la scène politique, de vieux ennemis agissent toujours dans l'ombre de la réconciliation nationale...

Auteur : Né en 1967, à Caen, remarqué lors de la parution de son troisième roman 'Haka', Caryl Férey s'inscrit rapidement parmi les figures importantes du polar à la française. La singularité de ses oeuvres : le dépaysement. Grand voyageur, l'écrivain situe ses romans noirs, parmi lesquels 'Zulu' ou 'Utu', aux quatre coins de la planète, de la Nouvelle-Zélande, où il a vécu, au Maroc en passant par la France ou l'Afrique du Sud. Inspiré par la culture rock, on lui doit des titres comme 'La Jambe gauche de Joe Strummer', référence directe à sa passion pour les Clash, ou 'D'amour et dope fraîche', qui constitue un nouvel épisode des aventures du Poulpe. Férey distille également son talent en direction d'un public plus jeune avec des livres comme 'Jour de colère' ou 'Ma langue de fer'. Lui qui a débuté auprès d'une petite maison d'édition rennaise, La Balle d'Argent, fait désormais partie des valeurs sûres de la prestigieuse Série noire.

Mon avis : (lu en mars 2010)

Dans ce livre, Caryl Ferey s'est beaucoup documenté sur l'Afrique du Sud et il dépeint la société sud-africaine après l'apartheid.

Ali Neuman est un personnage attachant, il est chef de la police criminelle Cap Town, il spécialiste de la question zoulou. Il est hanté par des démons du passé, enfant, il a vu son père pendu et son frère mourir sous la torture, il a été lui-même meurtri. Le corps d’une jeune femme blanche a été retrouvé sauvagement assassinée dans le jardin botanique. Avec l’aide de deux collègues blancs, Brian Epkeen et Dan Fletcher, Ali va mener l'enquête chez la "jet set" sud-africaine, chez les miliciens afrikaners, chez les gangs mafieux des bidonvilles ou encore chez les militants de la condition noire.

A travers une intrigue policière très bien construite, l’auteur dénonce le nouvel « apartheid social » dont sont victimes les plus pauvres, les plus faibles. Il nous dresse un portrait de l'Afrique du Sud sombre et violent. Les descriptions des paysages sont superbes mais la misère des townships, les traditions ancestrales, la drogue, le sida, la violence bestiale rendent ce livre parfois difficile à supporter. Un livre à la fois terrifiant et bouleversant ! A lire !

Extrait : (page 67)

"Le Jardin Botanique était vide à cette heure, l'aube encore un souvenir. Neuman marcha sur la pelouse taillée à l'anglaise, ses chaussures à la main. L'herbe était tendre et fraîche sous ses pieds. Les feuillages des acacias frémissaient dans l'oscurité. Neuman rabattit les pans de sa veste et s'agenouilla près des fleurs.
"Wilde iris (
Dictes grandiflora
)", disait l'affichette. Il y avait encore les rubans de la police, qui battaient dans la brise...
On n'avait pas retrouvé le sac de Nicole sur les lieux du crime. Le tueur l'avait emporté. Pourquoi ? L'argent ? Qu'est-ce qu'une étudiante pouvait avoir dans son sac à main ? Il leva les yeux vers les nuages affolés qui filaient sous la lune. Le pressentiment était toujours là, omniprésent, qui lui comprimait la poitrine."

28 mars 2010

Blast : 1 - Grasse carcasse – Manu Larcenet

blast Dargaud – novembre 2009 – 204 pages

 

Présentation de l'éditeur :

 

Je pèse lourd. Des tonnes. Alliage écrasant de lard et d'espoirs défaits, je bute sur chaque pierre du chemin. Je tombe et me relève, et tombe encore. Je pèse lourd, ancré au sol, écrasé de pesanteur. Atlas aberrant, je traîne le monde derrière moi. Je pèse lourd. Pire qu'un cheval de trait. Pire qu'un char d'assaut. Je pèse lourd et pourtant, parfois, je vole.

 

 

Auteur : Né le 6 mai 1969 à Issy-les-Moulineaux, après s'être lancé dans la BD à l'âge de dix ans, Manu Larcenet étudie le graphisme au lycée de Sèvres et obtient un BTS d'expression visuelle option 'images de communication' à l'Ecole des arts appliqués. Parallèlement, il multiplie les concerts avec un groupe punk fondé avec des amis de collège. Il fait son service militaire en 1991 et connaît alors le bataillon disciplinaire. A son retour, il emménage avec des amis musiciens et poursuit la scène et le graphisme : ses premiers dessins sont publiés dans des fanzines de rock et de bande dessinée. Il commence en 1994 une collaboration d'abord discrète avec le magazine Fluide glacial ; son premier récit, 'L' Expert-comptable de la jungle', est bientôt suivi de 'Soyons fous', 'La Loi des séries' et 'Bill Baroud espion'. Spirou, Dupuis, Glénat et Les Rêveurs de runes, une maison d'édition qu'il a fondée avec Nicolas Lebedel, publient depuis ses albums. Les improbables créatures ou les petits bonhommes ordinaires qui peuplent ses dessins font son succès. Il reçoit en 2003 le prix Jacques Lob, puis le prix du meilleur album à Angoulême en 2004 pour 'Le Combat ordinaire'. Mêlant autobiographie et réflexion, à l'instar de son 'Retour à la terre', cette série apparaît comme celle de la maturité. Changement de ton qui ne l'empêche pas, à l'occasion, de revenir, en 2006, à ses premières amours avec l'album 'Chez Francisque', scénarisé par Yan Lindingre. Artiste protéiforme, alternant séries potaches et récits plus profonds, Manu Larcenet compte désormais parmi les auteurs incontournables de la bande dessinée.

Mon avis : (lu en mars 2010)
C'est le premier album d'une série, c'est l'histoire de Polza Mancini dit Grosse Carcasse. Il est très gros, un crâne chauve, un nez long et rouge et de tous petits yeux. Il est en garde à vue car il aurait fait du mal à une femme prénommée Carole. On n'en saura pas plus. Deux policiers sont là pour le faire avouer. Il veut avant tout raconter sa vie “Si vous voulez comprendre… Il faut que vous passiez par où je suis passé”. Il commence par raconter la mort de son père. Puis son expérience du Blast, une hallucination ou un délire qui lui donne l'impression d'être léger. Un jour, il est devenu clochard volontaire et décide de rejoindre l'île de Pâques et ses moaïs en s'enfonçant dans la nature...
C'est à la fois un conte sombre et énigmatique qui navigue avec imagination et réalité, il nous émeut et nous fait réfléchir. Le dessin est superbe, du noir et blanc avec quelques touches de couleurs de dessins d'enfants. Et après ce premier volume, j'attends avec beaucoup de curiosité la suite des aventures de Grosse Carcasse.

Extrait :

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21 mars 2010

Construire un feu – Christophe Chabouté

d'après la nouvelle de Jack London

construireunfeu Vents d'ouest – août 2007 – 63 pages

Résumé :

Christophe Chabouté s’attaque cette fois à un classique de la littérature américaine, en adaptant la célèbre nouvelle de Jack London : « Construire un feu ».

Un homme en quête de fortune ou d'aventure, perdu en plein milieu du grand nord, tente de rejoindre ses compagnons... Dans ce désert de neige et de glace, rien d'autre que lui et un chien. Il lutte contre un froid effrayant de moins soixante degrés. Confronté aux forces de la nature, sa vie ne dépend que de quelques allumettes avec lesquelles il pourrait se faire un feu.

Auteur : Jack London, de son vrai nom John Griffith Chaney, né le 12 janvier 1876 à San Francisco et mort le 22 novembre 1916 à Glen Ellen, Californie, était un écrivain américain. Il a écrit L'Appel de la forêt et plus de cinquante autres nouvelles et romans connus. Il fut un des premiers Américains à faire fortune dans la littérature.

Auteur : Né en 1967, d’origine alsacienne, Christophe Chabouté suit les cours des Beaux-Arts d’Angoulême, puis de Strasbourg. Vents d’Ouest publie ses premières planches en 1993 dans "les Récits", un album collectif sur Arthur Rimbaud. Mais il faut attendre 1998 pour que ce graphiste free-lance se fasse un nom dans la bande dessinée en publiant coup sur coup "Sorcières" aux Editions du Téméraire et "Quelques jours d’été" aux Editions Paquet. Deux albums remarqués et primés, le premier au Festival d’Illzach, le second à Angoulême où Christophe Chabouté décroche l’Alph’Art Coup de Coeur. Avec "Zoé" paru en 1999, Chabouté prouve que son talent a atteint sa pleine maturité, ce qu’il démontre avec encore plus d’évidence dans "Pleine Lune". "Tout seul"(2008), "Terres Neuvas"(2009).

Mon avis : (lu en mars 2010)

Encore un bel album de Chabouté, ce n'est plus la mer de "Tout seul" et "Terres Neuvas" mais les étendues blanches du Klondyke, par -60°C, elles sont angoissantes. L'espace est sans fin, le paysage est dépouillé, tout est uniformément blanc, tout est silence. Nous suivons la marche d'un homme et son chien loup qui tente de rejoindre ses compagnons…, et Jack London affirme la chose suivante : «Un homme ne peut voyager seul dans le Klondike par moins trente en dessous de zéro» Tout au long du livre, nous allons assister à ce semblant de huis-clos dans ce désert blanc, froid et hostile. La marche de cet homme est douloureuse, la progression est difficile et les embûches sont nombreuses. Le dessin de Chabouté n'est pas purement noir et blanc comme souvent, ici, il utilise un peu de couleur (en particulier lorsqu'il dessine le feu !). J'ai vraiment beaucoup aimé ce périple au milieu du grand nord, c'est un dépaysement total. A découvrir sans hésitation !

Extrait :

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20 mars 2010

La gare de Rachid – Pascal Garnier

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Syros – avril 2000 – 55 pages

Syros - avril 2003 -

Quatrième de couverture :

Depuis qu'il a quitté son pays, Rachid est balayeur dans une grande gare parisienne. Cette gare, c'est sa vie jusqu'au jour où on le licencie. « Sa journée terminée, il ne reviendrait plus à la gare... C'était impensable, comme s'il venait d'apprendre sa propre mort. Il descendit lentement les marches en se tenant à la rampe. L'air n'y était pourtant pas bien propre mais c'était son air, celui qu'il respirait tous les jours depuis tellement d'années... Alors, quelque chose se redressa en lui, quelque chose qui ne voulait pas mourir de crise économique ».

Auteur : Né en 1949, nouvelliste et romancier, Pascal Garnier a construit une œuvre partagée entre la littérature sombre (aux marges du roman noir) et la littérature pour la jeunesse.
Il a publié une cinquantaine de livres. Il est décédé le 5 mars 2010.

Mon avis : (lu en mars 2010)

Pour participer à l'hommage proposé par Stephie, je cherchais un titre de Pascal Garnier à lire sur un site de vente de livres en ligne, et je reconnais la couverture de « La gare de Rachid », livre que j'avais en réserve pour offrir à un anniversaire ou... Je ne l'avais jamais lu et je me suis dis que c'était vraiment l'occasion de la faire. C'est un livre jeunesse destiné aux 13 ans et plus. L'illustration de la couverture et de la quatrième de couverture (pour l'édition d'avril 2000 ) est également l'œuvre de Pascal Garnier.

Un jour Rachid a quitté son pays, il est arrivé dans une gare parisienne avec une phrase en français « S'il vous plaît monsieur, je cherche du travail... ». Il réussi alors à obtenir un travail de balayeur dans cette gare parisienne. Depuis ce jour, cette gare est sa vie, il en connait tous les recoins. Malheureusement, un jour on le licencie « Non, il n'avait pas fait de faute de professionnelle, oui il avait toujours été un bon employé, personne n'avait jamais eu à se plaindre de lui. Mais le personnel coûte cher, les charges sociales, etc. Et puis, avec les nouvelles machines, un seul technicien de surface fera le travail de dix balayeurs et plus efficacement ! » Et malgré tout, Radid continue comme si de rien n'était à balayer sa gare. Mais ses maigres économies s'épuisent peu à peu. Rachid quitte son hôtel pour s'installer dans un wagon abandonné...

C'est un texte sur l'immigration, beau et émouvant. Pascal Garnier retrace la vie de ce balayeur algérien avec beaucoup de pudeur, de sensibilité et de poésie. Au début il nous conte la réalité puis l'histoire bascule dans comme dans un rêve.

Extrait : (début du livre)

L'arrivée du train de 9h51 en provenance de Marseille fit s'envoler une poignée de pigeons gris qui s'éparpillèrent en applaudissant du bout des ailes dans le ciel rouillé de la gare. Appuyé sur son balai, Rachid les regarda se poser un à un sur les poutrelles métalliques qui s'entrecroisaient au-dessus du réseau compliqué des rails. La verrière était si poussiéreuse que, quelle que soit la saison, il faisait toujours le même temps, blanc-jaune le jour, bleu électrique la nuit. Ni ces pigeons ni Rachid ne connaissaient d'autre ciel que celui de la gare et ça suffisait largement. Rachid n'aurait pas pu dire depuis combien de temps il travaillait ici, ses souvenirs n'arrivaient pas à remonter si loin. Il avait bien quelques images de ciel bleu sans limite, sans nuage au-dessus d'une mer aussi bleue et aussi plate qui traînaient tout au fond de lui mais tout cela était rangé dans un coin de sa tête où il ne mettait plus les pieds depuis bien longtemps. C'était dans un autre pays, dans un autre temps, presque dans une autre vie. Sa vraie vie, celle de tous les jours, avait commencé juste à la descente de ce train de 9h51 en provenance de Marseille. Comme elle lui avait paru grande cette gare, immense, plus grande que tout ce qu'il avait connu de grand jusqu'alors, c'est-à-dire la mosquée de son village et on aurait pu en mettre au moins dix là-dedans.

Lu dans le cadre de l'hommage

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Déjà lu du même auteur :

lune_captive_dans_un_oeil_mort Lune captive dans un œil mort   la_th_orie_du_panda La Théorie du panda

15 mars 2010

Mal tiempo – David Fauquemberg

mal_tiempo Fayard – août 2009 – 280 pages

Présentation de l'éditeur :

Cuba, le meilleur de la boxe. Des champions méconnus, éternels amateurs enfermés dans leur île. Je devais accompagner de jeunes espoirs français partis s'endurcir à Pinar del Rio. Chaleur caraïbe, sessions d'entraînement intenses, riz-haricots noirs au menu, dortoir collectif... Le stage s'annonçait rude. Très rude. A trente ans, la fin de carrière approchait. Je le pressentais. Claquement des gants sur les sacs, cuir contre cuir. Dans la fournaise du gynmase, j'ai remarqué Yoangel. Catégorie poids lourds. Un prodige. Le tempo, la présence, tout ce qui m'avait manqué. Lui, le paysan d'un pueblo perdu, cet esprit ombrageux traversé par l'antique magie de ses ancêtres Yorubas, réussirait-il l'impossible ? Vaincre, vraiment ? Yoangel Corto ne combattait pas l'adversaire. Il combattait la boxe.

Auteur : Né en 1973, David Fauquemberg vit dans le Cotentin. Études de philosophie, il enseigne quelque temps avant de prendre la tangente. Années de voyage – Cuba, Patagonie, Laponie, Andalousie, Californie, Europe de l’est, Atlantique à la voile... Il séjourne deux ans en Australie ; un périple tragique dans l’ouest de l’île-continent lui inspirera son premier roman, Nullarbor(2007). De retour en France, il sera, entre autres, critique de théâtre, auteur de guides chez Dakota et Gallimard. Écrivain et traducteur, notamment de l'Écossais James Meek , de l’Américain Willy Vlautin ou du Canadien Robert Hunter, il est également grand reporter pour la revue XXI et le magazine Géo. Son second roman, Mal tiempo (Fayard, 2009) a obtenu le prix Millepages 2009.

Mon avis : (lu en mars 2010)

Livre que je n'aurai sans doute jamais lu sans les conseils du «Café lecture» de la Bibliothèque auquel je participe chaque mois avec beaucoup de plaisir. En effet, ce livre nous plonge dans l’univers de la boxe à Cuba mais pas seulement, il est question de rythme, de tempo. Le narrateur, est un boxeur français en fin de carrière sur le point de raccrocher les gants, il part encadrer un stage à Cuba avec deux jeunes boxeurs en devenir. Cuba est le pays où la boxe, en amateur, reste l’art noble suprême et la référence absolue. Là-bas, le narrateur croise et sympathise avec un champion atypique, Yoangel Corto. C’est un colosse indocile qui n'écoute personne. Il poursuit son combat, lui seul sait vers quoi. L’auteur ne s’intéresse pas seulement au boxeur mais également à l’homme, il est tout en force mais il a également ses faiblesses. L’auteur nous fait des descriptions réalistes, minutieuses, précises des difficiles séances d’entraînements, des combats, mais aussi de Cuba et des cubains. Tous nos sens sont en éveil, on sent la sueur, on entend les coups : crochet, direct du droit, uppercut. Malgré un sujet qui évoque la violence, les coups, il y a dans ce livre beaucoup de poésie. A découvrir.

Extrait : (début du livre)

Foutu protège-dents, je ne peux plus respirer. Je happe l’air, jamais assez, sur le temps mort entre deux frappes. Pas moyen de sortir des cordes, Toufik me cadre, il presse, son pied toujours devant le mien m’empêche de tourner, il m’expose à son bras arrière, c’est lui qui mène l’assaut. Direct, je bloque, aussitôt je remise. Changement d’appuis, mon poing droit cherche le menton, hors tempo, Toufik accompagne la gifle. Il ne bronche pas, il a souri. Son visage rougi par l’effort s’approche puis bascule dans l’angle mort du casque, ses gants flous et pesants s’abattent au ralenti. J’encaisse, je recule. Des silhouettes vaporeuses oscillent autour du ring, des cris me parviennent, assourdis, le fracas de la salle. Un coup d’œil à l’horloge en douce. Plus que trente secondes à tenir. Trente secondes. J’étouffe, cœur dans la gorge, mes mains cèdent à la pesanteur. Je cligne des yeux malgré moi, secoué par un choc à la tempe. Baisse pas les bras. Toufik se désaxe, il tire une longue série de jabs. Il accélère encore, sans rage. Sûr de sa force. Dix secondes, en apnée. Je vois partir une autre droite, esquive, je m’engouffre dans l’ouverture. Je lance le coude en uppercut, au bout il y a le vide. Je sais déjà ce qui m’attend. Un crochet lourd me cueille au foie, impact précis, sans appel, au creux des côtes flottantes. Il me cisaille. Mes jambes se dérobent, me voici à genoux.

13 mars 2010

Les candidats - Yun Sun Limet

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Editions de La Martinière - janvier 2004 – 236 pages

Points – janvier 2005 – 235 pages

Quatrième de couverture :

Jean et Marie ont perdu leurs parents dans un accident de voiture. Parce qu'ils avaient imaginé l'impensable, leur possible disparition, ces derniers ont laissé un testament. Dans leur dernière lettre, ils désignent, les un après les autres, quatre couples d'amis, à qui ils demandent d'élever leurs enfants. Les Candidats raconte l'histoire d'une adoption qui n'en finit pas. Qui finira par recueillir ces deux enfants ? Quelle sera leur vie ? Un roman à quatre voix qui reprend " cette crainte qui nous hante tous ", d'une manière sobre et entêtante.

Auteur : Yun Sun Limet est née à Séoul, en Corée du Sud. Après avoir longtemps vécu en Belgique, elle s'est installée à Paris depuis une dizaine d'années. Les Candidats est son premier roman.

Mon avis : (lu en mars 2010)

Le livre s'ouvre sur Jean et Marie, ils ont respectivement 8 et 4 ans, ils assistent à l'enterrement de leurs parents disparus brutalement dans un accident de voiture. Les parents avaient pris leurs dispositions avec le testament suivant :

" Si vous lisez ces lignes, c'est qu'un événement improbable, impensable aura eu lieu : notre mort accidentelle à tous les deux, simultanée ou à peu de temps d'intervalle. C'est pourtant une crainte qui nous hante. Et si un tel malheur devait se produire, c'est à Jean et Marie que nous pensons d'abord. C'est pour eux que nous écrivons cette lettre, afin qu'ils soient confiés à une famille amie qui les élève comme ses propres enfants. Conscients de la charge et de la responsabilité qu'appelle notre dernière volonté, nous donnons une liste d'amis, qui nous osons le croire, sont susceptibles d'accepter notre demande, dans l'ordre suivant : Anne et Patrick Sauvage, Valérie et Alain Faye, Laure et Philippe Damiani, Gisèle et Frédéric Humbert. Notre tristesse est infinie à l'idée que cette lettre puisse un jour être lue. Nous croyons que Jean et Marie ont été heureux avec nous et espérons qu'ils continuent de l'être malgré notre absence."

A chaque chapitre, le narrateur change, il prend la voix d'Anne puis d'Alain puis de Laure enfin c'est sur la voix de Marie, alors adulte, qui se conclue le livre. Ce livre pose les questions autour de l'avenir d'orphelins, de l'adoption mais aussi sur les couples car cela n'est pas simple d'accueillir les enfants d'amis dans une famille déjà constituée... Le sujet est grave, et le livre se lit facilement, l'auteur décrit avec beaucoup de justesse les divers situations que cela entraîne. J'ai ressenti avec ce livre beaucoup d'émotions.

Extrait : (début du livre)

Ils sont là. Dans leur manteau de laine noire, certainement acheté pour la circonstance. Il faut bien habiller le chagrin, le représenter, et leur grand-père les a voulu ainsi, serrés l'un contre l'autre, noirs, raides. Ils ont chacun jeté une rose blanche. D'abord Jean puis Marie. On leur a dit : maintenant, prenez une rose du panier posé près du trou. Ils ont obéi et ont jeté la fleur. S'en souviendront-ils ? Oui, sans doute, la rose blanche de la chanson. Les autres suivent, prennent une fleur et la jettent dans le vide.

Lorsqu'ils m'ont vue arriver chez eux, avant la levée des corps (des corps, oui, cela se dit peu), ils ont souri, se sont rappelé que je suis une amie de leurs parents, des goûters et des pique-niques, comme quand je venais, avant, les voir, voir leurs parents, parler dans la cuisine et leur demander comment ça va à l'école. Et puis ils se sont renfermés. Augustin était resté à la maison. J'avais pensé que je l'excuserais auprès de ses petits copains. Mais je n'ai rien dit et je me suis jointe aux autres, parents et amis, j'ai salué leur grand-père maternel et leur grand-mère paternelle. Je ne voulais pas paraître déplacée, je n'ai pas été très démonstrative. Ils appartiennent à leur famille, leurs oncles et tantes, leurs cousins. Et pourtant, je crevais d'envie de les soulever et de les serrer.

Ils n'ont pas pleuré. ils ont assisté à tout sans pleurer à aucun moment. Et ils regardent à la dérobée les sanglots de leurs grands-parents. La messe, la sortie des cercueils, l'un à côté de l'autre, ils se tiennent chacun derrière un des cercueils. Marie a un peu vacillé, reprise par sa grand-mère. Ils auront le souvenir de cette foule, le sentiment qu'il s'agissait bien d'une foule qui suivait leurs parents jusqu'au cimetière.

10 mars 2010

Au pays des vermeilles – Noëlle Chatelet

au_pays_des_vermeilles Seuil – octobre 2009 – 171 pages

Présentation de l'éditeur :

C'est un événement banal et universel : une femme entre dans la " grand-maternité ". Inspirée par la venue au monde de sa première petite-fille, Noëlle Châtelet nous livre le récit minutieux, rare en littérature, de ce lien mystérieux qui se construit et des multiples émotions réveillées par cette expérience. À la manière d'Alice qui traverse le miroir du temps et de l'espace, elle nous convie au doux émerveillement des retrouvailles avec la part oubliée de soi-même, la toute petite enfance, celle des souvenirs d'avant les souvenirs. En écho à sa trilogie des couleurs, et en particulier à La Femme coquelicot, la teinte vermeille vient compléter, ici, la palette des métamorphoses féminines. Dans ce livre à la fois drôle et profond, Noëlle Châtelet s'adresse à sa petite-fille mais aussi à sa mère, poursuivant ainsi l'inoubliable dialogue de La Dernière Leçon.

Auteur : Noëlle Châtelet, universitaire et écrivain, élabore depuis plus de trente ans une réflexion originale sur la question du corps, à travers ses essais, ses nouvelles et ses romans, dont Histoires de bouches (prix Goncourt de la nouvelle), La Dame en bleu (prix Anna de Noailles de l'Académie française) et Le Baiser d'Isabelle. Ses ouvrages sont traduits dans une douzaine de langues.

Mon avis : (lu en mars 2010)

Beaucoup de tendresse et de poésie pour raconter l'aventure d'être grand-mère. La première rencontre, les premiers regards, les premiers sourires, les échanges de câlins, les premiers mots, les premiers pas… A travers la découverte de devenir grand-mère, la narratrice pense à sa mère et à son fils, le papa de cette petite-fille. C’est aussi l'occasion pour Noëlle Chatelet de chercher l'enfant qui est en elle et d’essayer de comprendre le lien si particulier qu’elle a avec sa petite-fille.

Je ne suis pas encore grand-mère et je ne pense pas le devenir avant une bonne dizaine d’années… mais ce livre a été l’occasion pour moi de me souvenir de merveilleux moments de ma vie. J'ai repensé à la naissance de chacun de mes enfants à nos premiers regards échangés, à nos premiers câlins… puis en avançant dans le livre j’ai retrouvé leurs premières découvertes de la petite enfance (la chasse aux insectes, la peur du toboggan, les grands discours avec des mots que l’on a jamais pu comprendre…). J’ai également pensé à ma grand-mère et à mes séjours, seule, avec elle, cela avait créée entre nous une complicité unique et de beaux souvenirs que je n’oublierai jamais.

Ce livre se lit vraiment facilement, les mots sont simples mais forts et l’on ressent beaucoup d’émotions. A lire !

Extrait : (début du livre)

Tu me regardes.

Jusqu'ici, tu me voyais. J'étais un élément, une présence parmi d'autres du décor de ta vie.

Mais voilà que tes yeux se posent sur les miens autrement.

Ce matin, surprise : tu me regardes. Cette fois tes yeux me considèrent. Ils me semblent mesurer le poids de mes propres yeux, posés sur les tiens, avec la même application, la même persistance.

Il ne s'agit pas encore, sans doute, d'un véritable échange, plutôt d'une disposition commune et simultanée. Une coïncidence. Nous partageons ce mouvement du corps qu'on appelle regard, unies dans la contemplation de l'autre, et c'est la première fois.

Je suis seule à savoir que je suis ta grand-mère et toi ma petite-fille. D'en être sûre m'emplit d'un ravissement que tu ne mesures pas encore.

Envie pressante de t'y associer au plus tôt.

Nous avons chacune notre place.

Je me dis : Je suis la mère de ton père et toi l'enfant de l'enfant, mais toi et moi ignorons encore comment nous l'occuperons, cette place, jusqu'à quel degré de connivence et d'invention. Car il nous faudra l'inventer, comme des milliards et des milliards d'humains qui avant nous l'ont vécue, la vivent, la vivront, cette posture universelle et cependant unique de notre relation. Faire de ce lien quelque chose de différent. S'employer à le rendre singulier. Je souris à cette idée. Joie contenue. Et toujours sur mes yeux tes yeux arrêtés, grands ouverts, comme s'ils suivaient secrètement ma pensée, mais en réalité, bien sûr, occupés ailleurs.

Ailleurs... Où donc ? A quoi ?

Envie pressante d'y être associée, au plus tôt, à cet ailleurs.

Allons. Surtout pas d'impatience. Prendre le temps, au contraire. Non. Ne pas le « prendre », justement. Le laisser libre, le temps. Je me dis : Ne le bouscule pas à vouloir le hâter ou le ralentir. Laisse-le te porter.

4 mars 2010

Zola Jackson – Gilles Leroy

zola_jackson Mercure de France – janvier 2010 – 139 pages

Présentation de l'éditeur :

Août 2005, delta du Mississippi : l'ouragan Katrina s'abat sur La Nouvelle-Orléans. Les digues cèdent sur le lac Pontchartrain et les quartiers modestes sont engloutis. La catastrophe touche de plein fouet la communauté noire. Tandis que ses voisins attendent des secours qui mettront des jours à arriver, l'institutrice Zola Jackson s'organise chez elle pour sa survie. L'eau continue de monter, inexorablement. Du ciel, les hélicoptères des télévisions filment la mort en direct. Réfugiée dans le grenier avec sa chienne Lady, Zola n'a peut-être pas dit son dernier mot. Sous la plume de Gilles Leroy, Zola Jackson, femme de trempe et mère émouvante, rejoint le cercle des grandes héroïnes romanesques.

Auteur : Né en 1958, après un parcours classique de littérature qui l'amène sur les bancs d'hypokhâgne et khâgne au lycée Lakanal, Gilles Leroy passe une DEUG de lettres et arts en 1977, suivi d'une licence puis d'une maîtrise de lettres modernes en 1979. Il achève son cursus universitaire par un mémoire sur le poète Henri Michaux. Il exerce ensuite divers métiers, avant de devenir journaliste de presse écrite et audiovisuelle durant quelques années. En 1996, il quitte Paris pour vivre à la campagne, dans le Perche, où il se consacre à l'écriture. Il profite de son temps libre pour voyager, étudier seul les littératures américaine et japonaise et s'adonner à tout ce qui le passionne. Gilles Leroy publie son premier roman, 'Habibi', en 1987. Ce dernier sera suivi par une dizaine d'autres, dont 'L' Amant russe' en 2002, 'Grandir' en 2004, 'Champsecret' en 2005 ou encore 'Alabama Song' en 2007. Gilles Leroy a su imposer à travers quelques ouvrages sa plume légère et sensible.

Mon avis : (lu en mars 2010)

La veille de la tempête Xynthia, je terminais le livre Une catastrophe naturelle – Margriet de Moor, qui raconte une histoire construite autour d'une terrible tempête fin janvier 1953 qui avait fait céder de nombreuses digues et rayé de la carte le Sud-Ouest des Pays-Bas...

Ce livre Zola Jackson est dans ma PAL depuis quelque temps et il est lui aussi malheureusement d'une grande actualité puisqu'il évoque l'ouragan Katrina qui s'est abattue sur la Nouvelle-Orléans en août 2005 et faisant céder des digues, le Mississippi inondera les quartiers les plus pauvres.

Zola Jackson est une femme noire, institutrice à la retraite, elle vit seule avec sa chienne Lady. Elle habite le quartier de Gentilly, un des plus populaires de la Nouvelle-Orléans. A l'annonce de la tempête Katrina, elle organise sa survie chez elle, ce n'est pas la première tempête qu'elle affronte, Betsy en 1965, Ivan en 2004. Elle est toute seule dans sa vie, son fils, Caryl est mort depuis dix ans alors où fuir ? Par flash-backs, elle évoque également sa vie passée.

A travers ce récit entre présent et passé, le lecteur assiste heure par heure à l'horreur de la tragédie et découvre une femme, un mère courageuse et émouvante. Zola Jackson va subir les vents de l'ouragan, puis les pluies diluviennes, ensuite la montée des eaux avec les digues cédant les une après les autres et Zola obligée de se réfugier jusque sous le toit de sa maison, elle va devoir supporter la canicule de l'après tempête. Elle refusera de quitter sa maison sans Lady...

Gilles Leroy dénonce également l'incompétence des autorités : peu de sauveteurs sont envoyés sur place, ils mettront trop de temps à arriver. «Mais non, l'armée ne viendra pas. L'armée est retenue loin, très loin de nous, dans les déserts d'Orient. Quelle ironie.»

Beaucoup de moyens ont été mis en œuvre par les médias pour faire du sensationnel avec la catastrophe plutôt que pour aider au secours des victimes. « Dans le ciel, ils sont arrivés par dizaines et ils ont tourné, de midi à minuit, des hélicoptères venus non pas nous sauver mais plutôt assister à notre fin : il faut croire que n'importe quelle chaîne de télévision, fût-elle à l'autre bout du pays, était assez organisée et riche pour voler jusqu'à nous et réussir là où le gouvernement de la première puissance au monde échouait. »

On assiste à une mise en scène de sauvetage par un acteur célèbre... «L'acteur a franchi le perron de la maison Grant, pour en ressortir quelques instants plus tard une fillette dans les bras. (…) Sur leurs scooters, les cadreurs se rapprochaient, les photographes aussi, au ralenti et en sourdine jusqu'à former un demi-cercle : j'attendais les alligators et, ma foi, ils étaient là. Tout le monde doit manger. Ceux-là ne mangent que la chair riche et célèbre.»

Un livre très fort, une écriture juste et pour moi beaucoup d'émotions.

Extrait : (page 27)
Quand j'ai rouvert les yeux, c'était déjà le soir. Du ciel livide, tout soleil effacé. La lumière avait cette matité lugubre que l'on connaît bien chez nous et j'ai compris que ça n'allait pas trop.
J' avais la langue pâteuse de trop de bière, de bourbon et de somnifères, les joues humides, les yeux chassieux. Comme si j'avais pleuré dans mon sommeil.
Sur l'oreiller voisin, la chienne roulée en boule gémit et frissonne, les yeux révulsés sous la paupière gauche ourlée de noir. Elle aussi doit faire un rêve. Un rêve mauvais, un rêve cruel, comme celui qui pendant quelques minutes ou quelques heures a fait revivre Caryl sous mes paupières noyées - et il faut en passer par ce temps suspendu, cette hésitation sur l'heure et le jour, la mémoire et l'espoir, cet insidieux et lent retour du réel, qui en moins d'une seconde fera chavirer le jour nouveau en nouvel enfer, fera succéder aux larmes de joie un torrent de douleur.
Car il est mort. Caryl est mort. Il sourit sur la table de chevet, mais en fait il est mort.

Extrait : (page 73)
Les hélicoptères des garde-côtes ont fait un tour d'observation. Ils jetaient çà et là des bouées, des gilets à ceux qui leur tendaient les bras depuis la rue, l'eau jusqu'aux épaules. Ils ont même repêché Samuel, le vieux chanteur obèse. Samuel aussi a un chien, un corniaud blanc et noir, malin comme tout, qui l'accompagnait par les rues, portait dans sa gueule le vieux chapeau où les touristes charmés tant par la bête frétillante que par la belle voix de Sam glissaient des pièces, des billets d'un dollar pour les plus généreux. Comme il était trop volumineux pour tenir dans une nacelle, ils lui ont jeté un harnais orange et hop ! Le gros Sam soulevé des deux bras s'est envolé dans le ciel bleu sans un chant pour le Seigneur. Qu'est devenu le chien de Sam ?
A la santé de Sam, j'ai pris le bourbon dans le chevet et je lui ai fait un sort. (...)
Qu' est devenu le corniaud blanc et noir ? Qu'est devenu le chien de Samuel ? Il deviendra fou, le gros Sam, sans son partenaire pour faire la manche. Car c'est un duo qu'ils forment, un numéro d'amour, et il n'est pas certain que la belle voix veloutée du chanteur (étonnante voix flûtée, gracile, presque chevrotante, hébergée par ce corps outré tel un rossignol dans le ventre d'un éléphant), pas sûr qu'elle fût vraiment ce que préféraient les touristes dans le spectacle.

En complément, le site de l'auteur.

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