Profession du père - Sorj Chalandon
Grasset - août 2015 - 320 pages
Quatrième de couverture :
« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.
Je n’avais pas le choix.
C’était un ordre.
J’étais fier.
Mais j’avais peur aussi…
À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet. »
Le narrateur, Émile, est un jeune garçon de douze ans. Il raconte son enfance dans une famille peu ordinaire. Son père est un mythomane souvent coléreux qui règne par la terreur sur son fils et son épouse. La mère est passive et résignée. Le père a plein d’ambition pour Émile, mais ce dernier rapporte à la maison surtout des notes médiocres.
Le père, qui durant ses journées, traîne en pyjama dans l’appartement, raconte à son fils qu’il a eu mille vies. Il a été footballeur, chanteur avec les Compagnons de la Chanson, agent secret, conseiller du président, il a eu l’idée du nouveau franc, il a été pasteur aux États-Unis... Un fils ne peut que croire son père et cela lui donne une vraie pression pour plaire à son père. Ce dernier a décidé que Charles de Gaulle avait trahi la France en rendant l’Algérie aux algériens, il va donc se donner la mission secrète de supprimer le président et entraîner son fils (au propre comme au figuré) dans cette folle entreprise... Émile va subir un entraînement féroce, gymnastique, pompes, mais doit également poster des lettres de menace, dessiner sur les murs les lettres OAS... Mais il ne fait jamais assez bien pour son père.
Sorj Chalandon est un auteur que j'aime beaucoup mais ce livre m'a dérangé. L'auteur raconte que cette histoire est en partie autobiographique et le lecteur ne peut qu'avoir de l'empathie pour le petit Émile et du dégoût pour ses parents indignes. Ce père est fou, il n’arrête pas de mentir et cette mère laisse faire et ferme les yeux sur les lubies de son mari. C’est de la maltraitance psychologique vis à vis d’un enfant. Sans compter qu’Émile va associer à ce délire l’un de ses camarades de classe et se comporter vis à vis de lui avec l’intransigeance et la violence de son père.
Extrait : (début du livre)
Nous n’étions que nous, ma mère et moi. Lorsque le cercueil de mon père est entré dans la pièce, posé sur un chariot, j’ai pensé à une desserte de restaurant. Les croque-morts étaient trois. Visages gris, vestes noires, cravates mal nouées, pantalons trop courts, chaussettes blanches et chaussures molles. Ni dignes, ni graves, ils ne savaient que faire de leur regard et de leurs mains. J’ai chassé un sourire. Mon père allait être congédié par des videurs de boîte de nuit.
Il pleuvait. Le crématorium, le parc, des arbres de circonstance, des fleurs tombales, un jardin de cimetière bordant une pièce d’eau. Tout empestait le souvenir.
— On va voir s’il y a un poisson ?
Ma mère m’a regardé. Elle a hoché la tête.
— Si tu veux.
Nous avons marché jusqu’au bassin. Elle s’appuyait sur mon bras, se déplaçait avec peine, regardait le sol pour ne pas faire un mauvais pas.
Il y avait un poisson. Une carpe dorée entre les nénuphars.
— Je ne le vois pas.
Elle ne voyait rien, ma mère. Jamais, elle n’avait vu. Elle plissait les yeux. Elle cherchait de son mieux. La carpe jouait avec l’eau du rocher transformé en fontaine, elle glissait sur le sable, fendait la surface, plongeait, remontait gueule ouverte, maraudait un peu d’air. Ma mère a secoué la tête.
— Non. Il n’y a rien.
Alors j’ai entouré ses épaules de mon bras. Je l’ai serrée contre moi. Je me suis penché, elle s’est penchée aussi. De la main, je suivais l’ondoiement paisible de l’animal. J’accompagnais son mouvement. Je montrais le poisson, elle regardait mon doigt. Elle était perdue. Elle avait le visage sans rien. Pas un éclat, pas une lumière. Ses yeux très bleus ne disaient que le silence. Ses lèvres tremblaient. Elle ouvrait une bouche de carpe.
Il y avait un mort avant le nôtre, des dizaines de voitures, un deuil en grand. Nous étions le chagrin suivant. Notre procession à nous tenait à l’arrière d’un taxi. Ma mère s’est assise sur un banc, dans le couloir de la salle de cérémonie. Je suis resté debout. Je voulais sortir. Attendre dehors que tout soit fini.
Déjà lu du même auteur :
Retour à Killybegs Mon traître Le petit Bonzi
La légende de nos pères Le quatrième mur
Le quatrième mur (audio)