Dargaud - novembre 2013 - 96 pages
Quatrième de couverture :
Kevin Platon va faire son stage d'observation de 3è dans une entreprise de Communication : la COGITOP...
La devise de la boîte c'est « Un service, des cerveaux »... et pour cause : tous les employés sont des philosophes célèbres !
De Nietzsche le DRH à Foucault responsable de la vidéosurveillance, de Thérèse d'Avila secrétaire de Direction à Montaigne en période d'Essais, notre stagiaire va découvrir le monde du travail version philo. Après la Planète des Sages, retrouvez les plus grands penseurs de l'Humanité en pleine vie de bureau. Jul et Charles Pépin s'associent pour rendre accessible
le patrimoine philosophique, en alliant le sérieux des analyses au burlesque
des situations. Le dessinateur et le philosophe nous offre avec Platon La
Gaffe un véritable manuel pratique de la vie de bureau. Avec cet album,
vous n'irez plus jamais travailler de la même façon !
Auteurs : Jul (de son vrai nom Julien Berjeaut) est né en 1974. Après Normale sup et une agrégation, il devient professeur d'histoire chinoise à l'université avant de s'orienter vers le dessin de presse. Il entre au Nouvel Observateur en 1998, puis dessine à la Dépêche du midi, à Marianne et à partir de 2000 pour Charlie Hebdo. Depuis, il collabore également à Lire, à Philosophie Magazine, à l'Huma, aux Echos ou encore à Fluide Glacial. En 2005, il publie son premier album Il faut tuer José Bové, une plongée délirante dans la jungle altermondialiste. L'ouvrage est plébiscité par les lecteurs. En 2006, son deuxième album La croisade s'amuse parodie le choc des civilisations.En 2007, le Guide du Moutard pour survivre à 9 mois de grossesse reçoit le Prix Goscinny. La planète des sages, encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies écrite avec Charles Pépin, a marqué l'année BD 2011. En 2009, il publie chez Dargaud sa première série Silex and the City. 4 tomes et une première saison animée plus tard, plus de 300 000 exemplaires ont été vendus et la série vue par des millions de téléspectateurs.
Charles Pépin est un philosophe, écrivain et journaliste français.
Mon avis : (lu en juin 2014)
Voilà un BD qui nous fait réfléchir sur le monde du travail et de l'entreprise tout en bonne humeur.
Kevin Platon vient faire son stage d'observation de 3ème à la COGITOP, une entreprise de Communication. Il va passer de services en services et découvrir que tous les employés sont des philosophes célèbres comme Foucault, Bourdieu, Rousseau, Machiavel, Kierkegaard, Diogène, BHL, Épicure, Pascal, Nietzsche...
Je suis plutôt hermétique à la philosophie, je n'ai donc que survolé les pages écrites par Charles Pépin, mais les pages BD m'ont bien amusées d'autant qu'au travail nous sommes en plein dans une réorganisation dont nous comprenons pas toujours les tenants et aboutissants... Parfois, il vaut mieux en rire qu'en pleurer !
Réunions, machine à café, photocopieuse, open space, RTT ou pots de départ éclairés par les théories ou concepts philosophiques prennent un sens nouveau...
Autre avis : Canel
Extrait :
Savez-vous que le mot «travail» vient d'un terme latin «tripalium», qui désigne un instrument de torture à trois pieux capable d'infliger aux esclaves rebelles le plus atroce et le plus lent des supplices ?
Savez-vous que, chez les Grecs aussi, le travail était loin d'avoir bonne presse ? Ils y voyaient une agitation assez vaine, comparée à la noble activité du sage contemplatif. Il y avait tellement mieux à faire que de travailler : discuter entre amis, boire du vin entre amants, admirer des vérités éternelles, débattre du bien commun sur l'agora...
Aristote en vint même - ce n'est certes pas ce qu'il fit de mieux - à justifier l'esclavage : il fallait bien que certains hommes travaillent aux champs pour que d'autres, ainsi libérés de ces basses tâches, puissent se consacrer à la délibération démocratique ou au dialogue philosophique. L'homme libre, pour un Grec, c'était d'abord l'homme libéré du travail ! La valeur était alors intimement liée à la notion d'immobilité. Parménide définit ainsi l'Absolu comme «l'Un immobile». Platon conçoit les vérités comme des idées qui brillent fixement, pour l'éternité, dans le «monde intelligible». Le mouvement de l'homme au travail est alors pensé comme éloignement par rapport à cette Vérité, soumission au besoin et négation de la liberté. S'il y a bien, chez Platon ou Aristote, quelques pages splendides sur l'habileté de l'artisan, elles font figure d'exceptions, de gouttes d'eau dans l'océan de la pensée grecque.
Le travailleur s'y apparente, grosso modo, à un lapin Duracell sur un vélo d'appartement. Même combat chez les chrétiens : le travail n'est rien de plus qu'une punition. C'est un contresens que de lui attribuer une fonction rédemptrice : le travail ne répare rien ; il ne sauve de rien. Tout cela est très clair dans la Genèse. Adam et Ève ont péché : ils vont devoir payer.
C'est même parce que ce qu'ils ont fait est «irréparable» qu'ils auront à trimer pour les siècles et les siècles. Adam sera condamné à cultiver une terre aride. Il se cassera le dos et brisera ses outils contre des cailloux pour expier sa faute originelle. Eve enfantera dans la douleur : c'est le travail de l'accouchement qui sera son enfer. Vous vous êtes pris pour Dieu ? Eh bien, travaillez maintenant !
Il faudra attendre la Réforme protestante pour que s'esquisse une revalorisation du travail. Il sera alors présenté comme l'activité humaine ayant le pouvoir de faire fructifier l'oeuvre de Dieu, ainsi que l'explique Max Weber dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme.
Mais la route est longue, et c'est sur cette route que nous marchons encore, déchirés entre le souci de notre emploi et le rêve plus ou moins avouable de vivre sans travailler. C'est que nous sommes enfants de l'Occident. Nous avons un pied grec et un autre chrétien : deux raisons, donc, de nous méfier de cette occupation souvent répétitive qui nous éloigne de l'essentiel. Pensez-y le matin quand le réveil est difficile, après le déjeuner quand il faut reprendre votre tâche au lieu de céder au délice de la sieste : vous êtes enfant de l'Occident, c'est plus fort que vous. Chaque fois que vous partez travailler, 2500 ans d'histoire vous regardent.
Et si c'était contre la force de ce destin-là que Platon luttait, courageux, pas «poltron» pour un sou, en poussant tel un jeune stagiaire la lourde porte vitrée de la Cogitop ?





