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A propos de livres...
france
23 janvier 2010

Présent ? - Jeanne Benameur

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (8/26)

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Edition Denoël – août 2006 – 209 page

Folio – mai 2008 – 221 pages

Présentation de l'éditeur :

Elle aurait voulu être une bête, au moins ça aurait été clair. Elle est juste professeur de la vie et de la terre, mais il n'y a plus de vie il n y a plus de terre sous ses pieds quand son amant part. Alors au collège, elle n y va pas. Qu'est-ce qu'elle enseignerait, hein ? Son corps enseignant, il est ici. Son intelligence, sa patience, son savoir, tout pourrit sans caresse. Elle se racornit comme les feuilles de certaines plantes quand elles manquent d'eau. Elle peut juste attendre qu'il revienne ou qu'elle reparte le voir. Toute la vie suspendue dans l'intervalle. Sans son corps, elle ne peut pas enseigner C'est comme ça. Elle n'a de tête que si tout le corps vit. Et elle a beau essayer de penser autrement, elle n y arrive pas. Elle pense par la peau. Son corps la mène dans la vie et elle découvre un gouffre. Le corps peut manquer à l'appel. D'une écriture incisive et empathique, Jeanne Benameur brosse le portrait de tous les acteurs d'un collège de banlieue avant les émeutes, questionnant leur présence vive. Avec émotion, elle débusque les symboliques occultées du monde scolaire et les drames intimes de chacun: une brèche s'ouvre pour une pédagogie à rebours de tous les tabous.

Auteur : Jeanne Benameur a été professeur dans les établissements dits difficiles jusqu'en 2001 et se consacre désormais à un enseignement nomade, ponctuel. Elle a récemment publié chez Denoël Les Reliques.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ironie de la vie, c'est le livre que j'étais en train de lire lors de la réunion parents-professeurs pour la classe de 3ème d'un de mes fils. Ce livre m’a vraiment beaucoup plu, il nous montre la vie d’un collège un jour de conseil de classe et d’orientation d’une classe de 3ème. C’est le jour où se joue l’avenir des élèves de la classe. On découvre la Principale, les différents enseignants, le conseiller d’orientation, les parents, le personnel de service, le «factotum» qui détient les clés, la documentaliste et bien sûr les élèves. Tous ces personnages sont plein d'humanité et ils sont très attachants.

Le prof de français profite des récréations pour se plonger dans un livre pour fuir le monde. «Lire, c’est rêver. Lire, c’est laisser des images se former à partir des mots choisis par les auteurs.» La jeune prof de SVT ne supporte plus d’aller au collège, elle n’arrive pas à tenir ses élèves et elle a perdue confiance en elle. Madison est une élève qui se trouve nulle en classe car ses notes sont médiocres, elle est discrète, presque invisible, mais elle a un don pour le dessin. D. est un élève bagarreur, qui va découvrir l’atelier d’écriture de la documentaliste et reprendre confiance en lui. La documentaliste donne au CDI un aspect de bien-être avec bouquets de fleurs, elle propose aux élèves un atelier d'écriture, elle initie à la lecture les élèves mais aussi le personnel du collège...

Un livre plutôt optimiste qui fait réfléchir sur le collège et l’avenir de nos enfants, il se lit très facilement. A découvrir sans tarder !

Extrait : (début du livre)

Il y a toujours trop de monde dans les couloirs.

Couloirs. Couloir du latin colare : couler, s’écouler. Dans les couloirs, les corps devraient s’écouler. Comme de l’eau. C’est l’étymologie.

On voudrait bien.

Glisser son corps au milieu des autres, fluide. De face, impossible. Il faut biaiser. En avant ! les épaules à l’égyptienne. Ça passe, un peu. Et puis tôt ou tard, la masse fait pression plus fort. Même de biais, on n’arrive plus. On a du mal à respirer. C’est la dynamique du trop.

Dans les couloirs, on est réduit.

C’est peut-être pour ça que les enfants se poussent. Les enfants, leur dynamique à eux est verticale. De la plante des pieds à la tête, ils se dressent, cherchent à voir au-dessus de la tête des autres, plus loin. Ils résistent. Peu importe le nombre. Les épaules en avant. Cohue, cris. C’est joyeux ou ça pleurniche, coude dans une côte, pied écrasé. Qui a commencé ?

Les profs n’aiment pas être pris là-dedans. Les profs ont déjà eu le corps resserré dans les couloirs du métro. Ils ont déjà dû faire paquet avec les autres, cartable pendue au bout du bras, toujours trop lourd. Impossible de jeter un coup d’œil sur la montre : le poignet ne peut plus se frayer de chemin. Ils ont poussé aussi, comme les gamins, contents de se trouver une place assise. Mais les épaules sont lasses.

Au collège, ils attendent que le flot soit passé en buvant un petit café avec les collègues. Reprendre force. Certains, plus sûrs, se lancent, d’autorité occupent un bord du couloir. Les élèves se plaquent un peu plus contre le mur d’en face. Ceux qui ont quitté le havre de la salle des profs dans la bousculade taillent alors un passage, pour un seul corps. Un plus timide peut emboîter le pas à son collègue. Si c’est une femme, c’est galant. Le temps d’un couloir on ouvre la voie, épaules élargies, on est un chevalier.

Les couloirs sont froids, immenses quand ils sont vides. Rien n’est parfait.

L’élève en retard est seul. Toujours.

La principale du collège aussi qui va constater les dégâts faits par un coup de pied dans une porte.

Ce serait bien de pouvoir être dans un couloir, juste à deux, coude à coude, avec seulement les murs pour border la conversation.

On pourrait marcher.

On pourrait apprendre, en marchant, dans le mouvement du corps. Il y a des idées parfois comme ça qui traversent la tête.

Mais dans le collège, les couloirs sont faits pour être bondés, puis vidés.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (8/26)

Déjà lu du même auteur :

les_demeur_es Les demeurées    les_mains_libres_p_ Les mains libres

ca_t_apprendra___vivre_p Ça t'apprendra à vivre   laver_les_ombres Laver les ombres

si_m_me_les_arbres_meurent_2 Si même les arbres meurent

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21 janvier 2010

Ravel - Jean Echenoz

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (7/26)

ravel_ Les Editions de Minuit - janvier 2006 – 123 pages

Présentation de l'éditeur :

Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner. Son corps était si léger qu'en 1914, désireux de s'engager, il tenta de persuader les autorités militaires qu'un pareil poids serait justement idéal pour l'aviation. Cette incorporation lui fut refusée, d'ailleurs on l'exempta de toute obligation mais, comme il insistait, on l'affecta sans rire à la conduite des poids lourds. C'est ainsi qu'on put voir un jour, descendant les Champs-Élysées, un énorme camion militaire contenant une petite forme en capote bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant trop gros. Ce roman retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937).

Auteur : Né en 1947, Grand nom de la littérature française contemporaine, Jean Echenoz s'impose avec un sens de l'observation unique et un style singulier. L'ancien étudiant en sociologie et en génie civil déclare être l'auteur de romans 'géographiques'. Il tâche en effet dans son oeuvre de tracer les conditions, les décors et les milieux qui fondent une existence, celle de personnages fictifs ou réels à l'instar de Ravel dans un roman éponyme ou d'Emile Zatopek dans 'Courir'. Amené à l'écriture suite à la découverte d''Ubu Roi' d'Alfred Jarry, Echenoz imprime sa propre empreinte avec un sens de la dérision hérité du dramaturge. Lauréat du prix Goncourt en 1999 pour 'Je m'en vais', l'auteur joue à détourner les codes du langage et les genres littéraires. Ainsi, il s'approprie le roman policier avec 'Cherokee' ou le roman d'espionnage avec 'Le Lac'. Ecrivain de la quête et de l'enquête, Jean Echenoz succède avec brio et innovation à la génération du Nouveau Roman, qui a fait la renommée de sa maison d'édition, Minuit.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Lu dans le cadre du Challenge des coups de cœur de la blogosphère proposée par Denis et du Challenge ABC 2010.

Ayant beaucoup aimé « Courir » de Jean Echenoz, j’étais très curieuse de découvrir ce livre qui nous raconte les dix dernières années de la vie de Ravel.

Cela commence avec son départ et son voyage sur le paquebot France pour sa tournée triomphale aux Etats-Unis. Grace à des recherches très documenté de l’auteur, le lecteur découvre ses goûts, ses manies, son quotidien mais aussi son travail. Ravel s’enferme dans la solitude, il est angoissé et insomniaque. Il est également conscient qu’il perd progressivement ses capacités à cause d’une maladie neurologique d’abord la mémoire puis l’usage de ses mains… Le style d'écriture donne de la fluidité à la lecture, le récit est concis et précis.

Je n’ai pas autant aimé ce livre que « Courir », mais j’en ai appris beaucoup sur Maurice Ravel et été très émue par sa fin de vie. une belle lecture.

Extrait : (page 20)

Une fois les lieux rapidement inspectés, Ravel jette un coup d’œil par l’un des hublots qui, pour un moment encore, commandent le quai : il observe la masse de parents et alliés qui s’y pressent en agitant des mouchoirs comme à Saint-Lazare, mais également des chapeaux et des fleurs et d’autres choses encore. Il ne cherche pas à reconnaître qui que ce soit dans cette foule : s’il a bien voulu qu’on l’escorte à la gare, c’est tout seul qu’il préfère embarquer. Une fois qu’il a ôté son manteau, déplié trois affaires et disposé son nécessaire de toilette autour des lavabos, Ravel va réserver une place dans la salle à manger auprès du maître d’hôtel puis, auprès du chef de deck, un emplacement de chaise longue. En attendant qu’on appareille, il s’attarde un moment au fumoir le plus proche dont les murs d’acajou sont incrustés de nacre. Il y grille encore une ou deux Gauloises et, à certains regards qui s’attardent ou se détournent, certains sourires discrets ou connivents, il croit comprendre qu’on le reconnaît.

Il y a de quoi, et c’est assez normal : il est à cinquante-deux ans au sommet de sa gloire, il partage avec Stravinsky le rôle de musicien le plus considéré du monde, on a pu voir souvent son portrait dans le journal. C’est assez normal aussi vu son physique : son visage aigu rasé de près dessine avec son long nez mince deux triangles montés perpendiculairement l’un sur l’autre. Regard noir, vif, inquiet, sourcils fournis, cheveux plaqués en arrière et dégageant un front haut, lèvres minces, oreilles décollées sans lobes, teint mat. Distance élégante, simplicité courtoise, politesse glacée, pas forcément bavard, il est un homme sec mais chic, tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (7/26)

Lu dans le cadre du challenge coeur_vs3 proposition de Denis

16 janvier 2010

Happy birthday grand-mère – Valérie Saubade

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (6/26)

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Anne Carrière - août 1999 – 235 pages

Pocket - janvier 1999 – 235 pages

France loisirs – 2000 – 217 pages

Pocket – janvier 2009 – 235 pages


Présentation de l'éditeur

" J'ai décidé hier après-midi de tuer ma fille. A quatre-vingts ans, cela ne va pas être facile. D'autant que je me déplace en fauteuil roulant. ". mais cette octogénaire hémiplégique est bien déterminée à parvenir à ses fins. Car entre mère et fille, la haine est réciproque et implacable. Ancienne pianiste, adulée par les hommes, despotique, Eleonore ne s'est jamais préoccupée de personne sauf d'elle-même. Terne et aigrie, sa fille Elisabeth attend de pied ferme l'héritage. Et soigne sa mère indigne de façon très personnelle...

 

Auteur : Valérie Saubade, née en 1966, a été journaliste pendant sept ans. "Happy birthday grand-mère"  est son premier roman. Elle enseigne aujourd’hui à Bordeaux.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ce livre un peu loufoque se lit très facilement. La narratrice, Éléonore est une vieille dame de 80 ans qui se retrouve dans un fauteuil roulant hémiplégique et muette suite à une attaque. Elle attaque fort dès la première phrase : « J'ai décidé hier après-midi de tuer ma fille. A quatre-vingts ans, cela ne va pas être facile. D'autant que je me déplace en fauteuil roulant. » Tout au long du livre, mois après mois, elle nous raconte une année de sa vie dans les griffes de sa fille Élisabeth qui est venue s’installer dans la maison familiale avec son mari Michel. « Ma vie jusque-là paisible se transforma en cauchemar »

Depuis toujours les rapports entre la mère et la fille ont été difficiles. Élisabeth n’hésite pas à maltraiter insidieusement puis de plus en plus ouvertement sa mère. « Il est facile de gâcher la vie d’une vieille dame infirme. Ma fille s’y entendait admirablement. » Malgré son handicap, Éléonore résiste grâce à l’aide de Léonie sa fidèle dame de compagnie depuis 40 ans, de son vieil ami et notaire Charles de Beaulieu, d’Antoine veuf qu ‘elle rencontre lors de son séjour dans la maison de retraite des Lauriers, de Charlotte sa nouvelle dame de compagnie âgée de 25 ans…

Le ton est à la fois corrosif et plein d’humour les méchancetés entre la mère et la fille sont de plus en plus fortes. Tous les personnages rencontrés dans cette histoire sont particulièrement bien décrits et l’auteur n’hésite pas à aborder les thèmes de l’héritage, de la maltraitance des personnes âgées, de l’absence d’amour entre une mère et ses enfants, du parricide et de l’infanticide sans aucun tabou. Qui d’Élisabeth ou Éléonore parviendra à ses fins ?


Extrait : (page 33)

J’avais donc décidé d’aller chez le notaire pour me venger des humiliations qu’Élisabeth m’infligeait. Je savais qu’elle était obsédée par la perspective d’hériter de notre maison de famille. Et très inquiète à l’idée que je décide d’avantager son demi-frère. Brian vivait aux Etats-Unis et ne venait me voir qu’une fois tous les deux ans. Comme feu son père, il était brillant mais un peu volage.

Pour Élisabeth, occuper le terrain – c’est-à-dire ma maison – semblait le plus sûr moyen de parvenir à ses fins. Sans doute s’imaginait-elle ainsi pouvoir contester un héritage défavorable, en arguant qu’elle s’était occupée de moi jusqu’à ma mort. Quoi qu’il en soit, elle se montrait excessivement préoccupée chaque fois qu’une rencontre avec mon notaire était organisée. D’autant qu’en dépit de mon handicap, je parvenais à lui interdire d’assister à ces entretiens confidentiels.

A l’issue de chacun de mes rendez-vous avec Charles de Beaulieu, Élisabeth me jetait un regard interrogateur, parfois proche de la panique lorsque je la toisais d’un air moqueur. Un plaisir innocent dont je ne me privais pas. D’autant que durant les deux jours suivant ces visites, ma fille redoublait d’attentions à mon égard.

Ma visite chez mon ami Charles de Beaulieu avait également pour but de rappeler à ma fille que, même physiquement diminuée, j’étais encore propriétaire des lieux. Élisabeth ne manifestait pas une tendresse excessive à mon égard, mais il était clair qu’elle s’était prise d’une grande affection pour ma maison. C’était peut-être le seul sentiment que nous partagions, elle et moi.



Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (6/26)

12 janvier 2010

Le Beau Revoir – Guy de La Valdène

Livre lu dans le cadre du partenariat Blog-o-Book et Livre de Poche

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Le Cherche-Midi - novembre 2003 – 241 pages

Livre de Poche – février 2008 – 318 pages

traduit de l’anglais (États-Unis) Marie-Christine Loiseau

Présentation de l'éditeur : Normandie, années 1960. Vincent, né de père inconnu, habite le château du comte de Costebelle, où sa mère est femme de chambre, son oncle garde-chasse. Les saisons s'écoulent dans une douce quiétude. Vincent passe une grande partie de son temps dans la forêt avec les braconniers, qui l'initient aux mystères de la nature. L'été de ses dix-neuf ans, alors que Nicole, la fille du Comte, revient au château, après quelques années passées à l'étranger, l'oncle de Vincent est sauvagement assassiné. À l'approche de la grande chasse à courre, les événements se précipitent, Vincent, animé d'un désir de vengeance, se lance à la poursuite des assassins de son oncle en compagnie d'un ami et découvre de terribles secrets trop longtemps enfouis, concernant sa famille et le village. Il fait ainsi connaissance avec le double visage de la nature humaine, capable de la plus grande cruauté comme de la plus belle des loyautés.

En termes de vénerie, le « beau revoir » désigne l'empreinte bien marquée du pied d'un animal sur le sol. Celle qui permet à la Mort de localiser sa proie. Dans ce roman envoûtant, qui dresse un pont entre le roman naturaliste français et « l'école du Michigan », Guy de La Valdène recrée à la perfection la vie de village, ses mystères et ses non-dits et offre une vision violente et charnelle des noces de l'homme avec la nature.

Auteur : D’origine française, Guy de la Valdène est né à New York. Il a passé ses jeunes années en Normandie puis dans un lycée en Suisse avant de rejoindre l’université de Cornell. Il partage aujourd’hui son temps entre la Floride et la Normandie, se consacrant à l’écriture et aux parties de chasse et de pêche en compagnie de ses amis, Jim Harrison et Thomas Mc Guane.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Cette lecture a été un vrai plaisir, l’auteur nous entraîne dans la nature normande au milieu des bois, au bord de la rivière avec une histoire simple et touchante.

Dans les années 1960, au village de Merlecourt se côtoient deux mondes : les paysans qui sont également chasseurs, souvent braconniers  et le château où vit le comte de Costebelle et sa famille. Vincent Lebuisson a été élevé au château du comte de Costebelle, sa mère y travaillait. Après la mort de cette dernière, il vivait et aidait son oncle Serge le garde-chasse de la propriété. A l’âge 15 ans, il rencontre Ragondin, braconnier et fils de braconnier qui va devenir son ami. Il a seulement 19 ans lorsque son oncle Serge est sauvagement assassiné. Aidé de Ragondin, Vincent va tout mettre en œuvre pour retrouver les meurtriers.

L’auteur nous décrit le monde paysan avec beaucoup de détails et de réalismes. C’est également un hymne à la nature à travers des descriptions pleines de poésie et de sensualité de la chasse, de la pêche ou d’une simple promenade au bord de la rivière ou dans les bois… A découvrir pour les amoureux de la nature !

Merci à Blog-O-Book et aux éditions du Livre de Poche pour cette belle découverte !

 

Extrait : (page 114)

La boîte à tabac ronde qui ne quittait jamais la poche de la chemise de Serge avait glissé entre les coussins du fauteuil dans lequel Vincent somnolait. Il l'ouvrit, l'arôme familier le prit à la gorge et il se mit à verser toutes les larmes qu'il avait refoulées depuis que François avait annoncé la tragédie. Le visage dans les mains, il sanglotait. Après un long moment, quand il eut versé tout le chagrin dont il était capable, il se redressa et reposa la tête contre le dossier du fauteuil, laissant le silence du moulin recueillir sa peine.

Avant de se coucher, il alla jusqu'au bord de l'Eure et tâta la température de l'eau avec sa main.  Une mince couche de brouillard en dissimulait la surface. Sans réfléchir, il se déshabilla et entra dans l'eau. Ses pieds s'enfoncèrent dans la vase avant d'atteindre la fermeté du fond du gravier. Il frissonna. La température de l'eau avait suivi le changement de saison.

Pendant des années, quand arrivait l'été, Vincent allait presque toutes les nuits se baigner nu dans la rivière. Peut-être parce qu'il était sourcier et prévoyait la pluie, il avait surmonté sa crainte des eaux sombres. Il faisait partie de la rivière au même titre que les poissons. Certaines nuits, quand la lune était pleine et que les chouettes chassaient à ras des champs, il ne sortait pas de l'eau avant le lever du soleil. Maintenant, même la vase qui au début le dégoûtait lui inspirait une excitation insolite. Un samedi soir, après le bal, il avait ôté ses vêtements, s'était allongé à plat ventre dans un remous, la poitrine posée sur l'herbe chaude de la rive, et avait fait l'amour à la vase. Le lendemain matin, il s'était réveillé affolé, persuadé que son membre allait pourrir et se détacher de son ventre.

La rivière glissait sur son corps et l'entraînait dans des lieux familiers. Il traversait des zones d'eau chaude, puis d'eau froide et sentait l'air pur et frais de la nuit sur son visage. Porté par le courant, il regardait le brouillard s'ouvrir devant lui et se refermer après son passage. Il se demanda si Nicole viendrait nager avec lui comme lorsqu'ils étaient enfants. Au-dessus de lui, les étoiles illuminaient le ciel.

Livre lu dans le cadre du partenariat logotwitter_bigger et logo

9 janvier 2010

Les heures souterraines - Delphine de Vigan

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (4/26)

les_heures_souterraines Jean-Claude Lattès – août 2009 – 299 pages

Présentation de l'éditeur :

Chaque jour, Mathilde prend la ligne 9, puis la ligne 1, puis le RER D jusqu'au Vert-de-Maisons. Chaque jour, elle effectue les mêmes gestes, emprunte les mêmes couloirs de correspondance, monte dans les mêmes trains. Chaque jour, elle pointe, à la même heure, dans une entreprise où on ne l'attend plus. Car depuis quelques mois, sans que rien n'ait été dit, sans raison objective, Mathilde n'a plus rien à faire. Alors, elle laisse couler les heures. Ces heures dont elle ne parle pas, qu'elle cache à ses amis, à sa famille, ces heures dont elle a honte.
Thibault travaille pour les Urgences Médicales de Paris. Chaque jour, il monte dans sa voiture, se rend aux adresses que le standard lui indique. Dans cette ville qui ne lui épargne rien, il est coincé dans un embouteillage, attend derrière un camion, cherche une place. Ici ou là, chaque jour, des gens l'attendent qui parfois ne verront que lui. Thibault connaît mieux que quiconque les petites maladies et les grands désastres, la vitesse de la ville et l'immense solitude qu'elle abrite.
Mathilde et Thibault ne se connaissent pas. Ils ne sont que deux silhouettes parmi des millions. Deux silhouettes qui pourraient se rencontrer, se percuter, ou seulement se croiser. Un jour de mai. Autour d'eux, la ville se presse, se tend, jamais ne s'arrête. Autour d'eux s'agite un monde privé de douceur.
Les heures souterraines est un roman sur la violence silencieuse. Au cœur d'une ville sans cesse en mouvement, multipliée, où l'on risque de se perdre sans aucun bruit.

Auteur : Delphine de Vigan est l'auteur de No et moi, révélation du magazine LIRE 2007, prix des libraires 2008 et prix solidarité 2009. Elle vit à Paris, connaît bien la ligne D du RER et la couleur des lignes de métro. Les heures souterraines est son cinquième roman.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

J'avais beaucoup aimé "No et moi" du même auteur, et lorsqu'au «Café Lectures» ce livre nous a été conseillé, je n'ai pas hésité pour l'emprunter.

C'est en parallèle l'histoire de Mathilde et l'histoire de Thibault, tous deux se débattent seul dans leur vie, ils sont épuisés. Mathilde élève seule ses 3 enfants et est cadre supérieure dans un grand groupe, elle subit le harcèlement moral de son supérieur hiérarchique. Elle prend chaque jour le métro et le RER pour se rendre au travail, où peu à peu elle est isolée, subissant des brimades sans que les autres par peur de perdre leur emploi ne la soutienne. Thibault est médecin pour les Urgences Médicales de Paris, il passe beaucoup de temps dans sa voiture et subit le stress de la ville, des embouteillages, dans son métier il est confronté chaque jour à la détresse humaine. De plus, il vient de rompre avec une petite amie superficielle qui est indifférente à son amour.

Ce livre est vraiment facile et agréable à lire, il est plutôt sombre mais vraiment émouvant et les deux personnages du livre sont vraiment très attachants. Delphine de Vigan nous fait des descriptions très réalistes et réussies du monde de l'entreprise et du harcèlement moral, du monde souterrain du métro et RER et du monde de la ville lieu où se croisent les solitudes.

Un roman très réussi que je vous invite à lire un jour où le moral n'est pas dans les chaussettes... En effet, la description du processus de harcèlement de Mathilde est vraiment implacable, cruelle et dure. A lire !

Extrait : (début du livre)

La voix traverse le sommeil, oscille à la surface. La femme caresse les cartes retournées sur la table, elle répète plusieurs fois, sur ce ton de certitude : le 20 mai, votre vie va changer.

Mathilde ne sait pas si elle est encore dans le rêve ou déjà dans la journée qui commence, elle jette un œil à la pendule du radio-réveil, il est quatre heures du matin.

Elle a rêvé. Elle a rêvé de cette femme qu'elle a vue il y a quelques semaines, une voyante, oui, voilà, sans châle ni boule de cristal, mais une voyante quand même. Elle a traversé tout Paris en métro, s'est assise derrière les rideaux épais, au rez-de-chaussée d'un immeuble du seizième arrondissement, elle lui a donné cent cinquante euros pour qu'elle lise dans sa main, et dans les nombres qui l'entourent, elle y est allée parce qu'il n'y avait rien d'autre, pas un filet de lumière vers lequel tendre, pas un verbe à conjuguer, pas de perspective d'un après. Elle y est allée parce qu'il faut bien s'accrocher à quelque chose.

Elle est repartie avec son petit sac qui se balançait au bout de son bras et cette prédiction ridicule, comme si c'était inscrit dans les lignes de sa paume, son heure de naissance ou les huit lettres de son prénom, comme si cela pouvait se voir à l'œil nu : un homme le 20 mai. Un homme au tournant de sa vie, qui la délivrerait. Comme quoi on peut être titulaire d'un DESS d'économétrie et statistique appliquée et consulter une voyante. Quelques jours plus tard il lui est apparu qu'elle avait jeté cent cinquante euros par la fenêtre, un point c'est tout, voilà à quoi elle a pensé en visant d'un trait rouge les dépenses du mois sur son relevé de compte, et qu'elle se foutait pas mal de ce 20 mai, et des autres jours aussi, à ce rythme-là de toute façon.

Le 20 mai est resté comme une vague promesse, suspendue au-dessus du vide.

C'est aujourd'hui.

Aujourd'hui, quelque chose pourrait se passer. Quelque chose d'important. Un événement qui inverserait le cours de sa vie, un point de disjonction, une césure, inscrite depuis plusieurs semaines à l'encre noire dans son agenda. Un événement majuscule, attendu comme un sauvetage en haute mer.

Aujourd'hui, le 20 mai, parce qu'elle est arrivée au bout, au bout de ce qu'elle peut supporter, au bout de ce qu'il est humainement possible de supporter. C'est écrit dans l'ordre du monde. Dans le ciel liquide, dans la conjonction des planètes, dans la vibration des nombres. Il est écrit qu'aujourd'hui elle serait parvenue exactement là, au point de non-retour, là où plus rien de normal ne peut modifier le cours des heures, là où rien ne peut advenir qui ne menace l'ensemble, ne remette tout en question. Il faut que quelque chose se passe. Quelque chose d'exceptionnel. Pour sortir de là. Pour que ça s'arrête.

En quelques semaines, elle a tout imaginé. Le possible et l'impossible. Le meilleur et le pire. Qu'elle serait victime d'un attentat, au milieu du long couloir qui relie le métro au RER une bombe exploserait, puissante, soufflerait tout, pulvériserait son corps, elle serait éparpillée dans l'air saturé des matins d'affluence, dispersée aux quatre coins de la gare, plus tard on retrouverait des morceaux de sa robe à fleurs et de son passe Navigo. Ou bien elle se casserait la cheville, elle glisserait de manière stupide sur une surface graisseuse comme il faut parfois en contourner, brillante sur les dalles claires, ou bien elle raterait l'entrée de l'escalier roulant et se laisserait tomber, la jambe en équerre, il faudrait appeler les pompiers, l'opérer, visser des plaques et des broches, l'immobiliser pendant des mois, ou bien elle serait kidnappée par erreur, en plein jour, par un groupuscule inconnu. Ou bien elle rencontrerait un homme, dans le wagon ou au Café de la Gare, un homme qui lui dirait madame vous ne pouvez pas continuer comme ça, donnez-moi la main, prenez mon bras, rebroussez chemin, posez votre sac, ne restez pas debout, installez-vous à cette table, c'est fini, vous n'irez plus, ce n'est plus possible, vous allez vous battre, nous allons nous battre, je serai à vos côtés. Un homme ou une femme, après tout, peu importe. Quelqu'un qui comprendrait qu'elle ne peut plus y aller, que chaque jour qui passe elle entame sa substance, elle entame l'essentiel. Quelqu'un qui caresserait sa joue, ou ses cheveux, qui murmurerait comme pour soi-même comment avez-vous fait pour tenir si longtemps, avec quel courage, quelles ressources. Quelqu'un qui s'opposerait. Qui dirait stop. Qui la prendrait en charge. Quelqu'un qui l'obligerait à descendre à la station précédente ou s'installerait en face d'elle au fond d'un bar. Qui regarderait tourner les heures sur l'horloge murale. À midi, il ou elle lui sourirait et lui dirait : voilà, c'est fini.

C'est la nuit, la nuit d'avant ce jour attendu malgré elle, il est quatre heures du matin. Mathilde sait qu'elle ne se rendormira pas, elle connaît le scénario par coeur, les positions qu'elle va adopter l'une après l'autre, la respiration qu'elle tentera d'apaiser, l'oreiller qu'elle calera sous sa nuque. Et puis elle finira par allumer la lumière, prendra un livre auquel elle ne parviendra pas à s'intéresser, elle regardera les dessins de ses enfants accrochés aux murs, pour ne pas penser, ne pas anticiper la journée,

ne pas se voir descendre du train,

ne pas se voir dire bonjour avec l'envie de hurler,

ne pas se voir entrer dans l'ascenseur,

ne pas se voir avancer à pas feutrés sur la moquette grise,

ne pas se voir assise derrière ce bureau.

Elle étire ses membres un à un, elle a chaud, le rêve est encore là, la femme tient sa paume tournée vers le ciel, elle répète une dernière fois : le 20 mai.

Il y a longtemps que Mathilde a perdu le sommeil. Presque chaque nuit l'angoisse la réveille, à la même heure, elle sait dans quel ordre elle va devoir contenir les images, les doutes, les questions, elle connaît par cœur les détours de l'insomnie, elle sait qu'elle va ressasser tout depuis le début, comment ça a commencé, comment ça s'est aggravé, comment elle en est arrivée là, et cet impossible retour en arrière. Déjà son cœur bat plus vite, la machine est en marche, la machine qui broie tout, alors tout y passe, les courses qu'elle doit faire, les rendez-vous qu'elle doit prendre, les amis qu'elle doit appeler, les factures qu'elle ne doit pas oublier, la maison qu'elle doit chercher pour l'été, toutes ces choses autrefois si faciles aujourd'hui devenues si lourdes.

Dans la moiteur des draps elle parvient toujours à la même conclusion : elle ne va pas y arriver.

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Lu du même auteur :

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6 janvier 2010

L'homme de cinq heures - Gilles Heuré

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (3/26)

l_homme_de_cinq_heures Éditions Viviane Hamy – août 2009 – 285 pages

Présentation de l'éditeur :

 

"Le fleuve tirait languissamment les dernières lueurs de cette fin d'après-midi d'automne et, là-haut, les nuages se livraient à d'étranges joutes avec le vent capricieux. Paul Béhaine songea à des tableaux impressionnistes, saluant mentalement l'Apollinaire, jadis flâneur des deux rives. L'esprit libre, il ne prêta attention au personnage qui s'approcha de lui que quand il entendit ces mots, plus chuchotés sur le mode de la confidence que proclamés : - Ne les écoutez pas ceux qui le disent et le répètent ! [...] On m'a fait dire qu'on ne pourrait plus commencer un roman par "la marquise sortit à cinq heures". [...] j'avoue que j'ai été agacé de lire dans le Premier Manifeste du surréalisme que Breton m'avait attribué cette affirmation dont personne, au demeurant, n'a jamais pu vérifier la véracité. J'ai beau être le fantôme de moi-même, je sais encore ce que je dis et me souviens parfaitement de ce que je n'ai pas écrit. Malgré mon grand âge, le mécanisme de mon cerveau n'est pas grippé au point de ne plus pouvoir fonctionner. - Puis-je savoir qui vous êtes monsieur ? demanda Paul. - Je m'appelle Paul Valéry. Mettons. "

Pourquoi notre narrateur décide-t-il de partager le destin de cet homme rencontré une fin d'après-midi ? C'est en dénouant le mystère des Cinq heures du soir qu'il résoudra celui de l'étrange Monsieur V, l'inconnu de la Bibliothèque nationale qui disait se nommer Paul Valéry, poète et académicien mort en 1945, "donc physiologiquement inapte à discuter sur un pont enjambant la Seine dans ces années du XXe siècle finissant."

Auteur : Gilles Heuré est grand reporter à Télérama. Il a publié L'Insoumis, Léon Werth 1878-1955 aux éditions Viviane Hamy. L'Homme de cinq heures est son premier roman.

 

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ce livre est un roman étrange... Au début, je croyais lire un roman policier (j'ai été trompé par le fait que pour moi, les Éditions Viviane Hamy sont associées aux livres de Fred Vargas... j'avais oublié la couleur rouge (et non noir) de la couverture !), il s'agit en fait de l'histoire de la rencontre entre Paul Béhaine et l'étrange Monsieur V. qui est obsédé par «les cinq heures du soir» que l'on retrouve dans de nombreuses œuvres ou évènements. Ainsi, l'auteur nous convie à un voyage au gré de références historiques, littéraires, cinématographiques, musicales, picturales...

J'ai trouvé ce livre un peu difficile à lire car le récit est dense, le style très littéraire, employant un vocabulaire très riche (j'ai été obligé plusieurs fois d'avoir recours au dictionnaire...) et bien sûr faisant références à de nombreuses œuvres que je connaissais pas. Il n'est pas toujours aisé de suivre l'intrigue du livre à travers toutes ces informations et ces réflexions sur l'Art et sur les artistes... Malgré cela le livre en lui-même est très intéressant.

Extrait : (début du livre) Prologue

Où notre héros, Paul Béhaine, est abordé par un curieux personnage qui dit se nommer Paul Valéry et supplie : « Surtout ne les écoutez pas, ceux qui le disent et le répètent ! »

Il aurait bien travaillé un peu plus longtemps, mais l’on ne plaisante pas avec le XVIIe siècle. La Bibliothèque nationale, illustre établissement public fondé par le cardinal Richelieu, avait en effet des horaires stricts. La première cloche, indiquant le quart d’heure avant cinq heures, ayant retenti, Paul Béhaine, comme tous les autres lecteurs, s’était donc résigné à ranger ses affaires et à rendre ses livres au guichet central. Certains avaient accéléré le pas pour doubler ceux de devant, comme des écoliers turbulents ne voulant pas faire la queue, ou redoutant une sanction pour n’avoir pas obtempéré à temps. Car la fermeture était irrémédiablement fixée à cinq heures du soir.

Paul Béhaine descendit la rue Vivienne, traversa les jardins du Palais-Royal, et longea la Comédie-Française, jusqu’à la place Colette. Allait-il prendre le bus ? Se dire, comme la petite Claudine à Paris de la même Colette : « Voici poindre Panthéon-Courcelles, pacifique et zigzaguant », bref, sauter dans l’omnibus parisien ? Non. La marche lui sembla plus propice à dégourdir son esprit. Il se dirigea vers le pont des Arts et s’accouda à la rambarde en contemplant le monde alentour. Son regard survola ses contemporains, touristes en goguette, Parisiens survoltés sortant du travail ou baladant paisiblement des chiens en quête de petits tapis de verdure.

On mentirait en disant qu’il ne pensait plus à ce qui avait occupé son esprit depuis le matin, mais beaucoup des mots de sa journée, imprimés ou écrits, commençaient à s’envoler, telles des feuilles d’automne dispersées par une soudaine bourrasque. La métaphore vaut ce qu’elle vaut, mais, en y réfl échissant, elle ne lui semblait pas ridicule et lui apparaissait même assez pertinente. Voilà, s’était-il dit, redeviens atome parmi les atomes, sois passant parmi les passants, lève le nez, hume l’air, marche, rêve et détends-toi. Va, et ne te hais point de ne plus travailler.

L’air était transporté par une brise fraîche, la Seine tirait languissamment les dernières lueurs de cette fin d’après-midi d’automne et, là-haut, les nuages se livraient à d’étranges joutes avec le vent capricieux. Sensible à ce panorama parisien, il songea à des tableaux impressionnistes, saluant mentalement l’Apollinaire, jadis flâneur des deux rives. L’esprit libre, il ne vit pas tout de suite le personnage qui s’approcha de lui. Il ne lui prêta attention que quand il entendit ces quelques mots, plus chuchotés sur le mode de la confidence que proclamés :

— Ne les écoutez pas ceux qui le disent et le répètent !

L’homme avait le visage creusé par deux grandes parenthèses autour de sa bouche surplombée par une moustache abondante, le front barré par une grande mèche de cheveux blancs. Il sortit une montre de son gousset et fi t une grimace :

— Évidemment on ne peut pas toujours être exact, mais que voulez-vous, les mots et les heures n’ont pas toujours fait bon ménage. Il faut se résoudre à l’idée que l’inexactitude fait partie de ce monde et en est même un des éléments constitutifs. J’ai beau avoir toujours éprouvé une passion pour les mathématiques, je reste néanmoins attaché à la conviction qu’il faut parfois un peu de désordre, et je n’en démordrai pas. Comme disait le poète américain Philip Freneau : « In spite of all the learned have said, I still my old opinion keep. » (En dépit des doctes, je garde ma vieille opinion.) Je suis en effet persuadé que les grandes catastrophes naissent d’une trop grande précision, et que la liberté dont nous pouvons encore nous prévaloir dans ce monde de fous doit bénéficier de quelques inexactitudes salutaires et libératrices. N’est-ce pas votre avis, vous, docte esprit à qui sa conscience suggère de rêvasser à l’étendue du monde ?

Paul ne fut pas réellement surpris par ces paroles insolites car, comme nous croyons l’avoir dit plus haut, l’expérience de l’instant ne pouvait l’effrayer. À ce moment moins qu’à un autre. La puissance compacte de la raison se fissure heureusement quand la rêverie se fait fluide. Cette dernière phrase ne constituant aucunement une théorie, mais suggérant, en termes un peu pompeux, que Paul Béhaine était suffisamment las pour ne pas s’étonner qu’un type inconnu lui tienne des propos auxquels il n’aurait, en temps ordinaire, prêté qu’une attention des plus distraites. Cette fin d’après-midi, en effet, autorisait le décousu, l’improbable, et plaidait pour le discontinu. Il aurait pu voir Moby Dick souffler sous le pont des Arts ou un calamar géant entourer un bateau-mouche de ses immenses tentacules pour l’entraîner par le fond, qu’il ne s’en serait pas formalisé le moins du monde, convaincu en cet instant suspendu que chacun, homme, cétacé ou céphalopode, a le droit de vivre sa vie comme il l’entend. Or donc, et pour reprendre le fil de ce récit, son voisin, encouragé par un silence qu’il interpréta comme une invitation à poursuivre, poursuivit.

— Contrairement à ce que certains peuvent soutenir, affirmer dans de plus ou moins savants développements, ou formuler en de supposés brillants aphorismes qui ne traduisent que l’imprécision de leur jugement, cinq heures du soir est bien une heure importante. On m’a fait dire, dans un texte assez connu, qu’on ne pourrait plus commencer un roman par « la marquise sortit à cinq heures ». Le responsable en est André Breton, ce charmant collectionneur qui a enchâssé les textes les plus admirables autant que les inepties les plus confondantes. Je ne sais ce qui l’a autorisé à affirmer cela, n’ayant personnellement jamais tenu de tels propos ni soutenu une telle affirmation. Ce que j’ai pensé, dit et écrit, est plus complexe et ne peut se résumer aussi succinctement. Le monde des intellectuels et des écrivains, j’y inclus les poètes, est plein de gens qui légifèrent parfois avant même de douter, et s’autorisent à échafauder les théories les plus bizarres pour exciter l’intérêt ou la jalousie de leurs pairs. Je dis cela sans acrimonie à l’égard d’André Breton, que j’admire par ailleurs, même si je suis en désaccord avec beaucoup de ses écrits et de ses oukases — un joli mot tombé en désuétude, peur d’être incompris sans doute —, et qui a préféré se réfugier dans l’oubli, car les mots, le savez-vous, ont parfois suffisamment de liberté de pensée pour disparaître quand ils se sentent devenus inutiles. Mais j’avoue, donc, que j’ai été agacé de lire dans le Premier Manifeste du surréalisme que Breton m’avait attribué, cette affirmation dont personne, au demeurant, n’a jamais pu vérifier la véracité. J’ai beau être le fantôme de moi-même, je sais encore ce que je dis et me souviens parfaitement de ce que je n’ai pas écrit. Malgré mon grand âge, le mécanisme de mon cerveau n’est pas grippé au point de ne plus pouvoir fonctionner.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (3/26)

3 janvier 2010

L'Échappée belle – Anna Gavalda

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (2/26)

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Omnia - mai 2001 – 101 pages

Le dilettante – novembre 2009 - 164 pages

Présentation de l'éditeur :

Simon, Garance et Lola, trois frères et sœurs devenus grands (vieux ?), s'enfuient d'un mariage de famille qui s'annonce particulièrement éprouvant pour aller rejoindre Vincent, le petit dernier, devenu guide saisonnier d'un château perdu au fin fond de la campagne tourangelle. Oubliant pour quelques heures marmaille, conjoint, divorce, soucis et mondanités, ils vont s'offrir une dernière vraie belle journée d'enfance volée à leur vie d'adultes. Légère, tendre, drôle, L'Échappée belle, cinquième livre d'Anna Gavalda aux éditions Le Dilettante, est un hommage aux fratries heureuses, aux belles-sœurs pénibles, à Dario Moreno, aux petits vins de Loire et à la boulangerie Pidoune.

Auteur : Née en 1970, auteur à succès, Anna Galvalda occupe une place de choix dans les rayons de littérature populaire. Après avoir grandi en Eure-et-Loir dans une atmosphère folklorique, Anna Gavalda est envoyée en pension, à 14 ans, à la suite de la séparation de ses parents. Elle suit une hypokhâgne et obtient une maîtrise de lettres à la Sorbonne. Profitant du calme de la Seine-et-Marne et maman de deux enfants, elle cumule les métiers de chroniqueuse pour le cahier Paris-Ile-de-France du Journal du Dimanche, de professeur de français et d'assistante vétérinaire. Cette jeune femme dynamique reçoit le Grand Prix RTL-Lire pour son premier recueil de nouvelles 'Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part' en 1999. Mélange de simplicité, de merveilleuses et tragiques vérités quotidiennes, ce titre ne quitte pas les classements des meilleures ventes pendant des mois et est traduit dans une trentaine de langues. Elle s'essaie les années suivantes à de nouveaux styles, écrit son premier roman et un livre pour enfants. C'est durant l'été 2003 qu'elle commence à travailler sur son quatrième titre, un nouveau roman, 'Ensemble, c'est tout', un véritable succès dans le monde littéraire, critique et public, adapté au cinéma en 2007 par Claude Berri.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ce court roman d'Anna Gavalda est une ré-édition de Le Dilettante, initialement publié par France-Loisirs en 2001. Anna Gavalda est une auteur que j'aime beaucoup, dans ce livre j'ai retrouvé le ton léger et plein de simplicité de «Ensemble, c'est tout». Ici, l'auteur nous raconte la fugue durant un week-end de deux frères et deux sœurs : ils ont la trentaine et le temps de ce week-end, ils vont revivre les souvenirs de leur adolescence. Les personnages sont attachants et vraiment bien décrits : il y a Garance, la narratrice, célibataire, sans situation stable, son frère aîné, Simon, marié à Carine qui « est tout un poème » et il semble satisfait par sa vie bien rangée. Il y a aussi Lola, la sœur aînée, qui sort d'un divorce difficile et le petit dernier, Vincent, qui reste un éternel adolescent.

J'ai pris beaucoup de plaisir à les accompagner dans cette belle «échappée» si agréable et pleine de nostalgie. Dommage que ce livre soit bien trop court !

Extrait : (page 85)

Simon nous a suppliées de ne pas nous parfumer toutes les trois en même temps.

Nous sommes arrivés à Pétaouchnoque dans les temps. J’ai enfilé ma jupe derrière la voiture et nous nous

sommes rendus sur la place de l’église sous les yeux médusés des Pétaouchnoquiens aux fenêtres.

La jolie jeune femme en gris et rose qui discutait avec l’oncle Georges, là-bas, c’était notre maman. Nous lui

avons sauté au cou en prenant garde aux marques de ses baisers.

Diplomate, elle a d’abord embrassé sa belle-fille en la complimentant sur sa tenue, puis s’est tournée vers nous en riant :

– Garance… Tu es superbe… Il ne te manque que le point rouge au milieu du front !

– Manquerait plus que ça, a lâché Carine avant de se précipiter sur le pauvre tonton fané, on n’est pas au carnaval que je sache… Lola a fait mine de me tendre son chapeau et nous avons éclaté de rire.

Notre mère s’est tournée vers Simon :

– Elles ont été insupportables comme ça tout le trajet ?

– Pire que ça, a-t-il acquiescé gravement.

Il a ajouté :

– Et Vincent ? Il n’est pas avec toi ?

– Non. Il travaille.

– Il travaille où ?

– Eh bien, toujours dans son château…

Notre aîné a perdu dix centimètres d’un coup.

– Mais… Je croyais… enfin il m’avait dit qu’il venait…

– J’ai essayé de le persuader mais rien à faire. Tu sais, lui, les petits-fours…

Il semblait désespéré.

– J’avais un cadeau pour lui. Un vinyle introuvable. J’avais envie de le voir en plus… Je ne l’ai pas vu depuis Noël. Oh, je suis tellement déçu… Je vais boire un coup, tiens…

Lola a grimacé :

– Calamba. Il n’est pas dou tout en forme notle Simone…

– Tu m’étonnes, ai-je rétorqué en matant miss Rabat-Joie qui se frottait à toutes nos vieilles tantes, tu m’étonnes…

– En tout cas, vous, mes filles, vous êtes splendides ! Vous allez nous le remonter, vous allez le faire danser

votre frère ce soir, n’est-ce pas ?

Et elle s’est éloignée pour assurer les civilités d’usage. Nous suivions du regard cette petite femme menue. Sa grâce, son allure, son peps, son élégance, sa classe… La Parisienne…

Le visage de Lola s’est rembruni. Deux adorables petites filles couraient rejoindre le cortège en riant.

– Bon, elle a dit, je crois que je vais aller rejoindre Simon, moi… Et je suis restée comme une idiote plantée au milieu de la place, les pans du sari tout flapis.

Pas pour longtemps tu me diras, parce que notre cousine Sixtine s’est approchée en caquetant :

– Hé, Garance ! Harikrishna ! Tu vas à un bal costumé ou quoi ?

J’ai souri comme j’ai pu en me gardant bien de commenter sa moustache mal décolorée et son tailleur vert pomme du Christine Laure de Besançon.

Quand elle s’est éloignée, c’est la tante Geneviève qui s’y est collée :

– Mon Dieu, mais c’est bien toi, ma petite Clémence ? Mon Dieu, mais qu’est-ce que c’est que cette chose en

fer dans ton nombril ? Ça ne te fait pas mal au moins ?

Bon, je me suis dit, je vais aller rejoindre Simon et Lola au café, moi… Ils étaient tous les deux en terrasse.

Un demi à portée de main, la gorge au soleil et les jambes allongées loin devant.

Je me suis assise dans un « crac » et j’ai commandé la même chose qu’eux.

Ravis, en paix, les lèvres festonnées de mousse, nous regardions les bonnes gens sur le pas de leur porte qui glosaient sur les bonnes gens devant l’église. Merveilleux spectacle.

– Hé, ce serait pas la nouvelle femme de ce cocu d’Olivier, là-bas ?

– La petite brune ?

– Nan, la blonde à côté des Larochaufée…

– Au secours. Elle est encore plus moche que l’autre. Mate le sac…

– Faux Gucci.

– Exact. Et même pas la qualité Vintimille. Faux Goutch’ de chez Beijing…

– La honte.

On aurait pu continuer comme ça encore longtemps si Carine n’était pas venue nous chercher :

– Vous venez ? Ça va commencer…

– On arrive, on arrive… a dit Simon, je termine ma bière.

– Mais si on n’y va pas tout de suite, insista-t-elle, on sera mal placés et je ne verrai rien…

– Vas-y, je te dis. Je te rejoins.

– Tu te dépêches, hein ?

Elle était déjà à vingt mètres, quand elle a crié :

– Et passe à la petite épicerie d’en face pour acheter du riz !

Elle s’est encore retournée :

– Pas du trop cher, hein ? Prends pas de l’Uncle Ben’s comme la dernière fois ! Pour ce qu’on en fait…

– Ouais, ouais… il a bougonné dans sa barbe.

On a aperçu la mariée au loin et au bras de son papa. Celle qui allait bientôt avoir une tripotée de petits ratons avec des oreilles de Mickey. On a compté les retardataires et ovationné l’enfant de chœur qui galopait à toute berzingue en se prenant les pieds dans son aube.

Quand les cloches se sont tues et que les autochtones sont retournés à leurs toiles cirées, Simon a dit :

– J’ai envie de voir Vincent.

– Tu sais, même si on l’appelle maintenant, a répondu Lola en soulevant son sac, le temps qu’il vienne…

Un gamin de la noce en pantalon de flanelle et raie sur le côté est passé à ce moment-là. Simon l’a alpagué :

– Hep ! Tu veux gagner cinq parties de flipper ?

– Ouais…

– Alors retourne suivre la messe et viens nous chercher à la fin du sermon.

– Vous me donnez l’argent tout de suite ? Je rêve. Les gamins d’aujourd’hui sont incroyables…

– Tiens, jeune escroc. Et pas de blagues, hein ? Tu viens nous chercher ?

– J’ai le temps d’en faire une maintenant ?

– Allez, vas-y, a soupiré Simon, et après, direction les orgues…

– O.K.

On est restés encore un moment comme ça et puis il a ajouté :

– Et si on allait le voir ?

– Qui ?

– Ben, Vincent !

– Mais quand ? j’ai dit.

– Maintenant.

– Maintenant ?

– Tu veux dire : maintenant ? a répété Lola.

– Tu dérailles ? Tu veux prendre la voiture et partir maintenant ?

– Ma chère Garance, je crois que tu viens de résumer parfaitement le propos de ma pensée.

– Tu es fou, a dit Lola, on ne va pas partir comme ça ?

– Et pourquoi pas ? (Il cherchait de la monnaie dans sa poche.) Allez… Vous venez les filles ?

Nous ne réagissions pas. Il a levé les bras au ciel :

– On se casse, je vous dis ! On se tire ! On met les bouts. On prend la tangente et la poudre d’escampette. On se fait la belle !

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Lu du même auteur :

ensemble_c_est_tout Ensemble, c'est tout   la_consolante La Consolante 

31 décembre 2009

Franz et Clara – Philippe Labro

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Albin Michel – avril 2006 – 187 pages

Folio – septembre 2007 – 179 pages

Quatrième de couverture :

Pour moi, l'âge n'a aucune importance. Depuis la nuit des temps, les hommes et les femmes s'aiment d'amour, quelle que soit la différence. Il n'y a pas d'amour impossible. Philippe Labro

Auteur : Né à Montauban le 27 août 1936, dès ses 18 ans, Philippe Labro affûte sa plume alors qu'il étudie aux États-Unis et traverse le pays au cours de multiples voyages. De retour en France, Europe 1, Marie France et France Soir l'engagent comme reporter. Sa carrière décolle et on le retrouve à la présentation du journal télévisé de 13 heures sur Antenne 2 en 1982 et 1983. Il devient directeur général des programmes de RTL en 1985 puis vice-président de la station onze ans plus tard. Convaincu des bénéfices de l'alliance entre le journalisme et la littérature, Philippe Labro s'inspire de ses expériences et de ses observations sur la vie pour écrire des œuvres souvent autobiographiques. De son service militaire en Algérie (1960) naît le roman 'Des feux mal éteints', publié en 1967 et l'auteur reçoit, en 1986, le prix Interallié pour 'L' Etudiant étranger'. Viennent alors 'Un été dans l'Ouest' (1988), 'Quinze ans' (1992), 'La Traversée' (1996) ou encore 'Manuella' (1999). Les succès s'enchaînent mais l'écrivain sombre dans une dépression d'un an et demi et lutte pour survivre. Son combat fait l'objet d'un livre, 'Tomber sept fois, se relever huit' et en 2002 sort 'Je connais gens de toutes sortes', un ouvrage qui réunit des portraits divers. De Jack Nicholson à Jean-Jacques Goldman, ce livre est un recueil de vies. Professionnel adepte du changement, il s'essaie à la réalisation avec 'Tout peut arriver' en 1969. Journaliste, écrivain et cinéaste, Philippe Labro concilie ses activités avec brio et puise sa force de caractère dans ses faiblesses.

 

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Ce livre est un surprenant roman d'amour qui se lit très facilement et rapidement. La première partie, nous raconte l'histoire de Franz, il a 12 ans mais il est intellectuellement plus âgé et Clara, 20 ans avec le cœur brisé. Au fil de leurs rencontres, chaque jour lorsqu'ils partagent leurs déjeuners sur un même banc au bord du lac, une tendresse grandit entre les deux. La seconde partie, ce sont les retrouvailles de Franz et Clara dix ans plus tard. Les deux personnages sont vraiment attachants et j'ai vraiment regretté que la seconde partie soit si courte.

Extrait : (début du livre) Prologue

Tout à l'heure, en levant les yeux du livre que j'étais en train de lire, j'ai vu, par la baie vitrée ouverte sur la forêt, un papillon blanc traverser l'espace. Il tournoyait.

Un papillon ne vole jamais droit, trop léger, il ne parvient pas à maintenir une ligne continue. Il faisait donc un peu n'importe quoi, comme tous les papillons, il s'agitait de haut en bas, de gauche à droite. Cependant, nous savons bien qu'aucune espèce, volante ou pas, ne fais véritablement jamais « n'importe quoi ». Chacune évolue selon un dessein préétabli et respecte un projet, et ce papillon en avait un : il allait quelque part, à la recherche de quoi, au juste ? Mais peut-être aussi, ne recherchait-il rien, et ne faisait-il que passer, représentation parfaite de l'éphémère de toutes choses.

Pas moins fragile qu'un flocon de neige qui tombe sur de la neige, ou que le pétale d'une fleur de cerisier vacillant sous l'effet du vent, au-dessus du lit d'une rivière. Pas moins fragile, mais pas moins évident : chaque instant de la vie se fixe en nous, au moment même où il nous échappe.

Je me suis demandé si cette créature blanche sur le fond vert de la forêt pourrait apparaître à nouveau, si le papillon reviendrait dans mon champ de vision, s'il caresserait l'air une deuxième fois. Il ne l'a pas fait. J'ai pensé que la brièveté de son passage était égale à celle de cette période de mon existence lorsque j'ai rencontré un être, plus jeune que moi, qui n'était plus tout à fait un enfant, certainement pas un homme, et que l'on ne pouvait qualifier d'adolescent. Franz, le garçon sur le banc, avec un petit sac en papier kraft posé à ses côtés.

21 décembre 2009

Testament d'un paysan en voie de disparition – Paul Bedel et Catherine Ecole-Boivin

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Préface de Claudie Gallay

Presse de la Renaissance – octobre 2009 – 250 pages

Quatrième de couverture :

« Je suis heureux avec rien, avec rien de ce qui s'achète mais aussi avec rien de ce qui se voit... »

Et si Paul Bedel, paysan de la pointe de la Hague reste par choix à la traîne du progrès, vous racontait sa vie d'agriculteur ? S'il vous révélait ses " houoles ", ses coins pour pêcher le homard ? S'il vous présentait ses vaches, Echalote, qui " sentait l'oignon " ou Copine, " toujours sympa avec tout le monde "? S'il vous parlait " des choses qui n'arrivent qu'aux vivants ", de ses coups de gueule, de ses coups de vie? Avec le succès du livre Paul dans les pas du père et du film Paul dans sa vie, Paul Bedel est devenu le passeur d'un monde en voie de disparition. Chaque année, des centaines de personnes lui rendent visite pour l'entendre témoigner de ce choix de vie, celui d'une existence toute simple. Avec ce Testament, Paul Bedel vous invite vous aussi à boire une tasse de café accompagnée de petits-beurre, sur une table en bois patinée par les ans, et à l'écouter. En refermant ce livre, vous aurez le sentiment d'avoir rencontré un homme bon, serein et clairvoyant. L'impression de la terre, son silence et sa liberté.

Auteurs :

Paul Bedel pensait que sa vie n'avait servi a rien, puisqu'il n'a pas eu d'enfants. Mais à 79 ans aujourd'hui, il est invité à des dizaines de conférences et a accueilli plus de 7 000 visiteurs chez lui, à la Hague.

Catherine Ecole-Boivin, originaire de la Hague, vit à Nantes. Elle est historienne et mémorialiste. Testament d'un paysan en voie de disparition est son onzième ouvrage consacré aux paysages humains de sa région.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

C'est avec le film « Paul dans sa vie » que j'ai fait connaissance pour la première fois avec Paul ce paysan atypique de la Pointe de La Hague.

Dans le livre, je l'ai retrouvé égal à lui-même. Il est maintenant à la retraite et il raconte ses souvenirs à Catherine Ecole-Boivin. Il nous parle du temps qui passe, de sa vie de paysan, de ses vaches, une vie de travail dans un environnement magnifique entre terre et mer, de son plaisir d'aller à la pêche dans ses rochers. Il nous confie aussi certains de ses secrets... Il nous parle de son pays d'Auderville à la pointe de La Hague.

C'est plein de poésie et Paul est un homme d'une grande gentillesse, plein de bon sens, de malice, terriblement sensible et attachant. Je vous encourage vraiment à lire ce livre et surtout à voir le film « Paul dans sa vie » réalisé en 2006 par Rémi Mauger.

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Description : Paul Bedel aura bientôt soixante-quinze ans. Il est vieux garçon, paysan, pêcheur et bedeau. Il vit dans une ferme d'un autre âge avec ses deux sœurs cadettes, célibataires elles aussi. Cette année, ils raccrochent : «Ça va faire un vide dans le paysage...». Leur territoire, c'est le cap de la Hague. L'air y est vif, les vents imprévisibles, le granit rugueux, l'horizon immense. Ici, Paul a résisté aux sirènes de la modernité, soucieux de préserver et cultiver son lien à la nature. Au XXIe siècle, il nous l'offre en héritage.

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C'est grâce au film "Paul dans sa vie" que j'ai voulu découvrir le nord Cotentin en août 2008.

Extrait : Le temps

J’suis un paysan sans histoire, un matériel d’avant guerre, né le 15 mars 1930 «à la ferme», dans une petite commune de la Hague, au bout de la terre d’Auderville.

Je m’appelle Paul Bedel.

Jeune sacristain, quand je sonnais le trépas, je souriais sans penser à mon dernier moment. Je tirais à bras, ça tirait dur. C’est long, quand t’es seul pendu au bout d’une corde ! Pauvre Gusto ! Le corps suivait, je rendais hommage à ma manière au bonhomme ou à la bonne femme s’envolant pour le paradis. Ça pouvait durer jusqu’à une demi-heure, suivant le niveau social de la personne morte. Ça et le travail de la terre, ça m’a fait les muscles et les os. Maintenant qu’on est au tout-électrique, j’actionne trois manettes et j’annonce. Chacun dorénavant a le droit au même temps de cloches. Notre campanile en possède deux. C’est pas plus mal, le même temps pour tous, puisque, dans le cimetière, t’es plutôt dans le bas niveau pour tout le monde.

À vrai dire, aujourd’hui je gagne quelques minutes sur ma retraite de paysan, car je suis très occupé. Mes heures sont comptées de par tous les bouts de par où je me trouve, dans mes activités comme dans ma vieillesse.

Trois tours de chaque bitoniau, et les cloches sonnent seules. J’écoute si elles démarrent, elles carillonnent faux parfois. Puis je referme la sacristie, je glisse la clé dans mon paletot, je me signe à genoux.

Dehors, je prends un coup de vouêtie (vent frais), je replace ma gapette sur mes oreilles. Mes pas crissent sur le gravier blanc du cimetière. Je me dépêche, brimbalant ma silhouette crochue d’avoir trop porté sur mon dos.

Je déboule dans ma rue.

Un petit regard vers la mer, une bonne brise court sur l’eau. Un petit coup d'œil sur ma girouette en forme de vache sur mon étable, je hume l’air à la manière de mes ancêtres, de l’homme qui sait parce qu’il a regardé. Les vents n’ont pas changé.

Un bonjour pincé à une vaésaine (voisine) qui promène son pulvérisateur, son chien. Il pisse sur notre bel hortensia dont maintenant les feuilles ont cuit. Heureusement elle ne vient que le week-end ! En semaine, la pauvre plante tente de reprendre le dessus.

Je rentre à la maison, le téléphone sonne déjà ! Un des paroissiens m’appelle pour me demander :

— Paul, c’est qui qu’est mort ?

Invariablement je réponds :

— Ben c’est pas moi !

Actuellement, cette petite blague me donne encore bien du plaisir, t’as pas idée. Si tu réponds au téléphone encore haletant d’avoir galopé jusqu’à l’église, tu te dis que t’es encore vivant. Et l’autre, au bout du fil, te rouspète :

— Veux-tu être sérieux, Paul ! J’sais que c’est pas toi qu’es mort puisque tu me réponds, bougre d’innochent !

Certain que dans la vie vaut mieux être un nigaud vivant qu’un nigaud mort ! Seulement dans les autres communes, Paul sonne pas le trépas.

Parfois je reçois des coups de fil peu réjouissants. La roue tourne pour les êtres aimés.

Pour moi qui arrive à échéance, ce sera un autre jour.

Extrait : L’horloge

Notre horloge «Marchand d’Equeurdreville», poids en fonte bien lourds, est née avant moi, j’ai pas connu sa naissance mais elle a accompagné la mienne. La matrone du village, l’accoucheuse, a regardé ses aiguilles au moment où je suis venu au monde, dans la maison où je vis encore. Notre vieille caisse vient des anciens, des arrière-grands-parents, même plus vieux peut-être. Elle a réglé ma vie et marche à l’heure solaire. Françoise, ma soeur née en 1937, la remonte chaque semaine en râlant la même phrase :

— Vieille garce, dire que la semaine est passée !

En marquant notre temps elle rythme notre semaine de huit jours, celle venant de dégringoler et on repart pour une autre. Le temps, ça passe, ça décline, en revanche ça paraît quand même moins à l’heure solaire. Notre horloge en dit long sur l’échéance de nos existences qui nous poursuit comme un huissier de justice. Elle possède un petit décalage, très léger, j’ai bricolé le rivelin, le filin usé, rendu mou avec les années. J’ai entortillé un vilain nœud. Elle déconnait trop, ça nous mettait en avance !

Et chez nous, nous aimons prendre notre temps.

Il y a quinze ans, elle a connu un événement grave. Quand je l’ai vue sur la table, éventrée, en morceaux, j’ai pensé :

— T’es raide, ma pauvre vieille !

Certainement qu’on ne choisit pas sa mort, l’horloge n’avait pas choisi sa panne, l’usure à l’évidence. Quelqu’un de ma famille l’a prise chez lui sous son bras. Il a joué au dentiste avec elle, faut dire qu’il est doué pour réparer.

Le rouage, comme les mâchoires des vieux, avait perdu une dent, un cran de cuivre indispensable à son mécanisme. Ce cran mâchouillé l’empêchait de se réenclencher, alors il lui a rectifié le dentier. Un bon coup de lime et hop ! elle est repartie comme en quarante. Je la jalouse un peu depuis, mes mauvaises dents broyées m’obligent à mâcher du côté droit, je devrais aller chez le dentiste, mais j’ignore si des fois ça vaut le coup de réparer une bagnole en fin de course comme moi, enfin bref, je ne mâche plus que d’un côté. L’horloge, elle, depuis son séjour chez son chirurgien d’occasion, a toujours ses deux mâchoires intactes.

Les vieilles garces, on le sait, ont la peau dure !

Durant quelques jours, lors de sa réparation, on a été privés du tic et tac. Maman n’arrivait plus à tricoter, le tic-tac des secondes lui manquait, elle sautait les points de son tricot depuis si longtemps rodé à son mécanisme. Lorsqu’on vidait la maison pour les cllos, nos champs, et qu’on partait bosser tous les trois, mes deux sœurs et moi, la pauvre maman se sentait abandonnée dans ce silence. À notre retour elle nous demandait avec impatience :

— Mais quand est-ce qu’elle revient, la vieille ?

L’horloge, pour elle, ça lui faisait une compagnie, un bruit de fond dans la maison.

L’horloge, une fois revenue, a hérité d’un faible décalage, un mal pour un bien car maintenant, naturellement, elle s’est mise à l’heure terrestre. À croire qu’elle sait compter. On entrevoit un léger écart, c’est perceptible depuis des décennies. Cet écart dont on parle parfois dans les émissions des savants.

D’ailleurs, il y a soixante-dix ans le soleil se levait un peu plus décalé par rapport à la Vierge qui, elle, n’a pas bougé, placée sur notre cheminée. Le soleil passe par le même carreau de fenêtre mais avec deux centimètres de différence. Je l’ai observé.

Notre grosse caisse se prend pour la pendule universelle et joue de la musique. Elle sonne les demi-heures en tintant d’un coup, et les heures par autant de dong que le nombre d’heures. Pour les heures, elle recommence son tintamarre une minute après avoir sonné la première fois, comme ça quand tu dors, si t’as pas compris l’heure qu’il est, elle te le rappelle : dong, dong, dong, dong, dong, avec pour finir un léger couinement de cinq heures. De ton lit, tu as beau l’engueuler, elle recommence son tintamarre, tu n’as plus qu’à te mettre le traversin sur les oreilles.

16 décembre 2009

Si même les arbres meurent – Jeanne Benameur

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Édition Thierry Magnier – septembre 2000 – 111 pages

Présentation de l'éditeur :

Seuls dans un couloir d’hôpital, un frère et une soeur attendent que leur mère quitte la chambre de son mari. Cet homme, leur père, est dans le coma entre la vie et la mort. Cette femme est toute entière à sa douleur.
Spectateurs impuissants de cette souffrance d’adulte, les deux enfants s’inventent un univers à leur démesure. Peuplé d’histoires de héros qui ne meurent jamais, de pères plus forts que la mort...

L’issue de ces insupportables jours d’attente leur apprendra que seul l’amour ne meurt jamais...

Auteur : Née en 1952, en Algérie d'un père tunisien et d'une mère italienne, Jeanne Benameur vit en France depuis l'âge de 5 ans. Elle débute sa carrière d'écrivain avec des livres de jeunesse comme 'Samira de quatre routes' ou 'Adil coeur rebelle', avant d'ouvrir son registre à la littérature pour adulte. Longtemps enseignante, elle se consacre désormais à l'écriture. Ses livres : Les Demeurées (2000), Si même les arbres meurent (2000), Un jour mes princes sont venus (2001), Les Mains libres (2004), Présent ? (2006), Laver les ombres (2008)

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Mathieu et Céline sont dans la salle d’attente de l’hôpital. Leur papa vient d'avoir un accident d'alpinisme et il est dans le coma. Leur maman, Dominique est effondrée. Chaque jour, Dominique vient au chevet de son mari et les enfants arpentent les couloirs de l'hôpital, ils s'inventent un monde imaginaire où leur papa est "Grand aigle" qui se bat pour vaincre les danger de la montagne, Mathieu est Aigle Brun, Céline Petite Montagne. Ils se réfugient et s'isolent dans leurs histoires imaginaires et refusent le monde extérieur comme l’école, les copains, l’institutrice.

Ce livre est à la fois bouleversant et poétique. Il aborde le thème de la mort d'un proche avec beaucoup de simplicité et de pudeur. Il se lit très facilement, les phrases sont courtes et simples. C'est un livre qui peut être lu aussi bien par des collégiens que des adultes. A découvrir sans modération.

Extrait : (page 11)

L'infirmière de garde vient de passer à nouveau. A nouveau elle s'est sentie saisie à la vue des deux enfants. Pris en bloc. Dans quelque chose qu'elle a du mal à nommer. Non, ce n'est pas du chagrin. Elle préférerait. Le chagrin, elle connaît. Elle en voit des gens de toutes sortes, de tous milieux, faire connaissance brutalement avec le chagrin.

Ça effondre. Ça pulvérise à l'intérieur. Comme une falaise rongée par des années de vagues et qui, tout à coup, laisse partir un gros bloc de rocher ; et puis un autre, et un autre encore. La falaise se ruine. Un nuage de poussière, de calcaire, dans un grand fracas. Elle s'écroule. Il a suffit d'une tempête : coups de vent plus forts, vagues plus mordantes.

C'est ça les chagrins qu'elle reconnaît ici, Paula. Elle voit venir la fissure chez ces gens qui attendent, qui attendent de savoir ce que la vie décide dans le corps de ceux qu'ils chérissent.

Parfois, le soir ou le matin, quand elle rentre chez elle, elle se sent ravinée elle aussi par toutes ces vagues de souffrance qu'elle a vues à l'œuvre. Et elle pense alors qu'elle fait un drôle de métier.

Mais chez ces deux enfants, il n'y a rien de tel. Ils sont dressés dans une autre attente. Comme tenus de l'intérieur. Et tout entiers pris là-dedans. Elle se demande s'ils l'entendent vraiment, s'ils la voient. Plusieurs fois, elle leur a proposé un chocolat chaud de la machine, tout près. La petite fille secoue la tête. Le garçon articule « Non merci, madame », d'une voix très nette et lointaine à la fois. L'infirmière se sent de trop auprès d'eux. D'habitude, on aime sa présence. Elle rassure.

Elle retourne à sa petite salle de garde, se refait un café, jette un coup d'œil sur ses fiches. Leur père ne s'en sortira pas. Ou tellement diminué. Elle revoit leur mère avançant à pas pressés, maladroits, à côté du chariot, les yeux rivés aux paupières closes de son époux, la main effleurant l'autre main, n'osant presque plus toucher. Elle prend un magazine qu'elle feuillette, n'arrive pas à lire.

Les deux enfants sont là, dans la salle d'attente. Elle ne sait pas quoi faire. C'est elle qui a le cœur gros tout à coup. Fichu métier !

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