Mémoire en cage – Thierry Jonquet
Albin Michel - avril 1982
Fleuve Noir – janvier 1986
Gallimard – octobre 1995
Folio – octobre 1999 – 171 pages
Quatrième de couverture :
Qui ? Pourquoi ? Comment ? Voilà les questions que se posait le commissaire Gabelou.
Trois questions pour trois cadavres. Comment en était-on arrivé là ? La fatalité, l'injustice et la vengeance... Cynthia a beau être prisonnière de son fauteuil roulant et de son corps souffrant, elle n'est peut-être pas si débile qu'il y paraît. Sa vie est fichue alors il ne lui reste plus qu'à réussir la mort de l'ordure qui a tout gâché. Mais comment ?
Auteur : Né à Paris en 1954, auteur de polars, Thierry Jonquet fait figure de référence dans ce genre littéraire et bien au-delà. Engagé politiquement dès son adolescence, il entre à Lutte ouvrière en 1970 sous le pseudonyme de Daumier (caricaturiste du XIXe siècle), puis à la Ligue communiste révolutionnaire l'année de son bac. Après des études de philosophie rapidement avortées et plusieurs petits boulots insolites, un accident de voiture bouleverse sa vie : il devient ergothérapeute et travaille successivement dans un service de gériatrie puis un service de rééducation pour bébés atteints de maladies congénitales, et enfin dans un hôpital psychiatrique où il exerce les fonctions d'instituteur. Inspiré par l'univers de Jean-Patrick Manchette, son premier roman, 'Le Bal des débris', est publié en 1984 bien qu'il ait été écrit quelques années plus tôt. 'Mémoire en cage' paraît en 1982, suivent 'Mygale' (1984), 'La Bête et la belle', 'Les Orpailleurs' (1993), qui confirment le talent de Thierry Jonquet pour le roman au réalisme dur, hanté par la violence et les questions de société. Les événements dramatiques de l’été 2003 ont inspiré Thierry Jonquet qui nous offre, avec Mon vieux, un texte captivant sur l’étonnante réaction humaine devant l’adversité. 'Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte', paru en 2006 évoque sans tabous la violence et l'antisémitisme qui sévissent dans certaines banlieues. Thierry Jonquet a également scénarisé plusieurs bandes dessinées parmi lesquelles 'Du papier faisons table rase', dessiné par Jean-Christophe Chauzy. Plébiscité par la critique, l'une des plus élogieuses est signée Tonino Benacquista qui écrit de lui : 'Jonquet sculpte la fiction, c'est le matériau qu'il façonne pour lui donner une âme, le même que celui d'Highsmith ou de Simenon, il est difficile d'en citer beaucoup d'autres.' Alors qu'il venait de publier 'Ad Vitam aeternam', Thierry Jonquet, décède en août 2009, après avoir lutté deux semaines contre la maladie.
Mon avis : (lu en octobre 2009)
Ce livre fait partie des premiers romans de Thierry Jonquet. C'est l'histoire d'une vengeance bien ruminée, l'intrigue est parfaitement construite. L'auteur nous fait partager le monde d'une adolescente fortement handicapée à travers une histoire cruelle. A la suite d'une opération ratée, Cynthia est devenue prisonnière d'un fauteuil roulant et d'un corps qui ne lui répond plus. Elle vit à l'Institut National de Réadaptation au pavillon C. Elle a été considérée comme débile par les médecins avec un QI de 30. Mais elle cache sa véritable intelligence en faussant les tests et elle va construire sa vengeance pour supprimer qui l'a mis dans cet état de «légume». Il y a aussi Alain un jeune étudiant qui vient pour l'été travailler à l'Institut. Il a de gros problèmes avec les femmes et sa sexualité.
Certains passages du livre sont violents et glauques. Tour à tour, l'auteur nous raconte l'histoire à la troisième personne, mais évoque aussi ce qui se passe dans la tête de ses personnages : Cynthia, Alain et « l'ordure ». Dès la quatrième de couverture, on sait qu'il y aura 3 cadavres, mais les réponses aux questions «Qui ? Pourquoi ? Comment ?» ont été pour moi surprenante. J'ai trouvé ce roman policier vraiment réussi.
Extrait : (début du livre)
Cynthia
Il est 9 heures. C’est le moment de prendre mon poste, comme tous les matins. Pour voir arriver l’ordure. Il y a beaucoup de bruit. Les gosses. Ils arrêtent pas de crier en courant dans les couloirs. Quand ils tombent, ça fait un bruit de ferraille. C’est leurs appareils, qui font ça. Mais ils se font pas mal, en tombant. Ils se relèvent et repartent en rigolant.
Il fait très beau, c’est le 3 juillet. La mardi 3 juillet. Hier soir, c’était le fête de l’école. Et aujourd’hui, les gosses attendent que leurs parents, qui viennent les récupérer, pour les vacances. Certains, c’est pas leurs parents, qui viennent, c’est les moniteurs d’une colo. Il fait très chaud. Ce matin, Marie-Line était très occupée, elle a pas eu le temps de m'habiller. J'ai encore mon pyjama. Le Petit-Bateau jaune et vert que ma sale conne de mère a apporté la dernière fois qu'elle est venue. C'était en avril.
Marie-Line était très pressée : des trousseaux à préparer, pour les départ en colo, justement. Elle m'a fait manger vite fait, mais sans trop brusquer. Je l'aime bien Marie-Line. Je ne sais pas si elle m'aime bien, elle. Quand elle est de nuit, elle parle en tricotant, pour ses enfants. Elle parle toute seule, parce que, même si elle est gentille, je crois pas qu'elle s'use la salive à me parler Elle parle toute seule, quoi ! Je suis là, à baver devant elle, avachie sur mon fauteuil, et elle se parle. Les impôts, les histoires de famille, son mari qui est méchant avec elle, tout y passe. De temps en temps, elle me sourit, elle me regarde. Elle prend un torchon et elle m'essuie la bave.
C'est la plus gentille. Elle s'occupe bien de moi, même quand j'ai mes règles et qu'il faut me changer les serviettes. Avant que Marie-Line arrive, il y avait Olga, une grosse blonde. Elle me cognait dessus quand je laissais couler ma soupe. Elle tapait et moi, pour me venger, je faisais dans ma culotte, ça l'obligeait à me changer. Mais elle est plus là, Olga, maintenant, c'est tout le temps Marie-Line qui s'occupe de moi.
Déjà lu de Thierry Jonquet :