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A propos de livres...
irlande
6 mars 2010

Paddy Clarke ha ha ha – Roddy Doyle

Livre lu dans le cadre du partenariat Blog-o-Book et les Éditions Robert Laffont

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Robert Laffont – novembre 1994 – 307 pages

10x18 – octobre 2005 – 307 pages

Robert Laffont – février 2010 – 398 pages

traduit de l'anglais (Irlande) par Léon Mercadet

Présentation de l'éditeur :

Dublin à la fin des années 60. Paddy Clarke est un garnement de dix ans à l'imagination débordante qui n'adore rien tant que de jouer des tours pendables à ceux qui l'entourent. Il rêve de devenir missionnaire, adore les Indiens, résiste aux coups durs mais a le coeur fendu quand ses parents se disputent. Ses ruses de Sioux n'empêcheront pas son père de quitter le foyer conjugal. Cruauté enfantine oblige, ses copains d'école se mettent à le boycotter : " Ha Ha Ha ". L'histoire de Paddy Clarke, ce petit frère de Huck Finn et de Holden Caulfield, a valu à son auteur, le grand Roddy Doyle, le prestigieux Booker Prize.

Auteur : Né à Dublin en 1958, Roddy Doyle s’est imposé dès ses premiers pas comme l’un des auteurs majeurs de la littérature irlandaise contemporaine. Le grand public le découvre grâce à sa célèbre trilogie de Barrytown (The Commitments, The Snapper, The Van) publiée dans la collection « Pavillons » en 1996 (réédités en « Pavillons poche » en 2009) et portée à l’écran par Alan Parker et Stephen Frears. Il reçoit la consécration avec Paddy Clarke Ha Ha Ha, qui obtient le Booker Prize en 1993. Ce prix et les ventes exceptionnelles de ce roman lui permettent d’abandonner son travail d’enseignant et de se consacrer entièrement à l’écriture. 

Mon avis : (lu en mars 2010)

Ce livre m'a été proposé par BoB au moment où je participais au Swap Saint Patrick organisé par Canel, j'ai eu aucune hésitation à le choisir. Et c'est avec plaisir que j'ai découvert ce livre à la fois plein d'humour et de réalisme qui raconte l'histoire de Paddy Clarke est un garçon de 10 ans qui vit à Barrytown, un quartier à la périphérie du Dublin dans les années 1960. Il est l'aîné de la famille, Sinbad est son petit frère, il y a aussi Catherine et Deirdre ses petites sœurs. Il nous raconte l'école, les copains : Kevin, Liam et Aidan. Il est très imaginatif dans ses jeux, ses bêtises. Il a soif d'apprendre et il pose beaucoup de questions. Il adore Geronimo, imagine devenir missionnaire, oblige ses copains à jouer les lépreux et il terrorise son petit frère Sinbad. A la maison, il se rend compte que ces parents se disputent, il va essayer par tous les moyens de faire cesser ces disputes : en ramenant de l'école de bonnes notes, en sollicitant son père pour réciter ses leçons... Paddy est inquiet et guette les discutions entre ses parents, il se lève la nuit pour les espionner. Mais rien n'y fait, un jour son père quitte la maison et à l'école Paddy devient le centre d'un boycott de la part des autres écoliers.

Un livre qui est un retour en enfance et qui m'a fait penser à la fois au Petit Nicolas ou à la Guerre des Boutons, un livre drôle et réaliste avec des personnages très attachants.

Un petit défaut cependant, il n'y a aucun chapitre et les histoires s'enchaînent. Il est un peu difficile de s'interrompre dans sa lecture... Cela reste pourtant une très belle découverte !

Un grand merci à logo_bob_partenariat et robert_laffont de m'avoir permis de découvrir ce livre.

Extrait : (page 20)

Aux allumettes, je préférais la loupe. On passait des après-midi entiers à brûler des petits tas d'herbe sèche. J'aimais voir l'herbe changer de couleur. J'aimais quand la flamme se faufilait dans les herbes. C'était plus facile avec une loupe. Plus facile, mais il fallait être doué. Si le soleil sortait assez longtemps, on pouvait découper une feuille de papier sans la toucher, il suffisait de poser une pierre à chaque coin pour l'empêcher de s'envoler. On faisait la course : allumer, souffler, éteindre, allumer, souffler. Celui qui finissait de couper sa feuille le premier avait le droit de brûler la main de l'autre. On dessinait un bonhomme sur la feuille et le feu perçait des trous dedans ; dans ses mains et ses pieds, comme Jésus. On lui dessinait des cheveux longs. On gardait le zizi pour la fin.

On a taillé des routes dans les orties. Maman m'a demandé ce que j'allais faire dehors avec mon duffle-coat et mes gants par ce beau temps.

- On va couper les orties.

C'étaient des grandes orties ; des orties géantes. Les boutons des brûlures étaient colossaux, ça grattait sans fin même quand ça ne brûlait plus. Les orties occupaient tout un coin du champ derrière les boutiques. Rien d'autre ne poussait là, rien que les orties. On a fauché à grands revers de bâton et il a encore fallu les piétiner. Le jus des orties giclait. On ouvrait des routes droit à travers, chacun la nôtre à cause des bâtons qui moulinaient. Quand on est rentré à la maison, les routes s'étaient rejointes et il ne restait plus une ortie debout. Les bâtons étaient tout verts et j'avais deux brûlures sur la figure : j'avais enlevé mon passe-montagne parce qu'il me grattait la tête.

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3 février 2010

Sans un cri - Siobhan Dowd

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sans_un_cri traduit de l'anglais par Cécile Dutheil de La Rochère

Gallimard - avril 2007 – 357 pages

Présentation de l'éditeur :

Dans le petit village irlandais de Coolbar, Shell tente d'être un lycéenne comme le autres. Mais élever Trix et Jimmy, ses petits frères et sœurs, tout en les protégeant d'un père alcoolique et violent, n'est pas un quotidien ordinaire pour une jeune fille de quinze ans.
Pourtant, Shell ressent profondément la joie d'exister. D'où lui vient cette force incroyable qui la sauve, même quand l'Irlande entière la montre du doigt ?
Un roman singulier et fort, touché par la grâce. Comparée aux plus grands écrivains irlandais, Siohban Dowd signe une histoire poignante, tirée de faits divers réels.

Biographie de l'auteur :

Siobhan Dowd est née à Londres de parents irlandais. Elle a obtenu un diplôme de lettres classiques à l'université d'Oxford. Pendant sept ans, elle a vécu à New York où son travail sur la censure au sein de l'association d'écrivains PEN a été remarqué. Dans ce cadre, elle s'est rendue en Indonésie et au Guatemala pour enquêter sur l'application des droits de l'homme pour les écrivains. De retour en Angleterre, elle poursuit cette mission sociale en permettant à des écrivains d'aller dans les écoles défavorisées et les prisons. Siobhan Dowd vivait en Grande-Bretagne, à Oxford, avec son mari et retournait souvent en Irlande. Pour Sans un cri, son premier roman, la presse anglo-saxonne l'a comparée aux plus grands écrivains irlandais actuels. Elle est décédée en 2007 à l'âge de 47 ans.

Mon avis : (lu en février 2010)

Ce livre dans une collection pour adolescent est surtout destiné à de grands adolescents et aux adultes. Il raconte une histoire inspirée de faits réels. 1984. Un village dans le Sud de l’Irlande. Shell, une adolescente de 15 ans, sa mère est morte il y a un an et elle assume la responsabilité de ses jeunes frère et sœur Jimmy et Trix. Son père a été déboussolé par la mort de sa femme. Il ne travaille plus, il passe ses journées à faire des collectes pour les pauvres (dont il détourne une bonne partie de l’argent), il boit et est parfois violent. Dans le regard du père Rose, jeune prêtre nouvellement arrivé au village, Shell croit y voir Jésus, elle le considère comme un allié. Shell se laisse naïvement séduire par Declan Ronan lycéen et Don Juan en même temps elle se brouille avec sa seule amie Brixie. Lorsque Shell découvre qu'elle est enceinte, Ducan a quitté l'Irlande, il est parti aux États-Unis. Shell devient alors le centre d'un énorme scandale.

L'histoire est sombre et triste mais Shell est vraiment très touchante, elle est, malgré tout, une jeune fille pleine de vie qui vit au jour le jour avec ses rêves, le souvenir de sa mère et l'amour de ses frère et sœur.

Avec une écriture pleine de retenue et de sensibilité pour explorer la vie intérieure d’une adolescente confrontée à des responsabilités d’adulte.

Extrait : (page 18)
Toute la journée, Shell flotta sur le nuage du père Rose. Elle vit son visage - ou était-ce celui de Jésus ? -apparaître sous les épluchures de pommes de terre dans la cuvette. Elle le vit briller dans le miroir quand la lumière faiblissait, et scintiller dans l'obscurité quand elle sombrait dans le sommeil...
Le lendemain, les trois enfants se levèrent tôt pour aller ramasser les pierres dans le champ du fond. C'était une corvée que papa leur avait imposée au début de l'hiver, sans jamais leur donner d'explication. Peut-être avait-il l'intention de labourer le champ plus tard... en tout cas il ne leur en avait rien dit. Ils avaient déjà réussi à former un cairn important, qui grossissait de jour en jour du côté nord-est. Et presque tous les matins, ils y allaient, telles trois petites sentinelles grimpant la colline sous la lumière pâle, le dos courbé sous le poids de leurs ustensiles.
Ce matin, Shell prit le vieux fourre-tout qu'ils utilisaient pour transporter les pierres. Elle avait froid et elle avait faim. Il pleuvait comme vache qui pisse.
- Papa, demanda-t-elle, pourquoi est-ce qu'il faut qu'on retire les pierres ?
Il était assis dans son fauteuil près du feu, tenant mollement le tisonnier, le regard perdu dans les flammes comme si celles-ci détenaient la clé de l'énigme de la vie.
- Comment ça ? répondit-il en levant brutalement le regard.
- Pourquoi est-ce qu'il faut qu'on retire les pierres ?
- Parce que je vous l'ai demandé. Ça ne suffit pas ?

8 janvier 2010

Le testament caché – Sebastian Barry

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le_testament_cach_ Éditions Joëlle Losfeld – septembre 2009 – 328 pages

traduit de l'anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni

Présentation de l'éditeur :

Roseanne McNulty a cent ans ou, du moins, c'est ce qu'elle croit, elle ne sait plus très bien. Elle a passé plus de la moitié de sa vie dans l'institution psychiatrique de Roscommon, où elle écrit en cachette l'histoire de sa jeunesse, lorsqu'elle était encore belle et aimée. L'hôpital est sur le point d'être détruit, et le docteur Grene, son psychiatre, doit évaluer si Roseanne est apte ou non à réintégrer la société. Pour cela, il devra apprendre à la connaître, et revenir sur les raisons obscures de son internement. Au fil de leurs entretiens, et à travers la lecture de leurs journaux respectifs, le lecteur est plongé au coeur de l'histoire secrète de Roseanne, dont il découvrira les terribles intrications avec celle de l'Irlande. A travers le sort tragique de Roseanne et la figure odieuse d'un prêtre zélé, le père Gaunt, Sebastian Barry livre ici dans un style unique et lumineux un roman mystérieux et entêtant.

Auteur : Sebastian Barry est né à Dublin en 1955. À la fois romancier, poète et dramaturge, il est reconnu comme l'une des voix les plus importantes de l'Irlande d'aujourd'hui. Ses romans Annie Dunne et Un long, long chemin ont paru aux Éditions Joëlle Losfeld respectivement en 2005 et 2006. Le testament caché figurait sur la shortlist du Man Booker Prize 2008, et a obtenu le prix Costa Book of the Year cette même année. Il a également décroché en 2009 le prix Hughes and Hughes Irish Novel of the Year.

Mon avis : (lu en janvier 2010)

Ce livre nous raconte l'histoire Roseanne McNulty, elle a 100 ans et a passé presque toute sa vie dans l'hôpital psychiatrique de Roscommon. Mais l'hôpital doit fermer et le Dr Grene est chargé de tester les malades pour savoir ceux que l'on doit replacer dans le nouvel hôpital psychiatrique et ceux qui peuvent retrouver une vie normale. Roseanne prétend avoir oublié pourquoi elle a été internée. Mais en secret, elle écrit l'histoire de sa vie. Parallèlement, le docteur Grene consigne sur carnet ses entretiens avec Roseanne et le résultat de ses recherches dans les archives de l'hôpital. Ce livre nous raconte également en filigrane un siècle de la société irlandaise et une époque sombre de l'histoire irlandaise où l'auteur n’épargne pas l'Église catholique. Roseanne est un personnage terriblement attachant avec d'un destin dramatique. Le dénouement de cette belle histoire est totalement inattendue et m'a vraiment surprise.

Extrait : (page 182)

Tom en m'avait pas demandé de l'épouser ni rien de tout cela et pourtant je savais que toutes ces paroles avaient un rapport avec le mariage. Moi-même, tout à coup, je ne voulais pas l'épouser, ni lui ni personne, ni être demandée en mariage. J'avais un peu plus de vingt ans et à l'époque on était vieille fille à vingt-cinq et on ne trouvait même plus un bossu avec qui se marier. Les femmes étaient beaucoup plus nombreuses que les hommes en Irlande en ce temps-là. Les femmes avaient compris et partaient en Amérique et en Angleterre à toute vitesse, avant que leurs bottines ne s'enfoncent et ne restent collées dans le bourbier irlandais. L'Amérique réclamait des femmes à cor et à cri, nous étions une exportation aussi bonne que de l'or pour l'Amérique. Des centaines et des milliers partaient chaque année que Dieu faisait. Des femmes ravissantes, des femmes rondes, laides, fortes, épuisées, jeunes, vieilles, de toutes les fichues catégories. La liberté, je pense que c'est ce qu'elles cherchaient et elles suivaient leur intuition. Elles préféraient être bonnes en Amérique plutôt que vieilles filles dans cette satanée Irlande. J'eus brusquement une envie intense, fervente, presque violente de faire comme elles. L'odeur de l'agneau imprégnait mes vêtements et je me disais que seul un voyage en mer, la traversée de l'Amérique, pourrait m'en débarrasser. Bon, mais voyez-vous, j'aimais ce Tom. Que Dieu me vienne en aide.

25 novembre 2009

L'histoire de Chicago May – Nuala O'Faolain

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Sabine Wespieser éditeur – août 2006 - 443 pages

10x18 - mai 2008 - 392 pages

traduit de l'anglais (Irlande) par Vitalie Lemerre

Présentation de l'éditeur :

Nuala O'Faolain s'empare du destin d'une jeune Irlandaise pauvre qui, en 1890, s'est enfuie de chez elle pour devenir une criminelle célèbre en Amérique sous le nom de "Chicago May". L'amour, le crime et un destin exceptionnel de femme au tournant du XXe siècle : tous les ingrédients du romanesque sont réunis. Tour à tour braqueuse, prostituée, arnaqueuse, voleuse et danseuse de revue musicale, May avait une beauté magnétique qui tournait la tête des hommes. Ses aventures la conduisirent du Nebraska, où elle côtoya les frères Dalton, à Philadelphie, où elle mourut en 1929, en passant par Chicago, New York, Le Caire, Londres et Paris, où elle fut jugée pour le braquage de l'agence American Express. Elle vécut sur un grand pied, fit de la prison, et écrivit même, dans le genre convenu des mémoires de criminels, l'aventure de sa vie. Partant de ce matériau, Nuala O'Faolain mène une enquête trépidante, tentant de saisir les motivations de cette énigmatique cœur d'Irlande, elle aussi exilée aux Etats-Unis. Car cette héroïne romanesque et sentimentale a payé au prix fort l'indépendance qu'elle a conquise contre les normes sociales. Ici l'écrivain nourrit de sa propre expérience une émouvante réflexion sur la quête d'une femme qui a décidé de sortir des sentiers battus, choisissant l'aventure et assumant la solitude.

L'Auteur :
Nuala 0’Faolain est née en Irlande en 1940. Journaliste à Londres, pour la BBC, puis à Dublin, elle a publié tardivement son premier livre, On s'est déjà vu quelque part ? (Sabine Wespieser éditeur, 2002). Le succès de ce récit autobiographique, qui a suscité un véritable phénomène d'identification auprès de toute une génération de femmes, a changé sa vie. Elle la consacre désormais à l'écriture, et partage son temps entre son cottage de l’ouest de l’Irlande et New York. Après Chimères (2003), J'y suis presque (2005), L'Histoire de Chicago May (Prix Femina étranger, 2006), tous parus chez Sabine Wespieser éditeur. Nuala 0’Faolain est décédée le 9 mai 2008 et Best love Rosie a été publié après sa mort.

Mon avis : (lu en novembre 2009)

J'avais découvert Nuala O'Faolain avec son livre Best love Rosie que j'avais bien aimé. J'ai donc été un peu surprise par ce livre qui est essentiellement une biographie, celle de Chicago May une femme vivant au début du XXème siècle. Elle est contrainte de quitter son pays natal l'Irlande et elle émigre aux États-Unis. Seule et sans argent, sa vie n'est pas facile et elle tombe dans la prostitution et le vol. Elle fera de la prison en France puis en Angleterre avant de retourner aux États-Unis. Tout au long du livre, l'auteur n'hésite pas à partager avec le lecteur ses interrogations, ses recherches. Elle accompagne son récit de nombreuses photos, lettres et documents pour confirmer la véracité de l'histoire. On découvre la terrible condition de la femme à cette époque aux États-Unis. L'auteur étant elle-même irlandaise vivant aux États-Unis, on sent l'importance que ces recherches sur Chicago May a eu sur sa propre histoire. J'ai trouvé très intéressant ce livre mais comme j'attendais plutôt un vrai roman qu'une biographie je l'ai trouvé un peu long à lire et j'ai été un peu déçue.

Extrait : (page 115)
Elle s'éveillait dans l'après-midi dans un grand lit où, j'imagine, un vieux manteau de fourrure miteux servait de couverture d'appoint et où les rideaux étaient cloués à la fenêtre et non suspendus. Je suppose qu'elle pouvait entendre de la rue un homme vendant du combustible à la criée, et qu'il lui montait un sac de charbon. Peut-être y avait-il une domestique quelque part qui allumait le feu et posait une casserole de café en équilibre dessus - May devait se blottir dans la chaleur dès l'instant où le feu rougeoyait. Elle lève sa tasse de café d'une main nerveuse, extrait quelque chose à se mettre hors du chaos de ses vêtements, rafraîchit son visage brûlant dans l'eau froide d'une cuvette en fer. Puis elle file vers son banc ou sa chaise attirés dans le saloon quelconque qui était à ce moment-là le quartier général de sa bande.

31 octobre 2009

Et que le vaste monde poursuivre sa course folle - Colum McCann

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Belfond – août 2009 – 435 pages

10/18 - novembre 2010 - 475 pages

traduit de l'anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre

Présentation de l'éditeur
Dans le New York des années 1970, un roman polyphonique aux subtiles résonances contemporaines, une oeuvre vertigineuse. 7 août 1974. Sur un câble tendu entre les Twin Towers s'élance un funambule. Un événement extraordinaire dans la vie de personnes ordinaires. Corrigan, un prêtre irlandais, cherche Dieu au milieu des prostituées, des vieux, des miséreux du Bronx ; dans un luxueux appartement de Park Avenue, des mères de soldats disparus au Vietnam se réunissent pour partager leur douleur et découvrent qu'il y a entre elles des barrières que la mort même ne peut surmonter ; dans une prison new-yorkaise, Tillie, une prostituée épuisée, crie son désespoir de n'avoir su protéger sa fille et ses petits-enfants... Une ronde de personnages dont les voix s'entremêlent pour restituer toute l'effervescence d'une époque. Porté par la grâce de l'écriture de Colum McCann, un roman vibrant, poignant, l'histoire d'un monde qui n'en finit pas de se relever.

Biographie de l'auteur
Né à Dublin en 1965, Colum McCann est l'auteur de cinq romans, Le Chant du coyote, Les saisons de la nuit, Danseur, Zoli, Et que le vaste monde poursuive sa course folle, et de deux recueils de nouvelles, La Rivière de l'exil et Ailleurs, en ce pays, tous parus chez Belfond et repris chez 10/18. Colum McCann vit à New York avec son épouse et leurs trois enfants.

Mon avis : (lu en octobre 2009)

Ayant déjà lu et beaucoup aimé du même auteur "Les saisons de la nuit", j'avais très envie de lire ce livre dont j'aime beaucoup le titre et la couverture.

Ce livre est un ensemble de récits courts où se croisent et où se dévoilent des destins différents à l'image de la ville de New York : on découvre Corrigan un prêtre irlandais qui vit au milieu des prostituées et des plus pauvres du Bronx, il y a Tillie et Jazzlyn deux prostituées mère et fille, Claire et Solomon les parents de Joshua qui est mort au Vietnam...

En fil rouge de ce livre, il y a l'histoire de la traversée sur un câble d'acier à New York, entre les deux tours du World Trade Center, par le funambule français Philippe Petit, le 7 août 1974.

J'ai été touchée par les destins de tous ces personnages et j'ai beaucoup aimé cet histoire extraordinaire de funambule (même si ayant le vertige, je n'aurais pas aimé être spectatrice d'un tel événement).

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Il existe seulement des photos de cet événement extraordinaire. En 2008, un film documentaire britannique a été réalisé par James Marsh "Le Funambule (Man on Wire)". Basé sur le livre de Philippe Petit "To Reach the Clouds", le film est monté comme un thriller, présentant des scènes de la préparation de la traversée, des scènes rejouées et des interviews de participants de l'événement, à l'époque. Il relate l'incroyable exploit de Philippe Petit qui avait "dansé" entre les Twin Towers pendant 45 minutes, à plus de 400 mètres d'altitude et sans la moindre sécurité. Le film a reçu, en 2009, le grand prix du documentaire au Festival de Sundance ainsi que l'Oscar du meilleur film documentaire.

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Extrait : (début du livre)

CEUX QUI LE VIRENT SE TURENT. Depuis Church, Liberty, Cortlandt, West, Fulton ou Vesey Street. Un silence terrible, superbe, à l’écoute de lui-même. Certains pensèrent à une illusion d’optique, une ombre mal placée, un effet d’atmosphère. D’autres prirent ça pour la blague éculée du type qui se plante sur l’asphalte, le doigt pointé, et on s’attroupe autour, les têtes se renversent, hochent, confirment, mais les yeux sont levés pour rien, et on attend comme on attend la chute d’un gag de Lenny Bruce. Seulement, plus ils regardaient, plus c’était clair. À l’extrême limite du toit, la silhouette se détachait sur la grisaille du matin. Sans doute un laveur de vitres. Un ouvrier du bâtiment. Ou un suicidaire.

Cent dix étages plus haut, parfaitement immobile, une miniature noire dans le ciel nuageux.

On ne le remarquait pas de n’importe où. Ou alors les passants s’arrêtaient au coin de la rue, repéraient une brèche entre les immeubles, zigzaguaient dans la pénombre, se frayaient une perspective sans corniche, sans gargouille, sans balustrade, sans garde-corps. Et si une ligne partait de son pied vers la tour jumelle, ils ne comprenaient pas bien pourquoi. Mais la figurine les clouait. Le cou tendu, ils oscillaient entre la fatalité de l’évidence et la promesse du quotidien.

Le dilemme de l’observateur : ne pas rester là sans raison – ça n’est qu’un imbécile penché sur le vide –, mais ne pas rater le moment où la police viendra l’arrêter, où il tombera, plongera peut-être, les bras en croix.

La ville rassemblait ses bruits autour des passants. Klaxons. Camions d’éboueurs. Cornes de brume. Le ramdam des métros. Un bus de la ligne M22 qui freine, se range le long du caniveau et gémit dans l’ornière. Le vent plaque un emballage de chocolat sur une bouche d’incendie. Le claquement des portières de taxi. Des poubelles se bagarrent au fond de l’impasse. Les baskets qui repartent au petit trot. Le cartable en cuir qui frotte sur un pantalon. Le cliquetis des parapluies sur le bitume. Une porte à tambour qui propulse au-dehors un début de conversation.

Mais le tohu-bohu n’aurait été qu’un son compact, on n’y aurait quand même pas prêté attention – et ceux qui maugréaient le faisaient à voix basse, respectueusement. Ils formaient soudain de petits groupes au carrefour de Church et Dey Street. Sous l’auvent de Sam’s Barber Shop. À la porte de Charlie’s Audio. Ici un minuscule théâtre d’hommes et de femmes, serrés contre la rambarde de St. Paul’s Chapel. Là on se disputait une place devant les vitrines de Woolworth. Avocats. Liftiers. Médecins. Teinturiers. Cuisiniers. Diamantaires. Poissonniers. Putes avec leurs jeans tristes. Tous rassurés par la présence d’autres autour d’eux. Dactylos. Courtiers. Livreurs. Hommes-sandwichs. Tricheurs rangeant leurs cartes. De building en building ; de Con Ed à Ma Bell, jusqu’à Wall Street. Un serrurier dans sa camionnette au coin de Dey et de Broadway. Un coursier à moto adossé à un réverbère de West Street. Un poivrot rougeaud en quête de son premier verre.

On l’apercevait depuis le ferry de Staten Island. Depuis les abattoirs du West Side. Des gratte-ciel neufs de Battery Park. Des stands à bretzels en bas de Broadway. Du parvis en dessous. Des tours elles-mêmes.

D’accord, certains ne voulaient rien savoir, préféraient l’ignorer. À 07:47, ceux-là étaient bien trop amorphes pour penser à autre chose qu’un bureau, un stylo, un téléphone. Sortis des bouches de métro, des limousines, des autobus, ils traversaient ensemble au feu, et pas question de lever bêtement la tête. À chaque jour suffit sa peine. Mais en voyant les attroupements, l’agitation, ils commencèrent à ralentir. S’arrêtaient net ou, haussant les épaules, se retournaient lentement, revenaient au carrefour, butaient contre les nez en l’air, se hissaient sur la pointe des pieds, dominaient un instant la foule et c’était waouh, putain, nom de Dieu.

Cette fine silhouette et le mystère s’épaississait. Elle se dressait sur la tour sud, à la limite de la terrasse panoramique, comme prête à s’élancer.

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16 juin 2009

L'enfant d'Emma – Abbie Taylor

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France Loisirs – février 2009 – 440 pages

traduit de l'anglais par Marieke Merand-Surtel

4ème de couverture : En une seconde, la vie d'Emma vire au cauchemar. Les portes du métro se referment sur Ritchie, son fils de 13 mois, alors qu'elle reste sur le quai. Emma s'effondre. Heureusement, une femme dans la rame vient à sa rescousse et Emma retrouve son enfant à la station suivante. Mais le soulagement fait vite place à l'horreur car l'inconnue disparaît ensuite, emmenant Ritchie avec elle. Emma a beau appeler à l'aide, la police refuse de la croire. A-t-elle vraiment un enfant ? L'a-t-on réellement enlevé? Emma ne peut alors compter que sur elle-même pour tenter de retrouver son fils, quoi qu'il lui en coûte...

Auteur : Abbie Taylor est un médecin dans la trentaine. Elle est née en Irlande et vit entre Dublin et Londres. Ceci est son premier roman.

Mon avis : (lu en juin 2009)

Ce livre est à la fois émouvant et "flippant". Emma, jeune mère célibataire prend le métro avec Ritchie son fils âgé de 13 mois. Embarrassée par la poussette et des sacs, Emma laisse Ritchie monter seul dans la rame de métro et la porte se referme sous son nez la laissant sur le quai. Elle est paniquée et elle veut récupérer son fils. Elle court à côté du métro et en bout de quai, elle sauvée par un homme de l'accident. Elle se dépêche alors de rejoindre la station suivante où elle retrouve Ritchie assit sur les genoux d'une femme, Antonia. Emma est soulagée, elle a retrouvé son fils. Mais c'est de nouveau le cauchemar, car Antonia va disparaître avec Ritchie ! Ensuite, Emma va devoir se battre seule contre tous pour retrouver Ritchie. En effet, la police ne veut pas croire ce que raconte Emma : a-t-elle vraiment un enfant ? A-t-il vraiment été enlevé ou Emma l'aurait-elle fait disparaître ? Emma va cependant trouver de l'aide auprès de Rafe.

Cette histoire est vraiment captivante et si proche de la réalité qu'on est souvent ému. En tant que maman, je me suis sentie très proche d'Emma et j'ai imaginé facilement les sentiments qui l'anime tout au long de l'histoire... A lire !

Extrait : (début du livre)

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Dimanche 17 septembre
Premier jour En haut de l'escalier, des adolescents étaient affalés contre les murs, les jambes étendues, occupant quasiment tout le passage. Ils portaient des doudounes noires, et une même expression sur le visage : vide, dure, désœuvrée. Emma entendit leurs voix résonner sur le carrelage depuis l'angle du couloir. Dès qu'ils la virent, leur discussion cessa.
— Excusez-moi, dit Emma d'un ton poli.
Très lentement, ils retirèrent leurs pieds. Elle avait juste assez de place pour passer. Elle dut traverser tout le groupe, sentant leurs yeux posés sur elle. Ils l'observèrent en silence descendre péniblement les marches avec la poussette, Ritchie et tous ses sacs.
Elle fut contente lorsqu'elle atteignit le pied de l'escalier et tourna au coin. Une lumière crue baignait le quai désert du métro. Emma regarda derrière elle. Les garçons ne l'avaient pas suivie.
— Ça va, Ritchie ?
Soulagée, elle s'accroupit à côté de la poussette. D'habitude, elle n'était pas nerveuse, mais là, avec le bébé, elle se surprit à espérer que le train arrive vite.
Ritchie, un enfant solide et potelé de treize mois, avait commencé à pleurnicher, gonflant son petit bedon et frottant ses yeux de ses poings.
Emma secoua doucement la poussette.
— T'es fatigué, hein ? On sera bientôt à la maison.
Elle aussi était fatiguée. Ç'avait été une longue journée ; toute une expédition à travers Londres jusqu'aux quartiers de l'East End. Elle avait eu un besoin urgent de s'évader de l'appartement, et une nouvelle promenade vers Hammersmith Broadway ou North End Road était au-dessus de ses forces. Ils avaient bien profité de la journée ; ils avaient déambulé autour des étals de Spitafield Market, acheté quelques pantalons et maillots pour Ritchie, puis s'étaient rendus dans un petit bistrot bondé pour s'offrir un café, des scones et un bol de Banana Surprise. Ensuite, ils avaient pris un bus pour Mile End, et fait une balade au bord de Regent's Canal, observant les cygnes et les bateaux, avec leurs pots de fleurs peints. Mais l'air s'était rafraîchi, c'était le signe qu'il fallait rentrer. Le crépuscule recouvrait le canal d'une couche d'écume verte, un Caddie rouillé émergeait à la surface de l'eau. Il avait fallu marcher un bon moment avant de trouver une station de métro, et les sacs de courses pesaient de plus en plus lourd, cognant contre les jambes d'Emma à chaque pas. Le soulagement l'avait envahie lorsqu'elle avait enfin repéré, un peu plus loin sur le trottoir, le cercle familier rouge et bleu du métro londonien.
— Mah.
Ritchie se pencha hors de la poussette pour lui coller sa sucette à l'orange sous le nez. Du liquide poisseux coulait sur sa manche.
— Oh, pour l'amour du ciel ! Pourquoi tu l'as réclamée, alors ?
Emma sentait poindre une migraine. Elle lui prit la sucette puis essuya sans ménagement son visage et ses mains. Elle chercha une poubelle. Aucune nulle part, évidemment. Il était huit heures moins le quart, dimanche soir. Visiblement, tout le monde était rentré chez soi après avoir passé la journée dehors. Il n'y avait pas âme qui vive. Elle n'avait qu'à balancer la sucette sur les rails. Pourtant, elle finit par l'envelopper dans un mouchoir en papier et la fourrer dans son sac. Sur le mur du quai opposé, une pub pour de l'eau minérale montrait un paysage campagnard. Des arbres, de l'eau, la paix.
Ritchie se remit à geindre en tirant sur les sangles de la poussette.
— Bon, viens.
Quel mal y avait-il à le laisser sortir ?
Comme elle s'agenouillait pour détacher les sangles, un léger grincement résonna dans les profondeurs du tunnel. Le métro.
Emma avait toujours trouvé quelque chose de sinistre au bruit d'un train qui s'approchait dans un tunnel. L'entendre sans le voir ; juste le crissement des rails précédant la chose monstrueuse qui allait surgir de l'obscurité. D'un geste rapide, elle souleva Ritchie et le déposa sur le quai. Lui aussi avait entendu, et se retournait pour regarder, le duvet blond sur sa tête soulevé par une brise. Sans lâcher son harnais, Emma se pencha pour plier la poussette de sa main libre.
Le bruit s'intensifia. Ritchie se serra contre sa jambe en agrippant son jean. Malgré sa distraction sur le moment, elle se souviendrait par la suite de l'air qu'il avait. Sa petite bouille ronde aux yeux écarquillés qui fixaient, bouche bée, le tunnel, et attendaient l'arrivée du monstre.
— Là, articula-t-il, aux anges, tandis que la lumière des phares emplissait le tunnel.
Il lâcha le jean d'Emma pour pointer du doigt. Les wagons crasseux, rouge, blanc et bleu, grondèrent dans la station. Des grincements stridents résonnèrent sur le carrelage ; le train ralentit, puis s'arrêta. Le vrombissement de la machine mourut brusquement, comme si on avait coupé un ventilateur.
Silence.
Une seconde plus tard, la porte s'ouvrait en faisant un grand pschitt.
— Allez, grimpe, ordonna Emma.
Ritchie ne se le fit pas dire deux fois. Emma le guida vers un wagon vide, son harnais toujours bien en main, qu'elle leva un peu pour l'aider à monter. Il se hissa à quatre pattes, le haut de sa couche dépassant du pantalon. Puis il se redressa dans l'encadrement de la porte, content de lui, avant de se retourner vers elle.
— Mah, dit-il en l'invitant à bord d'un geste de sa main grassouillette.
Ce fut l'image qu'elle revit de lui le plus souvent, au cours des semaines suivantes. Debout dans l'encadrement, avec son petit sourire plein de quenottes, sa frange coupée de travers, sa veste polaire bleue avec l'éléphant jovial sur le devant. Il n'avait rien de particulier, rien qu'elle n'ait déjà vu mille fois auparavant. Aucun murmure dans sa tête ne l'avertit de l'arracher du wagon et de ne plus le lâcher. Il lui faisait encore
signe alors qu'elle chargeait la poussette près de lui et se tournait pour ramasser les sacs. En baissant la main, Emma crut sentir quelque chose : une légère secousse latérale sur le harnais qu'elle agrippait. Un mouvement infime, mais en y repensant par la suite, ç'avait dû lui sembler bizarre parce qu'elle se souvenait d'avoir intérieurement froncé les sourcils. Avant même qu'elle puisse se redresser et regarder, elle sut que quelque chose clochait.
Pschitt.
Elle fit volte-face. L'espace d'un instant, elle ne comprit pas ce qu'elle voyait. Les pensées zigzaguaient dans sa tête. Qu'est-ce qui manque à cette image ? Elle tenait toujours le harnais de Ritchie, mais la porte du wagon était refermée.
Refermée sous, son nez, et Ritchie se trouvait de l'autre côté.
— Bordel de merde !
Lâchant les sacs, Emma bondit sur la porte et essaya d'introduire les doigts entre les bords. À travers la vitre, elle vit le sommet du crâne de Ritchie.
— Attends, lui cria-t-elle. J'arrive.
Bon Dieu, comment s'ouvrait cette porte ? Durant une seconde, tout resta flou. Puis elle trouva le bouton d'ouverture et le pressa. Rien ne se passa. Elle l'enfonça de nouveau, plus violemment, cette fois. Toujours rien. Elle se mit à cogner des poings sur la porte, tout en jetant des regards éperdus sur le quai.
— Au secours ! Mon bébé est coincé !
Sa voix s'éleva faiblement puis mourut. Le quai était désert. Juste de sombres blocs de béton, des bancs métalliques le long des murs, les tunnels silencieux à chaque extrémité.
— Merde.
Le cœur d'Emma battait à tout rompre. Elle sentait son esprit très vif, en alerte. De nouveau, elle regarda autour d'elle, et cette fois repéra un boîtier rouge sur le mur, avec une face vitrée. L'alarme incendie. Elle s'élança instinctivement dans sa direction. Puis elle retint son geste. Pour atteindre l'alarme, il faudrait lâcher le harnais de Ritchie. Elle hésita, incapable de s'obliger à rompre, même une seule seconde, le contact avec son fils.
— Au secours, hurla-t-elle encore, plus fort, cette fois-ci. S'il vous plaît, quelqu'un ?
Quelqu'un allait forcément entendre. Il s'agissait d'un endroit public, nom d'un chien. Elle était en plein cœur de Londres.
Puis quelque chose la frappa. Le train n'avait pas bougé. Les portes semblaient s'être refermées depuis une éternité mais le train restait toujours là.
Ils ont vu ce qui se passe, pensa-t-elle.
Elle chancela de soulagement. Bien sûr. Le métro ne pouvait pas repartir tant que le harnais était coincé dans la porte. Le conducteur la voyait s'agiter dans un miroir, ou une caméra, ou peu importe quoi. Dans une minute, on viendrait l'aider. Elle resta là à attendre, ne sachant quoi faire d'autre.
Ça va aller, se dit-elle. Ça va aller.
Elle jeta un nouveau coup d'œil à Ritchie. Puis sursauta. Qu'est-ce que c'était que ça ? Ce mouvement, au bout du wagon ?
Il y avait quelqu'un là-dedans. Il y avait quelqu'un avec Ritchie.

25 janvier 2009

Les saisons de la nuit - Colum McCann

les_saisons_de_la_nuit Belfond - 7 janvier 1999 - 321 pages

Traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Claude Peugeot

Résumé : New York, début du xxe siècle : les bâtisseurs de gratte-ciel et les ouvriers du métro œuvrent inlassablement pour donner forme à Big Apple. Parmi ces travailleurs qui risquent leur peau au quotidien, Nathan Walker, un terrassier de 19 ans qui construit le tunnel de la ligne Brooklyn-Manhattan. New York, fin du xxe siècle : des milliers de sans-abri vivent dans les entrailles du métro. Parmi eux, le mystérieux Treefrog, dont la vie n'est pas sans lien avec celle de Nathan Walker... À la fois chant d'amour adressé à New York et mise en perspective historique de l'ingratitude d'une ville à l'égard de ceux qui la façonnèrent, Les saisons de la nuit est un roman bouleversant sur ces déchets du capitalisme que sont les sans-abri. Un grand roman urbain, un grand roman humain.

Auteur : Colum McCann est né à Dublin en 1965. Après des études de journalisme, il travaille d'abord comme journaliste dans la presse irlandaise, dans les années quatre-vingt, avant de s'embarquer pour un tour des États-Unis à bicyclette qui va durer deux ans. C'est de cette expérience, sur les pas de Kerouac, qu'il va tirer Sisters (Sours, dans la Rivière de l'exil, 10/18), son premier récit (et premier livre) avec lequel il remporte plusieurs prix littéraires prestigieux. Il est ensuite salué unanimement par la critique et le public comme une des nouvelles voix les plus prometteuses de sa génération pour ses deux romans, Le Chant du coyote et Les saisons de la nuit. Ironie du sort, Colum McCann a quitté l'Irlande, en partie à cause de sa violence, pour New York, où il habite à quelques blocks des ex-Twin Towers de Manhattan.

Mon avis : 5/5 (lu en janvier 2008)

Ce livre est fabuleux, très bien construit, énigmatique et émouvant. Les personnages sont attachants. On nous raconte au début du XXème siècle la vie de Nathan Walker, il est noir et travaille à la construction du tunnel de la ligne de métro qui relie Manhattan et Brooklyn à New York. C'est l'histoire de Nathan et sa famille, la vie à Harlem, les lois raciales... En parallèle, à la fin du XXème siècle, c'est l'histoire de Treefrog, un clochard qui vit dans les tunnels de New York. Ces deux histoires vont finir par se rejoindre...

L'histoire est "juste", dramatique et inoubliable. Les émotions sont très fortes, on a souvent les larmes aux yeux mais ce livre est à lire absolument !

Extrait :

1991
 
   Le soir qui précéda la première chute de neige, il vit un grand oiseau gelé dans les eaux de l'Hudson. Il savait bien que ce devait être une oie sauvage ou un héron, mais il décida que c'était une grue. Le cou était replié sous l'aile et la tête plongeait dans le fleuve. Il scruta la surface de l'eau, et se représenta la forme antique et décorative du bec. L'oiseau avait les pattes écartées et une aile déployée comme s'il avait essayé de prendre son vol à travers la glace.
   Treefrog trouva des briques au bord du chemin qui longeait le fleuve ; il les brandit bien haut et les lança autour de l'oiseau. La première rebondit, puis glissa sur la glace, mais la deuxième en rompit la surface et la grue s'anima un instant. Les ailes tressaillirent à peine. Le cou décrivit avec raideur un arc de cercle majestueux, et la tête, grise et boursouflée, émergea de l'eau. Treefrog fit pleuvoir les briques sur la glace avec une détermination féroce jusqu'à ce que l'oiseau soit entraîné plus loin, à un endroit où le fleuve coulait.
   Relevant ses lunettes de soleil sur son front, il le regarda s'éloigner au fil de l'eau. Il savait bien que l'oiseau allait sombrer dans les profondeurs de l'Hudson ou rester de nouveau bloqué dans les glaces, mais il tourna le dos et s'en fut à travers le parc désert. Il donna des coups de pied dans des détritus, toucha l'écorce glacée d’un pommier sauvage, arriva à l'entrée du tunnel et ôta ses deux pardessus. Puis il se glissa par une brèche dans la grille de fer et se faufila à l'intérieur.
   Le tunnel était haut et large, sombre et familier. Il n'y avait pas un bruit. Treefrog longea la voie de chemin de fer jusqu'à un gros pilier de béton. Il le tâta des deux mains et attendit un instant que ses yeux s’habituent à l'obscurité ; puis il s'accrocha à une prise et se hissa avec une force spectaculaire. Il avança sur la poutrelle dans un équilibre parfait, atteignit une autre passerelle et se propulsa plus haut encore une fois.
   Dans l'obscurité de son nid, tout en haut du tunnel, il alluma une petite flambée avec des brindilles et du papier journal. La soirée était avancée. Un train gronda au loin.
   Quelques crottes de rat s'étaient amassées sur la table de chevet, et il les fit tomber avant d'ouvrir le tiroir. Des profondeurs du tiroir, il sortit un petit sac à bijoux violet et en dénoua le cordon jaune. Il réchauffa un instant l'harmonica au-dessus de la flamme dans son poing ganté. Il le porta à sa bouche, vérifia qu'il avait tiédi, et aspira une bouffée d'air du tunnel. Le Hohner glissa le long de ses lèvres. Sa langue pointa furtivement contre les tuyaux, et les tendons de son cou resplendirent. Il sentait la musique l’habiter, s'imposer à travers lui. Une vision de sa fille surgit soudain - elle était là, elle écoutait, elle faisait partie de sa musique, assise les genoux repliés sur la poitrine, se balançant d'avant en arrière en une extase enfantine - et il repensa à la grue gelée dans le fleuve.
Assis là, dans son nid, dans l'obscurité pleine de miasmes, Treefrog se mit à jouer, recomposant l'atmosphère, rendant aux tunnels leur musique originelle.

22 décembre 2008

Best Love Rosie - Nuala O'Faolain

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Traduit de l'anglais (Irlande) par Judith Roze

Sabine Wespieser éditeur - Septembre 2008 - 544 pages

10/18 - mars 2010 - 445 pages

Résumé : Après avoir vécu et travaillé loin de chez elle, Rosie décide qu’il est temps de rentrer à Dublin, pour s’occuper de Min, la vieille tante qui l’a élevée. Ni les habitudes ni les gens n’ont changé dans ce quartier populaire où elle a grandi, et la cohabitation avec Min, que seule intéresse sa virée quotidienne au pub, n’a rien d’exaltant : en feuilletant des ouvrages de développement personnel, censés apporter des solutions au mal-être de Min, Rosie se dit qu’elle s’occuperait utilement en se lançant elle-même dans la rédaction d’un manuel destiné aux plus de cinquante ans. Sa seule relation dans l’édition vivant aux États-Unis, elle se frottera donc au marché américain. Son vieil ami Markey tente bien de lui faire comprendre que sa manière de traiter le sujet n’est pas assez « positive »…
C’est au moment où elle va à New York, pour discuter de son projet, que le roman s’emballe : Min, qu’elle avait placée pour quelque temps dans une maison de retraite, fait une fugue et la rejoint à Manhattan. Très vite, les rôles s’inversent : la vieille dame est galvanisée par sa découverte de l’Amérique, elle se fait des amies, trouve du travail et un logement. Alors que Rosie est rentrée seule en Irlande, pour rien au monde Min ne voudrait renouer avec son ancienne vie. Surtout pas pour reprendre possession de la maison de son enfance… que l’armée lui restitue après l’avoir confisquée pendant la guerre. Rosie, elle, a besoin de cette confrontation avec ses origines. Profondément ancrée dans les valeurs de la vieille Europe, le passage du temps est maintenant au cœur de ses préoccupations.
La lucidité de Nuala 0’Faolain, sa tendresse pour ses personnages, font merveille une fois de plus dans ce livre drôle et généreux, plein de rebondissements, où l’on suit avec jubilation souvent, le cœur noué parfois, les traversées de l’Atlantique de ces deux femmes que lie toute la complexité du sentiment maternel. De ses romans, l’auteur dit souvent qu’ils révèlent plus d’elle que ses autobiographies… Best Love Rosie nous embarque aussi dans un beau voyage intérieur.

L'Auteur :
Nuala 0’Faolain est née en Irlande en 1940. Journaliste à Londres, pour la BBC, puis à Dublin, elle a publié tardivement son premier livre, On s'est déjà vu quelque part ? (Sabine Wespieser éditeur, 2002). Le succès de ce récit autobiographique, qui a suscité un véritable phénomène d'identification auprès de toute une génération de femmes, a changé sa vie. Elle la consacre désormais à l'écriture, et partage son temps entre son cottage de l’ouest de l’Irlande et New York. Après Chimères (2003), J'y suis presque (2005), L'Histoire de Chicago May (Prix Femina étranger, 2006), tous parus chez Sabine Wespieser éditeur. Nuala 0’Faolain
est décédée le 9 mai 2008 et Best love Rosie a été publié après sa mort.

Mon avis : C’est le premier livre que je lis de cet auteur et j’ai beaucoup aimé. Les personnages sont très attachants. Il est question des relations de famille, de la solitude, de l’âge, de l’amour. Les descriptions de la nature irlandaise sont également très plaisantes.

Extrait : "LE MATIN DE NOËL, j’étais au lit avec Leo dans une pensione glaciale proche des docks d’Ancône. Il m’a fallu du courage pour me décoller de son dos, sortir un bras de sous la couette et composer le numéro de ma tante à Dublin. Comme elle ne répondait pas, j’ai essayé la maison voisine. « Allô ? Reeny ? C’est toi ? Oui, bien sûr que c’est Rosie. Joyeux Noël, chère Reeny, et tous mes voeux pour la nouvelle année ! Je suis en Italie. Oui, avec un ami - qu’est-ce que tu crois - que je suis folle ? Ça ne valait pas le coup de rentrer pour le peu de congés qu’on nous donne. Écoute, Min ne répond pas au téléphone. Ça t’ennuierait d’aller appeler sous sa fenêtre ? Il est onze heures à Dublin, non ? Et je sais qu’elle doit venir chez toi pour la dinde et les choux. Elle ne devrait pas déjà être debout ? - Ah, non, t’en fais pas, m’a dit Reeny. Elle va bien. Elle était ici hier soir à regarder EastEnders. Mais elle est bizarre ces temps-ci, ta tante. Y a des jours où elle sort pas du lit alors qu’elle se porte comme un charme. Et - je veux pas te gâcher tes vacances mais j’allais t’en parler la prochaine fois que tu viendrais - elle a eu des petits ennuis l’autre jour après avoir un peu bu. La police l’a ramenée de la Poste centrale, ma parole personne sait comment elle avait fait le trajet du pub jusque là, parce qu’elle était tombée et n’arrivait plus à se lever. Enfin, c’est plutôt qu’elle voulait plus se lever. Elle racontait à tout le monde qu’elle devait envoyer un colis en Amérique. Bref, ils ont été bien braves et ils l’ont ramenée ici, mais le flic m’a dit qu’ils avaient eu du mal à l’empêcher de sauter de la voiture et que si ç’avait pas été une petite vieille dame, ils l’auraient menottée. Depuis, elle est quasiment pas sortie de chez elle et les femmes en parlaient l’autre jour au Xpress Store et y en a qui disaient comme ça que Rosie Barry ferait bien de rentrer…

- Mais Min ne veut pas de moi ! ai-je dit en riant.

- Je sais », a fait Reeny.

J’ai cessé de rire. Elle ne s’en est pas aperçue. « Mais c’est comme ça qu’ils sont avec la dépression, a-t-elle poursuivi. J’ai vu un gars qui en parlait à la télé. Ils savent pas ce qu’ils veulent.

- Dis-lui que je l’appellerai ce soir, Reeny, et qu’il faut qu’elle réponde à tout prix. Et toi, comment ça va ? Monty est avec toi ? » Monty était le fils de Reeny, un quadragénaire timide et bedonnant, fan de golf, avec qui mon amie Peg sortait depuis des décennies. Son père l’avait abandonné quand il était petit et j’avais toujours vu sa passion du golf comme une protection qu’il s’était forgée à l’époque où il luttait pour devenir un homme. « Dis-lui que le Père Noël va lui apporter un trou en un. » Par-dessus l’épaule de Leo, j’apercevais un coin d’Adriatique d’un bleu éclatant, moutonné de blanc par le vent âpre qui faisait vibrer les volets. Nous avions eu des velléités de faire l’amour un peu plus tôt, mais aucun de nous n’avait été assez déterminé pour poursuivre. C’était une bonne chose, me disais-je, que nous ne nous sentions pas obligés de simuler l’enthousiasme. Cela étant, le manque de libido était mauvais pour l’âme. Sans compter qu’il restait deux jours à tirer dans une chambre sous-chauffée et qu’il n’y avait rien à faire à Ancône quand les rares attractions qu’offrait la ville étaient fermées pour les fêtes. Noël. Autrefois, ce simple mot brillait de mille feux.

« Leo ! » J’ai tenté de le réveiller en douceur en lovant mon bras autour de son ventre et en le caressant gentiment. « Leo, chéri, va voir si la signora veut bien nous préparer un café… » J’ai pris appui sur mon coude pour regarder son visage et j’ai eu un choc, comme si je venais de recevoir une décharge, en m’apercevant qu’il avait les yeux grands ouverts et fixait la fenêtre. Le lendemain, nous sommes allés écouter un récital d’orgue dans une église désaffectée balayée par les courants d’air. Leo s’est aussitôt abîmé dans une concentration absolue. Quand il écoute de la musique, on pourrait lui planter une épingle dans le bras sans qu’il s’en aperçoive.

Les choses allaient devoir changer, je le voyais, et cette triste pensée me glaçait encore plus. Nous avions été… Mais je ne voulais pas penser aux merveilleux amants que nous avions été. J’avais déjà peine à m’avouer qu’il devenait difficile de l’attirer hors de sa villa de l’arrière-pays d’Ancône, bien qu’il eût renoncé à en faire un hôtel de luxe. Pour me distraire, j’ai pensé à Min. Il fallait que quelqu’un la surveille si elle en arrivait à se couvrir de ridicule en public ; or, Reeny faisait désormais du gardiennage dans un complexe d’appartements en Espagne et, pour la première fois depuis leur jeunesse, elle n’était pas toujours disponible dans la maison d’à côté. Par ailleurs, d’ici quelques mois, mon contrat avec le service d’information de l’UE à Bruxelles, pour lequel je rédigeais de la documentation, prendrait fin et, si je décidais de partir, je toucherais une prime assez coquette pour me permettre de chercher tranquillement le boulot suivant. Certains collègues, à vrai dire, prenaient leur retraite dès cinquante-cinq ans - ceux qui n’avaient jamais aimé leur travail et savaient faire des économies. Je ne pouvais pas prendre ma retraite, et n’en avais aucune envie. Mais la prime me permettrait de tenir un an ou deux, peut-être même trois si je rentrais à Dublin. Et puis, ai-je songé en promenant délicatement ma langue autour de mon palais, les dentistes de Dublin parlent anglais. W.H. Auden disait que des milliers de personnes avaient vécu sans amour, mais aucune sans eau ; il aurait aussi bien pu mentionner les dents. Je n’avais aucun avenir devant moi si je ne m’occupais pas de celles qui me restaient. Il faisait maintenant complètement nuit derrière l’étroite fenêtre perchée en haut du mur ocre écaillé. Un ciel bleu marine où scintillait une étoile. Nous avions repéré une sympathique trattoria sur le trajet ; nous pourrions nous y réfugier dès que nous serions passés chercher un pull plus chaud et une paire de chaussettes supplémentaire à la pensione. Et ensuite, au lit…  Que faisais-je donc de tout ça ? Que faisais-je des cafés, du sexe et des fenêtres du XVIe siècle ? L’un des grands avantages de Bruxelles, c’était que je pouvais facilement venir retrouver Leo en train. Et, encore aujourd’hui, je ne supportais pas de rester longtemps loin de lui. J’entretenais soigneusement ma couleur, un discret blond cendré, et m’habillais dans des boutiques de la région flamande, où même les femmes élégantes aimaient les tartines de beurre autant  que moi et avaient ma corpulence. Quand je me promenais aux côtés de Leo en rentrant le ventre et en souriant d’un air éveillé, je me sentais une femme digne de ce nom. En Italie, où nous nous retrouvions plus souvent que partout ailleurs, il y avait pas mal d’hommes qui m’observaient attentivement avant de se détourner.

Mais à Kilbride, Dublin… Mon anniversaire n’était qu’en septembre, mais j’aurais alors cinquante-cinq ans - à peine engagée dans la seconde moitié de la décennie, mais penchant déjà vers les soixante. À Kilbride, il n’y avait jamais eu de femmes célibataires de mon âge qui pussent encore se croire « de la partie ». Ou s’il y en avait eu, elles étaient trop finaudes pour le laisser paraître. Les auditeurs applaudissaient à tout rompre ; ils essayaient sans doute de se réchauffer. En se levant, Leo m’a adressé un de ces sourires dont lui-même ignorait le charme. La musique le rendait heureux - enfin, celle qui remontait à un temps où les jupes n’avaient pas encore commencé à raccourcir. Oh. Un bis. Nous nous sommes rassis.

En réalité, ce qui plaidait le plus en faveur de Dublin, c’était une image, pas un argument. Si je rentrais pour m’occuper d’elle, il y avait une certaine façon dont Min pourrait me regarder. Son visage me charmait quoi qu’il arrive − si petit et si blanc, avec des yeux si ronds et enfantins. Mais j’avais vu longtemps auparavant à quoi il pouvait ressembler lorsqu’il s’ouvrait comme une feuille au soleil. Dans mon enfance, avant la mort de mon père, nous allions tous les trois passer une partie de l’été à Bailey’s Hut, un cabanon en bois environné d’herbe et de coquillages, au-delà du dernier quai du port de Milbay. Ma grand-mère paternelle, Granny Barry, pouvait nous procurer le cabanon pour nos vacances parce qu’elle travaillait pour Bailey’s Hardware and Builders’ Providers. Comme il n’y avait pas l’eau courante, nous apportions quelques jerrycans d’eau du robinet pour faire le thé et recueillions l’eau de pluie dans un tonneau posé près de la porte. Mon père utilisait l’eau de pluie pour laver les cheveux de Min. « Je veux, ma p’tite dame ! » répondait-il lorsqu’elle décrétait qu’il était temps de lui faire un bon shampoing. Il apportait une cuvette d’eau chaude devant le cabanon, puis un seau d’eau de pluie. Min s’agenouillait dans l’herbe, vêtue de sa vieille jupe et de son dessous rose qui avait un cône de chaque côté pour les seins. Il s’asseyait sur une caisse, elle posait la tête sur ses genoux et il la shampouinait avec le bout des doigts. « Attention à pas m’en mettre dans les yeux ! » disaitelle. Puis il se levait, la laissant à genoux, tête baissée, et versait délicatement un premier filet d’eau de pluie sur sa tête. Elle sursautait en criant : « Aïe ! Cette eau est glaciale ! » Mais, à mesure qu’il versait, le flot devenait plus régulier. Elle s’aidait de ses mains pour répartir l’eau sur sa chevelure et mon père suivait le mouvement, versant pile à l’endroit où elle avait les mains. Enfin, il posait le seau et enroulait fermement une serviette autour de sa tête. Elle levait alors son visage aveuglé et, avec une serviette plus petite, il le tamponnait doucement. Les cheveux de Min séchaient au soleil, peignés vers l’avant et masquant son visage, ses frêles épaules dépassant de chaque côté. Ou bien elle les brossait dans les courants d’air chauds émis par le poêle Aladdin qu’on avait installé dans un coin de la pièce, derrière un grillage pour m’empêcher de le toucher. Sa chevelure devenait épaisse et brillante et vibrait comme si un flux d’énergie la traversait. Mon père me disait : « Tu vois les cheveux de ta tante ? Ta tante Min a des cheveux magnifiques. » Sa voix était nostalgique, comme s’il évoquait un souvenir très lointain, alors qu’elle était juste devant lui et ne risquait pas de s’en aller. Je n’ai jamais oublié l’air d’abandon avec lequel elle levait son visage vers celui de mon père. Il le tenait un moment à deux mains avant de commencer à le sécher et, elle toujours si méfiante et si brusque, elle se laissait tenir. Elle n’ouvrait pas les yeux, mais elle se reposait entre ces mains comme un oiseau marin sur l’eau. Tel était le visage qu’elle tournerait peut-être vers moi ; telle était l’attitude qu’elle aurait peut-être avec moi. Va pour la prime.

Je suis rentrée à la fin de l’été et, pendant deux ou trois mois, je n’ai quasiment pas bougé de ma chaise devant la vieille table de la cuisine. Comme si j’avais pénétré dans une de ces forêts qui, dans les contes de fées, entourent le château où dort la princesse - des lieux où ne bouge aucune feuille et où ne chante aucun oiseau. Je pensais confusément : Tu as ce que tu voulais - et maintenant ? Je me sentais coupée de ma propre expérience, comme si la plupart des choses que j’avais apprises en trente ans de vie, d’amour et de travail autour du globe n’avaient aucune pertinence dans le lieu où j’avais abouti."

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