Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran – Éric-Emmanuel Schmitt
Albin Michel - juin 2001 – 60 pages
Magnard – juillet 2004 – 110 pages
Livre de Poche – mars 2012 – 96 pages
Quatrième de couverture :
A treize ans, Momo se retrouve livré à lui-même. Il a un ami, un seul. Monsieur Ibrahim, l'épicier de la rue Bleue.
Mais les apparences sont trompeuses :
La rue Bleue n'est pas bleue.
L'Arabe n'est pas arabe.
Et la vie n'est peut-être pas forcément triste...
Auteur : Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Éric-Emmanuel Schmitt s’est d’abord fait connaître au théâtre avec Le Visiteur, cette rencontre hypothétique entre Freud et peut-être Dieu, devenue un classique du répertoire international. Rapidement, d’autres succès ont suivi : Variations énigmatiques, Le Libertin, Hôtel des deux mondes, Petits crimes conjugaux, Mes Evangiles, La Tectonique des sentiments… Plébiscitées tant par le public que par la critique, ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l’Académie française. Son œuvre est désormais jouée dans plus de quarante pays.
Il écrit le Cycle de l’Invisible, quatre récits sur l’enfance et la spiritualité, qui rencontrent un immense succès aussi bien sur scène qu’en librairie : Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose et L'enfant de Noé. Une carrière de romancier, initiée par La Secte des égoïstes, absorbe une grande partie de son énergie depuis L’Evangile selon Pilate, livre lumineux dont La Part de l’autre se veut le côté sombre. Depuis, on lui doit Lorsque j’étais une œuvre d’art, une variation fantaisiste et contemporaine sur le mythe de Faust et une autofiction, Ma Vie avec Mozart, une correspondance intime et originale avec le compositeur de Vienne. S'en suivent deux recueils de nouvelles : Odette Toulemonde et autres histoires, 8 destins de femmes à la recherche du bonheur, inspiré par son premier film, et la rêveuse d'Ostende, un bel hommage au pouvoir de l'imagination. Dans Ulysse from Bagdad, son dernier roman, il livre une épopée picaresque de notre temps et interroge la condition humaine. Encouragé par le succès international remporté par son premier film Odette Toulemonde, il adapte et réalise Oscar et la dame rose.
Mon avis : (lu en mai 2012)
A douze ans, Moïse dit Momo est livré à lui-même. Son père qui l’élève n’est pas très présent. Momo habite la rue Bleue.
Monsieur Ibrahim est l'Arabe de la rue Bleue. Il est musulman et est originaire de Turquie, « Arabe, ça veut dire ouvert la nuit et le dimanche, dans l’épicerie. » Toujours souriant, il devient comme un père pour Momo. C’est la rencontre d’un enfant et d’un adulte, d’un juif avec un musulman. Ce livre qui se lit d’une traite est une leçon de tolérance, de sagesse. C’est à la fois grave et plein d’humour, léger et profond.
Cette belle histoire m’a également fait penser à « La vie devant soi » de Romain Gary.
Le roman a été adapté en 2003 pour le cinéma par le réalisateur François Dupeyron avec Omar Sharif, Pierre Boulanger, Jérémy Sitbon, Éric Caravaca, Gilbert Melki, Isabelle Renauld, Lola Naymark, Anne Suarez, Mata Gabin, Céline Samie, Isabelle Adjani.
Omar Sharif a reçu le César du meilleur acteur en 2004 pour le rôle de monsieur Ibrahim.
Depuis le 12 avril et jusqu’au 1er juillet 2012, la pièce Mr Ibrahim et les fleurs du Coran est à l’affiche du Théâtre Rive Gauche, interprété par Francis Lalanne.
Éric-Emmanuel Schmitt en personne le remplacera pour 9 dates exceptionnelles les 27 avril, 10, 11, 12 et 31 mai et 1, 2, 8 et 9 juin.
Extrait : (début du livre)
À onze ans, j’ai cassé mon cochon et je suis allé voir les putes.
Mon cochon, c’était une tirelire en porcelaine vernie, couleur de vomi, avec une fente qui permettait à la pièce d’entrer mais pas de sortir. Mon père l’avait choisie, cette tirelire à sens unique, parce qu’elle correspondait à sa conception de la vie : l’argent est fait pour être gardé, pas dépensé.
Il y avait deux cents francs dans les entrailles du cochon. Quatre mois de travail.
Un matin, avant de partir au lycée, mon père m’avait dit :
— Moïse, je ne comprends pas… Il manque de l’argent… désormais, tu inscriras sur le cahier de la cuisine tout ce que tu dépenses lorsque tu fais les courses.
Donc, ce n’était pas suffisant de me faire engueuler au lycée comme à la maison, de laver, d’étudier, de cuisiner, de porter les commissions, pas suffisant de vivre seul dans un grand appartement noir, vide et sans amour, d’être l’esclave plutôt que le fils d’un avocat sans affaires et sans femme, il fallait aussi que je passe pour un voleur !
Puisque j’étais déjà soupçonné de voler, autant le faire.
Il y avait donc deux cents francs dans les entrailles du cochon. Deux cents francs, c’était le prix d’une fille, rue de Paradis.
C’était le prix de l’âge d’homme.
Les premières, elles m’ont demandé ma carte d’identité. Malgré ma voix, malgré mon poids – j’étais gros comme un sac de sucreries –, elles doutaient des seize ans que j’annonçais, elles avaient dû me voir passer et grandir, toutes ces dernières années, accroché à mon filet de légumes.
Au bout de la rue, sous le porche, il y avait une nouvelle. Elle était ronde, belle comme un dessin. Je lui ai montré mon argent. Elle a souri.
— Tu as seize ans, toi ?
— Ben ouais, depuis ce matin.
On est montés. J’y croyais à peine, elle avait vingt-deux ans, c’était une vieille et elle était toute pour moi. Elle m’a expliqué comment on se lavait, puis comment on devait faire l’amour…
Évidemment, je savais déjà mais je la laissais dire, pour qu’elle se sente plus à l’aise, et puis j’aimais bien sa voix, un peu boudeuse, un peu chagrinée. Tout le long, j’ai failli m’évanouir. À la fin, elle m’a caressé les cheveux, gentiment, et elle a dit :
— Il faudra revenir, et me faire un petit cadeau.
Ça a presque gâché ma joie : j’avais oublié le petit cadeau. Ça y est, j’étais un homme, j’avais été baptisé entre les cuisses d’une femme, je tenais à peine sur mes pieds tant mes jambes tremblaient encore et les ennuis commençaient : j’avais oublié le fameux petit cadeau.
Je suis rentré en courant à l’appartement, je me suis rué dans ma chambre, j’ai regardé autour de moi ce que je pouvais offrir de plus précieux, puis j’ai recouru dare-dare rue de Paradis. La fille était toujours sous le porche. Je lui ai donné mon ours en peluche.
C’est à peu près au même moment que j’ai connu monsieur Ibrahim.
Monsieur Ibrahim avait toujours été vieux. Unanimement, de mémoire de rue Bleue et de rue du Faubourg-Poissonnière, on avait toujours vu monsieur Ibrahim dans son épicerie, de huit heures du matin au milieu de la nuit, arc-bouté entre sa caisse et les produits d’entretien, une jambe dans l’allée, l’autre sous les boîtes d’allumettes, une blouse grise sur une chemise blanche, des dents en ivoire sous une moustache sèche, et des yeux en pistache, verts et marron, plus clairs que sa peau brune tachée par la sagesse.
Déjà lu du même auteur :
Oscar et la dame rose
Odette Toulemonde et autres histoires
La rêveuse d'Ostende
Ulysse from Bagdad
Le sumo qui ne pouvait pas grossir
L'enfant de Noé
Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent...
Challenge Eric Emmanuel Schmitt
Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012
"Végétal"