Papa et maman sont dans un bateau – Marie-Aude Murail
École des Loisirs – février 2009 – 294 pages
Quatrième de couverture :
Pauvres Doinel ! Ils s’aiment, mais n’ont pas le temps de se le dire. Ils ont chacun leurs angoisses, leurs soucis mais les gardent pour eux. Marc Doinel, le père aux allures de cow-boy, n’a toujours pas parlé du rachat de sa boîte par des Hollandais décidés à restructurer au lance-flammes. Nadine, la mère débordée, n’évoque jamais la lassitude
qui l’accable devant les « fiches de suivi d’acquisition des compétences » de ses élèves de maternelle. Charlie, la fille aînée, se demande bien pourquoi elle est amoureuse de Kikichi, un héros de manga bisexuel, plutôt que d’un garçon de sa classe.
Et pourquoi se sent-elle si transparente au collège ? Le petit Esteban, lui, ne se plaint jamais, au point de se laisser maltraiter sans broncher par les grands de l’école.
Pauvres Doinel ! S’ils savaient qu’ils partagent un rêve secret… En feuilletant un magazine, chacun d’entre eux est tombé en arrêt devant la même photo. Celle d’une yourte mongole plantée dans une clairière bretonne.
Auteur : Marie-Aude Murail est née au Havre en 1954. Elle vit avec son mari et a trois enfants, deux garçons et une fille. Elle a commencé à écrire pour la jeunesse en 1986. Au début, ses romans étaient surtout destinés à des femmes, puis elle s'est mise à écrire pour les jeunes de 7 à 16 ans. Dans ses romans, on peut retrouver énormément de dialogues entre les personnages. Son but est de séduire ses lecteurs grâce à de l'émotion et de l'amour. Le plus souvent, dans ses livres, les histoires se passent dans des milieux urbains et les héros sont des hommes, souvent des ados, motivés par des femmes. Elle a écrit Oh boy (2000), Simple (2004), Maïté coiffure (2004), Miss Charity (2008).
Mon avis : 5/5 (lu en novembre 2009)
Ce livre a été tout d'abord lu avec beaucoup de plaisir par mon fils de 14 ans. Moi aussi je l'ai dévoré. Cela raconte l'histoire d'une famille comme les autres : les Doinel. Le père, Marc dirige une entreprise de transport routier qui vient d'être rachetée par des Hollandais et qui est en pleine restructuration. Nadine, la mère, est institutrice en maternelle, elle n'est pas convaincue par «les fiches de suivi d'acquisition de compétences» qu'elle doit remplir pour ses petits élèves. Charlie, la fille aînée, est en 3ème, elle est plongée dans les mangas et son absence de vie amoureuse la dérange. Enfin, Esteban, enfant précoce, qui supporte sans se plaindre les brutalités dont il est victime dans la cour de récréation de son école primaire.
Ils ont tous des problèmes, mais jamais ils n'en parlent en famille. Aussi, sans le savoir, ils gardent chacun dans leur esprit un rêve secret autour d'une yourte.
Nous suivons Marc dans son entreprise à l'esprit familiale où la relation humaine avait toute son importance. Mais la restructuration imposée va être d'une rare violence. Marc est révolté : "On est entourés de robots humanoïdes, des gens qui fonctionnent au lieu de vivre, et qui ne pensent qu'à produire, à faire produire." Dans sa classe de maternelle, Nadine veut casser l'habitude du travail structuré et noté suivant les consignes de l'Éducation Nationale pour privilégier la spontanéité de ses élèves et leurs demandes. Charlie va se lier avec son voisin de classe Aubin, un garçon un peu maladroit qui a du mal à se connaître lui-même. Ils vont s'échanger des mangas. Marie-Aude Murail nous décrit un collège conforme à ce que nous décrit nos enfants : la galerie de professeurs est pleine d'humour sans oublier les descriptions des cours et des élèves... Esteban est un enfant rêveur qui se pose beaucoup de questions. Il récite des poèmes plutôt sombres. Et c'est grâce à sa psy qu'il apprendra que "C'est important d'avoir un ami parce qu'on sait qu'on a de la valeur".
Marie-Aude Murail nous fait un portrait de notre société sans aucune complaisance mais avec beaucoup d'humour à travers la famille, le monde du travail et l'éducation.
Un vrai coup cœur pour moi et mes fils.
Extrait : (page 47)
Quand les 3eA poussèrent la porte de la salle 108, ils trouvèrent Mme Taillandier vissée derrière son bureau, le teint frais sous les néons, l'œil vif après trente années d'enseignement, et sa lourde poitrine emplissant un corsage qui fleurissait hiver comme été. Dès qu'elle vit ses élèves, elle commença son cours comme si on venait d'appuyer sur la touche PLAY.
- Nous allons reprendre notre étude de Des souris et des hommes. Il ne faut pas une heure pour s'installer, Maroussia ! Non, Antoine et Adrien, je vous ai séparés la dernière fois. Adrien, mets-toi avec Mélanie. Elle est toute seule aujourd'hui.
Un rire étouffé parcourut la classe. Mme Taillandier était très fine : - Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que j'ai dit ?
Elle suivit Adrien d'un regard interrogatif tandis qu'il allait s'asseoir à côté de l'ex d'Antoine.
- Bien, si vous y êtes enfin, nous allons pouvoir vérifier si les hypothèses de lecture que nous formulâmes au dernier cours n'était point erronées. Aubin, qu'est-ce qui t'arrive ?
Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, Aubin avait en permanence l'air de suivre un film d'horreur. Lorsque Mme Taillandier fut rendues aux « champs lexicaux », il ne pu s'empêcher de pousser un gémissement.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'informa la prof.
- Mmmais ça va me servir à quoi, tout ça ?
- Comment ça ?
- Mmmais je veux faire pâtisserie !
Mme Taillandier ne se laissa pas désarçonner : - Ce n'est pas parce qu'on est pâtissier, Aubin, qu'on arrête de réfléchir. Le collège n'est pas là pour faire de vous des pâtissiers ou des notaires, mais des gens qui ont une culture et un esprit critique. L'instruction libère les hommes, Aubin, l'ignorance en fait des esclaves.
Le garçon cilla sans répliquer. Les champs lexicaux feraient de lui, qu'il le voulût ou non, un pâtissier libre.
En deuxième heure, Mme Taillandier annonça à ses élèves qu'elle leur avait « concocté un exercice de type brevet ».
- Il commence à me chauffer, le type Brevet, marmonna Charlie derrière sa main.
- Qu'est-ce qu'il y a, Charlie ? demanda Mme Taillandier qui était douée de perception extrasensorielle.
- J'ai mal au poignet.
- Tu aurais encore plus mal au poignet si tu travaillais à la chaîne, répondit Mme Taillandier qui, comme maman, avait toujours le dernier mot.
Il ne restait plus à Charlie comme à Aubin qu'à « relever le champ lexical de la prison » dans le texte de Steinbeck et à « donner la nature et la fonction des expansions du nom " murailles " ». Car, contrairement à ce qu'en disent dans les médias les experts à lunettes, on sait plein de choses quand on a quatorze ans. Sur Steinbeck, le gérondif et le pangermanisme, les parents n'imaginent même pas !