La liste de mes envies – Grégoire Delacourt
JC Lattès – février 2012 – 186 pages
Présentation de l'éditeur :
Jocelyne, dite Jo, rêvait d’être styliste à Paris. Elle est mercière à Arras. Elle aime les jolies silhouettes mais n’a pas tout à fait la taille mannequin. Elle aime les livres et écrit un blog de dentellières. Sa mère lui manque et toutes les six minutes son père, malade, oublie sa vie. Elle attendait le prince charmant et c’est Jocelyn, dit Jo, qui s’est présenté. Ils ont eu deux enfants, perdu un ange, et ce deuil a déréglé les choses entre eux. Jo (le mari) est devenu cruel et Jo (l’épouse) a courbé l’échine. Elle est restée. Son amour et sa patience ont eu raison de la méchanceté. Jusqu’au jour où, grâce aux voisines, les jolies jumelles de Coiff’Esthétique, 18.547.301€ lui tombent dessus. Ce jour-là, elle gagne beaucoup. Peut-être.
Auteur : Né en 1960 à Valenciennes, Grégoire Delacourt est publicitaire. Très remarqué pour L’Écrivain de la famille, son premier roman, on lui doit aussi de fameuses campagnes pour Cœur de Lion, EDF, Apple, Lutti (« Un Lutti d’offert, c'est un Lutti de perdu »).
Mon avis : (lu en avril 2012)
La première fois que j'ai entendu parler de ce livre, c'est sur le blog de Sandrine, puis il a été présenté au Café Lecture de la Bibliothèque. J'avais donc très envie de le lire... Et j'ai beaucoup aimé !
Jocelyne est mercière à Arras, elle mène une existence tranquille entre son commerce et son blog dixdoigtsdor où elle écrit « chaque matin à propos du bonheur du tricot, de la broderie, de la couture. » Elle est mariée à Jocelyn, ils ont trois enfants Romain, Nadine et Nadège. Cette dernière est « un ange », car le jour de la naissance de Nadège est aussi celui de sa mort. Ce jour là, quelque chose s'est cassée entre Jocelyn et Jocelyne. Pourtant, ils sont restés ensemble.
Lorsque le livre commence, Jocelyne a 47 ans et finalement elle se satisfait de sa vie, elle a mis ses rêves de côté. Or un jour, poussée par ses copines les jumelles Danièle et Françoise, elle joue exceptionnellement à l'Euro Million et elle gagne plus de dix-huit millions d'euros. C'est le choc et Jocelyne préfère ne rien dire à personne. Discrètement, elle va chercher son chèque, mais préfère le cacher plutôt que l'encaisser tout de suite. Elle veut auparavant réfléchir à ce qu'elle pourrait faire de cette fortune. Elle commence par faire une liste de ses besoins, puis une liste de ses folies...
Jocelyne est un personnage si attachant, elle est simple, sincère avec beaucoup de bon sens. Doit-elle oui ou non profiter de son gain ? Cela ne risque-t-il pas de tout bousculer dans sa vie ? Dans sa relation avec les autres ?
Une très jolie histoire émouvante et pleine de poésie autour de l'argent, du bonheur, de l'amour, de l'amitié.
Autres avis : Sandrine, Canel, Leiloona
Extrait : (début du livre)
On se ment toujours.
Je sais bien, par exemple, que je ne suis pas jolie. Je n’ai pas des yeux bleus dans lesquels les hommes se contemplent ; dans lesquels ils ont envie de se noyer pour qu’on plonge les sauver. Je n’ai pas la taille mannequin ; je suis du genre pulpeuse, enrobée même. Du genre qui occupe une place et demie. J'ai un corps dont les bras d’un homme de taille moyenne ne peuvent pas tout à fait faire le tour. Je n’ai pas la grâce de celles à qui l’on murmure de longues phrases, avec des soupirs en guise de ponctuation ; non. J’appelle plutôt la phrase courte. La formule brutale. L’os du désir, sans la couenne ; sans le gras confortable.
Je sais tout ça.
Et pourtant, lorsque Jo n’est pas encore rentré, il m’arrive de monter dans notre chambre et de me planter devant le miroir de notre armoire-penderie – il faut que je lui rappelle de la fixer au mur avant qu’un de ces jours, elle ne m’écrabouille pendant ma contemplation.
Je ferme alors les yeux et je me déshabille doucement, comme personne ne m’a jamais déshabillée. J’ai chaque fois un peu froid ; je frissonne. Quand je suis tout à faie nue, j’attends un peu avant d’ouvrir les yeux. Je savoure. Je vagabonde. Je rêve. Je revois les corps émouvants alanguis dans les livres de peinture qui traînaient chez nous ; plus tard, les corps plus crus des magazines.
Puis je relève doucement les paupières, comme au ralenti.
Je regarde mon corps, mes yeux noirs, mes seins petits, ma bouée de chair, ma forêt de poils sombre et je me trouve belle et je vous jure qu’à cet instant, je suis belle, très belle même.
Cette beauté me rend profondément heureuse. Terriblement forte.
Elle me fait oublier les choses vilaines. La mercerie un peu ennuyeuse. Les parlottes et le loto de Danièle et Françoise – les jumelles qui tiennent le salon Coiff’Esthétique voisin de la mercerie. Elle me fait oublier les choses immobiles, cette beauté. Comme une vie sans histoires. Comme cette ville épouvantable, sans aéroport ; cette ville grise d’où l’on ne peut pas s’enfuir et où personne n’arrive jamais, aucun voleur de cœur, aucun chevalier blanc sur un cheval blanc.
Arras. 42000 habitants, 4 hypermarchés, 11 supermarchés, 4 fast-foods, quelques rues médiévales, une plaque rue du Miroir-de-Venise qui indique aux passants et aux oublieux qu’ici est né Eugène-François Vidocq le 24 juillet 1775. Et puis ma mercerie.
Nue, si belle devant le miroir, il me semble qu’il suffirait juste de battre des bras pour que je m’envole, légère, gracieuse. Que mon corps rejoigne ceux des livres d’art qui traînaient dans la maison de mon enfance. Il serait alors aussi beau qu’eux ; définitivement.
Mais je n’ose jamais.