Zeitoun - Dave Eggers
Lu en partenariat avec Livraddict et les éditions Folio
Gallimard - avril 2012 - 416 pages
Folio - novembre 2013 - 432 pages
traduit de l'américain par Clément Baude
Titre original : Zeitoun, 2009
Quatrième de couverture :
Ce livre n’est pas un roman mais une histoire vraie. Originaire de Syrie, marié à une jeune Américaine convertie à l’islam, Zeitoun a fondé à La Nouvelle-Orléans une entreprise de bâtiment prospère avant que l’ouragan Katrina ne dévaste la ville en 2005. Malgré la fuite de sa famille, il décide de rester sur place. Sur un petit canoë, il explore les quartiers engloutis, vient en aide aux personnes prisonnières chez elles, nourrit les chiens abandonnés… Un jour, la Garde nationale l’arrête, l’accusant d’être un pilleur des rues. Dave Eggers, prix Médicis étranger pour Le grand Quoi, nous raconte l’histoire saisissante d’un homme confronté aux forces de la nature puis aux injustices d’une société violente.
Auteur : Dave Eggers est l'éditeur de la revue McSweeney's et l'auteur de romans et de recueils de nouvelles parmi lesquels Suive qui peut (2003), Pourquoi nous avons faim (2007) et Le grand Quoi (2009). Il a créé à San Francisco 826 Valencia, une fondation à but non lucratif qui vient en aide aux enfants pauvres.
Mon avis : (lu en janvier 2014)
Ayant beaucoup aimé Le grand Quoi de Dave Eggers, lorsque ce livre a été proposé en partenariat par Livraddict et les éditions Folio je n'ai pas hésité. D'autant plus que j'avais déjà lu quelques romans autour de ce terrible ouragan Katrina.
La note qui ouvre le livre est claire « Ce livre n’est pas un roman. Il repose avant tout sur les témoignages d’Abdulrahman et Kathy Zeitoun. » Ce livre est le fruit de trois ans de travail de l'auteur, il a recueilli le plus fidèlement possible les paroles de Abdulrahman Zeitoun et de sa femme Kathy. Il a également recoupé ces témoignages avec des sources indépendantes et des documents officiels.
Ce récit est fait chronologiquement et commence le 26 août 2005, la famille de Zeitoun s'apprête à passer une journée comme les autres. Zeitoun est originaire de Syrie, il est marié avec Kathy une américaine, ils ont 4 enfants et Zeitoun est entrepreneur dans le bâtiment à La Nouvelle-Orléans. L'ouragan est annoncé mais rien n'est affolant, les tempêtes sont assez fréquentes en cette saison. Mais dans le week-end, les bulletins météo deviennent de plus en plus alarmistes et Kathy préfère quitter la Nouvelle Orléans avec ses enfants, Zeitoun décide de rester pour surveiller ses maisons et ses chantiers en cours. Il pense que c'est son devoir de rester, il pourra se rendre utile. Il restera en contact avec Kathy par téléphone.
L'ouragan passé, Zeitoun va subir également l'inondation de la ville après la rupture des digues et avec le canoë qu'il avait dans son garage, il va aider des personnes âgés restées bloquées dans leur maison, il nourrira aussi des chiens abandonnés dans les maisons voisines. Kathy suivant les événements par l'intermédiaire de la télévision supplie Zeitoun de venir les rejoindre mais en vain. Jusqu'au jour où Kathy n'arrive plus à joindre son mari, elle n'a plus aucune nouvelle et craint le pire.
Zeitoun a été brutalement arrêté par la police, accusé de terrorisme, de pillage et jeté comme un chien en prison, sans jamais pouvoir prévenir les siens...
C'est très intéressant de suivre précisément les évènements, avant, pendant et après l'ouragan Katrina. Mais ce témoignage est édifiant sur l'absence d'organisation pour secourir les personnes bloquées chez elle, sur les interventions "cow-boy" de la police pour arrêter des soi-disant pillards sans aucune vérification, sans laisser à la personne la possibilité de s'expliquer ou de prévenir les siens. J'avais bien entendu dire que l'Administration Bush n'avait pas été à la hauteur lors de la tragédie de Katrina mais ce que j'ai découvert dans ce livre est inimaginable. Rien n'est organisé ni l'évacuation des quartiers, ni le sauvetage des sinistrés mais en quelques heures les autorités trouvent les moyens de monter une prison... Le comportement violent, hystérique, inhumain, humiliant de la police vis à vis de Zeitoun et ses camarades d'infortune est ahurissant. Difficile de croire que ce pays est une démocratie...
Merci à Livraddict et aux éditions Folio de m'avoir permis de découvrir ce témoignage qui fait froid dans le dos.
Extrait : (début du livre)
VENDREDI 26 AOÛT 2005
Par les nuits sans lune, les hommes et les garçons de Jableh, un port de pêche poussiéreux sur la côte syrienne, avaient l’habitude de prendre leurs lanternes et de monter sur leurs bateaux les plus silencieux. Cinq ou six petites embarcations, chacune avec deux ou trois pêcheurs à son bord. À un mille de la côte, ils disposaient les bateaux en cercle sur la mer noire, jetaient leurs filets et, tenant leurs lanternes au-dessus de l’eau, imitaient la lune.Bientôt les poissons, des sardines, se rassemblaient et formaient une masse argentée qui remontait lentement des fonds. Ils étaient attirés par le plancton, et le plancton l’était par la lumière. Ils se mettaient à tourner en cercle, comme une chaîne au maillage lâche, et leur nombre ne cessait de croître pendant l’heure qui suivait. Les brèches obscures entre les maillons d’argent se comblaient, jusqu’à ce que les pêcheurs voient sous l’eau une masse d’argent compacte tournant sur elle-même.
Abdulrahman Zeitoun n’avait que treize ans lorsqu’il commença à pêcher la sardine selon cette technique, empruntée aux Italiens, qu’on appelle la lampara. Mais avant de rejoindre les hommes et les adolescents sur les bateaux de nuit, il avait dû attendre des années, au cours desquelles il n’avait cessé de poser des questions. Pourquoi seulement par les nuits sans lune ? Car, lui expliquait son frère Ahmad, quand la lune brillait, le plancton était visible partout, répandu dans toute la mer, si bien que les sardines pouvaient voir et manger sans difficulté les organismes éclairés. Mais en l’absence de lune, les pêcheurs pouvaient en fabriquer une et attirer à la surface d’incroyables quantités de sardines. « Il faut que tu voies ça, disait Ahmad à son petit frère. Tu n’as jamais vu une chose pareille. »
Lorsque Abdulrahman vit pour la première fois les sardines former leur cercle dans le noir, il n’en crut pas ses yeux, saisi par la beauté de cette boule argentée qui ondulait sous la lumière blanc et or des lanternes. Il ne prononça pas un mot, et les autres pêcheurs aussi prenaient garde de ne pas faire de bruit, pagayant moteur coupé, de peur d’effrayer leur pêche. D’un bateau à l’autre, tout en regardant le poisson remonter et virevolter sous eux, ils murmuraient, échangeaient des blagues, parlaient des femmes ou des filles. Au bout de quelques heures, une fois que les sardines étaient prêtes et miroitaient par dizaines de milliers dans la lumière réfractée, les pêcheurs serraient leurs filets et les remontaient.
Avant l’aube, ils avaient regagné la côte, au moteur, et livré les sardines au mareyeur du marché ; celui-ci payait les hommes et les garçons, puis se chargeait de vendre le poisson dans tout l’ouest de la Syrie — Lattaquié, Banias, Damas. Les pêcheurs se partageaient l’argent. Abdulrahman et Ahmad rapportaient tout à la maison. Leur père étant mort l’année précédente et leur mère ayant les nerfs et la santé fragiles, tout l’argent gagné à la pêche allait au bien-être du foyer, où ils vivaient avec leurs dix frères et sœurs.
D’un autre côté, Abdulrahman et Ahmad se fichaient pas mal de l’argent. Ils l’auraient fait gratis.
Trente-quatre ans plus tard, à des milliers de kilomètres à l’ouest, un vendredi matin, Abdulrahman Zeitoun était dans son lit et quittait peu à peu la nuit sans lune de Jableh, dont un souvenir confus imprégnait encore son rêve. Il était chez lui, à La Nouvelle-Orléans. À ses côtés, il entendait respirer sa femme Kathy, dont le souffle ressemblait au clapotis de l’eau contre la coque d’un bateau en bois. Hormis cela, le silence régnait dans la maison. Zeitoun savait que 6 heures allaient bientôt sonner et que le calme ne durerait pas. Généralement, la lumière du jour réveillait les enfants à l’instant où elle atteignait leurs fenêtres, au premier étage. Un des quatre ouvrait les yeux ; à partir de là, l’agitation commençait, la maison devenait vite animée. Dès qu’un enfant s’éveillait, il devenait impossible de maintenir les trois autres au lit.
Kathy fut réveillée par un bruit sourd, en haut, dans une des chambres des enfants. Elle tendit l’oreille et pria pour avoir un peu de répit. Chaque matin, il y avait en effet un moment critique, entre 6 heures et 6 h 30, où une chance, même infime, s’offrait à eux de gagner encore dix ou quinze minutes de sommeil. Mais il y eut un deuxième bruit sourd, et le chien aboya, et un autre bruit sourd suivit. Que se passait-il dans cette maison ? Kathy se tourna vers son mari. Il contemplait le plafond. La journée venait de commencer en fanfare.
Comme d’habitude, le téléphone se mit à sonner avant même qu’ils aient posé le pied par terre. Kathy et Zeitoun — la plupart des gens l’appelaient par son nom de famille car ils n’arrivaient pas à prononcer son prénom — dirigeaient une société, la Zeitoun A. Painting Contractor LLC, et chaque jour les ouvriers, les clients, ou toute personne disposant d’un téléphone et de leur numéro, trouvaient normal d’appeler dès 6 h 30. Et ils ne se gênaient pas. En général, il y avait tellement d’appels à cette heure-là que la moitié d’entre eux étaient directement renvoyés vers la messagerie vocale.
46/50 : Louisiane
Déjà lu du même auteur :
Le grand Quoi : Autobiographie de Valentino Achak Deng
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