Ad vitam aeternam – Thierry Jonquet
Seuil – mars 2002 – 397 pages
Points – octobre 2006 – 350 pages
Quatrième de couverture :
Anabel a vingt-cinq ans. Elle travaille dans une boutique où l'on pratique le piercing et d'autres techniques un peu plus hard core. Elle se lie d'amitié avec un étrange propriétaire de magasin de pompes funèbres. Ensemble, ils vont mettre à rude épreuve les projets de la grande Faucheuse... Thierry Jonquet frôle le fantastique pour délivrer, crescendo, un suspense haletant.
Auteur : Né à Paris en 1954, auteur de polars, Thierry Jonquet fait figure de référence dans ce genre littéraire et bien au-delà. Engagé politiquement dès son adolescence, il entre à Lutte ouvrière en 1970 sous le pseudonyme de Daumier (caricaturiste du XIXe siècle), puis à la Ligue communiste révolutionnaire l'année de son bac. Après des études de philosophie rapidement avortées et plusieurs petits boulots insolites, un accident de voiture bouleverse sa vie : il devient ergothérapeute et travaille successivement dans un service de gériatrie puis un service de rééducation pour bébés atteints de maladies congénitales, et enfin dans un hôpital psychiatrique où il exerce les fonctions d'instituteur. Inspiré par l'univers de Jean-Patrick Manchette, son premier roman, 'Le Bal des débris', est publié en 1984 bien qu'il ait été écrit quelques années plus tôt. 'Mémoire en cage' paraît en 1982, suivent 'Mygale' (1984), 'La Bête et la belle', 'Les Orpailleurs' (1993), qui confirment le talent de Thierry Jonquet pour le roman au réalisme dur, hanté par la violence et les questions de société. Les événements dramatiques de l’été 2003 ont inspiré Thierry Jonquet qui nous offre, avec Mon vieux, un texte captivant sur l’étonnante réaction humaine devant l’adversité. 'Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte', paru en 2006 évoque sans tabous la violence et l'antisémitisme qui sévissent dans certaines banlieues. Thierry Jonquet a également scénarisé plusieurs bandes dessinées parmi lesquelles 'Du papier faisons table rase', dessiné par Jean-Christophe Chauzy. Plébiscité par la critique, l'une des plus élogieuses est signée Tonino Benacquista qui écrit de lui : 'Jonquet sculpte la fiction, c'est le matériau qu'il façonne pour lui donner une âme, le même que celui d'Highsmith ou de Simenon, il est difficile d'en citer beaucoup d'autres.' Alors qu'il venait de publier 'Ad Vitam aeternam', Thierry Jonquet, décède en août 2009, après avoir lutté deux semaines contre la maladie.
Mon avis : (lu en septembre 2009)
Anabel, 25 ans, est une ancienne infirmière et une ancienne détenue. Elle travaille dans une boutique de piercing proche du canal Saint-Martin. Tous les jours, à l'heure du déjeuner, elle croise Monsieur Jacob, entrepreneur de pompes funèbres.
En parallèle, après plus de trente ans passées en prison, Ruderi est libéré. Sa victime, une femme mutilée, fait appel à un tueur professionnel, Oleg pour le suivre et se venger.
Mais nous irons de surprises en surprises car si tout tourne autour de la Mort ce livre n'est pas seulement un polar mais a aussi un côté fantastique. Je l'ai lu sans déplaisir mais certaines scènes décrites sont parfois un peu trop noire et morbide pour moi.
Extrait : (page 9)
La première fois qu'Anabel croisa Monsieur Jacob, ce fut dans le square, à quelques pas de la boutique. Elle s'y rendait souvent, à chaque pause que Brad lui octroyait. Brad était une loque. Six mois consacrés à le côtoyer l'avaient amenée à s'en convaincre. Trois semaines, trois jours, voire trois heures auraient suffi. Un médiocre qui aurait bien voulu en jeter, frimer, et se contentait d'épater toute une galerie de tocards, de barjots. Lesquels payaient ses services au prix fort, cash. Brad était impitoyable avec la clientèle, il ne faisait aucun crédit, quelle que soit la durée ou la nature de la prestation. C'est aux États-Unis – il disait « aux States » - qu'il avait appris les rudiments du métier, dans les années 70. Il ne s'appelait pas réellement Brad, mais plus prosaïquement Fernand. Dans sa branche, mieux valait porter un prénom à consonance exotique, on peut le comprendre. Le marketing a certaines exigences.
Anabel avait fait sa connaissance alors qu'il venait de subir une rupture amoureuse. Il approchait la cinquantaine et sa dulcinée en ayant vingt-cinq de moins, elle ne tenait pas à s'attarder davantage. Déprimé, meurtri dans son ego, Brad avait arrêté le body-building et se consolait au pur malt. En quelques mois, il se mit à grossir, ce qui le rendit encore plus dépressif. Il ne pouvait plus porter les tee-shirts ultra-moulants qu'il affectionnait auparavant et tentait de camoufler la débandade à l'aide de chemises amples. Il n'empêche. Sa belle gueule s'empâtait irrésistiblement, ses fesses et ses cuisses se chargeaient de cellulite. Au-delà des apparences, déjà alarmantes, plus en profondeur, son organisme gorgé de stéroïdes anabolisants, de créatine et d'hormones de croissance commençait à lui réclamer des comptes. La facture risquait d'être salée. Jour après jour, Anabel évaluait le désastre d'un regard dont elle ne cherchait même pas à dissimuler la cruauté.
Elle ne se demandait plus comment elle avait pu aboutir dans un tel cloaque. Il y a une raison à tout, le hasard n'était nullement en cause. Qui se ressemble s'assemble. Lorsqu'elle ouvrait les yeux, à l'aube, dans ces moments fugaces d'intense lucidité qui succèdent au sommeil, même le plus profond, Anabel en convenait volontiers : à tout bien considérer, chez Brad, elle était à sa juste place. Une paumée parmi les déjantés. Elle essayait juste de sauver sa peau. De rétablir un semblant de normalité dans une vie à la dérive.
Déjà lu de Thierry Jonquet :