Vivement l’avenir – Marie-Sabine Roger
Lu durant le Read-A-Thon
Éditions du Rouergue – août 2010 – 301 pages
Quatrième de couverture :
« Dans les maternités, d’après moi,
il n’y a que des princesses et des princes charmants,
dans les petits berceaux en plastique.
Pas un seul nouveau-né qui soit découragé,
déçu, triste ou blasé.
Pas un seul qui arrive en se disant :
Plus tard, je bosserai en usine pour un salaire de misère.
J’aurai une vie de chiotte et ce sera super.
Tra-la-lère. »
Auteur : Née en 1957 à Bordeaux, Marie-Sabine Roger a toujours été passionnée par l'écriture. Après une carrière de 10 ans comme enseignante en maternelle, elle se consacre entièrement, depuis 1999, à son métier d'écrivain. Mère de trois enfants, elle vit dans la région de Nîmes et a publié de nombreux ouvrages pour la jeunesse et pour adultes.
Mon avis : (lu en octobre 2010)
Voilà un livre plein d’espoir et de chaleur qui est également pour moi un vrai coup de cœur. Les narrateurs sont tour à tour Alex et Cédric. Alex est une solitaire aux allures de garçon qui a été embauchée en CDD dans le poulailler industriel.
Cédric est un jeune de 28 ans, désœuvré qui ne s’imagine aucun avenir. Il passe ses journées au bord du canal avec son copain Olivier, dit le Mérou, à lancer des canettes dans l'eau. Alex est émue par Gérard (ou Roswell), fortement handicapé, qui est le beau-frère de Marlène sa logeuse. Celle-ci a du mal à supporter Roswell et le malmène un peu.
Alex va s'occuper de Roswell, elle lui raconte des histoires, écoute ses poèmes, elle rit avec lui, elle le considère comme une vrai personne et pas comme un « monstre ». Alex va même fabriquer un chariot pour sortir Roswell et c'est en le promenant au bord du canal, ils vont rencontrer Cédric et Olivier. Ensemble, ils vont démontrer vis à vis de Roswell un beau sens de l'amitié, et de la solidarité. Une très belle histoire !
Extrait : (début du livre)
Comment c'était venu dans la conversation, je ne sais plus très bien. C'était venu. C'est tout.
L'origine, elle était peut-être à chercher du côté des clébards, quand la télé avait parlé de ceux qu'on abandonne à la SPA, au début des vacances. Tous ces braves chiens-chiens avec la truffe humide et dans leurs yeux marron de l'amour sans reproche.
- Abandonner son chien ! Si c'est pas malheureux ! a dit Marlène, à un moment, en caressant Tobby. La peine de mort, il leur faudrait, à tous ces salopards !
- Bah ! La peine de mort, faut pas pousser, non plus... Mais de la tôle, oui. Là, je dirais pas non ! a répondu Bertrand, de sa voix toujours calme.
Jamais je ne l'ai vu énervé, celui-là.
Marlène a secoué la tête. Quand elle a une idée, elle s'y tient.
- La peine de mort et voilà tout. Hein, mon Tobby, mon amour, mon pépère ? La guillotine, hein ? Et en plusieurs fois, tant qu'à y être. À petits coups de cisaille, tchak tchak.
- La guillotine, ben voyons ! a dit Bertrand.
Roswell s'est marré. Il se marre tout le temps.
Moi j'étais dans mon coin, je lisais, sans rien dire. Je parle rarement. Ça servirait à quoi ?
Mais l'origine était sans doute aussi dans la bêtise de Roswell, un peu plus tôt dans la soirée. Parce qu'il avait voulu se faire du pop-corn, sans rien demander à personne.
Il pourrait se nourrir de pop-corn, de frites et de Coca, il en est fou.
Il avait allumé le gaz, tout seul, posé la poêle sur le feu, bien huilée comme il faut selon la procédure. Et puis il l'avait oubliée, forcément.
Roswell n'a pas de suite dans les idées. Peut-être pas d'idées, non plus. Tout au plus des initiatives.
Alors, quand Marlène est allée dans la cuisine pour mettre l'eau des pâtes à chauffer, tout était envahi d'une fumée épaisse et âcre, qui piquait salement les yeux.
Elle a crié :
- Ah ben ça, ah ben ça ! Mais c'est quoi, ce bordel ?!
Elle a ouvert la fenêtre en urgence, en envoyant valser tout ce qui était devant : la passoire en métal, le pichet, la salière et les couverts en bois. Elle a balancé la poêle dans l'évier, fait couler l'eau en grand, c'est parti en vapeur. Il n'est plus resté que l'odeur.
Quand elle est revenue dans la salle à manger, Marlène hurlait que non, alors là non ! Non, cette fois, on avait dépassé la mesure du comble ! Elle disait qu'il avait encore failli tout faire cramer, ce crétin, ce taré ! Qu'un beau jour, la maison, ça serait plus qu'un tas de cendres en ruines, et par la faute à qui ?
Roswell a rigolé, mais pas d'un rire franc.
Moi qui le connais mieux que le reste du monde, puisque je suis la seule à me soucier de lui, je voyais bien qu'il avait les miquettes, rien qu'à cette façon de coller du regard aux gestes de Marlène, de ne pas la quitter de l'oeil, surtout pas, au cas où.
Marlène, elle a parfois la main leste, avec lui. Lourde, aussi. Mais elle a seulement soupiré, en se tournant vers moi :
- Va me le mettre au pieu, tiens ! Moi je peux plus le voir, il me pile l'humeur, j'en ai les nerfs qui me sortent des gaines !
- Il a mangé ? a fait Bertrand.
- Il a pas faim !
J'ai aidé Roswell à sortir du fauteuil. On a pris l'escalier, lui devant, moi derrière, pour parer, au cas où. Je l'ai fait arrêter aux toilettes. Après, je l'ai mené jusqu'à sa chambre. Je l'ai aidé à se déshabiller, à enfiler son pyjama, je lui ai mis sa couche pour la nuit. J'ai remonté la couette sous son menton barbu, je lui ai enlevé ses lunettes, je lui ai porté un verre d'eau.
Il a chuchoté :
- Hésschantille-hein ?
J'ai dit ben oui, bien sûr ! Bien sûr, je suis gentille ! Tu le sais bien, non ?
- Hhhui. Hésschantille, toi.
- Oui, je suis gentille, moi. Et toi, tu devrais éviter de faire
du pop-corn !
Il a rigolé. J'ai montré la veilleuse, d'un hochement de tête. Il a fait no-no-non, no-no-non ! Je sais bien qu'il a peur du noir. Du noir, des araignées, des guêpes, des orages. Et de Marlène, aussi. De Marlène, surtout.
J'ai touché de l'index ma visière invisible, OK chef, compris chef, je te la laisse allumée, ta lumière. Il a souri de tout son trop de dents qui encombre sa bouche, de ses gencives de mulet. Il a refait mon geste, en me saluant, la main un peu en travers de sa joue.
- Oké-sschef !
Je lui ai fait un clin d'oeil avant de refermer la porte. Il avait déjà pris le coin de son drap pour téter. Il a cligné des yeux, les deux en même temps. Un seul, il ne sait pas le faire.
Comme chaque soir, j'ai pensé : Sacré Roswell ! Tu es tombé dans un piège à cons, le jour où tu es sorti du ventre de ta mère.
Livre 13/14 pour le Challenge du 2% littéraire