Le Prince des Marées – Pat Conroy
Livre lu dans le cadre du - (17/26)
Belfond – juin 2002 – 588 pages
Pocket – juin 2004 – 1069 pages
traduit de l'américain par Françoise Cartano
Presse de la Renaissance - 1988
France Loisir - 1988
J’ai lu – 1989 – 470 pages + 472 pages
Presse de la Renaissance - Mars 1998
J’ai lu – janvier 1999 – 469 pages
Quatrième de couverture
Il y avait le père, Henry Wingo, pêcheur de crevettes, violent buté. La mère, Lila, belle, ambitieuse, monstrueuse. Et les disputes, les cris, les coups... Luke, le fils aîné, Tom et Savannah, les jumeaux, auraient peut-être pu, malgré tout, sortir indemnes de leur enfance saccagée. Car ils avaient l'île Melrose, les marais, le parfum d'eau salée de la Caroline du Sud, l'or de ses lunes et de ses soleils... Peut-être auraient-ils échappé aux stigmates du passé, s'il n'y avait eu ce moment d'horreur absolue, un soir, dans la petite maison blanche. Et si leur mère ne leur avait pas imposé le silence, les condamnant ainsi à revivre le drame, jour après jour, nuit après nuit. Dans une Amérique actuelle et méconnue, au cœur du Sud profond, un roman bouleversant qui mêle humour et tragédie.
Auteur : Né à Atlanta en 1945, Pat Conroy publie son premier roman en 1972, mais c'est Le grand Santini (1989) qui le fait vraiment connaître du public. Il rencontre un succès international avec Le Prince des Marées, qui sera adapté au cinéma en 1991 par Barbara Streisand. Il publiera ensuite Beach music et Saison noire.
Mon avis : (lu en avril 2010)
J'avais entendu beaucoup de bien sur ce livre et j'avais très envie de le lire, j'ai profité du début des vacances pour m'y plonger... Et j'ai eu du mal à ne pas le lâcher...
Pour sauver sa sœur jumelle qui est dans un hôpital psychiatrique à la suite d'un suicide, et aider sa psychiatre à mieux comprendre Savannah Tom va lui raconter l'histoire de son enfance et de sa famille en dévoilant peu à peu les secrets qu'il avait enfoui au fond de sa mémoire. La famille Wingo vit en Caroline du Sud, sur l'île de Melrose. Le père est violent, la mère belle et ambitieuse ne supporte pas d'être l'épouse d'un simple pêcheur de crevettes. Les trois enfants Luke, Tom et Savannah sont solidaires et s'adorent pour supporter la vie que leurs imposent leurs parents. Tom nous raconte cette enfance dramatique avec un humour grinçant pour marquer un certain détachement avec ce qu'il a vécu.
Ce fut une lecture captivante, émouvante et magnifique ! Il y a de superbes descriptions du Sud profond des États-Unis, une histoire sombre, bouleversante qui tient le lecteur en haleine et des personnages hauts en couleur.
Ce livre a également été adapté au cinéma dans un film américain réalisé en 1991 par Barbra Streisand , avec Barbra Streisand, Nick Nolte, Blythe Danner.
Extrait : (page 106 - Edition Presses de la Renaissance 1988)
Le samedi avant son départ pour la Corée, mon père nous emmena en voiture et nous quittâmes Atlanta avant l'aube; après avoir garé la voiture, il nous entraîna sur le chemin pédestre qui montait au sommet de Stone Mountain d'où nous regardâmes le soleil se lever dans le ciel de l'est. C'était la première montagne que nous eussions jamais vue, à plus forte raison gravie. Debout sur la crête de granité, avec la lumière qui nous arrivait de Géorgie, nous avions l'impression d'avoir le monde entier couché à nos pieds. Loin, très loin, nous voyions le modeste horizon d'Atlanta se dessiner dans le soleil. Sur le flanc de la montagne, les effigies à demi achevées de Robert E. Lee, Jefferson Davis et Stonewall Jackson étaient sculptées dans le roc, et ces cavaliers sans corps caracolaient dans le granité en une chevauchée intemporelle.
Ma mère avait préparé un pique-nique et elle étala une nappe blanche au sommet du plus grand morceau de granité visible au monde. C'était un jour clair et sans vent, et la nappe adhéra comme un timbre-poste au rocher. Nous, les enfants, nous chahutions gentiment avec notre père sur cette montagne que nous avions pour nous seuls. Ce fut au sommet de Stone Mountain que j'eus un premier aperçu de la véritable nature du caractère de mon père et de la façon dont mon enfance en serait affectée. Ce jour-là, j'eus la révélation soudaine et aiguë des dangers courus par notre famille.
– Pourquoi est-ce que tu dois retourner faire des guerres, papa ? demanda Savannah à mon père qui était couché à plat dos, la tête contre la pierre et le regard perdu dans le ciel bleu.
Les veines de ses avant-bras semblaient courir sur ses muscles comme les rouleaux de corde sur le pont d'un bateau.
– Ça, j'aimerais bien le savoir, mon ange, dit-il en la soulevant dans les airs.
Avec un regard panoramique sur les environs, Luke dit :
– Je veux retourner à Colleton. Y a pas de crevettes ici.
– Je ne serai parti qu'un an. Ensuite, on retournera à Colleton.
Ma mère sortit un festin de sandwiches au jambon, d'œufs à la diable, et de salade de pommes de terre, mais elle eut la surprise de voir une colonie de fourmis avancer en rangs serrés vers la nourriture.
– Mes bébés vont me manquer, dit mon père en la regardant. Je t'écrirai toutes les semaines et je mettrai des millions de baisers dans chacune de mes lettres. Mais pas pour vous, les garçons, vous n'en avez rien à faire des baisers, vous, n'est-ce pas ?
– Non, papa, répondîmes-nous simultanément, Luke et moi.
– Vous les garçons, je vous élève pour que vous soyez des durs. Exactement! Je ne veux pas que mes fils deviennent des jolis cœurs, dit-il en nous flanquant une taloche sans douceur derrière le crâne. Dites-moi que vous ne vous laisserez pas transformer en jolis cœurs par votre mère, pendant mon absence. Elle est trop tendre avec vous. Ne la laissez pas vous mettre des fanfreluches pour aller prendre le thé avec elle. Je veux que vous me promettiez une chose. Que pas un jour ne passera sans que vous ayez flanqué une raclée à un gars d'Atlanta, un chacun. Je n'ai pas envie de trouver des gars de la ville qui se donnent des grands airs quand je reviendrai de Corée. D'accord ? N'oubliez pas, vous êtes des gars de la campagne, et les gars de la campagne, c'est toujours des durs.
– Non, dit ma mère avec une fermeté tranquille. Mes fils ne seront pas des brutes. Ils seront les garçons les plus adorables qu'on ait jamais vus. Si tu veux un dur, Henry, tu en as un là. Ma mère désigna Savannah.
– Ouais, papa, applaudit Savannah. Moi, je suis un vrai dur. Je bats Tom quand je veux. Et j'arrive presque à battre Luke quand il se sert d'une seule main.
– Non, tu es une fille, toi. Les filles, ça doit être mignon. Je ne veux pas que tu te battes. Je veux que tu sois tout sucre tout miel, l'amour chéri de ton papa.
– Je n'ai pas envie d'être tout sucre tout miel, dit Savannah.
– Toi, dis-je. Tu en es loin.
Savannah, plus rapide et plus forte que moi, m'expédia un grand coup de poing dans l'estomac. Je me mis à pleurer et courus me réfugier dans les bras de ma mère qui m'ouvrit son aile protectrice.
– Savannah, tu cesses d'embêter Tom. Tu es toujours après lui, gronda ma mère.
– Tu as vu ? dit Savannah en se tournant pour défier mon père. Je suis une dure, je sais me battre.
– Tom, tu me fais honte, fils, dit mon père dont le regard passa au-dessus de Savannah, sans la voir, pour ne s'intéresser qu'à moi. Pleurer parce qu'une petite fille te tape. Quel scandale! Un garçon ne pleure pas. Jamais. Sous aucun prétexte.
– Il est sensible, Henry, dit ma mère en me caressant les cheveux doucement.
– Comme ça, il est sensible, ironisa mon père. Dans ce cas, je ne voudrais pas dire quoi que ce soit qui risque de choquer cette âme sensible. Mais tu ne verrais jamais Luke pleurer comme un bébé pour une raison pareille. J'ai corrigé Luke au ceinturon sans le voir verser une larme. Lui, c'est un homme depuis le jour de sa naissance. Tom, arrive ici et bats-toi avec ta sœur. Donne-lui une bonne leçon.
– Il n'a pas intérêt ou je recommence, dit Savannah, mais j'entendais au son de sa voix qu'elle regrettait bien ce qu'elle avait déclenché.