Prodigieuses créatures - Tracy Chevalier
Livre lu dans le cadre du Partenariat Blog-O-Book et Quai Voltaire /La Table Ronde
Éditions de la Table Ronde – mai 2010 – 377 pages
traduit par Anouk Neuhoff
Présentation de l'éditeur :
"La foudre m'a frappée toute ma vie. Mais une seule fois pour de vrai" Dans les années 1810, à Lyme Regis, sur la côte du Dorset battue par les vents, Mary Anning découvre ses premiers fossiles et se passionne pour ces "prodigieuses créatures" dont l'existence remet en question toutes les théories sur la création du monde. Très vite, la jeune fille issue d'un milieu modeste se heurte aux préjugés de la communauté scientifique, exclusivement composée d'hommes, qui la cantonne dans un rôle de figuration. Mary Anning trouve heureusement en Elizabeth Philpot une alliée inattendue. Celte vieille fille intelligente et acerbe, fascinée par les fossiles, l'accompagne dans ses explorations. Si leur amitié se double peu à peu d'une rivalité, elle reste, face à l'hostilité générale, leur meilleure arme. Avec une finesse qui rappelle fane Austen, Tracy Chevalier raconte, dans Prodigieuses Créatures, l'histoire d'une femme qui, bravant sa condition et sa classe sociale, fait l'une des plus grandes découvertes du XIXe siècle.
Auteur : Née à Washington en 1962, après des études dans l'Ohio, Tracy Chevalier part en 1984 à Londres pour un séjour de six mois. Amoureuse des livres, elle reste finalement en Angleterre, y fonde une famille et commence à travailler dans l'édition. Pourtant, le virus de l'écriture, déjà côtoyé durant ses études, la rattrape. Après quelques cours d'écriture, Tracy voit ses écrits publiés dans le magazine Fiction, avant que son premier roman, 'La Jeune fille à la perle', ne lui apporte en 1998 un grand succès sur ses terres d'adoption. Confirmation dès lors que ses ouvrages se diffusent à grand échelle. Tracy Chevalier enchaîne, au début des années 2000, avec 'Le Récital des anges', 'La Dame à la licorne' puis 'La Vierge en bleu', et rencontre à chaque fois son public. Elle revient dans les librairies en 2007 avec 'L'Innocence'. Désormais, la sortie de chaque nouveau livre de Tracy Chevalier est un événement.
Mon avis : (lu en juin 2010)
Un superbe roman à deux voix inspiré de l'histoire vraie de deux femmes du XIXe siècle Mary Anning et d’Elizabeth Philpot, elles étaient toutes les deux passionnées par les fossiles. Tout oppose Elisabeth Philpot et Mary Anning, leur milieu social, leur éducation, elles vont pourtant ensemble se passionner pour les "curios", ces prodigieuses créatures et découvrir les premiers fossiles le long des falaises du Dorset.
Mary est issue de la classe ouvrière, elle n'avait que 11 ans lorsqu'elle a découvert son premier ichthyosaure, un reptile marin vieux de 200 millions d'années qui ressemblait à un crocodile. Elle connait mieux que la plupart des scientifiques les fossiles et sans le savoir, ses découvertes vont bousculer les théories de la création.
Elizabeth Philpot est une vieille fille de la classe moyenne, elle a presque 20 ans et plus que Mary. Elle est originaire de Londres, elle a aussi une passion pour les fossiles, en particulier les poissons fossiles. Le lecteur les suit l'une et l'autre au rythme des marées dans cette quête aux poissons fossiles pour l'une et aux « créatures » pour l'autre.
En alternance, le lecteur lit le récit de Miss Philpot et celui de Mary Anning. On découvre une belle et véritable histoire d’amitié entre deux femmes, mais aussi la condition des femmes au XIXe siècle en particulier des célibataires ainsi qu'une communauté scientifique qui refuse de prendre au sérieux les femmes et qui minimise leurs découvertes. J'ai été touchée par ces deux héroïnes si sympathiques, passionnées et fortes face aux conventions de l'époque. Tracy Chevalier a su parfaitement décrire l'atmosphère des plages et des paysages du Dorset. A tout moment, je me suis imaginée accompagner Mary et Elizabeth dans leurs longues promenades sur la plage, le long des falaises. L'histoire est captivante et pleine d'émotions, ce livre est un vrai coup de cœur pour moi !
Un très Grand Merci à Blog-O-Book et Quai Voltaire / Éditions de La Table Ronde pour cette très belle découverte.
Pour en savoir plus sur Mary Anning (en français) et sur Elizabeth Philpot (en anglais)
Extrait : (page 15)
Mary Anning en impose par ses yeux. Ce détail m'a semblé évident dès notre première rencontre, quand elle n'était qu'une fillette. Ses yeux sont marron comme des boutons, et brillants, et elle a cette manie des chasseurs de fossiles de toujours chercher quelque chose, même dans la rue ou à l'intérieur d'une maison, où il n'y a aucune chance de trouver quoi que ce soit d'intéressant. Cette particularité la fait paraître pleine d'énergie, même lorsqu'elle reste sans bouger. Mes sœurs m'ont dit que moi aussi je jetais des coups d'œil alentour au lieu d'arborer un regard impassible, mais dans leur bouche ce n'est pas un compliment, tandis que dans la mienne, envers Mary, c'en est un.
J'ai remarqué depuis longtemps que les gens ont tendance à en imposer par un trait particulier, une partie du visage ou du corps. Mon frère John, par exemple, en impose par ses sourcils. Non seulement ils forment des touffes proéminentes au-dessus de ses yeux, mais ils constituent la partie la plus mobile de son visage, traduisant le cours de ses pensées tandis que son front se creuse ou bien se lisse. Il est le puîné des cinq enfants Philpot, et le seul fils, ce qui lui a donné la charge de quatre sœurs à la mort de nos parents. Une telle situation animerait les sourcils de n'importe qui, même si enfant, déjà, il était sérieux.
Ma plus jeune sœur, Margaret, en impose par ses mains. Bien que petites, elles ont, proportionnellement, des doigts longs et élégants, et de nous toutes c'est celle qui joue le mieux du piano. Elle est encline à onduler des mains en dansant, et quand elle dort elle étire ses bras au-dessus de sa tête, même lorsqu'il fait froid dans la chambre.
Frances a été la seule sœur Philpot à se marier, et elle en impose par sa poitrine, ceci, je suppose, expliquant cela. Nous, les sœurs Philpot, ne sommes pas connues pour notre beauté. Nous avons une charpente anguleuse et des traits accusés. De plus, la fortune familiale s'est avérée tout juste suffisante pour qu'une seule d'entre nous puisse se marier sans trop de difficultés, et Frances a remporté la course, quittant Red Lion Square pour devenir la femme d'un négociant de l'Essex.
Les personnes que j'ai toujours le plus admirées sont celles qui en imposent par leurs yeux, comme Mary Anning, car elles semblent plus à même de comprendre le monde et ses rouages. C'est par conséquent avec Louise, ma sœur aînée, que je m'entends le mieux. Elle a des yeux gris, comme tous les Philpot, et elle parle peu, mais quand son regard se fixe sur vous, vous y prêtez forcément attention.
J'ai toujours rêvé d'en imposer par mes yeux moi aussi, mais je n'ai pas eu cette chance. J'ai une mâchoire saillante, et quand je serre les dents - plus souvent qu'à mon tour, tant le monde m'indispose -, elle se crispe et s'aiguise comme la lame d'une hache. Lors d'un bal, j'ai surpris un soupirant potentiel à dire qu'il n'osait pas m'inviter à danser de peur de se couper contre ma joue. Je ne me suis jamais véritablement remise de cette observation. On ne s'étonnera pas que je sois une vieille fille, et que je danse si rarement.
J'aurais bien aimé passer de la mâchoire aux yeux, mais j'ai constaté que les gens ne changent pas de trait dominant plus qu'ils ne peuvent modifier leur caractère. Je dois donc m'accommoder de cette forte mâchoire qui rebute tant les gens, taillée dans la pierre comme les fossiles que je ramasse. Du moins le croyais-je.
J'ai rencontré Mary Anning à Lyme Regis, où elle a vécu toute sa vie. Je ne m'attendais certes pas à habiter cette ville. En effet, nous les Philpot avions grandi à Londres, en particulier à Red Lion Square. Si j'avais entendu parler de Lyme - comme on entend parler des stations balnéaires lorsqu'elles deviennent à la mode... -, nous n'y étions jamais allés. Durant l'été, nous nous rendions en général dans des villes du Sussex comme Brighton ou Hastings. Du vivant de notre mère, nous allions sur la côte aussi bien pour l'air pur que pour les baignades, car elle souscrivait aux vues du Dr Richard Russell, qui avait écrit une thèse sur les bienfaits de l'eau iodée : elle était vivifiante quand on s'y baignait et purgative quand on la buvait. Si je refusais d'en ingurgiter, j'acceptais cependant d'y nager. Je me sentais chez moi au bord de la mer, et pourtant je n'avais jamais imaginé que cela deviendrait un jour une réalité.