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A propos de livres...
8 juillet 2012

Journal d’un corps – Daniel Pennac

Journal_d_un_corps Gallimard – février 2012 – 396 pages

Quatrième de couverture :
13 ans, 1 mois, 8 jours                                    Mercredi 18 novembre 1936 
Je veux écrire le journal de mon corps parce que tout le monde parle d'autre chose. 

50 ans et 3 mois                                              Jeudi 10 janvier 1974 
Si je devais rendre ce journal public, je le destinerais d'abord aux femmes. En retour, j'aimerais lire le journal qu'une femme aurait tenu de son corps. Histoire de lever un coin du mystère. En quoi consiste le mystère ? En ceci par exemple qu'un homme ignore tout de ce que ressent une femme quant au volume et au poids de ses seins, et que les femmes ne savent rien de ce que ressentent les hommes quant à l'encombrement de leur sexe. 

86 ans, 9 mois, 16 jours                                  Lundi 26 juillet 2010 
Nous sommes jusqu'au bout l'enfant de notre corps. Un enfant déconcerté. 

De 13 à 87 ans, âge de sa mort, le narrateur a tenu le journal de son corps. Nous qui nous sentons parfois si seuls dans le nôtre nous découvrons peu à peu que ce jardin secret est un territoire commun. Tout ce que nous taisions est là, noir sur blanc, et ce qui nous faisait si peur devient souvent matière à rire.

Auteur : Daniel Pennac, de son vrai nom Daniel Pennacchioni, est né le 1er décembre 1944 à Casablanca, au Maroc. Il est le quatrième et dernier d'une tribu de garçons. Son père est militaire. La famille le suit dans ses déplacements à l'étranger -Afrique, Asie, Europe- et en France, notamment dans le village de La Colle-sur-Loup, dans les Alpes-Maritimes. Daniel passe une partie de sa scolarité en internat, ne rentrant chez lui qu'en fin de trimestre. De ses années d'école il raconte : "Moi, j'étais un mauvais élève, persuadé que je n'aurais jamais le bac." Toutefois, grâce à ses années d'internat, il a pris goût à la lecture. Ses études de lettres le mènent à l'enseignement, de 1969 à 1995, en collège puis en lycée, à Soissons et à Paris. Son premier livre, écrit en 1973 après son service militaire, est un pamphlet qui s'attaque aux grands mythes constituant l'essentiel du service national : l'égalité, la virilité, la maturité. Il devient alors Daniel Pennac, changeant son nom pour ne pas porter préjudice à son père. En 1979, Daniel Pennac fait un séjour de deux ans au Brésil, qui sera la source d'un roman publié vingt-trois ans plus tard: "Le Dictateur et le hamac". Dans la Série Noire, il publie en 1985, "Au bonheur des ogres", premier volet de la saga de la tribu des Malaussène. Daniel Pennac continue sa tétralogie avec "La Fée Carabine" puis "La petite marchande de prose" et "Monsieur Malaussène" (il y a ajouté depuis "Aux fruits de la passion"). Il diversifie son public avec une autre tétralogie pour les enfants, mettant en scène des héros proches de l'univers enfantin, préoccupé par l'école et l'amitié : "Kamo, l'agence Babel", "Kamo et moi", "L'évasion de Kamo" et "Kamo, l'idée du siècle". Ces romans sont-ils le fruit de souvenirs personnels ? "Kamo, c'est l'école métamorphosée en rêve d'école, ou en école de rêve, au choix." À ces fictions s'ajoutent d'autres types d'ouvrages : un essai sur la lecture, "Comme un roman", deux ouvrages en collaboration avec le photographe Robert Doisneau et "La débauche", une bande dessinée, avec Jacques Tardi. Il a mis fin en 1995 à son métier d'enseignant pour se consacrer entièrement à la littérature. Toutefois, il continue d'avoir un contact avec les élèves en se rendant régulièrement dans les classes.

Mon avis : (lu en juillet 2012)
La première fois que j'ai entendu parler de ce livre, je n'avais pas spécialement envie de le découvrir... C'est le Café Lecture de la Bibliothèque et la blogosphère qui m'ont vraiment incité à le découvrir et je ne le regrette pas !

Voilà une idée très originale à l'âge de 13 ans de commencer un journal de son corps plutôt qu'un journal intime... Un journal où seront décrites toutes les manifestations de son corps de l'âge de 13 ans à celui de 87 ans.
Si le sujet est original, il est également risqué... car l'histoire d'un homme à travers la description de son corps peut vite devenir répétitif et ennuyeux. Daniel Pennac a su avec beaucoup de talent raconter cette histoire avec de l'émotion, mais aussi de la tendresse et de l'humour.

Cette lecture est passionnante à plusieurs titres, tout d'abord en tant que femme, en tant que maman de plusieurs garçons... Cela permet de comprendre certaines choses typiquement masculines mais chacun peut se retrouver dans les manifestations universelles que sont la souffrance, la peur ou la maladie. A lire sans hésiter !

Autres avis : Valérie, Canel

Extrait : (début du livre)

64 ans, 2 mois, 18 jours                                                Lundi 28 décembre 1987

Une blague stupide faite par Grégoire et son copain Philippe à la petite Fanny m'a rappelé la scène originelle de ce journal, le trauma qui l'a fait naître.
Mona, qui aime faire le vide, a ordonné un grand feu de vieilleries dont la plupart dataient du temps de Manès : Chaises bancales, sommiers moisis, une charrette vermoulue, des pneus hors d'usage, autant dire un autodafé gigantesque et pestilentiel. (Ce qui, à tout prendre, est moins sinistre qu'un vide-greniers.) Elle en a chargé les garçons qui ont décidé de rejouer le procès de Jeanne d'Arc. J'ai été tiré de mon travail par les hurlements de la petite Fanny, recrutée pour tenir le rôle de la sainte. Pendant toute la journée, Grégoire et Philippe lui ont vanté les mérites de Jeanne dont Fanny, du haut de ses six ans, n'avait jamais entendu parler. Ils lui ont tant fait miroiter les avantages du paradis qu'elle battait des mains en sautant de joie à l'approche du sacrifice. Mais quand elle a vu le brasier dans lequel on se proposait de la jeter toute vivante, elle s'est précipitée chez moi en hurlant. (Mona, Lison et Marguerite étaient en ville.) Ses petites mains m'ont agrippé avec une terreur de serres. Grand-père ! Grand-père ! J'ai tenté de la consoler avec des « là, là », des « c'est fini », des « ce n'est rien » (ce n'était pas rien, c'était même assez grave, mais je n'étais pas au courant de ce projet de canonisation). Je l'ai prise sur mes genoux et j'ai senti qu'elle était humide. Plus que cela, même, elle avait fait dans sa culotte, elle s'était souillée de terreur. Son cœur battait à un rythme effrayant, elle respirait à coups minuscules. Ses mâchoires étaient à ce point soudées que j'ai craint une crise de tétanie. Je l'ai plongée dans un bain chaud. C'est là qu'elle m'a raconté, par bribes, entre deux restes de sanglot, le destin que ces deux abrutis lui avaient réservé.
Et me voilà renvoyé à la création de ce journal. Septembre 1936. J'ai douze ans, bientôt treize. Je suis scout. Avant, j'étais louveteau, affublé d'un de ces noms d'animaux mis en vogue par Le Livre de la jungle. Je suis scout, donc, c'est important, je ne suis plus louveteau, je ne suis plus petit, je suis grand, je suis un grand. C'est la fin des grandes vacances. Je participe à un camp scout quelque part dans les Alpes. Nous sommes en guerre contre une autre troupe qui nous a volé notre fanion. Il faut aller le récupérer. La règle du jeu est simple. Chacun de nous porte son foulard dans le dos, coincé dans la ceinture de son short. Nos adversaires aussi. On appelle ce foulard une vie. Non seulement il nous faut revenir de ce raid avec notre fanion, mais en rapportant le plus de vies possible. Nous les appelons aussi des scalps et nous les suspendons à nos ceintures. Celui qui en rapporte le plus grand nombre est un guerrier redoutable, il est un « as de la chasse », comme ces aviateurs de la Grande Guerre dont les carlingues s'ornaient de croix allemandes à proportion du nombre d'avions abattus. Bref, nous jouons à la guerre. Comme je ne suis pas bien costaud, je perds ma vie dès le début des hostilités. Je suis tombé dans une embuscade. Plaqué à terre par deux ennemis, ma vie arrachée par un troisième. Ils me ligotent à un arbre pour que je ne sois pas tenté, même mort, de reprendre le combat. Et ils m'abandonnent là. En pleine forêt. Attaché à un pin dont la résine colle à mes jambes et à mes bras nus. Mes ennemis s'éclipsent. Le front s'éloigne, j'entends sporadiquement des éclats de voix de plus en plus ténus, puis, plus rien. Le grand silence des bois s'abat sur mon imagination. Ce silence de la forêt qui bruit de tous les possibles : les craquements, les frôlements, les soupirs, les gloussements, le vent dans la futaie... Je me dis que les bêtes, dérangées par nos jeux, vont maintenant réapparaître. Pas les loups, bien sûr, je suis un grand, je ne crois plus aux loups mangeurs d'hommes, non, pas les loups, mais les sangliers par exemple. Que fait un sanglier à un garçon attaché à un arbre ? Sans doute rien, il lui fiche la paix. Mais si c'est une laie, accompagnée de ses petits ? Pourtant, je n'ai pas peur. Je me pose juste le genre de questions qui viennent dans une situation où tout est à explorer. Plus je fais des efforts pour me libérer, plus les liens se resserrent et plus la résine colle à ma peau. Va-t-elle durcir ? Une chose est sûre, je ne me débarrasserai pas de mes liens, les scouts s'y connaissent en nœuds indénouables. Je me sens bien seul mais je ne me dis pas qu'on ne me retrouvera jamais. Je sais que c'est une forêt fréquentée, nous y rencontrons assez souvent des cueilleurs de myrtilles et de framboises. Je sais qu'une fois finies les hostilités quelqu'un viendra me détacher. Même si mes adversaires m'oublient, ma patrouille notera mon absence, un adulte sera prévenu et je serai libéré. Donc je n'ai pas peur. Je prends mon mal en patience. Mon raisonnement maîtrise sans difficulté tout ce que la situation propose à mon imagination. Une fourmi grimpe sur ma chaussure, puis sur ma jambe nue qu'elle chatouille un peu. Cette fourmi solitaire n'aura pas raison de ma raison. En elle-même, je la juge inoffensive. Même si elle me pique, même si elle entre dans mon short, puis dans mon slip, ce n'est pas un drame, je saurai supporter cette douleur. Il n'est pas rare de se faire mordre par les fourmis en forêt, c'est une douleur connue, maîtrisable, elle est acide et passagère. Tel est mon état d'esprit, tranquillement entomologiste, jusqu'à ce que mes yeux tombent sur la fourmilière proprement dite, à deux ou trois mètres de mon arbre, au pied d'un autre pin : un gigantesque tumulus d'épines de pin grouillant d'une vie noire et fauve, un monstrueux grouillement immobile. C'est quand je vois la deuxième fourmi grimper sur ma sandale que je perds le contrôle de mon imagination. Il n'est plus question de piqûres à présent, je vais être recouvert par ces fourmis, dévoré vif. Mon imagination ne me représente pas la chose dans son détail, je ne me dis pas que les fourmis vont grimper le long de mes jambes, qu'elles vont me dévorer le sexe et l'anus ou s'introduire en moi par mes orbites, mes oreilles, mes narines, qu'elles vont me manger de l'intérieur en cheminant par mes intestins et mes sinus, je ne me vois pas en fourmilière humaine ligotée à ce pin et vomissant par une bouche morte des colonnes de travailleuses occupées à me transporter miette par miette dans l'effroyable estomac qui grouille sur lui-même à trois mètres de moi, je ne me représente pas ces supplices, mais ils sont tous dans le hurlement de terreur que je pousse maintenant, les yeux fermés, la bouche immense. C'est un appel au secours qui doit couvrir la forêt, et le monde au-delà d'elle, une stridence où ma voix se brise en mille aiguilles, et c'est tout mon corps qui hurle par cette voix de petit garçon redevenu, mes sphincters hurlent aussi démesurément que ma bouche, je me vide le long de mes jambes, je le sens, mon short se remplit et je coule, la diarrhée se mêle à la résine, et cela redouble ma terreur car l'odeur, me dis-je, l'odeur va enivrer les fourmis, attirer d'autres bêtes, et mes poumons s'éparpillent dans mes appels à l'aide, je suis couvert de larmes, de bave, de morve, de résine et de merde. Pourtant, je vois bien que la fourmilière ne se soucie pas de moi, qu'elle demeure à travailler pesamment sur elle-même, à s'occuper de ses innombrables petites affaires, qu'à part ces deux fourmis vagabondes les autres, qui sont sans doute des millions, m'ignorent complètement, je le vois, je le perçois, je le comprends même, mais c'est trop tard, l'effroi est le plus fort, ce qui s'est emparé de moi ne tient plus aucun compte de la réalité, c'est mon corps tout entier qui exprime la terreur d'être dévoré vif, terreur conçue par mon esprit seul, sans la complicité des fourmis, je sais confusément tout cela bien sûr, et plus tard quand l'abbé Chapelier – il s'appelait Chapelier – me demandera si je croyais sérieusement que les fourmis allaient me dévorer, je répondrai non, et quand il me demandera d'avouer que je me suis joué la comédie, je répondrai oui, et quand il me demandera si ça m'a amusé de terroriser par mes hurlements les promeneurs qui m'ont finalement détaché je répondrai je ne sais pas, et n'as-tu pas honte d'avoir été ramené tout merdeux comme un bébé devant tes camarades, je répondrai si, toutes questions qu'il me pose en me nettoyant au jet, en enlevant le plus gros au jet, sans même ôter mes vêtements, qui sont un uniforme je te le rappelle, l'uniforme des scouts je te le rappelle, et t'es-tu demandé une seconde ce qu'allait penser des scouts ce couple de promeneurs ? Non, pardon, non, je n'y ai pas pensé. Mais, dis-moi la vérité, cette comédie t'a fait plaisir tout de même, non ? Ne mens pas, ne me dis pas que tu n'y as pas pris du plaisir ! Tu y as pris plaisir, n'est-ce pas ? Et je ne pense pas avoir su répondre à cette question car je n'étais pas encore entré dans ce journal qui pendant toute la vie qui allait suivre s'est proposé de distinguer le corps de l'esprit, de protéger dorénavant mon corps contre les assauts de mon imagination, et mon imagination contre les manifestations intempestives de mon corps. Et que va dire ta mère ? As-tu pensé à ce que va dire ta mère ? Non, non, je n'ai pas pensé à maman et comme il me posait cette question je me suis même dit que la seule personne que je n'avais pas appelée pendant que je criais, c'était maman, maman était la seule que je n'avais pas appelée.
Je fus renvoyé. Maman vint me chercher. Le lendemain, je commençais ce journal en écrivant : Je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus jamais peur.

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Déjà lu du même auteur :

au_bonheur_des_ogres_p88_x  Au bonheur des ogres 

  Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012

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"Partie du corps"

 Challenge le nez dans les livres
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La reine des lectrices : 9/6

 

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30 juin 2012

L'Enfant-rien – Nathalie Hug

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Calmann-Levy – janvier 2011 - 144 pages

Livre de Poche – mars 2012 - 128 pages

Quatrième de couverture :
« Aussi loin que je me souvienne, je l'attendais assis, le menton sur les genoux, les bras autour des jambes et le dos appuyé contre la porte du placard. »

Petit garçon étrange, Adrien guette chaque semaine l'arrivée du père de sa demi-sœur, dans l'espoir de recueillir un regard, une parole ou un geste tendre. S'il rêve d'un papa, Adrien veut surtout percer le secret de sa naissance, secret qu'il croit enfermé dans une boîte rouge, cachée hors de sa portée. Le jour où sa mère se fait renverser par une voiture et se transforme en « tas-de-fraises-à-la-crème », la possibilité d'une vie différente s'ouvre à lui. Mais Adrien, l'enfant-rien, peut-il vraiment trouver sa place dans une famille qui n'est pas la sienne ?

Auteur : Née en 1970 à Nancy où elle vit toujours, Nathalie Hug a publié depuis 2004 plusieurs thrillers avec son mari Jérôme Camut. Avec L’Enfant-rien, son premier roman en solo, elle signe une œuvre poignante, bouleversante.

Mon avis : (lu en juin 2012)
C'est la blogosphère qui m'a donnée envie de découvrir ce livre. Je ne connaissais pas l'auteur.
Ce livre est bouleversant, Adrien est un jeune garçon qui recherche désespérément un père. Il vit avec sa mère dépressive et Isabelle sa demi-sœur. Un jour, sa mère se fait renverser par une voiture et se transforme en un « tas-de-fraises-à-la-crème », il est alors accueilli chez le père d'Isabelle et Adrien essaie de se faire accepter dans cette nouvelle famille, mais son attente est déçue...
Je ne vais pas en dire tellement plus pour ne rien dévoiler de trop et laisser au lecteur découvrir qui est cet Enfant-rien. Pour ma part, il m'a émue jusqu'aux larmes...

Autres avis : CanelStephie

Extrait : (début du livre)
Aussi loin que je m’en souvienne, je l’attendais assis, le menton sur les genoux, les bras autour des jambes et le dos appuyé contre la porte du placard.
Je comptais jusqu’à vingt, j’entendais le ronronnement de l’ascenseur six étages en dessous et le clic des vieux boutons noirs quand il appuyait dessus. Enfin, je guettais le grincement des portes, juste à côté de la nôtre, celle qui allait s’ouvrir, à quelques centimètres de mes genoux, de ma tête, de mon cœur, quand il aurait sonné un coup et que ma mère se serait précipitée pour l’accueillir.
C’était rarement plus court, souvent plus long, quand d’autres gens montaient, descendaient avant lui, appuyaient sur tous les boutons ou bloquaient la cabine au sous-sol. J’ai toujours eu peur du parking souterrain. Je détestais marcher derrière ma mère et Isabelle parce que je sentais des choses frôler mon dos – comme si elles voulaient m’attraper, m’aspirer et me broyer tout entier. D’ailleurs, je m’endors toujours avec un oreiller sur les yeux, face à la porte du placard, même si je sais bien que les monstres-noirs-qui-aspirent n’existent pas.

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27 juin 2012

Il faut laisser les cactus dans le placard - Françoise Kerymer

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Jean-Claude Lattès – octobre 2010 – 402 pages

Pocket – février 2012 – 437 pages

Quatrième de couverture :
Trois sœurs, trois personnalités différentes, trois voix entrelacées : Marie, libraire et mère de famille épanouie, Anne, l'artiste, et Lise, solitaire et fragile. Toutes trois ont été marquées par la séparation de leurs parents et la figure d'un père taciturne et froid. Chacune a suivi son chemin, emportée par le cours de sa vie. Et les voilà aujourd'hui réunies à nouveau autour de ce père, décédé. 
Mais une quatrième personne s'invite à la lecture du testament : un homme qui reçoit l'entreprise familiale. Qui est ce légataire ? Et qui était vraiment leur père ? Un héritage familial lourd de secrets qui va donner aux trois sœurs l'opportunité de choisir leur destin.

Auteur : Françoise Kerymer est libraire. Elle partage son temps entre Paris et la Bretagne et signe là son premier roman.

Mon avis : (lu en juin 2012)
Ce livre m'a été présenté au Café Lecture de la Bibliothèque et comme il était question de Bretagne, il était évident que je voulais le découvrir...
Tout commence avec le décès de Charles Vautrin. Il est le père de trois filles, Marie, Anne et Lise. Lors du passage chez le notaire, les trois sœurs découvrent qu'il y a un quatrième en la personne de Gabriel Lis-Reminovski qui héritera de l'entreprise de leur père. Mais qui est ce Gabriel Lis-Reminovski ?
L'histoire est racontée selon les trois points de vue des sœurs. Elles ont chacune des façons de vivre, des caractères et des états d'esprit différents. 
Marie, l’aînée, vit à Paris  entre son mari pianiste et sa librairie, ils ont deux filles Sarah et Elsa vivant à Londres et aux États-Unis. Elle est sérieuse, c'est elle qui va chercher en à savoir plus sur l'héritier inconnu. Anne est l'artiste de la famille, elle vit simplement dans une maison au pied du phare de Port Manech en Bretagne. Lise, la plus jeune, est fragile et dépressive.

Ce livre se lit très facilement, les personnages sont attachants, la mort du père bouleverse cette famille, et le lecteur est tenu en haleine par une intrigue soutenue, pas toujours vraisemblable mais cependant très sympathique. Anne la bretonne d’adoption est la sœur que je préfère, j’ai beaucoup aimé les descriptions de son joli coin de Bretagne. Sa maison me plaît beaucoup !

Extrait : (page 15)
Papa est mort !

J'avais beau y penser de temps en temps...
N'empêche, ça me tombe dessus brutalement. Pourtant, c'est dans l'ordre des choses à quatre-vingt-treize ans. Et puis, il n'allait pas si bien, ces derniers temps.
Quand même. J'ai vraiment du mal à l'admettre. Celui qui m'a fait ne peut pas disparaître. Ou alors c'est un peu de moi qui part avec lui. Et là... Non ! Ça me fait trop peur, comme si le sol se dérobait, brusquement, sous mes pieds.

Je tourne en rond, je ne me fixe sur rien, tout m'énerve, tout m'exaspère. J'ai envie de pleurer pour un rien. Et nerveuse... nerveuse... C'est rien de le dire.
Je suis sortie marcher, mais même ma grande promenade en plein vent sur le sentier des douaniers n’a pas réussi à me calmer. Moi qui l’aime tant, la mer, moi qui vis avec elle, et qui ne changerais pour rien au monde ma petite parcelle de paradis pour les plus beaux palais de la terre… Rien à faire, je n’arrive pas à m’en remettre.
Mon père me quitte, et me laisse sans repère. Débrouille-toi toute seule. Même si depuis belle lurette je me suis passée de lui. Même s'il n'a jamais été à proprement parler un père, je porte son nom. Je suis Anne Vautrin, sculpteur, bretonne d'adoption et fière de l'être. Heureusement, d'ailleurs, parce que si j'attendais une quelconque reconnaissance de mon statut d'artiste pour exister, je n'aurais pas été bien loin.  

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Lu dans le cadre du Challenge Défi Premier roman

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  Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012

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"Végétal"

 

21 juin 2012

Fugue – Anne Delaflotte Mehdevi

A l'occasion de la Fête de la Musique

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fugue Gaïa – septembre 2010 – 326 pages

Quatrième de couverture :
Madeleine s'enfuit de l'école le jour de la rentrée. Sa mère, folle d'angoisse, crie son nom le long de la rivière. L'enfant est saine et sauve, mais Clothilde y perd la voix. Sa voix du quotidien, sa voix de mère, de fille, d'amie et d'amante lui fait désormais défaut. Clothilde consulte, se refuse aux traitements, se heurte à l'incompréhension de tous. Et, contre toute attente, prend des cours de chant. La voix chantée de Clothilde est belle, sublime même. Passionnée de musique depuis l'enfance, comment pourrait-elle se détourner de ce talent qui affleure ? Un portrait de femme d'une tonalité bouleversante.

Auteur : Anne Delaflotte Mehdevi est née en 1967 à Auxerre. Elle grandit près de Saint-Sauveur-en-Puisaye où est née Colette. Elle suit des études en droit international et diplomatique et pratique le piano et le chant lyrique. Depuis 1993, elle vit à Prague où elle exerce le métier de relieur, parallèlement à son travail d'écrivain. Après La relieuse du gué (2008), Fugue est son second roman.

Mon avis : (lu en juin 2012)
J’avais ce livre dans ma LAL depuis trop longtemps… et la proposition d’Anne de faire une lecture « musicale » pour le 21 juin jour de Fête de la Musique en marge de son Challenge Des mots et des notes était l’occasion rêvée pour le découvrir !
Clothilde vit à Levayze un petit village de Bourgogne, elle a quatre enfants Antoine, Madeleine et les jumeaux Adèle et David. Vincent son mari est pilote de ligne, il est absent tous les trois jours et demi. Sa vie est équilibrée entre la famille, les amis, la maison et la musique qui a toujours été importante pour elle.
Lorsque l'histoire commence, c'est le jour de la Rentrée des classes et c'est la première Rentrée des jumeaux. Clothilde commence à songer à son avenir, son travail de maman à plein temps est terminé, mais elle ne sait pas encore quel travail elle pourrait faire.
En fin de matinée, elle reçoit un appel de l'école, sa fille Madeleine a fugué de l'école. Clothilde, accompagnée de son chien Beau, se met à sa recherche en l'appelant sans relâche. Madeleine est finalement retrouvé saine et sauve, mais Clothilde a perdu sa voix. 
Ce n'est pas une simple extinction de voix. Elle est alors confrontée à l'incompréhension de son mari, de sa meilleure amie et de son père, car elle refuse une injection dans ses muscles du larynx qui serait une solution transitoire. Après quelques semaine, elle découvre avec son phoniatre que malgré son impossibilité de parler, elle arrive à chanter sans aucune difficulté et elle décide alors de prendre des cours de chant.
J'ai beaucoup aimé ce livre plein de sensibilité, je me suis facilement identifiée à Clothilde, je suis mère de famille, j'ai été pendant quelques années en congé parental et je chante... J'ai aimé sa force et sa détermination à vouloir imposer ses choix de vie.
Tout au long du livre, l'auteur utilise le vocabulaire musical, cela donne une vraie poésie et une musicalité à ses propos. Il y a également beaucoup de références à des œuvres que je n'ai pas pris le temps de découvrir. Un livre apaisant à découvrir !

Autres avis : Clara - Sandrine - Saxaoul - Mirontaine

Extrait : (début du livre)
Clothilde était au jardin, elle y taillait un buis auquel elle donnait une forme ronde. La musique, qui lui parvenait du salon par la baie laissée ouverte, accompagnait son geste, précis et délicat, du bout des lames. L'Art de la fugue en était au XIVe contrepoint. Quand la musique de Bach cessa au milieu de cette partition dont il n'avait pas écrit la fin, Clothilde continua à sculpter dans le silence.

Concentrée sur l'arbuste, elle ne perçut d'abord que les mouvements de va-et-vient impatients de son chien blanc sur le fond vert des charmilles. Elle se redressa pour en chercher la cause et c'est alors qu'un filet de brise lui fit parvenir l'appel. Elle s'extirpa du dédale de parterres de fleurs rampantes qu'elle laissait empiéter sur les allées et décrocha enfin. C'était juste avant midi, jour de rentrée scolaire.
La directrice de l'école demandait à la jeune mère de venir la rejoindre de toute urgence. Clothilde pensa que quelque chose n'allait pas avec ses jumeaux. Adèle avait-elle déclaré la guerre à l'institution ? Dès sa première rentrée ? Elle siffla Beau et le grand chien blanc des Pyrénées se colla comme une ombre à sa maîtresse. Ils s'engouffrèrent dans la voiture pour rejoindre l'école. Quittant les hauteurs du village pour gagner le pied de la colline à l'opposé du bourg, Clothilde nota en bas dans la plaine un banc de brouillard toujours accroché au lit de la rivière, une traîne blanche, comme un cumulus tombé des nues.

Devant l'école, attendait la directrice, le dos voûté, les mains nouées l'une à l'autre. Noués les doigts de cette femme, nouvelle ici, qui voulait que l'on mît Beau en laisse. Mettre Beau en laisse !

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13 juin 2012

Chroniques de l'asphalte 1/5 - Samuel Benchetrit

chroniques_ chroniques

Julliard – octobre 2005 – 187 pages

Pocket – février 2007 – 187 pages

Quatrième de couverture :
Qu'en est-il du jeune auteur dont on a dit, à la sortie de son premier roman Récit d'un branleur, qu'il " était à la littérature ce que les Sex Pistols ont été au rock " ? 
Samuel Benchetrit ne s'est pas calmé. Après des aventures au cinéma (Janis et John, réalisé en 2003) et au théâtre (Moins deux, pièce créée en 2005, connaît actuellement un succès considérable au théâtre Hébertot), il revient aujourd'hui en librairie avec un projet tout à fait déraisonnable : raconter, en cinq livres, les trente premières années de sa vie. 
Il aurait pu attendre d'avoir soixante ans pour faire le point. Il n'avait pas envie. Voici donc le premier volume : son enfance. 

Auteur : Né en 1973, Samuel Benchetrit est écrivain, acteur, auteur de pièces de théâtre, scénariste, réalisateur et metteur en scène. Il a publié trois volumes de nouvelles (placées sous le titre général de « Chroniques de l’asphalte ») et Le cœur en dehors (2009).

Mon avis : (lu en juin 2012)
Livre qui se lit très facilement et très rapidement. Samuel Benchetrit raconte son enfance en banlieue à travers des tranches de vie dans un HLM, une histoire pour chaque étage, du 1er au 12ème avec même pour terminer le toit de l'immeuble.
Le narrateur c'est le jeune Samuel, c'est écrit avec le ton d'un adolescent, un langage parlé, avec des gros mots et de l'argot. C'est à la fois naïf et sans retenue, il balance toutes les petites histoires de l'immeuble. Il est question de racisme, d'échec scolaire, de sexe, de drogue, d'espoir et de désespoir. C'est à la fois plein d'humour et de cruauté, cela dépeint la réalité de la vie de toute une société d'une tour du Val-de-Marne. Il y a beaucoup de tendresse de la part de l'auteur pour les habitants de cette cité.
Le résultat est un livre plein d'humanité.

Merci à Pimousse4783 qui m'a offert ce livre lors du Swap Les Vertes Années organisé par Valérie

Autres avis : InColdBlog

Extrait : (page 27)
Au début, la famille Bouteille habitait au neuvième. Et puis la mère, je crois qu'elle s'appelait Suzanne, enfin madame Bouteille, elle a eu une sclérose en plaques. Alors plus sa maladie avançait et plus ils descendaient d'étage dans l'immeuble. Faut dire qu'elle avait vraiment du mal à marcher et avec l'ascenseur toujours en panne c'était pas évident. Monsieur Bouteille, qui je crois s'appelait Georges ou peut-être Joseph, je dis ça parce que tout le monde l'appelait Jojo, arrivait facilement à changer d'appartement vu que lui-même travaillait pour la ville. En fait, toute la famille y travaillait. C'étaient les éboueurs. 
Jojo conduisait le camion et restait toujours derrière son volant à écouter des noms de chevaux (Marquis du Maquis, Black Angel, Lady Like...) pronostiqués dans les courses qui l'intéressaient plus tard dans la journée. Quand Jojo jetait un coup d'œil dans son rétro, il pouvait voir Titi et Neness, ses jumeaux, charger la benne à ordures, pendant que Marco, son aîné, restait accroché au camion, occupé à faire marcher le broyeur.
Nous, on les voyait tous les matins à l'école. C'est pas qu'on les croisait pendant leur tournée. Non. Ils déposaient Dédé, un de mes meilleurs amis, le dernier des Bouteille, encore trop jeune pour travailler sur le camion.
Quand Dédé descendait de la benne, il était plutôt gêné, faut dire que tout le monde se foutait de sa gueule. Et comme sa seule façon de s'en tirer c'était la dignité, il nous disait à chaque fois :
- Ça va... Y a pas de honte !
Dédé, c'était le type le plus gentil de la Terre. Il était serviable, généreux, disait tou­jours des trucs agréables aux gens, ne parlait jamais mal aux filles et faisait tout pour bien travailler en cours, bien qu'il était le plus mauvais de l'école. Et s'il était un peu plus con que les autres, c'était pas de sa faute. Fallait plutôt aller regarder du côté des mélanges dans sa famille. Parce que la mère et le père de Dédé, ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, et la légende disait qu'ils étaient deux frère et sœur débiles qui n'avaient pas trouvé mieux qu'eux pour se marier.

 

Déjà lu du même auteur : le_coeur_en_dehors Le cœur en dehors

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La reine des lectrices 9/6


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27 mai 2012

Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eus - Éric-Emmanuel Schmitt

les_10_enfants Albin Michel – avril 2012 – 114 pages

Quatrième de couverture :
Madame Ming aime parler de ses dix enfants vivant dans divers lieux de l’immense Chine. Fabule-t-elle, au pays de l’enfant unique ? A-t-elle contourné la loi ? Aurait-elle sombré dans une folie douce ? Et si cette progéniture n’était pas imaginaire ? L’incroyable secret de Madame Ming rejoint celui de la
Chine d’hier et d’aujourd’hui, éclairé par la sagesse immémoriale de Confucius.
Dans la veine d’Oscar et la dame rose, de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran ou de L’Enfant de Noé, Les dix enfants que Madame Ming n’a jamais eus est le sixième récit du Cycle de l’Invisible.

Auteur : Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Éric-Emmanuel Schmitt s’est d’abord fait connaître au théâtre avec Le Visiteur, cette rencontre hypothétique entre Freud et peut-être Dieu, devenue un classique du répertoire international. Rapidement, d’autres succès ont suivi : Variations énigmatiques, Le Libertin, Hôtel des deux mondes, Petits crimes conjugaux, Mes Evangiles, La Tectonique des sentiments… Plébiscitées tant par le public que par la critique, ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l’Académie française. Son œuvre est désormais jouée dans plus de quarante pays.
Il écrit le Cycle de l’Invisible, quatre récits sur l’enfance et la spiritualité, qui rencontrent un immense succès aussi bien sur scène qu’en librairie : Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose et L'enfant de Noé. Une carrière de romancier, initiée par La Secte des égoïstes, absorbe une grande partie de son énergie depuis L’Evangile selon Pilate, livre lumineux dont La Part de l’autre se veut le côté sombre. Depuis, on lui doit Lorsque j’étais une œuvre d’art, une variation fantaisiste et contemporaine sur le mythe de Faust et une autofiction, Ma Vie avec Mozart, une correspondance intime et originale avec le compositeur de Vienne. S'en suivent deux recueils de nouvelles : Odette Toulemonde et autres histoires, 8 destins de femmes à la recherche du bonheur,  inspiré par son premier film, et la rêveuse d'Ostende, un bel hommage au pouvoir de l'imagination. Dans Ulysse from Bagdad, son dernier roman, il livre une épopée picaresque de notre temps et interroge la condition humaine. Encouragé par le succès international remporté par son premier film Odette Toulemonde, il adapte et réalise Oscar et la dame rose. 

 

Mon avis : (lu en mai 2012)
Madame Ming est la "dame pipi" des toilettes hommes du Grand hôtel de Yunhai en Chine.
Le narrateur est un homme d'affaires européen qui vient très souvent en Chine. Pour déstabiliser ses interlocuteurs, il a comme stratégie d'interrompre souvent les négociations en allant aux toilettes. C'est là qu'il rencontre la fascinante Madame Ming. Lorsqu'un jour, elle lui affirme avoir dix enfants, il en doute beaucoup, la Chine étant le pays de l'enfant unique. Malgré cela, il apprécie ses conversations avec madame Ming et il est curieux de mieux connaître Ting Ting, Ho, Da-Xia, Kun, Kong, Li mei, Wang, Ru, Zhou et Shuang à travers les portraits faits par leur mère.
L'histoire est courte, facile à lire, le lecteur découvre la Chine d’hier et d’aujourd’hui et est appelé à réfléchir sur le bonheur, l'amour, la sagesse. Une lecture plaisante et détendante.

Extrait : (début du livre)
La Chine, c'est un secret plus qu'un pays.
Madame Ming, l'œil pointu, le chignon moiré, le dos raidi sur son tabouret, me lança un jour, à moi, l’Européen de passage :
- nous naissons frères par la nature et devenons distincts par l’éducation.
Elle avait raison… Même si je la parcourais, la Chine m’échappait. A chacun de mes voyages, son sol s’étendait, son histoire s’évaporait, je perdais mes jalons sans en gagner de nouveaux ; malgré mes progrès en cantonais, en dépit de mes lectures, quoique je multipliasse les contrats commerciaux avec ses habitants, la Chine reculait à mesure que j'avançais, tel l'horizon.
- Au lieu de se plaindre de l'obscurité, mieux vaut allumer la lumière, affirma madame Ming.
Comment ? Quel individu choisir pour fouiller ce sol énigmatique ? Quelle proie harponner ? La Chine contenait autant de sujets que la Méditerranée de poissons.
- La planète porte un milliard de Chinois et cinq milliards d'étrangers, murmura madame Ming en ravaudant une paire de bas.
Au cours d'une émission qu'elle écoutait sur sa radio en plastique bistre, vestige de l'époque maoïste qui enrhumait les voix en y ajoutant des postillons, madame Ming répétait les propos du journaliste gouvernemental, un as des statistiques et du léchage de culs. « Un milliard de Chinois. » A ce moment-là, je ne repérai pas ce qui la déconcertait, qu'il y ait tant de Chinois ou si peu...
Au sein du peuple arithméticien qui inventa jadis la calculette, cette dame entretenait un rapport insolite aux chiffres. Peu de choses à première vue la différenciaient des autres cinquantenaires ; mais, nul ne l'ignore, la première vue ne voit rien.  


Déjà lu du même auteur :

oscar_et_la_dame_rose Oscar et la dame rose odette_toulemonde Odette Toulemonde et autres histoires

la_reveuse_d_ostende La rêveuse d'Ostende ulysse_from_Bagdad Ulysse from Bagdad

le_sumo_qui_ne_voulait_pas_grossir Le sumo qui ne pouvait pas grossir l_enfant_de_no__p L'enfant de Noé

quand_je_pense_que_Beethoven Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent... 

mr_ibrahim_ldp_2012 Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran

Challenge Eric Emmanuel Schmitt
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 Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012
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"Personnage célèbre"

25 mai 2012

Si tu passes la rivière - Geneviève Dumas

si_tu_passes_la_rivi_re Luce Wilquin – septembre 2011 – 128 pages

Prix Victor Rossel 2011 (Belgique)

Quatrième  de couverture :
« Si tu passes la rivière, si tu passes la rivière, a dit le père, tu ne remettras plus les pieds dans cette maison. Si tu vas de l'autre côté, gare à toi, si tu vas de l'autre côté. » J'étais petit alors quand il m'a dit ça pour la première fois. J'arrivais à la moitié de son bras, tout juste que j'y arrivais et encore je trichais un peu avec les orteils pour grandir, histoire de les rejoindre un peu, mes frères qui le dépassaient d'une bonne tête, mon père, quand il était plié en deux sur sa fourche. J'étais petit alors, mais je m'en souviens. Il regardait droit devant lui, comme si la colline et la forêt au loin n'existaient pas, comme si les restes des bâtisses brûlées, c'était juste pour les corbeaux, comme si rien n'avait d'importance, plus rien, et que ses yeux traversaient tout.

Auteur : Après la faculté de droit, GENEVIÈVE DAMAS a suivi une formation de comédienne, puis s'est tournée vers différents métiers du théâtre. Comédienne et metteur en scène, elle a écrit une quinzaine de pièces dont cinq ont été publiées chez Lansman. Plusieurs fois récompensée, elle a remporté le Prix Littéraire du Parlement de la Communauté française 2010 pour STIB. Depuis 1999, elle organise aussi des soirées littéraires et musicales, qui proposent la découverte d'œuvres d'écrivains contemporains. Si tu passes la rivière est son premier roman.

Mon avis : (lu en mai 2012)
J’ai découvert ce livre grâce au Café Lecture de la Bibliothèque. C’est un magnifique premier roman.
François est un jeune homme considéré comme un peu benêt… Il vit dans une ferme avec son père et ses frères Jules, Arthur. Il a pour seuls amis les cochons dont il s’occupe, il ne sait pas lire et dans la famille tout est silence et secrets.
Il se pose beaucoup de questions : Pourquoi lui interdit-on de passer la rivière ? Pourquoi n’a-t-il aucun souvenir de sa mère ? Pourquoi sa sœur Maryse a-t-elle quitté la ferme ?
Grâce à l’aide et l’amitié de Roger le curé du village et d’Amélie, François va « devenir un ami des mots » en apprenant à lire et trouver des réponses à ses questions. Il prendra alors confiance en lui et pourra enfin décider de son avenir. 
Un livre très émouvant, François est un jeune homme vraiment très touchant et courageux. 

Extrait : (début du livre)
Si tu passes la rivière, si tu passes la rivière, a dit le père, tu ne remettras plus les pieds dans cette maison. Si tu vas de l'autre côté, gare à toi, si tu vas de l'autre côté.» J'étais petit alors quand il m'a dit ça pour la première fois. J'arrivais à la moitié de son bras, tout juste que j'y arrivais et encore je trichais un peu avec les orteils pour grandir, histoire de les rejoindre un peu mes frères qui le dépassaient d'une bonne tête, le père, quand il était plié en deux sur sa fourche. J'étais petit alors, mais je m'en souviens. Il regardait droit devant, comme si la colline et la forêt au loin n'existaient pas, comme si les restes des bâtisses brûlées c'était juste pour les corbeaux, si rien n'avait d'importance, plus rien, et que ses yeux traversaient tout.
« Arrête de me crier dessus comme une vache, que je lui ai dit, arrête de crier. Je ne veux rien savoir de l'autre côté. Jamais. Tu n'as pas à te biler. Ton François, il restera. Il n'y aura jamais autre chose. »
Je ne mentais pas quand je disais ça, c'était sérieux. Alors, mon père, il m'a gratté la tête et le dos comme s'il était calmé. Puis on a continué à rentrer le foin car ça nous faisait un sacré travail et qu'il fallait penser aux bêtes qui travaillent aussi dur que nous, si pas plus, qui nous font cadeau de leur peau, même leurs os.
Le travail, ça ne m'a jamais fait peur. J'ai beau être le plus petit, j'abats ma part comme un autre, comme les grands, sûr que c'est pour ça aussi que le père, il voulait me garder près de lui, m'empêcher de courir de l'autre côté de la rivière où la vie vous entraîne et d'où l'on ne revient jamais plus pareil.

Personne chez nous n'avait jamais filé de l'autre côté. Sauf Maryse mais ça, c'était il y a longtemps et le père, il en avait tellement hurlé des jours et des jours qu'on n'en parlait plus jamais, comme si elle n'avait jamais existé, Maryse, par crainte des taloches qui vous laissent le dos broyé pendant des semaines. Mais moi, dans ma caboche, je n'étais pas près d'oublier qu'il y avait eu une Maryse chez nous, qu'elle était douce et blonde et qu'elle me caressait parfois la tête en m'appelant Fifi. Même le sommet de mon crâne s'en souvenait, même mes cheveux qui se battaient contre le peigne quand elle me préparait le dimanche pour la promenade sur la grand-route, même mes dents quand elles souriaient.

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Challenge Voisins, voisines
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Belgique

Lu dans le cadre du Challenge Défi Premier roman

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 Challenge 7% 
Rentrée Littéraire 2011
RL2011b
45/49 

15 mai 2012

Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran – Éric-Emmanuel Schmitt

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Albin Michel - juin 2001 – 60 pages

Magnard – juillet 2004 – 110 pages

Livre de Poche – mars 2012 – 96 pages

Quatrième de couverture :
A treize ans, Momo se retrouve livré à lui-même. Il a un ami, un seul. Monsieur Ibrahim, l'épicier de la rue Bleue.
Mais les apparences sont trompeuses :
La rue Bleue n'est pas bleue.
L'Arabe n'est pas arabe.
Et la vie n'est peut-être pas forcément triste...

Auteur : Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Éric-Emmanuel Schmitt s’est d’abord fait connaître au théâtre avec Le Visiteur, cette rencontre hypothétique entre Freud et peut-être Dieu, devenue un classique du répertoire international. Rapidement, d’autres succès ont suivi : Variations énigmatiques, Le Libertin, Hôtel des deux mondes, Petits crimes conjugaux, Mes Evangiles, La Tectonique des sentiments… Plébiscitées tant par le public que par la critique, ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l’Académie française. Son œuvre est désormais jouée dans plus de quarante pays.
Il écrit le Cycle de l’Invisible, quatre récits sur l’enfance et la spiritualité, qui rencontrent un immense succès aussi bien sur scène qu’en librairie : Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose et L'enfant de Noé. Une carrière de romancier, initiée par La Secte des égoïstes, absorbe une grande partie de son énergie depuis L’Evangile selon Pilate, livre lumineux dont La Part de l’autre se veut le côté sombre. Depuis, on lui doit Lorsque j’étais une œuvre d’art, une variation fantaisiste et contemporaine sur le mythe de Faust et une autofiction, Ma Vie avec Mozart, une correspondance intime et originale avec le compositeur de Vienne. S'en suivent deux recueils de nouvelles : Odette Toulemonde et autres histoires, 8 destins de femmes à la recherche du bonheur,  inspiré par son premier film, et la rêveuse d'Ostende, un bel hommage au pouvoir de l'imagination. Dans Ulysse from Bagdad, son dernier roman, il livre une épopée picaresque de notre temps et interroge la condition humaine. Encouragé par le succès international remporté par son premier film Odette Toulemonde, il adapte et réalise Oscar et la dame rose. 

Mon avis : (lu en mai 2012)
A douze ans, Moïse dit Momo est livré à lui-même. Son père qui l’élève n’est pas très présent. Momo habite la rue Bleue.
Monsieur Ibrahim est l'Arabe de la rue Bleue. Il est musulman et est originaire de Turquie,  « Arabe, ça veut dire ouvert la nuit et le dimanche, dans l’épicerie. » Toujours souriant, il devient comme  un père pour Momo. C’est la rencontre d’un enfant et d’un adulte, d’un juif avec un musulman. Ce livre qui se lit d’une traite est une leçon de tolérance, de sagesse. C’est à la fois grave et plein d’humour, léger et profond.
Cette belle histoire m’a également fait penser à « La vie devant soi » de Romain Gary.

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Le roman a été adapté en 2003 pour le cinéma par le réalisateur François Dupeyron avec Omar Sharif, Pierre Boulanger, Jérémy Sitbon, Éric Caravaca, Gilbert Melki, Isabelle Renauld, Lola Naymark, Anne Suarez, Mata Gabin, Céline Samie, Isabelle Adjani.
Omar Sharif a reçu le César du meilleur acteur en 2004 pour le rôle de monsieur Ibrahim.

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Depuis le 12 avril et jusqu’au 1er juillet 2012, la pièce Mr Ibrahim et les fleurs du Coran est à l’affiche du Théâtre Rive Gauche, interprété par Francis Lalanne.
Éric-Emmanuel Schmitt en personne le remplacera pour 9 dates exceptionnelles les 27 avril, 10, 11, 12 et 31 mai et 1, 2, 8 et 9 juin.


Extrait : (début du livre)

À onze ans, j’ai cassé mon cochon et je suis allé voir les putes.
Mon cochon, c’était une tirelire en porcelaine vernie, couleur de vomi, avec une fente qui permettait à la pièce d’entrer mais pas de sortir. Mon père l’avait choisie, cette tirelire à sens unique, parce qu’elle correspondait à sa conception de la vie : l’argent est fait pour être gardé, pas dépensé.
Il y avait deux cents francs dans les entrailles du cochon. Quatre mois de travail.
Un matin, avant de partir au lycée, mon père m’avait dit :
— Moïse, je ne comprends pas… Il manque de l’argent… désormais, tu inscriras sur le cahier de la cuisine tout ce que tu dépenses lorsque tu fais les courses.
Donc, ce n’était pas suffisant de me faire engueuler au lycée comme à la maison, de laver, d’étudier, de cuisiner, de porter les commissions, pas suffisant de vivre seul dans un grand appartement noir, vide et sans amour, d’être l’esclave plutôt que le fils d’un avocat sans affaires et sans femme, il fallait aussi que je passe pour un voleur !
Puisque j’étais déjà soupçonné de voler, autant le faire.
Il y avait donc deux cents francs dans les entrailles du cochon. Deux cents francs, c’était le prix d’une fille, rue de Paradis.
C’était le prix de l’âge d’homme.
Les premières, elles m’ont demandé ma carte d’identité. Malgré ma voix, malgré mon poids – j’étais gros comme un sac de sucreries –, elles doutaient des seize ans que j’annonçais, elles avaient dû me voir passer et grandir, toutes ces dernières années, accroché à mon filet de légumes.
Au bout de la rue, sous le porche, il y avait une nouvelle. Elle était ronde, belle comme un dessin. Je lui ai montré mon argent. Elle a souri.
— Tu as seize ans, toi ?
— Ben ouais, depuis ce matin.
On est montés. J’y croyais à peine, elle avait vingt-deux ans, c’était une vieille et elle était toute pour moi. Elle m’a expliqué comment on se lavait, puis comment on devait faire l’amour…
Évidemment, je savais déjà mais je la laissais dire, pour qu’elle se sente plus à l’aise, et puis j’aimais bien sa voix, un peu boudeuse, un peu chagrinée. Tout le long, j’ai failli m’évanouir. À la fin, elle m’a caressé les cheveux, gentiment, et elle a dit :
— Il faudra revenir, et me faire un petit cadeau.
Ça a presque gâché ma joie : j’avais oublié le petit cadeau. Ça y est, j’étais un homme, j’avais été baptisé entre les cuisses d’une femme, je tenais à peine sur mes pieds tant mes jambes tremblaient encore et les ennuis commençaient : j’avais oublié le fameux petit cadeau.
Je suis rentré en courant à l’appartement, je me suis rué dans ma chambre, j’ai regardé autour de moi ce que je pouvais offrir de plus précieux, puis j’ai recouru dare-dare rue de Paradis. La fille était toujours sous le porche. Je lui ai donné mon ours en peluche.
C’est à peu près au même moment que j’ai connu monsieur Ibrahim.

Monsieur Ibrahim avait toujours été vieux. Unanimement, de mémoire de rue Bleue et de rue du Faubourg-Poissonnière, on avait toujours vu monsieur Ibrahim dans son épicerie, de huit heures du matin au milieu de la nuit, arc-bouté entre sa caisse et les produits d’entretien, une jambe dans l’allée, l’autre sous les boîtes d’allumettes, une blouse grise sur une chemise blanche, des dents en ivoire sous une moustache sèche, et des yeux en pistache, verts et marron, plus clairs que sa peau brune tachée par la sagesse.

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Déjà lu du même auteur :

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 Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012
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8 mai 2012

L'écrivain de la famille – Grégoire Delacourt

l__crivain_de_la_famille JC Lattès – janvier 2011 – 265 pages

Quatrième de couverture :
Je venais d'avoir le bac de justesse. Ma soeur avait quatorze ans, elle écoutait Sheila chanter Hôtel de la plage avec les B. Devotion, allongée sur son lit. Il y avait des posters de Richard Gere et de Thierry Lhermitte sur les murs. Elle croyait au prince charmant. Elle avait peur de coucher avec un garçon, à moins qu'il ne fût le prince. Elle m'avait demandé si ça avait été bien ma première fois et j'avais répondu, d'une voix douce, oui, oui, je crois que c'était bien, et elle avait eu envie qu'on dise ça d'elle un jour, juste ça, oui, oui, c'était bien.
Et puis notre frère était entré dans la chambre, il nous avait couverts de ses ailes et nos enfances avaient disparu.

À sept ans, Edouard écrit son premier poème. Trois rimes pauvres qui vont le porter aux nues et faire de lui l'écrivain de la famille. Mais le destin que les autres vous choisissent n'est jamais tout à fait le bon...
Avec grâce et délicatesse, Grégoire Delacourt nous conte une histoire simple, familiale, drôle et bouleversante. 

Auteur : Né en 1960 à Valencienne, Grégoire Delacourt est publicitaire et signe avec L’Écrivain de la famille son premier roman.

 

Mon avis : (lu en mai 2012)
Parce qu'à l'âge de sept ans, Édouard a écrit un petit poème, il devient pour les siens « L'écrivain de la famille ». Quelle responsabilité pour un si jeune garçon… D’autant plus que jamais plus il ne n’arrivera à rééditer cet « exploit », les mots le fuient et avec le temps, il assiste sans pouvoir rien faire à l’éclatement de sa famille. Est-ce parce qu’il n’a jamais pu écrire le livre que l’on attendait de lui ?
Édouard est très touchant, il vit très mal les échecs qui l’entourent, la fin de l’unité de sa famille, l’échec de sa vie amoureuse, l’échec de sa vocation d’écrivain… Et pourtant, il ne baissera pas les bras et plein d’amour pour les siens il finira par écrire leur histoire avec beaucoup de drôlerie mais aussi de poésie et de sensibilité.
Grégoire Delacourt a une très belle écriture, il nous décrit des personnages incroyables et touchants comme le père devenu sourd, le frère-oiseau, la sœur dont le cœur est devenu dur comme de la pierre… 
C’est également un joli voyage dans le temps car l’auteur évoque beaucoup de références des années 70, 80 et 90 : évènements, musique, écrivains, film, sans oublier la publicité…

Extrait : (début du livre)
A sept ans, j’écrivis des rimes.

Maman
T’es pas du Zan.
Papa
Tu fais des grands pas.
Mamie
T’es douce comme de la mie.
Papy
Tout le monde fait pipi.

A sept ans, je connus mon premier succès littéraire. La maman en question me serra dans ses bras. Le papa, la mamie et le papy applaudirent.
Les compliments fusèrent. Les verres trinquèrent. Des mots importants furent prononcés. Un don. Il le tient de son grand-père Pierre, celui qui a écrit cette si jolie lettre de Mauthausen, en 1941. Un poète. Un Rimbaud de sept ans.
Il y a eu une larme aussi, sur la joue de mon père ; lente et lourde. Du mercure.

Les regards changèrent. Les sourires s’allongèrent. En quatre rimes pauvres, j’étais devenu l’écrivain de la famille.
A huit ans, je n’eus plus rien à écrire.
La grâce des homonymes appris au CM1 me permit un temps de faire illusion. Je me revois dans la cuisine jaune pâle de notre maison de Valenciennes sortir de ma poche une feuille pliée dans laquelle mes parents émerveillés (qui rime avec pliée) attendaient la confirmation de la poésie du génie.

Je suis allé vers la chaire
J’ai trouvé quelqu’un de cher
Qui voulait manger ma chair

Ma sœur se mit à crier. Mon frère s’envola jusqu’au faîte du bahut. Ma mère bondit vers les escalopes qui brûlaient.
Mon père, lui ne bougea pas. Une lueur étrange irradiait ses yeux verts. Il hocha imperceptiblement la tête. Je sais aujourd’hui que mes mots s’y bousculaient.
Plus tard, alors que j’étais au lit, il me demanda si je connaissais celui-ci, extraordinaire, que seuls quelques hommes savent prononcer sans trébucher. Ce mot qui sépare le vulgum pecus du poète :
- Transsubstantiation.
Je restai coi.
- C’est le terme qui désigne la transformation d’une substance en une autre. La chair de ton poème, c’est l’amour de Dieu. Je le sais, à cause de chaire qui dit église et de cher qui dit amour. Comment as-tu trouvé ça ?
- Je ne sais pas papa, c’est venu tout seul.
Il posa un baiser sur mon front.
- Alors continue. Laisse les choses s’écrire.

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Déjà lu du même auteur : 

5505 La liste de mes envies


Lu dans le cadre du Challenge Défi Premier roman
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Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012
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"Métier"

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3 mai 2012

Le Petit Bonzi – Sorj Chalandon

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Grasset – septembre 2005 – 345 pages

Livre de Poche – août 2007 – 252 pages

Quatrième de couverture : 
Jacques Rougeron a douze ans. Un soir d'automne, au pied de son immeuble, il croit avoir enfin trouvé le moyen de guérir. Jacques Rougeron est bègue. Il voudrait parler aussi vite, aussi bien que Bonzi et tous les autres. Bonzi, c'est son ami, son frère, c'est lui, presque. Bonzi le soutient. Ils n'ont que quelques jours. C'est leur secret.

Auteur : Sorj Chalandon, 53 ans, est journaliste à Libération depuis 1974. Il a reçu le prix Albert Londres en 1988 pour ses articles sur le procès Barbie et l'Irlande du Nord. Le Petit Bonzi est son premier roman.

Mon avis : (lu en avril 2012)
J'ai découvert Sorj Chalandon en lisant Retour à Killybegs puis Mon traître. C'est un écrivain qui me touche beaucoup et je suis ravie de pouvoir lire son premier roman.
Jacques Rougeron a douze ans et est en CM2. Il est bègue et n’arrive pas à maitriser la parole avec les autres. C’est seulement à son ami Bonzi qu’il arrive à parler normalement. Ce dernier l’accompagne à tout moment et lui souffle ses mots et lui donne des idées pour guérir… Des idées comme manger des herbes pour guérir, imaginer une épidémie de peste… Ces idées ne sont pas toujours de bonnes idées et malgré lui, Jacques va déclencher quelques « catastrophes » dont il ne sait plus comment échapper.
Heureusement, il va trouver un allié de choix qui le comprend et le protège en la personne de Manu, un instituteur à l’écoute et généreux qui va aider Jacques à prendre confiance en lui, à grandir.
Un livre très touchant avec beaucoup de fraîcheur, de sensibilité. Une écriture belle et pleine de délicatesse...
Je suis devenue une vraie fan de Sorj Chalandon et je me réjouie d'avance de pouvoir encore découvrir d’autres de ses livres.

Extrait : (début du livre)
C'est en mars 1964 que Jacques a mangé de l'herbe pour la première fois. Il en avait mangé avant, bien avant, beaucoup et des jours durant, mais la première fois qu'il a mangé de l'herbe et qu'il a guéri c'est en mars 1964, c'était le soir et il avait plu.
- C'était quand déjà, la première fois que tu as mangé de l'herbe et que tu as guéri ? lui a demandé Bonzi.
- C'est en mars, c'était le soir et il avait plu, lui a répondu Jacques.

C'était le soir. Il avait plu. L'herbe avait son goût d'orage, une saveur écœurante faite de terre, de lourd et d'étang. Jacques était à genoux. Il fouillait le sol humide à deux mains. A cause d'un éclair, il a levé la tête pour la première fois. Les façades sont devenues violentes, blêmes comme des oiseaux bouillis. Il a sursauté. Il s'est figé au fracas blanc.
- Regarde les fenêtres pour voir si on te voit, a murmuré Bonzi.
Alors Jacques a cessé de creuser et il a regardé les fenêtres.
Il a regardé mademoiselle Lannoy. Elle était dans l'embrasure, au premier étage de Canari, silhouette légère masquée par un pli de rideau. Il a regardé les frères Fayon. Le grand Lucien, qui est méchant, et Roger qui est dans sa classe. Ils étaient là, épaules contre torse, avec la petite Sophie qui courait bras en l'air. Il a regardé monsieur Le Goff au deuxième étage de Perruche, bien droit, ses mains de marin sur ses hanches et sa fenêtre grande ouverte au temps. Il a regardé Luc Vandemer, dans la lumière éteinte, balayé en spectre par un débris d'éclair. Il a regardé madame Fayolle, toute seule et toute voûtée. Elle avait posé une main contre la vitre, en auvent sur son front, et de l'autre, elle retenait le pan de son habit. Il a aussi regardé la fenêtre obscure de Martine Giboulet, le rideau clair désert sans elle dans le recoin. Il se souvient que tout était tendu, tout était inquiet. Et plus l'orage grondait et plus les ombres étaient nombreuses. En les voyant, Jacques a pensé aux animaux tremblants de la forêt qui brûle. Il a pensé à la peur des cavernes racontée par Richard Vandi, quand les hommes ne savaient pas que le jour se relève. Il a pensé à la peste de son cours d'histoire, à Manu, qui raconte les grelots attachés aux cous des mourants pour que les vivants aient le temps de s'enfuir.  

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"Prénom"

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