Les souvenirs – David Foenkinos
Gallimard – août 2011 – 272 pages
Quatrième de couverture :
« Je voulais dire à mon grand-père que je l'aimais, mais je n'y suis pas parvenu. J'ai si souvent été en retard sur les mots que j'aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l'écrit, maintenant. Je peux le lui dire, là. »
David Foenkinos nous offre ici une méditation sensible sur la vieillesse et les maisons de retraite, la difficulté de comprendre ses parents, l'amour conjugal, le désir de créer et la beauté du hasard, au fil d'une histoire simple racontée avec délicatesse, humour, et un art maîtrisé des formules singulières ou poétiques.
Auteur : Romancier, scénariste et musicien, David Foenkinos est né en 1974. Il a publié Entre les oreilles (2002), Inversion de l’idiotie (2002), Le potentiel érotique de ma femme (2004) et Qui se souvient de David Foenkinos ? (2007), Nos séparations (2008), La délicatesse (2009).
Mon avis : (lu en janvier 2012)
Je découvre enfin David Foenkinos avec ce livre qui évoque les souvenirs et le temps qui passe.
Le narrateur travaille comme veilleur de nuit dans un hôtel. Tout commence avec la mort de son grand-père. Le narrateur se souvient alors des moments partagés ensemble et regrette de ne pas avoir su lui dire qu'il l'aimait. Il va donc se rapprocher de sa grand-mère qui est maintenant seule et qui va bientôt être obligé d'aller en maison de retraite. Régulièrement, il vient la voir, la distrait, l'emmène se promener. A la même époque son père et sa mère se retrouvent à la retraite, cette nouvelle situation les déstabilise l'un et l'autre.
Avec beaucoup de sensibilité et de justesse, David Foenkinos nous entraîne sur le chemin des souvenirs, ceux de ses personnages mais aussi nos propres souvenirs avec nos grand-parents, nos parents... J'ai été touchée par ce livre nostalgique mais également plein de tendresse sans oublier les petites touches d'humour, c'est comme si on feuilletait un vieil album de photos en noir et blanc ou en couleurs.
Ce livre se lit très facilement, il est constitué de chapitres très courts où alternent les réflexions du narrateur, ses souvenirs mais également les souvenirs des personnages du livre.
Et maintenant, je compte bien très prochainement découvrir le titre le plus populaire de David Foenkinos « La délicatesse » !
D'autres avis : avec Stephie, Alphie, SD49, Valérie
Extrait :(début du livre)
Il pleuvait tellement le jour de la mort de mon grand-père que je ne voyais presque rien. Perdu dans la foule des parapluies, j'ai tenté de trouver un taxi. Je ne savais pas pourquoi je voulais à tout prix me dépêcher, c'était absurde, à quoi cela servait de courir, il était là, il était mort, il allait à coup sûr m'attendre sans bouger.
Deux jours auparavant, il était encore vivant. J'étais allé le voir à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, avec l'espoir gênant que ce serait la dernière fois. L'espoir que le long calvaire prendrait fin. Je l'ai aidé à boire avec une paille. La moitié de l'eau a coulé le long de son cou et mouillé davantage encore sa blouse, mais à ce moment-là il était bien au-delà de l'inconfort. Il m'a regardé d'un air désemparé, avec sa lucidité des jours valides. C'était sûrement ça le plus violent, de le sentir conscient de son état. Chaque souffle s'annonçait à lui comme une décision insoutenable. Je voulais lui dire que je l'aimais, mais je n'y suis pas parvenu. J'y pense encore à ces mots, et à la pudeur qui m'a retenu dans l'inachèvement sentimental. Une pudeur ridicule en de telles circonstances. Une pudeur impardonnable et irrémédiable. J'ai si souvent été en retard sur les mots que j'aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l'écrit, maintenant. Je peux lui dire, là.
Assis sur une chaise à côté de lui, j'avais l'impression que le temps ne passait pas. Les minutes prétentieuses se prenaient pour des heures. C'était lent à mourir. Mon téléphone a alors affiché un nouveau message. Je suis resté en suspens, plongé dans une fausse hésitation, car au fond de moi j'étais heureux de ce message, heureux d'être extirpé de la torpeur, ne serait-ce qu'une seconde, même pour la plus superficielle des raisons. Je ne sais plus vraiment quelle était la teneur du message, mais je me rappelle avoir répondu aussitôt. Ainsi, et pour toujours, ces quelques secondes insignifiantes parasitent la mémoire de cette scène si importante. Je m'en veux terriblement de ces dix mots envoyés à cette personne qui n'est rien pour moi. J'accompagnais mon grand-père vers la mort, et je cherchais partout des moyens de ne pas être là. Peu importe ce que je pourrai raconter de ma douleur, la vérité est la suivante : la routine m'avait asséché. Est-ce qu'on s'habitue aux souffrances ? Il y a de quoi souffrir réellement, et répondre à un message en même temps.
Ces dernières années n'avaient été pour lui qu'une longue déchéance physique. Il avait voyagé d'hôpital en hôpital, de scanner en scanner, dans la valse lente et ridicule des tentatives de prolonger notre vie moderne. A quoi ont rimé tous ces derniers trajets en forme de sursis ? Il aimait être un homme ; il aimait la vie ; il ne voulait pas boire avec une paille. Et moi, j'aimais être son petit-fils. Mon enfance est une boîte pleine de nos souvenirs. Je pourrais en raconter tellement, mais ça n'est pas le sujet du livre. Disons que le livre peut commencer ainsi, en tout cas. Par une scène au jardin du Luxembourg où nous allions régulièrement voir Guignol. On prenait le bus, on traversait tout Paris, ou peut-être ne s'agissait-il que de quelques quartiers, mais ça me paraissait démesurément long. C'était une expédition, j'étais un aventurier. Comme tous les enfants, je demandais à chaque minute :
« On arrive bientôt ?
- Oh, que non ! Guignol est au bout de la ligne », répondait-il systématiquement.
Et pour moi, le bout de cette ligne avait le goût du bout du monde. Il regardait sa montre pendant le trajet, avec cette inquiétude calme des gens qui sont toujours en retard. On courait pour ne pas rater le début. Il était excité, tout autant que moi. Il aimait forcément la compagnie des mères de famille. Je devais dire que j'étais son fils, et non son petit-fils. Au-delà de la limite, le ticket pour Guignol était toujours valable.
Il venait me chercher à l'école, et ça me rendait heureux. Il était capable de m'emmener au café, et j'avais beau sentir la cigarette le soir, face à ma mère il niait l'évidence. Personne ne le croyait, et pourtant il avait ce charme énervant de ceux à qui l'on ne reproche jamais rien. Toute mon enfance, j'ai été émerveillé par ce personnage joyeux et facétieux. On ne savait pas très bien ce qu'il faisait, il changeait de métier tout le temps, et ressemblait plus à un acteur qu'à un homme ordinaire. Il avait été tour à tour boulanger, mécanicien, fleuriste, peut-être même psychothérapeute. Après l'enterrement, ceux de ses amis qui avaient fait le déplacement m'ont raconté de nombreuses anecdotes, et j'ai compris qu'on ne connaît jamais vraiment la vie d'un homme.
Challenge 5%
Rentrée Littéraire 2011
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