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11 janvier 2009

L'élégance des veuves – Alice Ferney

l__l_gance_des_veuves Actes sud – 1995 – 126 pages

Quatrième de couverture
" Le spectacle se donne sans fin. Car l'instinct fait germer la chair, le désir la pousse, la harcèle quand elle s'y refuse, jusqu'à tant qu'elle cède, s'affale, se colle à une autre, et que s'assure la pérennité des lignées amoureuses. " Cela se produit de multiples fois, sans relâche, cela s'enchaîne avec beaucoup de naturel et de grâce. Un cycle sans fin pousse les femmes à se marier, à enfanter, puis à mourir. Ainsi va le temps, secoué par le rythme des naissances et des morts, quand le besoin de transmettre l'emporte sur le désespoir de la perte d'un être cher. Un long fil de désir passe au travers des générations. Ce court roman d'une douce gravité est un hymne à la vie et au pouvoir fécondant de la femme.

Auteur : Alice Ferney est née le 21 novembre 1967 à Paris. Elle a fait des études de commerce à l'ESSEC et est titulaire d'un doctorat en sciences économiques. Elle enseigne aujourd'hui à l'université d'Orléans. Elle est mariée et a trois enfants. Adepte du roman classique, dont elle exploite avec brio la veine introspective.
Ses thèmes de prédilection sont la féminité, la différence des sexes, la maternité, le sentiment amoureux. Grâce et Dénuement lui a valu le prix Culture et Bibliothèques pour tous.

Mon avis : (lu en janvier 2004 et relu en janvier 2009)

Voici un portrait sensible de femmes, de mères ou d'épouses.

Ce livre nous fait prendre conscience des souffrances qu'on pu endurer les femmes au début du vingtième siècle. Ce roman est court et facile à lire, l'écriture est limpide, nous nous retrouvons comme observateur à distance mais cependant perspicace et tout en poésie.

C'est le premier livre que je lisais de cette auteur et je l'ai trouvé vraiment émouvant. Et j'ai vite lu du même auteur Grâce et dénuement.

Extrait : (p.21)

La mort de Jules transforma Valentine. En perdant l’enfant à peine donné elle avait cru connaître la souffrance. Ce n’était pas grand chose à côté de la peine d’être veuve. Pourtant elle ne renonça pas. Elle était séparée de Jules qui était sa vie, elle devint la vie de Jules. Pas un jour elle ne l’oublia, les traits de son visage, la couleur de ses cheveux, la manière qu’il avait de lui sourire, tout resta gravé en elle, et parfois elle pâlissait de le voir avec tant de netteté. Elle ne perdit ni la douleur de soudain le savoir mort (et cet instant de l’apprendre, elle le vécut bien d’autres fois sa vie durant), ni le bonheur de l’aimer. Elle s’enroula autour de ce passé comme un lierre, elle en fit la source de sa chaleur. Et diffusa cette chaleur à ses enfants, qu’elle avait pris grand soin à ne pas endeuiller. Les petits étaient restés gais et avaient vite cessés de réclamer leur père. Dans leurs élans et leurs rires elle puisait une raison de poursuivre sans Jules ce qu’avec lui elle avait commencé. Elle n’était plus que mère.
Mais à Valentine était promise une vie où la trajectoire parfaite des premières années est altérée peu à peu, où tout ce qui a été gagné est repris et détruit.
L’armée lui avait valu un mari, elle lui coûta deux fils, les jumeaux de l’amour naissant, ses premiers-nés. Un bordereau aux couleurs nationales fit office de message, de condoléances, de mise en bière, de funérailles et de deuil. Le monde était bousculé Valentine ne sut jamais quel était le visage de ses garçons dans la mort. C’était une juste cause, Dieu nous envoyait des épreuves, personne dans cette famille n’acceptait les complaintes, Valentine cette fois encore garda en elle tous ses mots. Elle se laissait aller la nuit, seule dans le grand lit, à la place de Jules où elle s’était mise à dormir, comme si elle avait été la défunte, comme si cette peine du veuvage lui avait été épargnée et qu’il était seul à pleurer une épouse et deux fils. Mais les larmes ravinaient ses joues, glissaient derrière l’oreille et filaient dans les boucles de ses cheveux. On eût dit alors une morte. Morte elle ne l’était pourtant pas, et il lui arrivait le soir venu de s’en étonner. Car elle l’était du moins à une forme de joie, une tranquillité de l’esprit : chaque fois qu’elle regardait ses enfants, elle se demandait quelles souffrances étaient tapies dans l’avenir.
Elle aurait jugé indigne cependant de répandre dans sa maison le trouble qu ‘elle ressentait. Elle avait encore cinq enfants, une cuisinière, une femme de chambre, et se sentait une obligation de sourire et de vivre. Valentine était une femme de devoir, elle continua de coiffer des cheveux, d’embrasser des fronts, de calmer des pleurs, d’inventer des jeux. Adrien et Henri partirent en pension dans un collège. Elle écrivit les lettres qu’il fallait, envoya les colis qu’ils attendaient, prépara les fêtes des retours. Ses filles avaient grandi, elle cousit les robes dont elles rêvaient, s’amusa de leur coquetterie, se souvint d’elle-même à cet âge. Elle tricota des chandails, d’horribles caleçons de bain, des chaussettes chaudes, des socquettes de coton. Elle fit des listes de courses, les menus de la semaine, les comptes du mois, paya les gages, organisa les vacances, jamais elle ne manqua la fête d’un anniversaire, ni la splendeur de Noël et du réveillon où venaient les grands-mères. Elle accepta même de parler de Jules, de le partager avec d’autres qui ne comprenaient rien.
Elle poursuivit comme si personne ne manquait. Comme si le calme était revenu dans son âme et, qu’au moment de se coucher, elle n’avait pas ce pincement au cœur, cette envie soudaine d’éclater en sanglots, de parler à un homme. Elle vécut dans ses relations particulières que l’on a avec ceux que l’on protège. Refusant de songer que le sort est injuste, qu’il ne rend rien, qu’aux hommes il prend tout et ricane et continue de détruire leurs belles cathédrales, les œuvres de leurs vies, les dentelles précieuses qu’ils tissent avec leurs larmes. Et ce sort-là continua de soustraire à Valentine ceux qui restaient.

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