Les trois vies de Babe Ozouf – Didier Decoin
Livre lu dans le cadre du - (23/26)
Seuil – avril 1983 – 376 pages
Points - mai 1984 – 376 pages
Points – juin 2001 – 409 pages
Quatrième de couverture
Là-haut, tout au bout de la France, c'est la Hague, terre de granits et de landes fauves, qui poignarde l'une des mers les plus dangereuses du monde.
Babe Ozouf, Catherine et Carole sont filles de la Hague. Leur saga - qui s'étend sur trois générations - est scandée par un même geste, un acte que l'amour inspire: faire naître la lumière et le feu dans la nuit. Par trois fois, ce geste simple et fatal provoquera un naufrage: naufrage de navires et naufrage de trois destins.
Emmenée par deux gendarmes, Babe Ozouf va vivre une mise à l'épreuve qui sera aussi une délivrance. Sa fille Caherine, mariée à quinze ans, connaîtra l'exil, de l'autre côté de l'océan. Et Carole, la fille de Catherine, sera irrésistiblement rappelée vers cette falaise, lieu de rencontre avec la nuit et le brouillard.
Trois hommes traverseront la vie de ces jeunes femmes: Michael Bernstein, le pianiste; le peintre Louis Asfrid et le mystérieux Recruteur qui hante les quais de Liverpool. Ils apprendront que l'amour est aussi ce calme effrayant qui précède et annonce les tempêtes.
« La Hague, dit l'auteur, ne m'a pas inspiré ce roman : elle me l'a imposé. Je l'ai écrit dans la solitude, le tulmute et la passion, à l'image du pays étrange qui l'a fait surgir. »
Auteur : Né le 13 mars 194, fils du cinéaste Henry Decoin, Didier Decoin commence sa carrière comme journaliste. Il passe par des quotidiens comme Le Figaro et France-Soir. Il participe aussi à la création du magazine VSD. Il touche aussi à la radio en intervenant sur Europe 1. Mais le journaliste est passionné d'écriture et entame une carrière de romancier. A tout juste 20 ans, il publie son premier livre intitulé 'Le Procès à l'amour'. Ecrivant plus d'un vingtaine d'ouvrages, il est récompensé en remportant le Prix Goncourt pour 'John l'enfer' en 1977. Membre fondateur de la Société civile des auteurs multimédia – SCAM – il assure aussi la présidence de la Société des gens de lettres de France. En 1995, il devient le Secrétaire général de l'Académie Goncourt. Attiré par le cinéma et la télévision, il devient scénariste pour la fiction de France 2. On lui doit des séries comme 'Les Misérables', 'Le Comte de Monte-Cristo', 'Balzac' et 'Napoléon'. Fort d'un parcours hors du commun, Didier Decoin est aujourd'hui considéré comme un membre précieux de la culture française.
Mon avis : (lu en août 2010)
Voici l'histoire de trois femmes de la Hague, qui s'étend sur trois générations : il y a Babe Ozouf, Catherine et Carole. Chacune d'elles par amour fera naître un feu dans la nuit, un feu qui aura des conséquences malheureuses. Babe, par amour pour le pianiste Michael Berstein, allumera un grand feu qui causera le naufrage d'un navire. Catherine va illuminer sa maison et son jardin de toutes les bougies et lanternes pour se rassurer en l'absence de son mari le peintre Louis Asfrid. Elle sera alors obligée de fuir. Enfin, Carole qui allumera un grand feu pour couler le croiseur lourd Admiral von Severloh.
Toute la magie du récit vient du lieu où se déroule ce roman, la Hague avec ses landes de bruyères sauvages, ses rochers de granit, sa mer froide, ses embruns salés, son brouillard. Les descriptions sont superbes et le lecteur est envoûté autant par ce lieu que par ces trois histoires liées.
Extrait : (début du livre)
Barbe Ouzouf aimait trop la beauté pour supporter longtemps le prénom qu’on lui avait infligé : à huit ans, elle en fit sauter le r et on la connut désormais sous le nom de Babe. Habitant une région proche des îles anglo-normandes, la Hague, certains prononçaient Babe à l’anglaise, comme un diminutif de baby. Cela lui alla plutôt bien jusqu’à la puberté, ensuite elle prit de la poitrine, des hanches, ses cheveux roux se mirent à pousser au point de lui battre les fesses, elle devint femme, et les gens cessèrent de dire Babe à l’anglaise pour, au contraire, insister sur le a, et même le multiplier comme si Babe s’écrivait Baaabe.
A six heures tous les soirs, elle se baignait sur la grève d’Ecalgrain. En 1893, il n’existait aucun aménagement, juste un sentier pour descendre de la falaise jusqu’au premier lit de galets. En avril, les ajoncs étiraient leurs pousses en travers du passage, et plus d’une fois Babe déchira sa robe à leurs épines, et souvent son jupon, ses cuisses à travers l’étoffe noire.
Elle agit aujourd’hui comme d’habitude, malgré les deux gendarmes à cheval qui l’attendent, qui la surveillent depuis la route de la falaise. L’un d’eux, Jean Le Nackeis, a déjà déroulé la corde rugueuse qui servira tout à l’heure à lier ensemble les poignets de Babe.
Elle n’a jeté qu’un coup d’œil distrait sur cette entrave.
Sur une roche elle pose sa coiffe, sa longue écharpe et ses souliers, en recommandant aux gendarmes de bien veiller à ce que le vent ne les enlève pas ; peu lui importe de retrouver ou non ses affaires quand elle remontera de la grève, parce qu’alors tout lui sera indifférent, mais dans le souci qu’elle manifeste de ne pas abandonner ces quelques accessoires au vent il y a une façon de promesse : « Je reviendrai me livrer, vous avez eu raison de me faire confiance. »