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22 octobre 2015

Venus d'ailleurs - Paola Pigani

venus d'ailleurs Liana Levi - août 2015 - 208 pages

Quatrième de couverture :
Au printemps 1999, Mirko et sa soeur Simona, des Albanais du Kosovo d une vingtaine d'années, ont fui leur pays déchiré par la guerre. La route de l'exil les a menés quelque temps en Italie, puis dans un centre de transit en Haute-Loire. En 2001 ils décident de tenter leur chance à Lyon. Simona est combative et enthousiaste. Très vite, elle trouve un travail, noue des amitiés, apprend le français avec une détermination stupéfiante. Elle fait le choix volontariste de l'intégration là où son frère, plus secret, porte en lui la nostalgie de ce qu'il a laissé au Kosovo. Pour lui, le français est la langue des contremaîtres et de la rue. Le jour, il travaille sur des chantiers. La nuit, il dort dans un foyer. Les moments de pause, il gagne les lisières de la ville et peint des graffs rageurs sur les murs. C'est ainsi qu'il rencontre Agathe, déambule avec elle, partage un amour fragile face aux séquelles d'une guerre encore trop proche.
Ce roman tout en retenue raconte les étapes du parcours des réfugiés dans une métropole devenue dès 1999 un point d accueil privilégié des réfugiés kosovars en France. En filigrane : la beauté de la ville, l'art, l'exil, la différence, la liberté, la foi en l'humain.

 

Auteur : Paola Pigani a grandi en Charente dans une famille d'immigrés italiens. Elle vit aujourd hui à Lyon où elle partage son temps entre son travail d'éducatrice et l'écriture. Après N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures (Liana Levi 2013, Piccolo 2014), un premier roman très remarqué, récompensé par sept prix littéraires, retraçant l'internement d une famille manouche au camp des Alliers entre 1940 et 1946, Venus d'ailleurs est son deuxième roman.

Mon avis : (lu en octobre 2015)
Fin 1999, c'est la guerre civile au Kosovo. Mirko et Simona sont frère et sœur, Albanais du Kosovo, ils décident de fuir la guerre et partent sur les routes de l'Europe vers l'Italie puis la France. Après un périple long et éprouvant, ils s'installent finalement à Lyon. Mirko va trouver du travail dans le bâtiment, Simona  comme vendeuse de prêt-à-porter. Ils sont partis dans le but d'avoir une vie meilleure, mais ils ont une perception différente de la vie de migrant. Simona a la volonté de s'intégrer rapidement, elle apprend sans relâche du vocabulaire français, avec courage, elle entreprend les démarches administratives pour qu'elle et son frère soient reconnus comme réfugiés politiques. Mirko a le mal du pays, il n'arrive pas à oublier la famille restée au pays, il se sent fautif de les avoir abandonnés. Solitaire, peu bavard, il crie sa douleur dans les graphes qu'il laisse sur les murs de la ville. Il va rencontrer Agathe, une artiste peintre.
Même si l'histoire se situe en 2001, elle traite d'un sujet tout à fait d'actualité, avec beaucoup d'humanité et beaucoup d'empathie l'auteur raconte ce qu'est le déracinement pour deux personnages attachants.

 

Extrait : (début du livre)
Le raclement de la truelle a une cadence presque douce. Un bruit répétitif qui accompagne le corps de Mirko dans la lumière humide. La grue pivote sur la droite, cache le soleil quelques secondes. Une ombre fugitive qui lui fait relever la tête. Des oiseaux, apeurés par le mouvement de l’engin, s’enfuient et reviennent avec la même rapidité. Mirko travaille.
On pose des plaques de ciment. Les murs montent en quelques heures. La grue oriente les coffrages en fonte. Trois types en guident le mouvement avec des grands gestes, des han, des cris. On ne risque pas d’entendre celui qui orchestre tout cela, de là-haut, dans sa cabine. Pendant la manœuvre, les autres fument une cigarette, les yeux rivés sur le manège de l’engin. Dans le bleu du ciel, sa chaîne immense balance un énorme crochet de boucher ou quelque chose qui y ressemble. Quelque chose qui pourrait soulever une carcasse d’éléphant ou un monstre imaginaire sur ce chantier banal. Le bâti prend forme. Mirko travaille dans le futur. Tout ici a une odeur de futur, le ciment, la poussière, la sciure, les planches, l’acier des échafaudages, la peinture. Rien qui lui rappelle la terre du pays d’où il vient. Un ouvrier siffle une jolie passante, aperçue d’en haut. Un autre l’engueule. Un troisième s’immisce entre eux. 
– Siffle pas comme ça, ça fait fuir les gazelles des villes. Moi, je chante, la femme lève les yeux, et je peux voir son visage.
Les gars haussent les épaules. Pour la plupart, ils ne prennent pas le temps de regarder la rue. Quelques uns fredonnent à longueur de journée comme d’autres crachent, fument. À chacun sa respiration, sa patience ou son impatience pour tenir debout huit heures durant. Oublier les coups de burin, les coups de reins dans la tâche de chaque jour. Penser au café ou à la bière qu’on va s’offrir après. Mirko, lui, n’a rien à chanter, rien à raconter. Il préfère regarder les autres, deviner leurs histoires, leur vie à reconstruire entre silence intérieur et vacarme du chantier.
Chaque fois qu’on lui parle, Kevin renifle, se cache le visage dans son coude replié au prétexte de tousser . Mirko l’attrape par la manche, lui fait signe de reculer. Deux gars remplissent la nacelle de mortier frais. Leurs bras, leurs mains travaillent à l’aveugle. Des corps pleins de bravoure qui ignorent Kevin, ses gestes maladroits, ses pieds en travers qui risquent toujours de se faire écraser, ses outils qu’il ne range jamais où il faut. Tout semble tourner autour de lui sans qu’il le remarque. Un monde en apesanteur où il est par fois plus lourd qu’un socle de grue. Il faut toujours avoir un œil sur « le Coto ».
Mirko l’observe à la dérobée. Kevin vérifi e tout avec un niveau. Fasciné par la bulle qui bouge dans le tube jusqu’à s’immobiliser et donner raison à leur travail à tous. Juste une bulle dans le mille. Kevin a une notion très personnelle de la perfection de l’existence. Mirko est le seul à l’appeler par son prénom. Il l’a vu écrit au marqueur sur son gilet de sécurité. Entre eux, aucun point commun. L’un est grand, brun, les traits tendus, le sourire rare, une mélancolie qui stagne au fond des yeux. L’autre, chafouin, pâle, s’amuse et s’assombrit pour un rien. Dans ses cheveux blonds coupés très court, on peut voir des plaques d’eczéma. Hier ils ont quitté le chantier ensemble.
– Mirko, c’est ton vrai nom ?
– Oui.
– Moi, Coto, c’est pas mon vrai nom. C’est eux qui disent…
– Pourquoi Coto ?
– À cause de la Cotorep.
– C’est quoi ?
– Une aide pour les handicapés. Mais j’ai pas droit à ça. C’est eux qui croient. Mirko s’étonne de ce gamin, de son corps léger qui ne sait jamais où se poser dans cet univers brutal, dans ce vide où il faut construire, choisir les bons outils. Un ballet de gestes à ajuster pour trouver sa place. C’est Kevin le premier à avoir posé ses petits yeux plissés sur sa main mutilée.
– Qu’est-ce t’as fait avec ta main ?
– C’est vieux, accident. Les deux doigts qui manquent, ils sont restés dans mon pays.
– T’as le droit de travailler avec ça ?
– J’ai toujours deux mains, tu vois.
– C’est où ton pays ? La Roumanie ?
– Non, Kosovo.
– C’est loin ?
– Oui, trop loin.

 

Déjà lu du même auteur :

 

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Commentaires
M
Ma prochaine lecture, justement ! ;-)
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