Les mains libres – Jeanne Benameur
Denoël – janvier 2004 - 148 pages
Folio – janvier 2006 – 160 pages
Présentation de l'éditeur
'Y a-t-il un signe de vie dans le ciel qui indique que quelque part, dans une ville, au milieu de tant et tant de gens, deux êtres sont en train de vivre quelque chose qui ne tient à rien, quelque chose de frêle comme un feu de fortune ?'
Mme Lure est une vieille femme comme on en croise sans les remarquer. Dans l'appartement de son mari disparu, elle maintient chaque chose à sa place, tranquille et pour toujours. Elle évite tout souvenir, mais rêve grâce aux brochures de voyages qu'elle étale sur la table de la cuisine. Yvonne Lure entre dans les photographies, y sourit, y vit. Un jour, surprenant les doigts voleurs d'un jeune homme dans le grand magasin, elle se met à le suivre de façon irréfléchie jusqu'à son campement, sous l'arche d'un pont. Qu'ont-ils en commun, Yvonne, celle qui garde, et Vargas, l'errant ? D'une écriture forte et lumineuse, Jeanne Benameur capte comme jamais les destins obscurs de deux parias innocents, tissant entre eux des liens intenses. Ressuscitant des pans de mémoire palpitante, elle aiguise le vide en chacun de nous.
Biographie de l'auteur
Jeanne Benameur est l'auteur chez Denoël de Les Demeurées, 2000, Un jour mes princes sont venus, 2001, Ça t'apprendra à vivre, 2003, et de nombreux livres pour la jeunesse, dont récemment La Boutique jaune. Longtemps enseignante, elle se consacre désormais à l'écriture
Mon avis : (lu en mai 2009)
C’est le deuxième livre que je lis de cette auteure après « les demeurées ».
C’est l’histoire d’Yvonne Lure une vieille dame qui vit seule depuis la mort de son mari. Elle est « transparente » pour les autres, elle occupe ses journées avec le ménage et ses courses. Elle rêve grâce aux catalogues de voyages et aux photos dans lesquels elle se projette et s’évade. Un jour, elle va surprendre les mains voleuses d’un jeune homme, Vargas, dans un supermarché, sans réfléchir elle va le suivre jusqu’à sa caravane sur un terrain vague en face de chez elle. Elle va d’abord le surveiller de sa fenêtre, puis déposer à proximité du campement le livre de son défunt mari. Ils vont s’apprivoiser l’un et l’autre grâce à ce livre et à la lecture…
Je ne peux donc pas être insensible à ce livre plein de poésie, de tendresse avec ces deux personnages si perdus dans leur solitude.
Le style est fait de phrases courtes, de mots simples mais justes qui nous entraînent dans une histoire pleine de d’émotions.
Extrait : (début du livre)
Madame Lure va, vient, vit. Proprement seule.
Madame Lure a ce qu’il faut.
L’entretien de son appartement et les commissions quotidiennes comblent son besoin de déplacement physique. Comment combler l’espace des rêves ?
Cela a lieu dans la cuisine.
Madame Lure étale une carte de géographie sur la toile cirée. D’abord, elle défait les pliures de la tranche de sa main bien tendue. Elle appuie.
A chaque passage, le dos de sa main semble faire reculer un mur invisible.
Plus loin. Encore.
Le coude se déplie. Le bras se tend. Elle lisse les mers, les pays, de sa paume courte, ferme.
Viennent alors les noms des lieux qu’elle prononce tout bas, tête penchée. C’est une prière secrète. Elle s’efforce à une diction claire. Il faut que chaque syllabe soit distincte. Parfois même, elle détache, nette, une lettre d’une autre lettre.
L’évocation gagne encore en étrange. Elle entend sa voix résonner comme une autre.
Elle crée l’ailleurs dans sa bouche. Roc et sel.
Auprès de la carte dépliée, une brochure de voyages.
Personne ne connaît ses départs.
Personne n’agite de mouchoir.
Cela dure. Qu’importe le temps des horloges.
Personne ne l’attend. A aucune escale. C’est une voyageuse de la terre qu’elle ne quitte pas. Ses valises n’ont jamais eu à être bouclées.
De tout temps, il n’y a jamais eu de bagage.
Madame Lure, dans ses périples, est légère.
Son poids sur la terre ne pèse plus rien.