Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A propos de livres...
espagne
29 juin 2010

En avant, route ! - Alix de Saint-André

en_avant_route en_avant_route_p 

Gallimard – avril 2010 – 307 pages

Folio - juin 2011 - 351 pages

Présentation de l'éditeur :
Alix de Saint-André a pris trois fois la route de Compostelle. La première fois, elle est partie de Saint-Jean-Pied-de-Port, sur le chemin français, avec un sac plein d'idées préconçues, qui se sont envolées une à une, au fil des étapes. La deuxième fois, elle a parcouru le " chemin anglais " depuis La Corogne, lors d'une année sainte mouvementée. L'ultime voyage fut le vrai voyage, celui que l'on doit faire en partant de chez soi. Des bords de Loire à Saint-Jacques-de-Compostelle, de paysages sublimes en banlieues sinistres, elle a rejoint le peuple des pèlerins qui se retrouvent sur le chemin, libérés de toute identité sociale, pour vivre à quatre kilomètres-heure une aventure humaine pleine de gaieté, d'amitié et de surprises. Sur ces marcheurs de tous pays et de toutes convictions, réunis moins par la foi que par les ampoules aux pieds, mais cheminant chacun dans sa quête secrète, Alix de Saint-André, en poursuivant la sienne, empreinte d'une gravité mélancolique, porte, comme à son habitude, un regard à la fois affectueux et espiègle.

Auteur : Née en 1957 à Neuilly sur Seine, fille de l’écuyer en chef du Cadre Noir, Alix grandit dans la région de Saumur avant de devenir grand reporter et journaliste, travaillant pour le magazine ELLE. En 1994, elle publie son seul polar, le farfelu L’ange et le réservoir à liquide à freins et poursuit dans le domaine de l’angéologie avec son livre Archives des anges (1998) dans lequel elle enquête sur l’existence de ces créatures aériennes aussi bien dans la Bible, le Talmud que le Coran. De Saint André revient à la fiction avec Papa est au panthéon (2001), avant de publier Ma Nanie (2003), Prix Terre de France, où Alix, dans un monologue affectueux adressé à cette femme, revisite son enfance et sa relation privilégiée avec cette Nanie, décédée en 2001. En 2007, paraît Il n’y a pas de grandes personnes, livre entièrement consacré à sa passion pour André Malraux et où elle nous raconte sa rencontre avec la fille de ce dernier, Florence Malraux.

Mon avis : (lu en juin 2010)
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre. Un récit drôle et très fort, d'Alix de Saint-André qui nous raconte ses trois Chemins vers Saint-Jacques de Compostelle.
Pour son premier Chemin, Alix est partie de Saint-Jean-Pied-de-Port sans aucune préparation et avec beaucoup d’à priori… Et elle découvre les Pyrénées où le « paysage n’arrête pas de monter et de descendre. » Les fins d’étapes difficiles « Les derniers kilomètres sont interminables. » et elle fera ses premières rencontres. Pour son deuxième voyage, Alix emprunte le « Chemin anglais » en Catalogne lors d'une année sainte. Enfin le troisième voyage est le plus vrai, Alix commence son Chemin de Compostelle à la porte de sa maison d'enfance en bord de Loire.
Dans un récit haut en couleur, Alix nous raconte le Chemin de Compostelle avec ses traditions, son folklore avec beaucoup d'humour elle décrit ses compagnons et compagnes de pèlerinage, les paysages qu'elle croise, ses bobos, ses étapes... Elle nous donne également les petits trucs des pèlerins pour charger et porter son sac, pour soigner ses pieds…
Il se dégage de ce livre un vrai sentiment d'humanité et de partage, la marche transforme aussi le rapport au temps « J'étais sûre de n'avoir marché que pour cela, pour cette surprise qui nous attendait, après tant et tant de terres traversées, pour ces joyeuses retrouvailles, ce souffle, cette libération, cette respiration, ce vrai bonheur »
J'ai également beaucoup pensé à un film que j'aime beaucoup celui de Coline Serreau « Saint-Jacques La Mecque » en lisant ce livre. A lire absolument !

Extrait : (début du livre)

Bécassine chez les pèlerins

Le 14 juillet 2003, ma cousine Cricri et moi-même étions dans le très typique village de Saint-Jean-Pied-de-Port, au Pays basque, attablées devant une nappe à carreaux rouges et blancs typique, en train d'avaler du fromage et du jambon typiques avec un coup de rouge typique aussi, en fin d'après-midi, sous la menace d'un orage de montagne, bien noir mais presque tiède. J'étais au pied du mur. D'un grand mur appelé : Pyrénées. Cricri connaissait très bien le chemin de Compostelle ; elle avait fait beaucoup de reportages dessus. Moi, je ne connaissais même pas l'itinéraire. Je fumais trois paquets de cigarettes par jour depuis vingt-cinq ans, et, selon l'expression de Florence, j'entrais dans les restaurants avec ma voiture. Je n'avais rien préparé. Aucun entraînement. Ni sportif ni géographique. Aucune inquiétude non plus : le chemin était fléché et il y avait plein de monde. Je n'aurais qu'à suivre les autres. À mon rythme. Ce n'était pas bien compliqué. Fatigant, peut-être ; dur, mais pas difficile. Cricri m'offrit un couteau ; je lui rendis une pièce de monnaie (pour ne pas couper l'amitié), et elle partit. J'achetai un bâton ferré - appelé un bourdon. Il fallait qu'il soit léger, m'avait-elle dit. Celui-ci était léger, l'air, droit, avec une courroie de cuir. En haut, un edelweiss pyrogravé couronné de l'inscription « Pays Basque » faisait plus touriste que pèlerin, pas très professionnel. Mais le vendeur m'assura que ça irait.

PREMIER JOUR

Tout de suite, ça grimpe. Il est plus tôt que tôt, l'air est chaud et humide comme à Bombay pendant la mousson, et ça monte. Sur une route asphaltée, pour voitures automobiles, dure sous les pieds ! Grise et moche. On peut juste espérer que la campagne est belle. Dès qu'on sera dégagés du gros nuage qui nous enveloppe, on verra. Pour le moment, bain de vapeur. J'ai suivi les autres, comme prévu. Je me suis levée en pleine nuit, pour faire mon sac à tâtons au dortoir. On sonne le réveil à six heures dans les refuges, mais tout le monde se lève avant l'aube. Pourquoi ? Mystère. D'ores et déjà je sais une chose : dans le noir, j'ai perdu mes sandales en caoutchouc, genre surf des mers, pour mettre le soir. Je sais aussi une autre chose : je ne ferai pas demi-tour pour les récupérer !

Je marche derrière un jeune couple de fiancés catholiques. Des vrais. Au-delà de l'imaginable. Courts sur pattes musclées sous les shorts en coton. Très scouts des années cinquante. Ils sont venus à pied de Bordeaux. Il doit y avoir une réserve là-bas. Gentils, polis, souriants : je hais les catholiques, surtout le matin. Ils me vouvoient et ne savent pas encore quand ils vont se marier. Pour le moment, la situation leur convient : un long voyage de non-noces dans des lits superposés ! Devant marche un curé rouquin. Je l'ai vu au petit déjeuner. En clergyman avec un col romain, le tout synthétique et bien luisant, armé d'un bourdon d'antiquaire, énorme, sculpté, digne des Compagnons du Tour de France sous le second Empire. Une semaine par an, il quitte sa paroisse de banlieue pour le chemin de Saint- Jacques. Respirer, dit-il. Suer, c'est sûr. Il a les joues rose bonbon. Le nuage s'évapore, et des vaches apparaissent. Bien rectangulaires, avec de beaux yeux sombres et mélancoliques sous leurs longs cils. Un peintre m'a expliqué un jour pourquoi les juments avaient l'œil si joyeux, alors que celui des vaches était si triste : pas des choses à raconter à des fiancés catholiques.

Très vite, ça fait mal. Dans les jambes, les épaules et le dos. Ça grimpe et ça fait mal. Je n'y arriverai pas seule. N'ayant aucune forme physique, je dois m'en remettre aux seules forces de l'Esprit. Comme au Moyen Âge. Je pique mon bâton dans le sol à coups d'Ave Maria, comme des mantras. Une pour papa, une pour maman, une cuiller de prières, une dizaine par personne, et en avant ! Ça passe ou ça casse. À la grâce de Dieu ! Comme on dit. Mais pour de vrai. En trois dimensions. Mine de rien, ça rythme, ça concentre. Ça aide. Ça marche. J'ai l'impression de traîner toute une tribu derrière moi, des vivants et des morts, leurs visages épinglés sur une longue cape flottant aux bretelles de mon sac à dos. Un monde fou.

Publicité
Publicité
16 novembre 2009

Le jeu de l'ange - Carlos Ruiz Zafon

le_jeu_de_l_Ange Robert Laffont – août 2009 – 536 pages

traduit de l'espagnol par François Maspero

Le Mot de l'éditeur :

« Je t’emmènerai dans un endroit secret où les livres ne meurent jamais et où personne ne peut les détruire… »

Barcelone, années 1920. David Martin, dix-sept ans, travaille au journal La Voz de la Industria. Son existence bascule un soir de crise au journal : il faut trouver de toute urgence un remplaçant au feuilletoniste dominical. Sur les conseils de Pedro Vidal, chroniqueur à ses heures, David est choisi. Son feuilleton rencontre un immense succès et, pour la première fois, David est payé pour ce qu'il aime le plus au monde : écrire.
En plein succès, David accepte l’offre de deux éditeurs peu scrupuleux : produire à un rythme effréné des feuilletons sous pseudonyme. Mais après quelques années, à bout de force, David va renoncer. Ses éditeurs lui accordent alors neuf mois pour écrire son propre roman. Celui-ci, boudé par la critique et sabordé par les éditeurs, est un échec. David est d'autant plus désespéré que la jeune fille dont il est amoureux depuis toujours - et à laquelle le livre est secrètement dédié - va épouser Pedro Vidal.
Son ami libraire, Sempere, choisit ce moment pour l’emmener au Cimetière des livres oubliés, où David dépose le sien. Puis arrive une offre extraordinaire : un éditeur parisien, Corelli, lui propose, moyennant cent mille francs, une fortune, de créer une texte fondateur, sorte de nouvelle Bible, « une histoire pour laquelle les hommes seraient capables de vivre et de mourir, de tuer et d’être tués, d’offrir leur âme ».
Du jour où il accepte ce contrat, une étrange mécanique du meurtre se met en place autour de David. En vendant sa liberté d’écrivain, aurait-il vendu son âme au diable ? Épouvanté et fasciné, David se lance dans une enquête sur ce curieux éditeur, dont les pouvoirs semblent transcender le temps et l’espace.

L’auteur : écrivain catalan, Carlos Ruiz Zafón vit à Los Angeles, où il est également scénariste. L'Ombre du vent, prix Planeta (2004), prix du meilleur livre étranger – roman (2004), a aussi sélectionné pour le prix Femina étranger.

Mon avis : (lu en novembre 2009)

Pour ceux qui ont déjà lu du même auteur, L'Ombre du vent, il ne faut surtout pas imaginer qu'il s'agit d'une suite ou alors comparer ces deux livres. Pourtant, l'auteur nous fait quelques clins d'œil par rapport à L'Ombre du vent : nous retrouvons le Cimetière des livres oubliés et la librairie Sempere & Fils. Et cette histoire se passe également dans Barcelone merveilleusement décrite.

Le début du roman raconte l'ascension d'un jeune écrivain, David Martin. Tout d'abord il écrit un feuilleton hebdomadaire pour un journal de Barcelone, "La vox de la Industria". Puis il signe un contrat avec un duo d'éditeurs qui lui impose un rythme infernal pour écrire une série de livre sous un pseudonyme. Il est également fasciné par la jolie Cristina et aimerait la séduire... Il rencontre un étrange éditeur français Andreas Correli qui lui propose une très forte somme d'argent pour écrire un livre unique, qui ne ressemble à aucun autre.

L'évocation de Barcelone et de la vie des Espagnols avant la guerre civile est faite avec beaucoup de précision et de justesse, Barcelone apparaît comme une ville à la fois mystérieuse et envoûtante où les rues sont tortueuses et les habitations inquiétantes.

Ce livre est un vrai thriller fantastique qui se lit assez facilement malgré ses 537 pages car les chapitres sont cours et le rythme de l'histoire nous invite à lire sans hésiter le chapitre suivant. J'avais adoré L'Ombre du vent et j'ai beaucoup aimé Le jeu de l'Ange.

Extrait : (page 438)

"Je revins à l’hôtel en longeant le lac. Le concierge m’indiqua comment trouver l’unique librairie du village, où je pus acheter du papier et un stylo qui attendait là depuis des temps immémoriaux. Ainsi armé, je m’enfermai dans ma chambre. Je déplaçai la table de manière à la mettre devant la fenêtre et commandai un thermos de café. Je passai presque une heure à contempler le lac et les montagnes lointaines avant d’écrire un mot. Je me souvins de la vieille photo confiée par Cristina, cette image d’une enfant marchant sur une jetée en bois qui s’avançait dans la mer, dont le mystère avait toujours fui sa mémoire. J’imaginai que je suivais cette jetée, que mes pas me conduisaient derrière elle et, lentement, les mots commencèrent à couler et l’armature d’un petit récit s’esquissa au fil de la plume. J’allais écrire l’histoire dont Cristina n’avait jamais pu se souvenir, celle qui l’avait menée, enfant, à marcher au-dessus de ces eaux luisantes en tenant la main d’un inconnu. J’écrirais l’histoire de ce souvenir qui n’aurait jamais existé, la mémoire d’une vie volée. Les images et la lumière qui se dessinaient entre les phrases me ramenèrent à cette vieille Barcelone de ténèbres qui nous avait engendrés tous les deux. Je travaillai jusqu’à ce que le soleil se couche, qu’il ne reste plus une goutte de café dans le thermos et que mes yeux et mes mains me fassent mal. Je laissai tomber mon stylo et enlevai les feuilles de la table. Quand le concierge frappa à la porte pour me demander si j’allais descendre dîner, je ne l’entendis pas. Je dormais profondément et, pour une fois, je rêvais en croyant que les mots, y compris les miens, avaient le pouvoir de guérir."

2 septembre 2009

Le Japon n'existe pas - Alberto Torres-Blandina

le_japon_n_existe_pas Éditions Métaillié – mai 2009 – 158 pages

traduit de l'espagnol François Gaudry

Présentation de l'éditeur
Voyageurs qui n'aimez pas les longues attentes dans les aéroports, ce livre est pour vous. Dans un terminal, un balayeur affable et disert bavarde avec les passagers en attente, devine leur destination, leur donne des conseils, raconte des histoires passionnantes sur ses voisins, flirte avec la vendeuse de journaux. Il propose même à ses interlocuteurs en partance pour Tokyo une théorie originale: "Le Japon n'est qu'une façade. Une opération marketing comme une autre. On l'a inventé pour vendre de la technologie et ça a marché. Made in Japan est aujourd'hui le meilleur label pour vendre une voiture ou un téléviseur." D'histoire en histoire cet étrange balayeur nous surprend avec humour et bonheur. Le premier roman plein d'ironie et d'énergie d'un jeune homme prometteur.

Biographie de l'auteur
Alberto Torres-Blandina vit à Valence. Il est musicien, chanteur-compositeur et enseigne l'espagnol. Ce livre a reçu le Prix Las Dos Orillas qui consiste en la publication simultanée en Italie, Grèce, Espagne, Portugal et France.

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Il s'appelle Salvator Fuensanta, c'est un vieil homme à quelques semaines de la retraite, il est balayeur dans un aéroport espagnol. Il aime bavarder et raconter des histoires aux voyageurs qui attendent leur embarquement. Nous suivons donc le monologue de cet homme et ses récits qui se suivent au gré des rencontres. Ses histoires sont plus ou moins réalistes ou empreintes de sagesse : le lecteur découvrira : les dessous du code de la drague qui existe dans tous les aéroports du monde, les amours compliqués de Rosalia et Roberto, l'existence du Club des Désirs Impossibles, Pau le poète faussement finlandais, la vie cruelle d'Eduardo qui est parti en Inde chercher le renouveau de l'être humain, mais aussi la non existence du Japon concept marketing créé de toutes pièces...

Un roman décalé, très dépaysant qui est à la fois plein de poésie et d'humour.

Extrait : (page 58)

Mademoiselle ! Vous avez oublié votre livre sur le siège !
De rien. J'ai vu que vous partiez et je me suis rendu compte que vous alliez oublier quelque chose. Tenez, le voilà : Baudelaire, Les Fleurs du mal. Je vois que vous le lisez en français... Vous êtes française ? Non, bien sûr, je trouvais que vous n'aviez pas tellement une tête de Française...
Eh bien, je ne sais trop comment décrire une « tête de Française ». Après tant d'années ici, je pourrais vous dire qui est de Paris et qui d'une autre ville, mais ne me demandez pas de vous expliquer, je ne saurais pas. Ça tient à de petits détails...
Moi ? Non, je ne l'ai pas lu. Je ne connais presque rien en poésie. Enfin, je connais un poète... mais ce n'est pas un poète important...
Je ne crois pas que vous le connaissiez. Il est finlandais...
Exact ! C'est Jussi Latval. Vous l'avez lu ? Incroyable ! Il n'y a pas longtemps j'ai fait la connaissance d'un couple qui était tombé amoureux grâce à un de ses poèmes... Oui, c'est ce que je leur ai dit, que c'était un peu bizarre de tomber amoureux avec ces poèmes, si existentiels...
Comment dites-vous ? Derrière la routine des lèvres / Maintenant dans mon demi-sommeil / Enfin je t'embrasse... Non, je ne le connaissais pas. C'est peut-être celui-là. Il a dû l'écrire dernièrement...
Oui, oui, je sais qu'il est mort et que les morts n'écrivent pas... Mais ce mort est un peu spécial... Il a rendu l'âme dans cet aéroport. Vous le saviez ? Non ? Eh bien, maintenant vous le savez.
Que savez-vous de plus sur Jussi ? ... Ce que vous avez lu sur Internet. Il y a beaucoup de sites sur lui ? C'est vrai ? Je vais vous raconter quelque chose. Vous avez cinq minutes ? Bon, venez avec moi, on va s'asseoir là, parce que rester debout toute la journée...


28 août 2009

L’ombre du vent – Carlos Ruiz Zafon

l_ombre_du_vent  l_ombre_du_vent_p

traduit de l’espagnol par François Maspero

Grasset – avril 2004 – 524 pages

LGF – janvier 2006 – 636 pages

Prix Planeta en 2004

Présentation de l'éditeur
Dans la Barcelone de l'après-guerre civile, "ville des prodiges" marquée par la défaite, la vie est difficile, les haines rôdent toujours. Par un matin brumeux de 1945, un homme emmène son petit garçon - Daniel Sempere, le narrateur - dans un lieu mystérieux du quartier gothique : le Cimetière des Livres Oubliés. L'enfant, qui rêve toujours de sa mère morte, est ainsi convié par son père, modeste boutiquier de livres d'occasion, à un étrange rituel qui se transmet de génération en génération : il doit y " adopter " un volume parmi des centaines de milliers. Là, il rencontre le livre qui va changer le cours de sa vie, le marquer à jamais et l'entraîner dans un labyrinthe d'aventures et de secrets " enterrés dans l'âme de la ville " : L'Ombre du Vent. Avec ce tableau historique, roman d'apprentissage évoquant les émois de l'adolescence, récit fantastique dans la pure tradition du Fantôme de l'Opéra ou du Maître et Marguerite, énigme où les mystères s'emboîtent comme des poupées russes, Carlos Ruiz Zafon mêle inextricablement la littérature et la vie.

Auteur : Né à Barcelone en 1964, Carlos Ruiz Zafón vit aujourd'hui à Los Angeles. A 14 ans, il écrit son premier roman, histoire truculente de cinq cents pages. A 19 ans, il choisit de faire carrière dans le monde de la publicité, qu'il quitte rapidement pour se consacrer à El principe de las tinieblas. Ce roman, qui lui vaudra en 1993 le premier Edebé, prix de littérature jeunesse, se vend à 150 000 exemplaires et se retrouve traduit dans plusieurs langues. Suivront El Palacio de la medianoche, Las Luces de septiembre et Marina. L'ombre du vent a obtenu le prix Planeta en 2004.

Mon avis : (lu en août 2009)

Ce livre m'a été conseillé, il y a quelques mois pour la première fois et depuis j'en ai entendu beaucoup de bien, c'est donc avec une grande envie que je me suis lancée dans sa lecture. Et j'ai plongé dans l'aventure et je n'ai pas lâché le livre.

L'histoire se déroule dans Barcelone, après-guerre mais toujours sous la dictature de Franco. Daniel a 10 ans et son père l'emmène dans un lieu magique et secret : "le Cimetière des livres oubliés", là, Daniel a le droit de choisir un de ces livres afin de le sortir de l'anonymat. Il choisira "L'ombre du vent" de Julian Carax, il va partir à la recherche de cet écrivain qui l'a ému et dont le passé semble si mystérieux. C'est un magnifique roman où se mélange aventures, histoire, amour, amitié mais aussi haine et vengeance.

Les personnages sont justes et touchants, ils nous transportent dans les ruelles, dans les quartiers de Barcelone avec beaucoup de poésie. On imagine parfaitement les lieux et il nous font rêver... C'est beau, c'est poétique. C'est pour moi un vrai coup de cœur !

le_jeu_de_l_Ange Un nouveau livre de Carlos Ruiz Zafón vient de sortir en août 2009, « Le jeu de l'Ange » et j'ai très envie de le découvrir !

Extrait : (début du livre)

Le Cimetière des Livres Oubliés

Je me souviens encore de ce petit matin où mon père m'emmena pour la première fois visiter le Cimetière des Livres Oubliés. Nous étions aux premiers jours de l'été 1945, et nous marchions dans les rues d'une Barcelone écrasée sous un ciel de cendre et un soleil fuligineux qui se répandait sur la ville comme une coulée de cuivre liquide.
- Daniel, me prévint mon père, ce que tu vas voir aujourd'hui, tu ne dois en parler à personne. Pas même à ton ami Tomás. A personne.
- Pas même à maman ? demandai-je à mi-voix.
Mon père soupira, en se réfugiant derrière ce sourire triste qui accompagnait toute sa vie comme une ombre.
- Si, bien sûr, répondit-il en baissant la tête. Pour elle, nous n'avons pas de secrets. Elle, on peut tout lui dire.
Peu après la fin de la guerre civile, ma mère avait été emportée par un début de choléra. Nous l'avions enterrée à Montjuïc le jour de mon quatrième anniversaire. Je me rappelle seulement qu'il avait plu toute la journée et toute la nuit, et que, lorsque j'avais demandé à mon père si le ciel pleurait, la voix lui avait manqué pour me répondre. Six ans après, l'absence de ma mère était toujours pour moi un mirage, un silence hurlant que je n'avais pas encore appris à faire taire à coups de mots. Nous vivions, mon père et moi, dans un petit appartement de la rue Santa Ana, près de la place de l'église. L'appartement était situé juste au-dessus de la boutique de livres rares et d'occasion héritée de mon grand-père, un bazar enchanté que mon père comptait bien me transmettre un jour. J'ai grandi entre les livres, en me faisant des amis invisibles dans les pages qui tombaient en poussière et dont je porte encore l'odeur sur les mains. J'ai appris à m'endormir en expliquant à ma mère, dans l'ombre de ma chambre, les événements de la journée, ce que j'avais fait au collège, ce que j'avais appris ce jour-là... Je ne pouvais entendre sa voix ni sentir son contact, mais sa lumière et sa chaleur rayonnaient dans chaque recoin de notre logis, et moi, avec la confiance d'un enfant qui peut encore compter ses années sur les doigts, je croyais qu'il me suffisait de fermer les yeux et de lui parler pour qu'elle m'écoute, d'où qu'elle fût. Parfois, mon père m'entendait de la salle à manger et pleurait en silence.
Je me souviens qu'en cette aube de juin je m'étais réveillé en criant. Mon cœur battait dans ma poitrine comme si mon âme voulait s'y frayer un chemin et dévaler l'escalier. Mon père effrayé était accouru dans ma chambre et m'avait pris dans ses bras pour me calmer.
- Je n'arrive pas à me rappeler son visage. Je n'arrive pas à me rappeler le visage de maman, murmurais-je, le souffle coupé.
Mon père me serrait avec force.
- Ne t'inquiète pas, Daniel. Je me rappellerai pour deux.
Nous nous regardions dans la pénombre, cherchant des mots qui n'existaient pas. Pour la première fois, je me rendais compte que mon père vieillissait et que ses yeux, des yeux de brume et d'absence, regardaient toujours en arrière. Il s'était relevé et avait tiré les rideaux pour laisser entrer la douce lumière de l'aube.
- Debout, Daniel, habille-toi. Je veux te montrer quelque chose.
- Maintenant, à cinq heures du matin ?
- Il y a des choses que l'on ne peut voir que dans le noir, avait soufflé mon père en arborant un sourire énigmatique qu'il avait probablement emprunté à un roman d'Alexandre Dumas.
Quand nous avions passé le porche, les rues sommeillaient encore dans la brume et la rosée nocturne. Les réverbères des Ramblas dessinaient en tremblotant une avenue noyée de buée, le temps que la ville s'éveille et quitte son masque d'aquarelle. En arrivant dans la rue Arco del Teatro, nous nous aventurâmes dans la direction du Raval, sous l'arcade qui précédait une voûte de brouillard bleu. Je suivis mon père sur ce chemin étroit, plus cicatrice que rue, jusqu'à ce que le rayonnement des Ramblas disparaisse derrière nous. La clarté du petit jour s'infiltrait entre les balcons et les corniches en touches délicates de lumière oblique, sans parvenir jusqu'au sol. Mon père s'arrêta devant un portail en bois sculpté, noirci par le temps et l'humidité. Devant nous se dressait ce qui me parut être le squelette abandonné d'un hôtel particulier, ou d'un musée d'échos et d'ombres.
- Daniel, ce que tu vas voir aujourd'hui, tu ne dois en parler à personne. Pas même à ton ami Tomás. A personne.
Un petit homme au visage d'oiseau de proie et aux cheveux argentés ouvrit le portail. Son regard d'aigle se posa sur moi, impénétrable.
- Bonjour, Isaac. Voici mon fils Daniel, annonça mon père. Il va sur ses onze ans et prendra un jour ma succession à la librairie. Il a l'âge de connaître ce lieu.
Le nommé Isaac eut un léger geste d'assentiment pour nous inviter à entrer. Une pénombre bleutée régnait à l'intérieur, laissant tout juste entrevoir les formes d'un escalier de marbre et d'une galerie ornée de fresques représentant des anges et des créatures fantastiques. Nous suivîmes le gardien dans le couloir du palais et débouchâmes dans une grande salle circulaire où une véritable basilique de ténèbres s'étendait sous une coupole percée de rais de lumière qui descendaient des hauteurs. Un labyrinthe de corridors et d'étagères pleines de livres montait de la base au faîte, en dessinant une succession compliquée de tunnels, d'escaliers, de plates-formes et de passerelles qui laissaient deviner la géométrie impossible d'une gigantesque bibliothèque. Je regardai mon père, interloqué. Il me sourit en clignant de l'œil.
- Bienvenue, Daniel, dans le Cimetière des Livres Oubliés.
Çà et là, le long des passages et sur les plates-formes de la bibliothèque, se profilaient une douzaine de silhouettes. Quelques-unes se retournèrent pour nous saluer de loin, et je reconnus les visages de plusieurs collègues de mon père dans la confrérie des libraires d'ancien. A mes yeux de dix ans, ces personnages se présentaient comme une société secrète d'alchimistes conspirant à l'insu du monde. Mon père s'agenouilla près de moi et, me regardant dans les yeux, me parla de cette voix douce des promesses et des confidences.
- Ce lieu est un mystère, Daniel, un sanctuaire. Chaque livre, chaque volume que tu vois, a une âme. L'âme de celui qui l'a écrit, et l'âme de ceux qui l'ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. Chaque fois qu'un livre change de mains, que quelqu'un promène son regard sur ses pages, son esprit grandit et devient plus fort. Quand mon père m'a amené ici pour la première fois, il y a de cela bien des années, ce lieu existait déjà depuis longtemps. Aussi longtemps, peut-être, que la ville elle-même. Personne ne sait exactement depuis quand il existe, ou qui l'a créé. Je te répéterai ce que mon père m'a dit. Quand une bibliothèque disparaît, quand un livre se perd dans l'oubli, nous qui connaissons cet endroit et en sommes les gardiens, nous faisons en sorte qu'il arrive ici. Dans ce lieu, les livres dont personne ne se souvient, qui se sont évanouis avec le temps, continuent de vivre en attendant de parvenir un jour entre les mains d'un nouveau lecteur, d'atteindre un nouvel esprit. Dans la boutique, nous vendons et achetons les livres, mais en réalité ils n'ont pas de maîtres. Chaque ouvrage que tu vois ici a été le meilleur ami de quelqu'un. Aujourd'hui, ils n'ont plus que nous, Daniel. Tu crois que tu vas pouvoir garder ce secret ?
Mon regard balaya l'immensité du lieu, sa lumière enchantée. J'acquiesçai et mon père sourit.
- Et tu sais le meilleur ? demanda-t-il.
Silencieusement, je fis signe que non.
- La coutume veut que la personne qui vient ici pour la première fois choisisse un livre, celui qu'elle préfère, et l'adopte, pour faire en sorte qu'il ne disparaisse jamais, qu'il reste toujours vivant. C'est un serment très important. Pour la vie. Aujourd'hui, c'est ton tour.
Durant presque une demi-heure, je déambulai dans les mystères de ce labyrinthe qui sentait le vieux papier, la poussière et la magie. Je laissai ma main frôler les rangées de reliures exposées, en essayant d'en choisir une. J'hésitai parmi les titres à demi effacés par le temps, les mots dans des langues que je reconnaissais et des dizaines d'autres que j'étais incapable de cataloguer. Je parcourus des corridors et des galeries en spirale, peuplés de milliers de volumes qui semblaient en savoir davantage sur moi que je n'en savais sur eux. Bientôt, l'idée s'empara de moi qu'un univers infini à explorer s'ouvrait derrière chaque couverture tandis qu'au-delà de ces murs le monde laissait s'écouler la vie en après-midi de football et en feuilletons de radio, satisfait de n'avoir pas à regarder beaucoup plus loin que son nombril. Est-ce à cause de cette pensée, ou bien du hasard ou de son proche parent qui se pavane sous le nom de destin, toujours est-il que, tout d'un coup, je sus que j'avais déjà choisi le livre que je devais adopter. Ou peut-être devrais-je dire le livre qui m'avait adopté. Il se tenait timidement à l'extrémité d'un rayon, relié en cuir lie-de-vin, chuchotant son titre en caractères dorés qui luisaient à la lumière distillée du haut de la coupole. Je m'approchai de lui et caressai les mots du bout des doigts, en lisant en silence :

L'Ombre du Vent
Julián Carax

26 août 2009

La peau du tambour – Arturo Perez-Reverte

la_peau_du_tambour  la_peau_du_tambour_p

Seuil – mars 1997 – 453 pages

Points – mai 2004 – 504 pages

traduit de l'espagnol par Jean-Pierre Quijano

Description
Un pirate dans le système informatique du Vatican. Une église qui tue pour se défendre. Une belle aristocrate andalouse. Trois malfrats chargés d'espionner un agent secret en col romain. Un banquier épris de spéculation immobilière et un mystérieux corsaire espagnol disparu en 1898 au large des côtes cubaines. Tels sont les personnages de ce roman d'amour et d'aventure qui a pour décor la somptueuse Séville et son histoire millénaire. L'héroïne en est Notre-Dame-des-Larmes, une petite église qui suscite passions et convoitises et pour laquelle une poignée de fidèles est prête à aller jusqu'au meurtre. C'est du moins ce que croit Lorenzo Quart, chargé par le Vatican d'enquêter sur les crimes commis dans son enceinte. Il découvrira bientôt que la clé de l'énigme est enfouie sous les vieilles pierres de la ville, dans l'âme de chacun de ses habitants comme dans celle de chaque lecteur disposé à le suivre dans sa quête de la vérité. Après Le Tableau du maître flamand, Club Dumas et Le Maître d'escrime, l'imagination flamboyante d'Arturo PérezPeverte, son habileté à tisser des énigmes où l'histoire croise le mystère et le crime nous offrent un fascinant voyage en défense d'une cause que nul ne veut croire perdue.

Auteur : Issu d'une famille de marins, Arturo Pérez-Reverte a toujours été passionné par la mer. Il est né à Cartagena, en Espagne, en 1951. Licencié en sciences politiques et en journalisme, il travaille d'abord comme matelot, puis devient grand reporter et correspondant de guerre pour la télévision espagnole, notamment pendant la crise du Golfe et en Bosnie. Ses romans, Le Maître d'escrime, Le Tableau du maître flamand (Grand Prix de Littérature policière 1993), La Peau du tambour (prix Jean Monnet 1997, récompensant le meilleur roman européen), les quatre tomes des Aventures du capitaine Alatriste ou encore Le Cimetière des bateaux sans nom (Prix Méditerranée étranger 2001) sont tous des succès mondiaux traduits en 25 langues. Plusieurs ont été portés à l'écran comme Le club Dumas, adapté sous le nom de La neuvième porte (The Ninth Gate) par Roman Polanski en 1999 ou Qui a tué le chevalier (Uncovered) réalisé par Jim McBride en 1994 inspiré par Le Tableau du maître flamand.

Mon avis : (lu en août 2009)

Extrait : (page 19)

Il y avait une panne de courant et le bureau n'était éclairé que par le jour grisâtre d'une fenêtre ouverte sur les jardins du Belvédère. Alors que le secrétaire refermait la porte derrière lui, Quart fit cinq pas en avant et s'arrêta exactement au centre de la pièce familière où bibliothèques et classeurs de bois dissimulaient partiellement les cartes peintes à la fresque par Antonio Danti, sous le pontificat de Grégoire XIII: la mer Adriatique, la mer Tyrrhénienne et la mer Ionienne. Puis, ignorant la silhouette qui se découpait à contre-jour devant la fenêtre, il salua d'une brève inclinaison de la tête l'homme assis derrière une grande table couverte de dossiers

- Monseigneur...

L'archevêque Paolo Spada, directeur de l'Institut pour les œuvres extérieures, lui répondit silencieusement par un sourire complice. C'était un Lombard, fort et massif, presque carré avec ses puissantes épaules sous le costume noir trois-pièces qui ne portait aucun signe de son rang dans la hiérarchie ecclésiastique. La tête lourde, le cou épais, il avait plutôt l'air d'un camionneur, d'un lutteur ou - on était à Rome après tout - d'un ancien gladiateur qui aurait troqué son glaive et son casque de myrmidon pour l'habit sombre de l'Eglise. Impression que confirmaient des cheveux encore noirs, raides comme du crin, des mains énormes, presque disproportionnées, sans anneau archiépiscopal, qui jouaient avec un coupe-papier en forme de dague. Il s'en servit pour montrer la silhouette qui se découpait devant la fenêtre:
- Vous connaissez le cardinal Iwaszkiewicz, je suppose.

Pour la première fois, Quart regarda à sa droite et salua la silhouette immobile. Il connaissait naturellement Son Eminence Jerzy Iwaszkiewicz, évêque de Cracovie, élevé à la pourpre cardinalice par son compatriote le pape Wojtila, préfet de la Sainte Congrégation pour la Doctrine de la foi, connue jusqu'en 1965 sous le nom de Saint-Office, ou Inquisition. Même à contre-jour, on ne pouvait confondre la silhouette mince et noire d'Iwaszkiewicz ni se méprendre sur ce qu'il représentait.
- Laudeatur Jesus Christus, Eminence.
Le directeur du Saint-Office ne répondit pas, ne fit pas un geste.
- Vous pouvez vous asseoir si vous le désirez, père Quart, reprit Mgr Spada de sa voix enrouée. Il s'agit d'une réunion officieuse et Son Eminence préfère rester debout.

Il avait utilisé le mot italien ufficiosa, et la nuance n'échappa pas à Quart. Dans la langue vaticane, la différence entre ufficiàle et ufficióso était importante. Le dernier terme évoquait plutôt ce qu'on pense vraiment par opposition à ce qu'on dit; et même s'il arrivait qu'on le dise, inutile d'en espérer confirmation par la suite. En tout état de cause, Quart regarda la chaise que l'archevêque lui offrait d'un autre mouvement de son coupe-papier et déclina l'invitation d'un bref signe de tête. Puis, les mains derrière le dos, il attendit debout au centre de la pièce, détendu et tranquille, comme un soldat à qui l'on va donner ses ordres.

Mgr Spada le regarda d'un air approbateur, de ses yeux rusés dont le blanc était veiné de marron, comme ceux d'un vieux chien. Son regard, son allure massive et ses cheveux raides comme du crin lui avaient valu le surnom de Bouledogue que seuls osaient utiliser, et à mi-voix encore, les membres les plus éminents et les mieux assis de la Curie.
- Je suis heureux de vous revoir, père Quart. Le temps passe.

Deux mois, se dit Quart. Comme aujourd'hui, ils étaient trois dans ce bureau: l'archevêque, lui-même et un banquier bien connu, Renzo Lupara, président de la Banca Continentale d'Italia, une des institutions liées à l'appareil financier du Vatican. Elégant, bel homme, d'une morale publique irréprochable et heureux père de famille, doté par le ciel d'une jolie épouse et de quatre enfants, Lupara s'était enrichi en se servant de la couverture vaticane pour blanchir l'argent de certains hommes d'affaires et politiciens membres de la loge Aurora 7 où lui-même avait atteint le trente-troisième degré. Il s'agissait précisément d'une de ces affaires mondaines qui réclamaient les compétences particulières de Lorenzo Quart. Pendant six mois, il avait donc suivi les traces que Lupara avait laissées sur les moquettes de divers bureaux de Zurich, Gibraltar et Saint-Barthélemy, aux Antilles. Résultat de ces voyages: un rapport complet qui, ouvert sur le bureau du directeur de l'IOE, laissait au banquier le choix entre la prison et un exitus assez discret pour sauvegarder la réputation de la Banca Continentale, du Vatican et, dans la mesure du possible, de Mme Lupara et de leurs quatre rejetons. Ici même, dans le bureau de l'archevêque, les yeux fixés sur la fresque de la mer Tyrrhénienne, le banquier avait parfaitement compris l'essentiel du message que Mgr Spada lui avait exposé avec beaucoup de tact, en s'aidant de la parabole du mauvais serviteur et des talents. Plus tard, faisant fi du conseil technique qu'on lui avait opportunément donné, à savoir qu'un franc-maçon non repenti meurt en état de péché mortel, Lupara s'était rendu directement à sa belle villa de Capri, face à la mer, où il avait fait une chute, apparemment sans confession, en basculant par-dessus le garde-fou d'une terrasse surplombant les rochers; là, rappelait une plaque commémorative, où Curzio Malaparte avait un jour pris un vermouth.
- Nous avons une affaire dans vos cordes.

Quart attendait toujours, immobile au centre de la pièce, attentif aux paroles de son supérieur, sentant sur lui le regard d'Iwaszkiewicz, invisible dans le contre-jour de la fenêtre. Depuis dix ans, l'archevêque n'avait jamais manqué d'affaires dans les cordes du père Lorenzo Quart. Et toutes étaient marquées de noms et de dates - Europe centrale, Amérique latine, ex-Yougoslavie - dans l'agenda à couverture de cuir noir qui lui servait de journal de voyages: sorte de carnet de bord où il notait, jour après jour, le long chemin parcouru depuis qu'il avait adopté la nationalité vaticane et qu'il était entré à la section des opérations spéciales de l'Institut pour les œuvres extérieures.
- Regardez ceci.

Le directeur de l'IOE tenait entre le pouce et l'index un imprimé d'ordinateur. Quart tendit la main et la silhouette du cardinal Iwaszkiewicz, inquiète, bougea aussitôt dans l'embrasure de la fenêtre. La feuille de papier toujours à la main, Mgr Spada esquissa un sourire.
- Son Eminence est d'avis qu'il s'agit d'une question délicate, dit-il sans quitter Quart des yeux, même s'il était clair qu'il s'adressait au cardinal. Et il n'est pas convaincu qu'il soit prudent d'élargir le cercle des initiés.

«Quelque part en Espagne, à Séville, les marchands menacent la maison de Dieu, et une petite église du XVIIe siècle, abandonnée par le pouvoir ecclésiastique autant que par le séculier, tue pour se défendre.» C'est le message que le hacker «Vêpres» va réussir à déposer dans l'ordinateur personnel du Pape. C'est un appel au secours qui va être pris au sérieux par les services secrets du Vatican. Le père Lorenzo Quart est envoyé à Séville pour découvrir l'auteur et le sens de ce message. Il va découvrir une église menacée, l'Église Notre-Dame-des-Larmes : menacée par les démolisseurs et des spéculateurs. Le père Ferro, son vicaire le père Lobato et la sœur Marsala se sont voués à la défense de cette église quasiment en ruine et il y a aussi la belle Macarena et sa mère, l'héritière de tous les ducs du Nuevo Estremo et en arrière plan, il y a aussi une histoire d'amour tragique qui appartient au passé.

J'avais découvert Perez-Reverte en 1997 avec le célèbre "Tableau du maître flamand" puis "Le Maitre d'escrime", j'ai lu également "Le cimetière des bateaux sans noms" que j'ai beaucoup aimé. Avec "La peau du tambour", j'ai retrouvé une intrigue qui tient en haleine jusqu'au bout. Les descriptions de Séville sont envoûtantes et donne envie de connaître cette ville. Les personnages aux multiples facettes sont attachants. Ce livre peut aussi nous amener à une réflexion sur l'Église catholique, sa mission et son rôle, sa proximité des petites gens, sa conception de la prêtrise à l'aube du nouveau millénaire. La fin est un peu décevante et bâclée. J'ai cependant passé un très bon moment en lisant ce livre.

Publicité
Publicité
30 mars 2009

Le sourire étrusque – José Luis Sampedro

Le_sourire__trusque

Métailié – mai 2004 – 318 pages

Présentation éditeur : Salvatore Roncone, vieux paysan calabrais attaché à sa terre et à ses traditions, doit se rendre à l'évidence. Pour combattre cette bête qu'il nomme la "Rusca" et que les médecins appellent le cancer, qui lui dévore peu à peu le ventre et le tue, il doit quitter son village natal et partir en convalescence chez son fils à Milan. Milan que le Calabrais déteste, Milan et sa fureur, sa solitude, sa laideur aussi et sa vie sans goûts ni odeurs. Milan et son fils, qu'il croit ne plus connaître et sa belle-fille qui ne vient pas du même monde. Milan ou l'enfer. Cet enfer qui va pourtant lui offrir son dernier amour - un amour franc et total, plus fort que tout - en la personne de son petit-fils Bruno qu'il ne connaît pas...

L'écriture de José Luis Sampedro est d'une douceur infinie. Il aborde dans ce roman touchant l'approche de la mort, la remise en question et développe le thème de l'apprentissage dans un langage d'une clarté limpide. Nourri de ce talent de la simplicité, Le Sourire étrusque est l'œuvre de la transcendance, celui de la mort par l'amour.

Auteur : José Luis Sampedro (né à Barcelone le 1er février 1917) est un écrivain et économiste espagnol.

Mon avis : 5/5 (lu en mai 2006 et relu depuis)

Ce livre est magnifique, plein d’humanité, c’est l’histoire Salvatore, vieux sicilien reprenant goût à la vie grâce à son petit-fils, Brunettino. Un portrait sans concession de cet homme avec ses travers, ses défauts mais qui est malgré tout très attachant. C’est la rencontre tardive de ce vieil homme en fin de vie avec son petit fils, il va transmettre les valeurs de la vie à ce bambin et une belle complicité va naître entre le petit fils et son grand-père.

L’écriture est pleine de poésie, on trouve dans ce livre des moments de tendresse et d'humour et des émotions fortes. C’est un hymne à la vie, à l’amour et aussi à la mort.

Ce livre fait parti de mes livres préférés. C’est un livre que j’ai souvent offert à des proches.

Le titre de du livre fait allusion à un sarcophage étrusque d’un jeune couple qui fascine Salvatore et qui se trouve Villa Giulia - Musée étrusque à Rome : les visages du jeune couple du sarcophage sont illuminés d'un large sourire. Qu’est ce qui leur a permis de sourire jusque dans la mort ? Quel est ce secret de vie ?

epoux_etrusques

Sarcophage des époux étrusques découvert à Cerveteri vers 520 av. J.C

Extrait :

"C'est un sacrifice de supprimer peu à peu le tabac ; en revanche, ses petits déjeuners clandestins sont un plaisir, surtout celui qu'il fait trois jours plus tard alors qu'il ne devrait rien manger. On va lui faire une prise de sang à neuf heures pour l'analyse prescrite par le fameux docteur, à la consultation duquel Andrea l'a conduit la veille. Prescrite, en réalité par son assistante ou qui que ce soit – aussi grosse qu'Andrea est mince, mais avec la même façon de parler - car, après de nombreux rendez-vous organisés, attente, couloirs et autres rites préliminaires, ils n'ont pas réussi à pénétrer dans le sanctuaire du médecin. Le vieux s'amuse en pensait à la satisfaction qu'aura Andrea, lorsqu'elle va se lever et apparaître dans la cuisine, de voir avec quelle docilité il s'abstient de manger.

"Cette histoire de jeûner avant les analyses, pense-t-il en savourant son fromage blanc à l'oignon et au olives, c'est des foutaises de médecin. Du cinéma pour toucher plus. Des analyses, pour quoi faire ? De toutes manières, ça va mal tourner, pas vrai Rusca ? Tu vas t'en charger toi !"

On ne lui fait pas la prise de sang au cabinet du fameux docteur, mais au Grand Hôpital. (…)

S'il s'écoutait, le vieux s'en irait sans se faire piquer, mais le fameux docteur va exiger l'analyse pour continuer la routine. "Routine et comédie, c'est ça qui m'énerve… Ils me prennent pour un vieux gâteux ? Ils croient que je suis venu pour me faire soigner ? Pauvres naïfs ! Si c'était pas à cause de cette charogne de Cantonotte qui respire encore, maudit soit-il, est-ce que j'aurais un jour accepté de quitter le village où je pourrais finir mes jours tranquillement dans mon lit, au milieu des copains et avec ma montagne sous les yeux, la Femminamorta, paisible sous le soleil et les nuages ?".

Traduit de l'espagnol par Françoise Duscha-Calandre

7 mars 2009

Le livre des questions – Pablo Neruda

le_livre_des_questions Gallimard jeunesse - février 2008 – 180 pages

Illustré par Isidro Ferrer et traduit par Claude Couffon

Présentation : Ce recueil poétique, considéré comme le testament de Pablo Nedura, se présente sous forme de questionnement. Les thèmes sont variés : le temps qui passe, la vie, la mort, la nature, Dieu ou encore la politique. Cet ouvrage est le dernier livre écrit par le grand poète chilien du XX° siècle qui est, aujourd'hui encore, considéré comme le chantre de l'Amérique latine et des idées communistes. Sa poésie, de par sa forme particulière et certains thèmes traités, est parfois difficile d’accès. Les illustrations en noir et blanc, objets graphiques faits de collage de matériaux, sont parfaitement adaptées aux textes. Une vulgarisation de l’écriture qui trouvera écho chez des jeunes déjà très ouverts à la littérature.

L'auteur :
Né le 12 juillet 1904 à Parral au Chili, Pablo Neruda (de son vrai nom Ricardo Neftali Reyes Basoalto) est plusieurs fois consul, puis sénateur. Il reçoit le Prix national de Littérature en 1945. Entré dans la clandestinité en 1948, Prix mondial de la Paix en 1950, il revient au Chili en 1952. Prix Nobel de Littérature en 1971, il meurt à Santiago du Chili le 23 septembre 1973.

L'illustrateur :
Né en 1963, Isidro Ferrer est né à Madrid. Il fait des études de théâtre puis installe son studio graphique à Huesca. Il développe son activité dans le design éditorial, l'affiche, l'illustration, la BD, la direction artistique, le montage d'exposition et l'animation pour la télévision. L'art de Ferrer est basé sur le principe de la construction d'objets : il fabrique ses «objets graphiques» par le collage de matériaux. Il a exposé son oeuvre en Espagne, en France et en Slovaquie.

isidro_x  isidro_y

isidro_z

Mon avis : (lu en mars 2009)
Je suis tombé sur ce livre à la bibliothèque, je ai trouvé belle sa couverture et son titre m'a interpellé et je l'ai ouvert... Ce livre est le dernier texte écrit par le poète chilien Pablo Neruda pour inviter petits et grands à la poésie. Ce sont 72 poèmes sous forme d'une série de questions sans réponses qui interrogent la nature, les animaux, la vie ou la mort. Ce sont des questions pratiques, drôles, souvent surréalistes et parfois angoissantes. Avec ces questions, Pablo Neruda redevient un enfant et il interroge sans cesse ce qu’il voit et entend, mais un vieil enfant, riche de ses expériences.

Chaque question fait naître des images, vagabonder l’esprit et donne envie d’imaginer des réponses ou de poser d’autres questions.

A chaque page de texte répond une page d’image, conçue par Isidro Ferrer, designer, illustrateur et graphiste madrilène, comme un collage de papiers ou d’objets. Les images n’illustrent pas littéralement le texte mais adoptent son aspect inventif en montrant des formes et des objets dont l’assemblage drôle ou étonnant apprend à les regarder autrement. Ce livre nous invite à partir dans l'imaginaire, à suivre un vent de liberté et à regarder et à penser le monde autrement...

Ce livre a été publié chez Gallimard Jeunesse, mais je pense qu'il est également destiné aux adultes. A découvrir !

Extraits : 

I

Pourquoi les énormes avions ne promènent-ils leurs petits ?

Quel est l'oiseau aux plumes jaunes qui remplit le nid de citrons ?

Pourquoi n'apprend-on aux hélicoptères à butiner sur le soleil ?

Où la pleine lune a-t-elle laissé son sac nocturne de farine ?

XIX

A-t-on compté l'or que possède le territoire du maïs ?

T'a-t-on dit que la brume est verte, à midi, en Patagonie ?

Qui chante là, au fond de l'eau, dans la lagune abandonnée ?

De quoi rit-elle, la pastèque au moment où on l'assassine ?

XX

Est-il vrai que l'ambre contient les pleurs versés par les sirènes ?

Comment s'appelle cette fleur qui vole d'un oiseau à l'autre ?

Ne vaut-il mieux jamais que tard ?

Et pourquoi le fromage a-t-il pour ses exploits choisi la France ?

22 décembre 2008

Le cœur cousu – Carole Martinez

coeur_cousu coeur_cousu

Gallimard – fév 2007 – 430 pages

Folio - mars 2009 - 442 pages

Présentation de l'éditeur
" Ecoutez, mes sœurs ! Ecoutez cette rumeur qui emplit la nuit ! Ecoutez... le bruit des mères ! Des choses sacrées se murmurent dans l'ombre des cuisines. Au fond des vieilles casseroles, dans des odeurs d'épices, magie et recettes se côtoient. Les douleurs muettes de nos mères leur ont bâillonné le cœur. Leurs plaintes sont passées dans les soupes : larmes de lait, de sang, larmes épicées, saveurs salées, sucrées. Onctueuses larmes au palais des hommes ! " Frasquita Carasco a dans son village du sud de l'Espagne une réputation de magicienne, ou de sorcière. Ses dons se transmettent aux vêtements qu'elle coud, aux objets qu'elle brode : les fleurs de tissu créées pour une robe de mariée sont tellement vivantes qu'elles faneront sous le regard jaloux des villageoises; un éventail reproduit avec une telle perfection les ailes d'un papillon qu'il s'envolera par la fenêtre: le cœur de soie qu'elle cache sous le vêtement de la Madone menée en procession semble palpiter miraculeusement... Frasquita a été jouée et perdue par son mari lors d'un combat de coqs. Réprouvée par le village pour cet adultère, la voilà condamnée à l'errance à travers l'Andalousie que les révoltes paysannes mettent à feu et à sang, suivie de ses marmots eux aussi pourvus - ou accablés - de dons surnaturels... Le roman fait alterner les passages lyriques et les anecdotes cocasses on cruelles. Le merveilleux ici n'est jamais forcé : il s'inscrit naturellement dans le cycle tragique de la vie.

Biographie de l'auteur
Carole Martinez est née en 1966. Le cœur cousu est son premier roman.

 

 

Mon avis : (lu en décembre 2008)

C'est à la fois un conte, une fable, c'est un mélange de poésie, de voyage et de merveilleux. Une fresque familiale autour d'une couturière dont l'habilitée oscille entre don et malédiction. Les personnages du livre sont attachants et si particuliers, il y a beaucoup de personnages féminins. C'est un livre vraiment dépaysant !

Extrait :

« Commença alors pour ma mère la période des fils de couleurs.
Ils avaient fait irruption dans sa vie, modifiant le regard qu'elle portait sur le monde.
Elle fit le compte : le laurier-rose, la fleur de la passion, la chair des figues, les oranges, les citrons, la terre ocre de l'oliveraie, le bleu du ciel, les crépuscules, l'étole du curé, la robe de la Madone, les images pieuses, les verts poussiéreux des arbres du pays et quelques insaisissables papillons avaient été jusque-là les seuls ingrédients colorés de son quotidien. Il y avait tant de bobines, tant de couleurs dans cette boîte qu'il lui semblait impossible qu'il existât assez de mots pour les qualifier. De nombreuses teintes lui étaient totalement inconnues comme ce fil si brillant qu'il lui paraissait fait de lumière. Elle s'étonnait de voir le bleu devenir vert sans qu'elle y prenne garde, l'orange tourner au rouge, le rose au violet.
Bleu, certes, mais quel bleu ? Le bleu du ciel d'été à midi, le bleu sourd de ce même ciel quelques heures plus tard, le bleu sombre de la nuit avant qu'elle ne soit noire, le bleu passé, si doux, de la robe de la Madone, et tous ces bleus inconnus, étrangers au monde, métissés, plus ou moins mêlés de vert ou de rouge.
Qu'attendait-on d'elle ? Que devait-elle faire de cette nouvelle palette qu'une voix mystérieuse lui avait offerte dans la nuit ?
Bombarder de couleurs le village étouffé par l'hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d'oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n'aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet.
Elle se rabattit donc sur l'intérieur de la maison. »

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4
A propos de livres...
Publicité
A propos de livres...
Newsletter
55 abonnés
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 1 376 789
Publicité