Le silence ne sera qu’un souvenir – Laurence Vilaine
Gaïa – août 2011 – 172 pages
Quatrième de couverture :
Le vieux Mikluš se déciderait-il à parler ? Rongé par le remords d’avoir gardé le silence, il s’en remet à un journaliste venu à l’occasion des vingt ans de la chute du Mur de Berlin, et raconte les siens, cette communauté rom installée sur une rive slovaque du Danube.
Dilino est le souffre-douleur de la bande, parce qu’il est différent avec son air de gadjo. Il ignore qui est cette femme qui s’occupe parfois de lui. «La Vieille» s’appelait Chnepki et avait une voix d’ange. Elle fut brisée en plein vol un matin de 1942 et réduite au silence des années durant. Jusqu’au jour où apparut Lubko, le sculpteur de marionnettes qui jouait du violon comme un Tsigane.
À l’heure où de plus en plus de crânes rasés tapissent la ville de croix gammées, Mikluš éclaire ces existences opprimées, révèle les non-dits. Et balaie les étiquettes pour laisser surgir les visages.
Auteur : Laurence Vilaine est née en 1965. Après des études d’anglais et plusieurs séjours à l’étranger, elle se consacre à des travaux journalistiques. Rédactrice pour différents supports de communication, elle est aussi l’auteur de guides de voyage et de documentaires. Laurence Vilaine vit à Nantes. Le silence ne sera qu’un souvenir est son premier roman.
Mon avis : (lu en janvier 2012)
Une histoire très belle mais triste sur un sujet d'actualité.
Sur les bords du Danube, dans le camp Supava en Slovaquie, le vieux Miklus raconte l'histoire de son peuple, les Tziganes ou les roms. Une histoire de douleurs et de mort.
Il nous parle du petit Dilino qui jouait du violon et qui était le souffre-douleur des autres enfants roms. Dilino est différent des autres enfants, il a des cheveux blonds. Dilino n'est pas son vrai nom, « dilino » cela veut dire « idiot » en tzigane. Dilino ne sait pas d’où il vient, ni qui est la Vieille qui s’occupe parfois de lui. Avant d’être la Vieille, elle était Chnepki. Elle avait une très jolie voix, et enchantait toute la communauté. Mais Chnepki ne chante plus depuis qu’on lui a volé son enfance, alors que non loin résonnait la Seconde Guerre Mondiale. Puis est apparu Lubko, joueur de violon et sculpteur de marionnettes...
A travers l’histoire racontée par Mikluš, le lecteur découvre l’histoire des Roms durant le siècle dernier, une communauté persécutée ou discriminée depuis toujours... « Le Rom, il tient comme il peut, ballotté d'un courant d'air à un autre, le vent s'engouffre partout où il pointe son nez. Il n'est attendu nulle part, vous le savez bien, on le refile à son voisin ; à peine a-t-il posé sa famille qu'on le fait déguerpir, et on l'accuse de ne pas tenir en place. »
Il y a beaucoup de poésie, de pudeur et de douleur dans cette histoire, des instants bouleversants. J'ai été émue jusqu'aux larmes par l'histoire de Dilino, Chnepki, Lubko et Maruška... Les personnages sont vraiment très attachants et l'auteur veut nous fait réfléchir sans pour autant nous donner de leçon. Un livre à découvrir sans tarder !
Extrait : (page 11)
C’est sur cette berge que j’ai rendu mon dernier soupir, derrière vous, au pied de cette barre d’immeubles la plus haute. C’était un soir d’automne, à une semaine près j’aurais pu être de la fête des Morts, le 9 novembre, quatre ans jour pour jour après la chute du Mur. C’est d’ailleurs à Berlin que vous auriez dû aller, les festivités du vingtième anniversaire vous auraient donné du grain à moudre, des jolis discours, des poignées de main et des tapis rouges, sans compter la belle cérémonie probablement arrosée des meilleurs vins des deux Allemagne réunies. Avec quelques photos de deux ou trois vedettes bras dessus bras dessous à la porte de Brandebourg et un titre clinquant, votre article était vendu d’avance. En ces jours de grandes célébrations, l’exercice ne doit pas être bien difficile. Pourvu que l’effet soit grisant, les gens ouvrent grand le gosier et avalent tout ce qu’on veut bien leur servir ; schnaps, champagne ou vodka, on avale tout dans un verre à pied. Réunification, liberté gagnée, égalité, fraternité, vous auriez pu faire comme chez vous finalement et sans même être accusé de poncifs. Enfin, vous auriez sûrement fait ça très bien, après tout c’est votre métier, et ce n’est pas moi qui vais vous en apprendre, je connais bien peu de choses, des bribes attrapées ici et là, et de l’approximatif évidemment, moi, vous savez, c’est un miracle si je sais lire.
Mais, ici, que venez-vous chercher ?
Le Mur est tombé, et ça fait maintenant plus de vingt ans, vous n’allez pas non plus en faire un livre. Vous seriez d’ailleurs surpris de constater que les gens d’ici ignoraient même son existence. À partir de là évidemment, c’est pisser dans un violon que de leur demander en quoi sa chute a changé leur vie, car c’est ça qui vous intéresse si j’ai bien compris ? Ils vous regarderont avec les mêmes yeux ronds que si vous leur demandiez le nom de la rue où ils habitent. Non croyez-moi, votre enquête est vouée à l’échec, vous ne trouverez rien ici qui fera la une de votre journal. De ce côté du fleuve vous perdrez votre temps.
Mais je vois bien que vous n’êtes pas du genre à faire demi-tour et à rentrer bredouille, ce que je peux comprendre, tout ce voyage pour rien, trois gribouillis en haut d’une page et pas une photo qui vaille la peine, ça vous met le moral d’un journaliste par terre. Dans ce cas, allez sur l’autre rive. Là-bas, les gens auront sûrement à raconter, et très certainement des souvenirs de cette fameuse nuit de novembre – rabattez-vous sur le volet nostalgique de l’affaire –, leur programme télévisé interrompu par les images ahurissantes d’un mur assiégé, les Škoda en file indienne vers la frontière, la chair de poule, les yeux mouillés devant l’inconcevable et j’en passe, vous ne savez plus si ce flash télévisé est une farce, vous regardez par la fenêtre, vous vous pincez, personne dans la rue, et si vous étiez victime d’une hallucination ? Les radios mobilisaient toute la population ce soir-là, interdite, inquiète, méfiante, et si demain le régime changeait d’avis ? Ils vous raconteront tout cela, l’inimaginable occupant l’écran de leur télévision, sous les yeux ahuris des militaires qui laissaient faire. À part certains qui ont entrepris de partir à pied la nuit même, en petits groupes épars qui n’en faisaient plus qu’un à l’approche de la frontière autrichienne, en silence puis haussant la voix jusqu’à crier pour s’assurer qu’ils ne traversaient pas un rêve, la plupart n’ont finalement pas bougé de chez eux. Jusqu’aux premiers rassemblements, la Révolution de Velours, vous savez, quelques jours plus tard, tout juste vingt ans après le Printemps de Prague, j’aime le goût de ce pays pour la poésie qu’il glisse dans son histoire. Mais vous avez déjà eu vent de tout ça, c’est de l’histoire ancienne. De ce côté du fleuve, on était à peine au courant de ce qui se tramait en ville. Et de toute façon, sachez qu’ici on ne fait pas du passé une béquille, on avance coûte que coûte, et on laisse l’imparfait à ceux qui ont appris à conjuguer les verbes. Moi ? Vous plaisantez. Passer à l’Ouest n’était plus de mon âge et il me restait finalement peu de temps à vivre. J’étais trop vieux et trop las, sans compter que cette nuit même de novembre, pendant que des milliers de bras abattaient le Mur à coups de pioche, les miens pesaient plus lourd que le plomb. Il pleuvait comme vache qui pisse et j’avais d’autres chats à fouetter, de l’eau jusqu’aux chevilles et la tête vide comme une cruche percée ; et dans les bras, un nouveau-né. Pourriez-vous poser votre main sur mon épaule, vous sentiriez mes vieux os trembler.
Challenge 5%
Rentrée Littéraire 2011
33/35
Lu dans le cadre du Challenge Défi Premier roman