Le Roi n'a pas sommeil - Cécile Coulon
Lu dans le cadre du Challenge Un mot, des titres...
Le mot : ROI
Viviane Hamy - janvier 2012 - 143 pages
Quatrième de couverture :
« Ce que personne n'a jamais su, ce mystère dont on ne parlait pas le dimanche après le match, cette sensation que les vieilles tentaient de décortiquer le soir, enfouies sous les draps, cette horreur planquée derrière chaque phrase, chaque geste, couverte par les capsules de soda, tachée par la moutarde des hot-dogs vendus avant les concerts ; cette peur insupportable, étouffée par les familles, les chauffeurs de bus et les prostituées, ce que personne n'a pu savoir, c'est ce que Thomas avait ressenti quand le flic aux cheveux gras lui avait passé les bracelets, en serrant si fort son poignet que le sang avait giclé sur la manche de sa chemise. »
Tout est là : le mutisme, le poids des regards, l'irrémédiable du destin d'un enfant sage, devenu trop taciturne et ombrageux. Thomas Hogan aura pourtant tout fait pour exorciser ses démons - les mêmes qui torturaient déjà son père.
Quand a-t-il basculé ? Lorsque Paul l'a trahi pour rejoindre la bande de Calvin ? Lorsqu'il a découvert le Blue Budd, le poker et l'alcool de poire ? Lorsque Donna l'a entraîné naïvement derrière la scierie maudite ?
La sobriété du style de Cécile Coulon - où explosent soudain les métaphores - magnifie l'âpreté des jours, communique une sensation de paix, de beauté indomptable, d'indicible mélancolie.
Méfiez-vous des enfants sages, écrit par une jeune fille de vingt ans, avait plus qu'impressionné les lecteurs. Ils seront éblouis par Le Roi n'a pas sommeil.
Auteur : Cécile Coulon est née en 1990. Elle poursuit ses études de Lettres Modernes à Clermont-Ferrand. À dix-sept ans, elle publie un premier roman (inspiré de L’ Éducation sentimentale de Flaubert), Le Voleur de vie, puis un recueil de nouvelles Sauvages. Outre Steinbeck, Maupin, Bret Easton Ellis, Proust, elle est passionnée de cinéma (Pasolini, La Nuit du chasseur, The Big Lebowski, L’Année dernière à Marienbad, etc ...) et de musique (Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Ramones).
Mon avis : (lu en février 2013)
J'avais entendu de ce livre à sa sortie, lorsque la jeune auteur avait été invitée à La Grande Librairie, j'avais noté le titre de son livre dans ma LAL et le rendez-vous Un mot des titres est l'occasion toute trouvé pour le découvrir.
Nous sommes dans les États-Unis des années 30, dans une région forestière et rurale. Le livre s'ouvre sur l'issue sombre de l'histoire avec l'arrestation de Thomas Hogan et la douleur de sa mère. L'auteur revient alors sur la genèse du récit.
Thomas Hogan est le fils de Mary et William. Contrairement à son père qui est une force de la nature, c'est un jeune enfant frêle et fragile. William est autoritaire et bourru, il meurt assez jeune à la suite d'un accident de travail. Thomas va alors grandir seul avec sa mère, enfant timide et sage, à l'adolescence il est mal dans sa peau, une révolte gronde en lui...
Un récit sombre, une très belle écriture et un livre plutôt sympathique.
Extrait : (début du livre)
Ce que personne n'a jamais su, ce mystère dont on ne parlait pas le dimanche après le match, autour d'une bière fraîche, cette sensation que les vieilles tentaient de décortiquer le soir, enfouies sous les draps, ce poids, cette horreur planquée derrière chaque phrase, chaque geste, couverte par les capsules de soda, tachée par la moutarde des hot-dogs vendus avant les concerts ; cette peur insupportable, étouffée par les familles, les écoliers, les chauffeurs de bus et les prostituées, ce que personne n'a pu savoir, c'est ce que Thomas avait ressenti quand le flic aux cheveux gras était venu lui passer les bracelets, en serrant si fort son poignet que le sang avait giclé sur la manche de sa chemise.
Ce type, uniforme neuf et godasses de mirliton, ne souriait pas. Il portait les deux boucles de métal pendues à sa ceinture comme des boules de Noël à la branche d'un sapin. Thomas n'était qu'une fripouille de plus, une espèce de charognard qu'il aurait fallu tuer dans l'oeuf.
Bingo. Je vais l'envoyer dans un endroit où tu pourras tâter des barres de fer toute la sainte journée. Tu dois payer. Crois-moi, si j'en avais eu l'occasion, je t'aurais dérouillé depuis longtemps.
Personne n'a jamais su.
Quand la mère de Thomas s'est précipitée hors de chez elle, sa robe à moitié défaite, ils n'ont pas vraiment compris.
Elle a crié plus fort que les sirènes de toutes les casernes de la région. Le vieux Puppa, assis sur son fauteuil délabré, n'a pas bougé d'un pouce ; ses yeux sont restés clos, sa bouche émettait de drôles de grincements : les gonds d'une porte de saloon. Puppa connaissait Mary depuis sa plus tendre enfance. Ils avaient joué au billard, trouvé des planques pour fumer leurs premières cigarettes, mangé des hamburgers avec les autres poulettes de la ville.
Ils s'étaient frottés les uns contre les autres sur des couvertures qui sentaient le sapin et le whisky frelaté.
Elle criait à la manière d'un poulain qu'on égorge. Quand sa voix s'était muée en un hennissement de désespoir, les souvenirs du vieillard avaient surgi d'un coup d'un seul. Ils chuchotaient, bourdonnaient en lui telles des abeilles autour d'un pissenlit. Tandis que Mary perdait les pédales au milieu de la rue principale, Puppa s'était rendu compte qu'il ne savait pas pourquoi Thomas avait pris le mauvais tournant au moment où tout lui souriait. Il n'y avait aucune raison, se disait-il, pour que cette histoire se termine ainsi.