Père des mensonges - Brian Evenson
Livre lu dans le cadre en partenariat avec
Le Cherche-Midi – janvier 2010 – 233 pages
traduit de l’américain par Héloïse Esquié
Présentation de l'éditeur :
Atteint de troubles du sommeil et de rêves perturbants, Eldon Fochs, respectable homme d'Église, décide de consulter un psychothérapeute, Alexandre Feshtig. Bientôt, il lui confesse une attirance coupable pour les jeunes enfants. Lorsqu'une petite fille de la communauté est violée puis assassinée, Feshtig, qui soupçonne Fochs d'être passé à l'acte, prévient les autorités religieuses qui vont tout faire pour discréditer le psychothérapeute et éviter le scandale qui se profile. Après Inversion et La Confrérie des mutilés, Brian Evenson poursuit avec Père des mensonges son analyse critique du fait religieux et de la violence spirituelle, psychologique et sociale, que celui-ci peut susciter. A l'image d'Edgar Poe, il place le lecteur au cœur même d'une folie à l'origine et à l'issue aussi complexes et ambiguës l'une que l'autre.
Auteur : Né à Ames (Iowa) en 1966, ancien membre de l'Église mormone, Brian Evenson s'attire les foudres des chefs de la communauté lorsqu'il publie son premier recueil 'Altmann' s Tongue' puis refuse malgré la pression de renoncer à l'écriture. Les hautes instances répliquent sans atteindre leur but, l'auteur perd son poste de professeur à l'Université de Brigham Youth mais ne cède pas à l'intimidation. Écrivain prolifique, il signe dès lors nouvelles et romans marqués par la violence et l'humour noir et peuplés de personnages aux prises avec des problèmes moraux ou religieux. Brian Evenson, qui a vécu en France, en Suisse et au Mexique pour son travail de missionnaire est également traducteur mais c'est indéniablement pour son œuvre subversive et observatrice de l'Amérique bien-pensante que l'auteur est aujourd'hui reconnu et admiré.
Mon avis : (lu en mars 2010)
Un livre prenant mais terriblement dérangeant et tordu. Il se lit d'une traite, comme un thriller.
Un homme d'église (la Corporation du Sang de l'Agneau, les Sanguistes) , le doyen Fochs va consulter un psychiatre à la demande de sa femme suite à des troubles du sommeil. Il prétend supporter difficilement sa nouvelle charge de doyen et faire des rêves avec des pensées pédophiles. Assez vite, Feshtig, le psychiatre, doute que cela ne soit que des rêves, d'autant plus qu'une jeune fille a été assassinée et que deux jeunes garçons l'accusent de violence sexuelle. La hiérarchie religieuse du doyen va tenter par tous les moyens de supprimer ou modifier le rapport que Feshtig. Le lecteur est face à plusieurs points de vue : des lettres échangées entre les autorités religieuses et l'Institut de psychanalyse qui emploi Feshtig, les notes du psychiatre et le récit de Fochs lui-même. J'ai été révoltée par la froideur de Fochs qui profite de sa position d'homme d'église et son pouvoir «spirituel» pour justifier ses faits et gestes. L'hypocrisie des autorités religieuses est également difficile à comprendre ! Le titre du livre est vraiment bien trouvé, le mensonge est omniprésent. Fochs affiche cette froideur, mais il mène en lui-même un combat avec une vision d'un homme à la tête sanglante, ni lui, ni le lecteur ne savent si cet homme représente le Christ ou le Diable. J'ai du mal à dire si j'ai vraiment aimé ce livre, je l'ai surtout trouvé très dérangeant !
Merci à Chroniques de la rentrée littéraire et aux éditions Le Cherche Midi pour m'avoir fait découvrir ce livre.
Extrait : (page 19)
Antécédents
Lorsque je l'ai rencontré, Eldon Fochs était un comptable de trente-huit ans, exerçant également la fonction de doyen laïc au sein de la Corporation du Sang de l'Agneau (les Sanguistes), secte religieuse fortement conservatrice. Il était rasé de près, de teint pâle, habillé convenablement d'un costume sombre solide, d'une chemise blanche et d'une cravate classique, selon le code vestimentaire adopté par les chefs ecclésiastiques. Lors de nos entretiens, il n'a jamais fait d'entorse à ce style vestimentaire. C'était un homme corpulent, à la voix douce, légèrement embarrasssé par son corps mais jouissant cependant d'une certaine décontraction dans son comportement. Il commençait une thérapie à la demande de son épouse, qui s'inquiétait de modifications récentes dans ses habitudes de sommeil, modifications qui comprenaient le fait de « parler dans son sommeil avec la voix de quelqu'un d'autre », des accès de somnambulisme, et de brefs épisodes violents à l'encontre de sa femme lorsqu'elle le réveillait (épisodes dont il n'avait pas le souvenir). Fochs estimait que sa femme exagérait, mais il avait néanmoins choisi de venir me trouver pour deux raisons : premièrement, pour apaiser son épouse, deuxièmement, parce qu'au cours de l'année passée il avait eu « des pensées et rêves perturbants » dont il « voulait se libérer ».
Lors de notre premier entretien, Fochs a précisé qu'il préférait être appelé « frère Fochs », « doyen Fochs » ou simplement « Fochs » plutôt que par son prénom, Eldon. Il a rechigné tout d'abord à évoquer son histoire familiale. Les pensées et rêves perturbants n'avaient, selon lui, « rien à voir avec le passé », puisqu'ils n'avaient débuté qu'un an plus tôt. En insistant, toutefois, j'ai découvert qu'il était l'aîné de deux enfants, le plus jeune étant mort à la naissance. Il a été « élevé dans la foi » au sein d'une famille sanguiste de la classe moyenne, dans un quartier à dominante sanguiste. L'enterrement de son frère, présidé par son père, un doyen de l'Église, compte parmi ses premiers souvenirs. Il se rappelle également sa mère l'aidant à apprendre à lire dans l'organe officiel des enfants sanguistes, Viens à moi, lorsqu'il avait cinq ans, et l'absence fréquente de son père dans sa jeunesse à cause de ses responsabilités au sein de l'Église.