Le portail - François Bizot
Challenge Destination Cambodge : 2 juillet 2011
proposé par evertkhorus
Le challenge consistait à découvrir un pays à travers sa littérature et/ou sa culture. Pour cela, il s'agissait de lire un livre se passant au Cambodge ou écrit par un Cambodgien et d'en faire la critique pour aujourd'hui. Nous pouvions aussi ce jour-là présenter des recettes, de la musique, des photos, des carnets de voyage...
La Table Ronde – août 2000 – 397 pages
Folio – janvier 2002 – 439 pages
Prix des lectrices d'Elle, catégorie Essai, 2001
Quatrième de couverture :
François Bizot, membre de l'École française d'Extrême-Orient, est fait prisonnier au Cambodge par les Khmers rouges, en 1971. Enchaîné il passe trois mois dans un camp de maquisards. Chaque jour, il est interrogé par l'un des plus grands bourreaux du vingtième siècle, futur responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts, aujourd'hui jugé pour crimes contre l'humanité : Douch. Au moment de la chute de Phnom Penh, en 1975, François Bizot est désigné par les Khmers rouges comme l'interprète du Comité de sécurité militaire de la ville chargé des étrangers auprès des autorités françaises. Il est le témoin privilégié d'une des grandes tragédies dont certains intellectuels français ont été les complices. Pour la première fois, François Bizot raconte sa détention. Grâce à une écriture splendide et à un retour tragique sur son passé, l'auteur nous fait pénétrer au coeur du pays khmer, tout en nous dévoilant les terribles contradictions qui - dans les forêts du Cambodge comme ailleurs - habitent l'homme depuis toujours.
Auteur : Membre de l'École française d'Extrême-Orient, François Bizot a été affecté depuis 1965 dans différents pays de la péninsule indo-chinoise dont il étudie les religions. Directeur d'études à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il est titulaire de la chaire de "Bouddhisme d'Asie du Sud-Est".
Mon avis : (lu en juin 2011)
Le Cambodge est un pays que je ne connais pas, je me suis donc contentée de lire un livre qui était dans ma bibliothèque depuis très longtemps. En effet, j'avais acheté ce livre lors d'une conférence organisée à la Bibliothèque de ma commune en 2002 et où l'auteur nous avait parlé de son expérience de prisonnier au Cambodge puis d'interprète auprès des Khmers rouges.
François Bizot est arrivé au Cambodge en 1965. Ethnologue, il venait étudier le bouddhisme de l’Asie du sud-est dans la région des temples d’Angkor. Le 10 octobre 1971, il est arrêté avec ses 2 assistants khmers et interné durant 3 mois dans le camp dirigé par Douch.
Durant cette captivité, il est longuement interrogé par Douch car on l’accuse d’espionnage, ces interrogatoires évoluerons peu à peu en longues discutions à propos du Cambodge et de la révolution Khmers. Il s’interroge aussi sur la personnalité de Douch.
« Dans la nuit, le feu vacilla. Une ombre sinistre dédoubla son visage. J'étais effrayé. Jamais je n'aurais cru que le professeur de mathématiques, le communiste engagé, le responsable consciencieux, puisse être en même temps l'homme de main qui cognait. »
Je me rappelle que lors de sa conférence, François Bizot disait que cet homme paraissait équilibré et intelligent et de savoir qu’il soit devenu un tortionnaire lui faisait peur et il s’interrogeait lui-même à ce propos, « Aurait-il pu un jour, lui François Bizot, devenir un bourreau ?»
En 1971, Douch était un jeune chef révolutionnaire et François Bizot lui doit la vie. Il est l’un des 3 seuls survivants de ce camp.
Plus tard il deviendra l'un des plus terribles chefs de guerre et tortionnaire cambodgien.
Douch a été arrêté en 1999 et jugé en 2009 pour crime contre l'humanité. En juillet 2010, il est condamné à 30 ans de prison.
Dans la deuxième partie du livre décrit avec grande précision la chute de Phnom Penh en 1975, à cette époque, François Bizot a été désigné par les Khmers rouges comme l'interprète du Comité de sécurité militaire de la ville chargé des étrangers à l’Ambassade de France, il est donc le témoin privilégié des tractations entre français et khmers rouge.
En écrivant ce billet, je réalise que ce livre est vraiment d’actualité même s’il parle de faits qui ont plus de trente ans… Il est question d’un otage et un nouveau procès d’anciens dirigeants Khmers rouge s’est ouvert il y a quelques jours au Cambodge.
Voilà un témoignage passionnant et fort sur une période difficile de l’Histoire du Cambodge.
Extrait : (page 29)
De mes souvenirs surgit aujourd’hui l’image d’un portail. Il m’apparaît, et je vois l’articulation dérisoire qui fut dans ma vie à la fois un début et une fin. Fais de deux battants qui hantent mes songes, d’un treillis de fer soudé sur un châssis tubulaire, il fermait l’entrée principale de l’ambassade de France quand les Khmers rouges sont entrés dans Phnom Penh, en avril 1975.
Je l’ai revu treize ans plus tard, lors de mon premier retour Cambodge. C’était en 1988, au début de la saison des pluies. Ce portail m’a semblé beaucoup plus petit et fragile. J’y ai, sans attendre, posé mes yeux et mes mains aveugles, immédiatement surpris de mon audace, hésitant sur ce que je cherchais au juste, et surtout ignorant de ce que j’allais y trouver : de la serrure légèrement de travers, des soudures visibles, des plaques de renforcement posées dans les coins, de toutes ce cicatrices qui m’apparaissaient soudain cruciales – mes yeux passant au travers ne s’y étaient jamais arrêtés -, un surprenant mélange de confusion et de crainte m’envahit ; devenu réel et comme doté d’existence, il me faisait éprouver du plaisir en même temps que resurgissait l’horreur.
Ce n’était pas seulement le plaisir du déclenchement des larmes. Cette nouvelle réalité, recouvrant mon souvenir, me fit songer aux soudeurs qui avaient posé sans soin le grillage sur le cadre, et aux maçons qui avaient fiché les charnières dans le ciment. Auraient-ils pu imaginer de quel drame ce montage un jour serait l’instrument ? Je ne m’expliquais pas qu’une ambassade ait pu recevoir une porte de si mauvaise facture ; ni qu’un grillage si fragile ait résisté à tant d’espoirs si forts, se soit ouvert à tant de maux si lourds. J’avais conservé l’image d’une structure beaucoup plus imposante, faite pour retenir, pour refouler, lourde, infranchissable ; or, la ferronnerie, tout à coup mise au jour, et dont je voyais (comme avec gêne) le matériau, les lésions, les souffrances, m’apparaissait dérisoire.
La douceur inattendue qui m’envahissait au moment même où remontait l’horreur – mélange qui coule maintenant dans mes veines pour toujours – fit vaciller mon corps sans chasser l’affliction qui m’étouffait. Je ressentis avec force la dérision du temps et le jeu frivole des choses.
Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC
"Objet"