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A propos de livres...
13 octobre 2013

Le quatrième mur - Sorj Chalandon

sorj_chalandon_le_quatrieme_mur Grasset - août 2013 - 327 pages

Quatrième de couverture :  
« L'idée de Sam était belle et folle : monter l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé.
Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m'a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l'a fait promettre, à moi, petit théâtreux de patronnage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m'offre brutalement la sienne... »

Auteur : Sorj Chalandon, né en 1952, a été longtemps journaliste à Libération avant de rejoindre Le Canard Enchaîné. Ses reportages sur l’Irlande du Nord et le procès Klaus Barbie lui ont valu le Prix Albert-Londres en 1988. Il a publié, chez Grasset, Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon Traître(2008), La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs (2011, Grand Prix du Roman de l'Académie Française).

Mon avis : (lu en octobre 2013)
Voilà encore un livre coup de poing de Sorj Chalandon et pour moi un coup de coeur !
Ses deux livres précédents nous plongeaient dans la guerre d'Irlande, celui-ci nous envoie dans un Liban ensanglanté, en 1982, l'année des terribles massacres de Sabra et Chatila.
Georges, le narrateur, est français, c'est à la fac qu'il rencontre pour la première fois Sam, réfugié grec, d'origine juive. Sam est en train de raconter à tout un amphi l’histoire de son combat contre la dictature des colonels. Georges et Sam vont devenir de vrais amis, presque des frères. Après la fac, ils vont se perdre de vue.
Dix ans plus tard, Georges est marié et jeune papa d'une petite Louise, Sam est tombé malade. Sur son lit d’hôpital, il demande à Georges de prendre sa suite pour le projet de sa vie, un projet fou : monter la pièce d'Anouilh à Beyrouth en pleine Guerre du Liban. Il a imaginé faire interpréter tous les rôles par ceux qui s’opposent sur le champ de bataille : Créon serait chrétien, Antigone serait palestinienne, Hémon serait Druze, il y aurait également les Chiites, les Chaldéens... Il rêve de de réunir le temps d'une trêve théatrale de deux heures des acteurs que la guerre a rendu ennemis. Georges accepte cette mission et il va quitter le confort de son foyer, sa femme et sa petite fille pour aller à Beyrouth.
Sur scène, le quatrième mur, c’est le mur invisible qu'il y a entre les acteurs et les spectateurs, c'est aussi la frontière entre la fiction et la réalité. Tout au long du livre, Sorj Chalandon s'interroge sur la paix et la guerre, sur les horreurs des massacres et l'espoir des hommes.
Ancien grand reporter Sorj Chalandon a su traduire avec beaucoup de justesse l'horreur de la guerre mais également évoquer l'amitié, l'espoir avec beaucoup de douceur. Ce livre est bouleversant, percutant.

J'ai trouvé la première partie du livre, lorsque Georges raconte ses années facs et sa rencontre avec Sam, un peu lente à mon goût mais la suite est tellement prenante et passionnante qu'il ne faut surtout pas s'arrêter à cette première impression. 

Autre avis : Tiphanie

Note :  ♥♥♥♥♥

Extrait : (début du livre)

Tripoli, nord du Liban. 

Jeudi 27 octobre 1983. 

Je suis tombé. Je me suis relevé. Je suis entré dans le garage, titubant entre les gravats. Les flammes, la fumée, la poussière, je recrachais le plâtre qui me brûlait la gorge. J'ai fermé les yeux, les mains sur les oreilles. J'ai heurté un muret, glissé sur des câbles. La moitié du plafond avait été arrachée par l'explosion. Le ciment en feu frappait tout autour avec un bruit de claques. Derrière une carcasse de voiture, un trou. Une crevasse de guerre, un bitume ouvert en pétales jusqu'à son coeur de sable. Je me suis jeté dans les éclats comme on trébuche, corps chiffon, le ventre en décombres. Je tremblais. Jamais je n'avais tremblé comme ça. Ma jambe droite voulait s'enfuir, me quitter, une sauterelle apeurée dans les herbes d'été. Je l'ai plaquée à deux mains sur le sol. Elle saignait, ma jambe folle. Je n'avais rien senti. Je croyais que la blessure et le blessé ne faisaient qu'un. Qu'au moment de l'impact, la douleur hurlait son message. Mais c'est le sang qui m'a annoncé la mauvaise nouvelle. Ni le choc ni le mal, seulement mon jus poisseux. Mon pantalon était déchiré. Il fumait. Ma jambe élançait comme une rage de dent. Ma chemise était collée de sueur. J'avais pris mon sac, mais laissé ma veste dans la voiture de Marwan, mes papiers, mon argent, tout ce qui me restait. Je ne pensais pas qu'un char d'assaut pouvait ouvrir le feu sur un taxi.
- Sors de là, Georges !
Nous roulions le long de la côte. Le soleil se levait derrière les collines. Juste après le virage, un tank syrien couleur sable, embusqué, immense. Il nous barrait la route. Mon Druze a juré. Il a freiné brusquement. Je dormais. J'ai sursauté. Il a paniqué, fait marche arrière sur le talus qui surplombait la mer. La carapace s'est réveillée. Presque rien, un souffle. Le métal du canon qui pivote.
- Mets-toi à couvert, putain!
J'ai plongé la main vers la banquette arrière, pris mon sac, cherché ma veste, mon passeport, sans quitter la mort des yeux. Et puis j'ai renoncé. La gueule d'acier nous faisait face. Vacarme dans ma tête.
- Il ne va pas tirer !
Il ne peut pas tirer sur un taxi! Un losange rouge et un rond jaune étaient peints sur la tourelle. Figures familières de tableau d'écolier. Et aussi trois chiffres arabes au pochoir blanc. Marwan traversait la route, courbé en deux. Il marchait vers l'abri, un garage fracassé. Les murs étaient criblés d'éclats, noirs de suie. J'ai ouvert ma portière, couru bouche ouverte vers la ruine béante. 
- Quand les obus tombent, ouvre la bouche, m'avait dit mon ami la première fois. Si tu ne décompresses pas, tes tympans explosent.
Lorsque je suis entré dans le garage, il ressortait en courant.
- J'ai laissé les clefs sur le tableau de bord ! Les clefs ?
La phrase était absurde. Le canon nous suivait. Moi qui entrais, lui qui sortait. Il hésitait entre nos épouvantes. Le coup est parti alors que je posais le pied sur l'ombre. Je suis tombé comme on meurt, sur le ventre, front écrasé, nuque plaquée au sol par une gifle de feu. Dedans et dehors, les pieds sur le talus, les mains sur le ciment. Mon corps était sidéré. Une lumière poudrée déchirait le béton. Je me suis relevé. La fumée lourde, la poussière grise. Je suffoquais. J'avais du sable en gorge, la lèvre ouverte, mes cheveux fumaient. J'étais aveugle. Des paillettes argent lacéraient mes paupières. L'obus avait frappé, il n'avait pas encore parlé. La foudre après l'éclair, un acier déchiré. Odeur de poudre, d'huile chaude, de métal brûlé. Je me suis jeté dans la fosse au moment du fracas. Mon ventre entier est remonté dans ma gorge. J'ai vomi. Un flot de bile et des morceaux de moi. J'ai hurlé ma peur. Poings fermés, oreilles sanglantes, recouvert par la terre salée et l'ombre grasse. Le blindé faisait mouvement. Il grinçait vers le garage. Je ne le voyais pas, j'entendais sa force. Le canon hésitait. Droite, gauche, mécanique enrouée. L'étui d'obus avait été éjecté. Choc du métal creux en écho sur la route. Silence.
- C'est un T55 soviétique, un vieux pépère.
J'ai sursauté. Voix de rocaille, mauvais anglais. Un homme âgé était couché sur le dos, dans le trou, à côté de moi dans la pénombre. Je ne l'avais pas remarqué.
- Baisse la tête, il va remettre ça.
Keffieh, barbe blanche, cigarette entre deux doigts, il fumait. Malgré le char, le danger, la fin de notre monde, il fumait bouche entrouverte, laissant le nuage paisible errer sur ses lèvres.
- C'est confortable ?
Il a désigné mon ventre d'un geste. J'écrasais son arme, crosse contre ma cuisse et chargeur enfoncé dans mon torse. Je m'étais jeté sur un fusil d'assaut pour échapper à un obus. Je n'ai pas bougé. Il a hoché la tête en souriant. Dehors, le blindé s'est mis en mouvement. Hurlement de moteur malmené.
- Il recule, a soufflé le vieil homme.
L'ombre du tank avait laissé place à la lumière de l'aube et aux herbes calcinées. Il reculait encore. J'ai attendu le rire des mouettes pour respirer. Je me suis soulevé. Sur un coude, bouche ouverte. J'ai cherché Marwan dans le tumulte, puis dans le silence. J'ai espéré que mon ami revienne, agitant ses clefs de voiture au-dessus de sa tête en riant. Chantant qu'il était fou d'être retourné à son taxi. Fou surtout de m'avoir suivi dans cette histoire idiote. Il allait me prendre dans ses bras de frère, en bénissant le ciel de nous avoir épargnés. J'ai espéré longtemps. Dehors, des hommes tiraient à l'arme légère. Des cris, des ordres, un vacarme guerrier. Une longue rafale de mitrailleuse. J'ai roulé sur le côté. Ma jambe saignait par giclées brutales. Le Palestinien a enlevé ma ceinture sans précaution et m'a fait un garrot à hauteur de la cuisse. J'étais couché sur le dos. La douleur s'invitait à coups de masse. Il a installé une couverture sous ma tête, me levant légèrement contre le rebord du trou.
Alors j'ai vu Marwan. Ses jambes dépassaient, en travers de la route. Il était retombé sur le dos, vêtements arrachés par l'explosion, sanglant et nu.
Le char toussait toujours, plus haut. La plainte du vent était revenue. Le souffle de la mer. Le vieux Palestinien s'est retourné sur le flanc, coude à terre et la joue dans la main. Il m'a observé. J'ai secoué la tête. Non, je ne pleurais pas. Je n'avais plus de larmes. Il m'a dit qu'il fallait en garder un peu pour la vie. Que j'avais droit à la peur, à la colère, à la tristesse.
Je me suis assis lourdement. J'ai repoussé son arme du pied. Il s'est rapproché. Lui et moi, dans le trou. Accroché à sa boutonnière de poche, un insigne émaillé du Fatah. Il a pris mon menton délicatement, je me suis laissé faire. Il a tourné mon visage vers la lumière du jour. Et puis il s'est penché. Sous sa moustache usée, il avait les lèvres ouvertes. J'ai cru qu'il allait m'embrasser. Il m'a observé. Il cherchait quelque chose de moi. Il est devenu grave.
- Tu as croisé la mort, mais tu n'as pas tué, a murmuré le vieil homme.
Je crois qu'il était soulagé. Il a allumé une cigarette, s'est assis sur ses talons. Puis il s'est tu, regardant la lumière fragile du dehors. Et je n'ai pas osé lui dire qu'il se trompait.

  Challenge Petit BAC 2013
petit_bac_2013
"Chiffre/Nombre"

Challenge 2% Rentrée Littéraire 2013
logorl2013
12/12

 

Déjà lu du même auteur :

 

Retour___Killybegs  Retour à Killybegs  mon_traitre_p Mon traître 

le_petit_bonzi_p Le petit Bonzi  la_l_gende_de_nos_p_res_p La légende de nos pères 

 

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26 septembre 2013

Chambre 2 - Julie Bonnie

chambre_2 Belfond - août 2013 - 185 pages

Prix du roman FNAC 2013

Quatrième de couverture : 
Une maternité. Chaque porte ouvre sur l'expérience singulière d'une femme tout juste accouchée. Sensible, vulnérable, Béatrice, qui travaille là, reçoit de plein fouet ces moments extrêmes.
Les chambres 2 et 4 ou encore 7 et 12 ravivent son passé de danseuse nue sillonnant les routes à la lumière des projecteurs et au son des violons. Ainsi réapparaissent Gabor, Paolo et d'autres encore, compagnons d'une vie à laquelle Béatrice a renoncé pour devenir normale. Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus supporter la violence du quotidien de l'hôpital.
Un hommage poignant au corps des femmes, et un regard impitoyable sur ce qu'on lui impose.

Auteur : Née à Tours, Julie Bonnie est auteur compositeur, chanteuse et violoniste. Elle a donné son premier concert à 14 ans avant de monter un millier de fois sur scène dans toute l'Europe, et particulièrement dans les circuits alternatifs de l'ex-Allemagne de l'Est. Elle a vécu sur les routes pendant plus de dix ans, chanté dans le groupe Cornu, travaillé avec Kid Loco, fait les premières parties de Louise Attaque, dont elle est proche musicalement, de Dionysos ou encore de Morphine, et sorti trois albums solo. Le dernier, Bonne femme, sera dans les bacs fin 2013. Il y a neuf ans, elle a changé de vie et commencé à travailler dans une maternité, tout en continuant à chanter. Elle compose actuellement la musique d'un spectacle de danse et publiera en octobre un livre pour enfants.

Mon avis : (lu en septembre 2013)
Béatrice est auxiliaire de puériculture dans un service de maternité à l'hôpital. Un travail qui pour beaucoup semble merveilleux et pourtant la réalité est autre... Chambre par chambre, elle raconte son travail, les différentes femmes, les différentes naissances, des mamans heureuses ou tristes... Béatrice a une grande sensibilité et cherche encore sa place, sa vie.
En parallèle à son travail, elle revient sur sa propre histoire, sur sa vie d'avant où elle était danseuse nue voyageant sur les routes aux sons des violons avec Gabor, Paolo et les deux Pierre. Elle nous raconte également son expérience de maman.
J'ai lu ce livre presque d'une traite, étant moi-même maman, j'ai été très touchée par cette histoire. Béatrice est troublante, ses réactions d'isolement, d'hypersensibilité donne envie de découvrir ses fragilités
Un très joli roman, qui m'a beaucoup émue. 

Extrait : (début du livre)
C'est comme ça, tous les jours pareil, sans exception, pour chaque équipe.
La dame du 2 n'est jamais partie.
Elle est là depuis plusieurs années, personne ne sait plus vraiment.
Dans sa chambre, le temps s'est arrêté.
On en rigole, parfois, avec les collègues.
- Tu imagines, si on restait toute la journée à la 2 ? Peut-être qu'on ne vieillirait pas.
- Avec un argument comme ça, on aurait plutôt intérêt à la louer...
- Oui. Ça, au moins, ça nous changerait notre salaire !
Mais le travail nous appelle, alors arrêter le temps n'est pas d'actualité. Il faut avancer.
Dans la salle de soins, je pose mes affaires. J'ai un panier rempli de bazar, des compresses, du désinfectant, des disques, mes demandes de congés, une clope. J'ai à manger dans un tupperware. Je n'aime pas dire « gamelle », signe que je ne suis pas encore adaptée. Il y a d'autres mots que je n'arrive pas à dire, comme « j'embauche », le truc « à » bidule, les « chefs ».
Quand j'ai posé mon panier, après être passée par les vestiaires pour mettre ma blouse vieux rose et avoir commencé à sentir des nausées parce que je ne supporte pas le travail, je dis bonjour les filles d'un ton enjoué, ou qui essaie de l'être.
Et je sors mon sourire.
Ce sont essentiellement des femmes qui travaillent en maternité, les hommes sont trop fragiles, le peu que j'ai croisés craquent très vite, ce n'est pas beau à voir.
Les filles lèvent la tête, qu'elles ont plongée dans un grand seau d'eau sale, leurs visages sont dégoulinants - la nuit a été dure -, les yeux ont peur, mais me voir est un soulagement, elles vont pouvoir «me les passer», comme on passe le fusil dans les tours de garde.
- Je te souhaite bien du courage.
Je sais. J'aurai la même tête que vous ce soir. Douze heures dans la chair humaine, nue dans la neige, nue dans le feu, nue quand il est vital de se couvrir.
Commence alors la présentation du service, chambre par chambre, femme par femme, âme humaine par âme humaine, drame par drame, vie par vie. En quelques mots : enfant, mort, anorexie, trisomie, hémorragie, déchirure, antécédents, pleurs, peurs, angoisse, nuit, crevasses, engorgement, tire-lait, solitude, mari, fausse couche, interruption médicale de grossesse, césarienne en urgence, utérus, ligature, psychosocial, infection, maltraitance, lien maternel, fragilité, dépression, périnée.

 Challenge 2% Rentrée Littéraire 2013
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8/12

   Challenge Petit BAC 2013
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"Chiffre"

21 septembre 2013

Histoire d'Alice, qui ne pensait jamais à rien (et de tous ses maris, plus un) - Francis Dannemark

histoire_d_alice Robert Laffond - avril 2013 - 184 pages

Quatrième de couverture :
« J’ai rencontré ma tante en novembre 2001, le jour de l’enterrement de sa sœur. L’enterrement de ma mère, pour le dire autrement. Je savais qu’elle s’appelait Alice mais je ne la connaissais pas. Je connaissais encore moins l’histoire extravagante et fascinante de sa vie et de ses maris. Je ne lui ai pas demandé d’ouvrir la malle de ses souvenirs et de ses secrets ; elle l’a fait quand même. »
Quand Paul, lors de l’enterrement de sa mère, rencontre pour la première fois sa tante Alice, elle a soixante-treize ans. Elle est anglaise et veuve. De nombreuses fois veuve.
Elle va lui raconter les joies et les peines de son incroyable existence aux quatre coins du monde. Et lui apprendre qu’amour peut rimer avec grâce et humour même quand la vie est en larmes.

Auteur : Francis Dannemark est né en 1955 sur la frontière franco-belge. Conseiller littéraire et éditeur, il dirige la collection "Escales des lettres" qu’il a fondée en 1998 au sein des Éditions Le Castor Astral. Il est l’auteur d’une trentaine de livres (dont seize romans).

Mon avis : (lu en septembre 2013)
J'ai emprunté ce livre à la bibliothèque, je l'avais aperçu sur la blogosphère et je trouvais le titre à la fois amusant et mystérieux...

Paul a cinquante-six ans à de l'enterrement de sa mère, ce jour là il rencontre pour la première fois la petite soeur de celle-ci, dont il ne connaissait que le prénom : Alice. Cette tante de soixante-treize ans l'invite à son hôtel et là elle va lui raconter son incroyable vie, « l'histoire extravagante et fascinante de sa vie et de ses maris ». 
De 1945 à nos jours, la vie d'Alice nous entraîne autour du monde (France, Belgique, Canada, Etats-Unis, Italie, Inde...), avec ses peines, ses joies et sa capacité à apprécier le moment présent, à s'émerveiller et à se relever après les coups durs...
Voilà un livre qui se lit facilement, Alice est une vieille dame délicieuse et attachante qu'on aimerait bien rencontrer.
A découvrir !

Extrait : (début du livre)
J’ai rencontré ma tante en novembre 2001, le jour de l’enterrement de sa sœur. L’enterrement de ma mère, pour le dire autrement. Je savais qu’elle s’appelait Alice mais je ne la connaissais pas. Je connaissais encore moins l’histoire extravagante et fascinante de sa vie et de ses maris. 
Je ne lui ai pas demandé d’ouvrir la malle de ses souvenirs et de ses secrets ; elle l’a fait quand même. 
Et elle m'a suggéré de les écrire. J'ai hésité, puis j'ai dit oui.
Si c'était à refaire, je le referais. Sans l'ombre d'un doute et le coeur léger.

C'était un jour d'automne comme on en voit plus souvent au cinéma qu'en novembre.Il avait plu la veille et la lumière du soleil, ce matin-là, en traversant l'air chargé d'humidité, n'était pas une abstraction scientifique ou poétique mais quelque chose de somptueux et d'émouvant que l'on aurait pu toucher du bout des doigts, au même titre que les feuilles rouges et rousses qu'elle faisait briller dans les arbres entourant le cimetière du village. Alice est venue vers moi et s'est présentée d'une voix douce qui chantait un peu. Elle a dit : « Je suis Alice, la soeur de Mady. » Je lui ai tendu la main. Elle l'a prise tout en se rapprochant de moi et j'ai compris que la poignée de main ne suffisait pas, il fallait que nous nous embrassions, et nous l'avons fait, longuement, sans dire un mot. Après, elle m'a souri. Ce sourire, j'allais le revoir souvent. Ces lèvres fines qui s'allongent et agrandissent son visage tandis que de petites vibrations animent ses paupières et que dans ses yeux s'allume quelque chose de tendre et de drôle à la fois.

 Challenge Voisins, voisines

 voisins_voisines_2013
Belgique

   Challenge Petit BAC 2013
petit_bac_2013
"Prénom"

 

18 septembre 2013

Charly 9 - Jean Teulé

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Audiolib - avril 2011 - lu par Emmanuel Dekoninck

Julliard - mars 2011 - 200 pages

Pocket - mars 2012 - 221 pages

Quatrième de couverture : 
Le règne de Charles IX fut court – il meurt à 23 ans –, extravagant – on dit du roi qu’il lâchait des cerfs dans ses appartements pour le plaisir de les courser – et atrocement sanglant. Même si le projet fut sans doute de Catherine de Médicis, c’est Charles IX qui ordonna, en août 1572, le massacre de la Saint-Barthélemy. Accablé par l’horreur de ce carnage, il sombra dans une démence qui le conduisit en quelques mois à la mort. C’est cette terrifiante descente aux enfers que Jean Teulé raconte dans ce roman baroque et magnifique.
Déjà lecteur pour Audiolib de la trilogie Millenium, Emmanuel Dekoninck se montre tout aussi à l’aise pour restituer les violences d’un XVIème siècle lui aussi déchiré par le fanatisme et les ambitions.

Auteur : Jean Teulé est l'auteur de treize romans. Parmi les plus notables, Je, François Villon a reçu le Prix du récit biographique ; Le Magasin des suicides a été traduit en dix-neuf langues et récemment adapté en animation. Darling a été adapté au cinéma avec Marina Foïs et Guillaume Canet dans les rôles principaux ; Le Montespan, prix Maison de la presse et grand prix Palatine du roman historique, a été élu parmi les vingt meilleurs livres de l'année 2008 par le magazine Le Point

Lecteur : Interprète de théâtre de grand talent, apprécié à Bruxelles et à Paris, metteur en scène et également compositeur, Emmanuel Dekoninck vit en Belgique. Il a déjà enregistré pour Audiolib, entre autres, Millénium et 1Q84.

Mon avis : (écouté en septembre 2013)
Ce livre est un roman historique autour de la vie du jeune roi Charles IX (1550-1574). Il est tenu comme étant le responsable du Massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572. A partir de faits réels historiques, Jean Teulé nous raconte dans un style léger une page d'Histoire de France où se mêlent des évènements sombres et des situations loufoques... Il nous livre une galerie de portraits de l'époque haute en couleur. 
Charles IX est touchant, il est devenu Roi de France à l'âge de dix ans. Sa mère, Catherine de Médicis, a règné à sa place jusqu'à sa majorité. Il a seulement 22 ans lorsque le roman commence, nous sommes à la veille de la Saint Barthélémy, le roi est pressé par son entourage de donner l'ordre de l'élimination des chefs protestants. Il est hésitant, mais pas assez fort pour s'opposer à sa mère et à ses conseillers. Lorsqu'il réalisera l'empleur de ce terrible crime, il deviendra fou et malade... "Plus pâle qu'un cadavre et plus tremblant qu'un chien, de ses milliers de victimes il voit errer les ombres."
Jean Teulé réussit un tour de force en rendant presque sympathique le responsable du Massacre de la Saint-Barthélemy...
J'ai beaucoup appris et je me suis également beaucoup amusée en écoutant ce livre parfaitement lu par Emmanuel Dekoninck qui a su donner vie aux nombreux personnages historiques. Comme à chacune de ses lectures, on oublie qu'il n'y a qu'un seul lecteur !

Extrait : (début du livre)
- Un mort ?

Un gentil garçon semblant à peine sorti de l'adolescence - il vient d'avoir vingt-deux ans - écarquille ses grands yeux :
- Quoi ? Vouloir que j'ordonne, pour cette nuit, l'assassinat d'un convalescent surpris en plein sommeil ? Mais vous n'y pensez pas, ma mère ! Et puis quel homme, l'amiral de Coligny que j'appelle « mon père ». Jamais je ne scellerai cet édit !
Tout loyal, franc, ouvert du coeur et de la bouche, le garçon, à haute fraise blanche entourant sa gorge jusqu'au menton, s'étonne :
- Comment pouvez-vous venir me réclamer la mort de mon principal conseiller qui déjà hier matin, sortant du Louvre, fut arquebuse dans la rue par un tueur caché derrière du linge séchant à une fenêtre ?... Il n'est que blessé. Ambroise Paré dit qu'il s'en tirera et je m'en réjouis.
- Pas nous, répond une voix de matrone au fort accent italien. D'autant que c'est ton jeune frère et moi qui avions commandité l'attentat.
- Quoi ? !
Le garçon, d'un naturel aimable et ayant de bonnes dispositions, n'en revient pas. Sous un bouquet de duvet de cygne à sa toque, il tourne lentement la tête vers les six personnages assis côte à côte devant lui. L'un d'eux, vieux gentilhomme vêtu d'une jupe de damas cramoisi, regrette :
- Sire, le seigneur de Maurevert, tueur professionnel mais mal habitué aux armes à feu, voulait faire ça à l'arbalète. Pour plus de sûreté, nous lui avons imposé l'arquebuse. Mal nous en a pris. Au moment du tir, Coligny s'est penché pour réajuster sa mule. Maurevert a manqué sa cible.
Le jeune roi aux joues arrondies hoche la tête d'un air consterné :
- Quand je pense que cet après-midi je suis allé rue de Béthisy, au chevet de l'amiral, lui promettre de faire rechercher et punir les coupables... C'étaient ma mère et mon frère !... Mais pourquoi avez-vous décidé ça, tous les deux, mamma ?
Mamma, assise juste en face de son rejeton royal, porte autour du cou une immense collerette tuyautée en façon de roue de carrosse. Couverte d'une poudre de riz parfumée, celle-ci enfariné le haut des manches bouillonnées d'une robe noire de veuve. Yeux globuleux et joues molles, les lèvres lippues de la reine mère remuent :
- Charles, écoute-moi... Gaspard Coligny de Châtillon, certes grand amiral de France mais aussi chef du parti protestant, a maintenant trop d'emprise sur toi. Et depuis des semaines, il te presse en secret d'intervenir aux Pays-Bas espagnols sous prétexte que Philippe II y opprime les huguenots.
- Comment le savez-vous puisque c'est en secret ?

Déjà lu du même auteur :

le_montespan_p Le Montespan darling_p Darling

13 septembre 2013

La servante du seigneur - Jean-Louis Fournier

la_servante_du_Seigneur Stock - août 2013 - 160 pages

Quatrième de couverture : 
Ma fille était belle, ma fille était intelligente, ma fille était drôle… 
Mais elle a rencontré Monseigneur. Il a des bottines qui brillent et des oreilles pointues comme Belzébuth. Il lui a fait rencontrer Jésus. Depuis, ma fille n’est plus la même. 
Elle veut être sainte. 
Rose comme un bonbon, bleue comme le ciel.

Auteur : Jean-Louis Fournier est un écrivain, humoriste et réalisateur de télévision né à Arras le 19 décembre 1938. Il est le créateur, entre autres, de La Noiraude et d'Antivol, l'oiseau qui avait le vertige. Par ailleurs, il fut le complice de Pierre Desproges en réalisant les épisodes de La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, ainsi que les captations de ses spectacles au Théâtre Grévin (1984) et au Théâtre Fontaine (1986). C'est également à lui que l'on doit l'intitulé de la dépêche AFP annonçant le décès de l'humoriste: "Pierre Desproges est mort d'un cancer. Etonnant non ?". Il adore Ionesco. 
Jean-Louis Fournier est l'auteur de nombreux succès depuis 1992 (Grammaire française et impertinente), Il a jamais tué personne mon papa (1999), Les mots des riches, les mots des pauvres (2004), Mon dernier cheveu noir (2006). Autant de livres où il a pu s'entraîner à exercer son humour noir et tendre. Où on va, papa est peut-être son livre le plus désespérément drôle.

Mon avis : (lu en septembre 2013)
Après son père avec Il a jamais tué personne, mon papa, ses fils handicapés Où on va papa ? et sa femme Veuf,  Jean-Louis Fournier s'adresse dans ce livre à sa fille Marie. Avec son humour habituel, il lui adresse à sa façon une déclaration d'amour.

Dans ce livre l'auteur est nostalgique de l'époque où avec sa fille il avait une vraie complicité, le même humour, il aimait sa vitalité, sa créativité, elle dessinait ... Depuis dix ans, sa fille est partie avec "Monseigneur" pour une vie tournée vers Dieu, elle ne dessine plus, elle ne travaille plus... 
Jean-Louis Fournier a laissé à sa fille les dernières pages de son livre pour un droit de réponse. Cette lettre est très digne et complète parfaitement ce récit.
J'ai trouvé ce livre plein de tristesse et je l'ai trouvé dérangeant. Jean-Louis Fournier ne met aucune distance avec le lecteur, il lui raconte sa vie, sa solitude, son sentiment d'abandon vis à vis de sa fille. On devine bien sur tout l'amour qu'il a pour sa fille mais il ne tait pas tous les reproches qu'il a à lui faire... Je n'ai pas envie de prendre partie pour l'un ou l'autre.

Extrait : (lu en septembre 2013)

J'ai égaré ma fille.
Je suis retourné à l'endroit où je l'avais laissée, elle n'y était plus.
J'ai cherché partout.
J'ai fouillé les forêts, j'ai sondé les lacs, j'ai passé le sable au tamis, j'ai cardé les nuages, j'ai filtré la mer...
Je l'ai retrouvée.
Elle a bien changé.
Je l'ai à peine reconnue.
Elle est grave, elle est sérieuse, elle dit des mots qu'elle ne disait pas avant, elle parle comme un livre.
Je me demande si c'est vraiment elle.

Tu étais charmante et drôle.

Elle est devenue une dame grise, sérieuse comme un pape.
Elle est sévère, elle plaisante moins, elle est dogmatique, autoritaire, elle aime bien faire la morale aux autres.
Les autres, ceux qui ont toujours tort.

Tu t'habillais fort joliment de couleurs vives, tu n'avais pas peur d'être excentrique, même parfois extravagante, tu dénichais aux puces, pour une misère, des fringues étonnantes.

Elle ne se maquille plus. Elle est toujours belle, elle ressemble à un officier de l'Armée du Salut.

Maintenant, elle porte du classique, des vêtements sombres, couleur muraille. 
Le loden avant la bure ?

Déjà lu du même auteur :

ou_on_va_papa_p Où on va papa ? le_cv_de_Dieu Le CV de Dieu

l_arithm_tique_impertinente L'arithmétique appliquée et impertinente

la_grammaire_impertinente La grammaire française et impertinente

il_a_jamais_tu__personne_mon_papa Il a jamais tué personne, mon papa

j_irai_pas_en_enfer_p J'irai pas en enfer veuf Veuf

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6 septembre 2013

La cuisinière d'Himmler - Franz-Olivier Giesbert

la_cuisini_re_d_himmler Gallimard - avril 2013 - 384 pages

Quatrième de couverture : 
Ceci est l’épopée drolatique d’une cuisinière qui n’a jamais eu peur de rien. Personnage loufoque et truculent, Rose a survécu aux abjections de cet affreux XXe siècle qu’elle a traversé sans rien perdre de sa sensualité ni de sa joie de vivre. Entre deux amours, elle a tout subi : le génocide arménien, les horreurs du nazisme, les délires du maoïsme. Mais, chaque fois, elle a ressuscité pour repartir de l’avant. Grinçant et picaresque, ce livre raconte les aventures extraordinaires d’une centenaire scandaleuse qui a un credo : « Si l’Enfer, c’est l’Histoire, le Paradis, c’est la vie. »

Auteur : Franz-Olivier Giesbert (parfois abrégé « FOG »), est un éditorialistebiographe, présentateur de télévision et romancier français né en 1949 à Wilmington dans l'État du Delaware (États-Unis).

Mon avis : (lu en septembre 2013)
Même si l’auteur de ce livre m’énerve souvent, surtout à la télévision, j’ai eu la curiosité d’emprunter son dernier livre à la bibliothèque. Il nous raconte l'Histoire à travers l'histoire de Rose née en 1907 sur les bords de la Mer Noire, en Arménie et jusqu'en 2012, où à 105 ans, elle tient un restaurant à Marseille. Rose est la narratrice et elle va revenir sur les évènements drôles ou dramatiques de sa longue vie, sa traversée épique du XXème siècle. Le Génocide Arménien, la Seconde Guerre Mondiale, elle a traversé toutes les horreurs du siècle mais son appétit pour la vie sera plus fort que les douleurs et le malheur. 
Dans la première partie du livre, après la disparition de toute sa famille, Rose n'a comme seul soutien Théo une petite salamandre qui est sa « petite voix », sa conscience auquel elle tient beaucoup. Rose est une jeune fille puis une femme attachante dont l'amour de la vie est plus fort que tout. L'auteur fait également l'éloge de la vengeance car Rose n'oublie pas les auteurs de ses malheurs et n'hésite pas à appliquer de temps en temps le proverbe « la vengeance est un plat qui se mange froid »...

Ce livre se lit plutôt facilement même si j'ai eu un peu de lassitude au milieu du livre, à l'époque où Rose est la cuisinière d'Himmler, les anecdotes farfelues et improbables devenant de plus en plus indigestes...
A la fin du livre, le lecteur trouve quelques recettes de cuisine de la « cuisinière »… et une bibliographie bien fournie.

Note :  ♥♥♥♥♥

Extrait : (début du livre : Prologue)
Je ne supporte pas les gens qui se plaignent. Or, il n’y a que ça, sur cette terre. C’est pourquoi j’ai un problème avec les gens.
Dans le passé, j’aurais eu maintes occasions de me lamenter sur mon sort mais j’ai toujours résisté à ce qui a transformé le monde en grand pleurnichoir.
La seule chose qui nous sépare des animaux, finalement, ce n’est pas la conscience qu’on leur refuse bêtement, mais cette tendance à l’auto-apitoiement qui tire l’humanité vers le bas. Comment peut-on y laisser libre cours alors que, dehors, nous appellent la nature et le soleil et la terre ?
Jusqu’à mon dernier souffle et même encore après, je ne croirai qu’aux forces de l’amour, du rire et de la vengeance. Ce sont elles qui ont mené mes pas pendant plus d’un siècle, au milieu des malheurs, et franchement je n’ai jamais eu à le regretter, même encore aujourd’hui, alors que ma vieille carcasse est en train de me lâcher et que je m’apprête à entrer dans ma tombe.
Autant vous dire tout de suite que je n’ai rien d’une victime. Bien sûr, je suis, comme tout le monde, contre la peine de mort. Sauf si c’est moi qui l’applique. Je l’ai appliquée de temps en temps, dans le passé, aussi bien pour rendre la justice que pour me faire du bien. Je ne l’ai jamais regretté.
En attendant, je n’accepte pas de me laisser marcher sur les pieds, même chez moi, à Marseille, où les racailles prétendent faire la loi. Le dernier à l’avoir appris à ses dépens est un voyou qui opère souvent dans les files d’attente qui, à la belle saison, pas loin de mon restaurant, s’allongent devant les bateaux en partance pour les îles d’If et du Frioul. Il fait les poches ou les sacs à main des touristes. Parfois, un vol à l’arraché. C’est un beau garçon à la démarche souple, avec les capacités d’accélération d’un champion olympique. Je le surnomme le « guépard ». La police dirait qu’il est de « type maghrébin » mais je n’y mettrais pas ma main à couper.
Je lui trouve des airs de fils de bourgeois qui a mal tourné. Un jour que j’allais acheter mes poissons sur le quai, j’ai croisé son regard. Il est possible que je me trompe, mais je n’ai vu dedans que le désespoir de quelqu’un qui est sens dessus dessous, après s’être éloigné, par paresse ou fatalisme, de sa condition d’enfant gâté.
Un soir, il m’a suivie après que j’eus fermé le restaurant. C’était bien ma chance, pour une fois que je rentrais chez moi à pied. Il était presque minuit, il faisait un vent à faire voler les bateaux et il n’y avait personne dans les rues. Toutes les conditions pour une agression. À la hauteur de la place aux Huiles, quand, après avoir jeté un oeil par-dessus mon épaule, j’ai vu qu’il allait me doubler, je me suis brusquement retournée pour le mettre en joue avec mon Glock 17. Un calibre 9 mm à 17 coups, une petite merveille. Je lui ai gueulé dessus : « T’as pas mieux à faire que d’essayer de dépouiller une centenaire, connard ?

— Mais j’ai rien fait, moi, m’dame, je voulais rien faire du tout, je vous jure. »
Il ne tenait pas en place. On aurait dit une petite fille faisant de la corde à sauter.
« Il y a une règle, dis-je. Un type qui jure est toujours coupable.
— Y a erreur, m’dame. Je me promenais, c’est tout.
— Écoute, ducon. Avec le vent qu’il fait, si je tire, personne n’entendra. Donc, t’as pas le choix : si tu veux avoir la vie sauve, il faut que tu me donnes tout de suite ton sac avec toutes les cochonneries que t’as piquées dans la journée. Je les donnerai à quelqu’un qui est dans le besoin. »
J’ai pointé mon Glock comme un index :
« Et que je ne t’y reprenne pas. Sinon, je n’aime mieux pas penser à ce qui t’arrivera. Allez, file ! » 
Il a jeté le sac et il est parti en courant et en hurlant, quand il fut à une distance respectueuse : « Vieille folle, t’es qu’une vieille folle ! » 
Après quoi, j’ai été refiler le contenu du sac, les montres, les bracelets, les portables et les portefeuilles, aux clochards qui cuvaient, par grappes, sur le cours d’Estienne-d’Orves, non loin de là. Ils m’ont remerciée avec un mélange de crainte et d’étonnement. L’un d’eux a prétendu que j’étais toquée. Je lui ai répondu qu’on me l’avait déjà dit.
Le lendemain, le tenancier du bar d’à côté m’a mise en garde : la veille au soir, quelqu’un s’était encore fait braquer place aux Huiles. Par une vieille dame, cette fois. Il n’a pas compris pourquoi j’ai éclaté de rire.

 

30 août 2013

Les perroquets de la place d'Arezzo - Eric-Emmanuel Schmitt

Lu en partenariat avec les éditions Albin Michel

les_perroquets_de Albin Michel - août 2013 - 730 pages

Quatrième de couverture : 
« Ce mot simplement pour te signaler que je t’aime. Signé : tu sais qui. »

Cette lettre anonyme trouble l’existence des riverains de la place d’Arezzo. Dans ce quartier élégant de Bruxelles, quel original, quel pervers, quel corbeau déguisé en colombe s’acharne à violer leur intimité ? Le message entraîne autant de promesses et d’attentes que de déceptions et de catastrophes, chacun l’interprétant à sa façon. Menée par Eric-Emmanuel Schmitt, cette ronde effrénée devient l’encyclopédie des désirs, des sentiments et des plaisirs, le roman des comportements amoureux de notre temps.

Auteur : Dramaturge, romancier, nouvelliste, essayiste, cinéaste, traduit en 50 langues et joué dans autant de pays, Eric-Emmanuel Schmitt est un des auteurs les plus lus et les plus représentés dans le monde. Il a été récompensé par l'Académie Française en juillet 2001 avec le Grand Prix du théâtre, pour l'ensemble de son oeuvre. En 2009, Ulysse from Bagdad lui a valu le Prix des grands espaces littéraires. En 2010, il a obtenu le prix Goncourt de la nouvelle pour son recueil Concerto à la mémoire d'un ange. Son roman La Femme au miroir lui a valu en 2011 le prix du roman historique, Prix Agrippa d'Aubigné. Eric-Emmanuel Schmitt a été reçu cette année à L'Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique au fauteuil 33 qu'occupait Hubert Nyssen, et qu'ont occupé Colette et Cocteau.
Co-directeur du Théâtre Rive Gauche à Paris, Eric-Emmanuel Schmitt y a vu jouée son adaptation théâtrale du Journal d'Anne Frank, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, etc.

Mon avis : (lu en août 2013)
J'ai beaucoup aimé ce livre. Ma première surprise a été de découvrir que la place d'Arezzo est située à Bruxelles, je connaissais la présence de perruches dans la capitale belge et grâce à Wikipédia j'ai découvert que la place Guy d'Arezzo est surnommée « La place des perruches » par les habitants du quartier. 
Dans la première partie du livre, Eric-Emmanuel Schmitt nous présente les nombreux occupants de cette place huppée de Bruxelles. Ils sont très différents et variés, il y a le politicien, la fleuriste, la concierge, le beau jardinier, une veuve, des épouses, la call-girl, le marchand d'art... Zachary, Rose, Faustina, Dany, Baptiste, Joséphine, Eve, Philippe, Quentin, Odile, Patricia, Albane, Hippolyte, François-Maxime, Séverine, Mademoiselle Beauvert et son perroquet Copernic, Marcelle, Wim, Oxana, Victor, Diane, Xavière, Orion, Tom, Nathan... 
A la fin de chaque chapitre, une quinzaine de ces personnages reçoivent une mystérieuse enveloppe avec ce simple message "Ce mot simplement pour te signaler que je t'aime. Signé : tu sais qui."  Qui est ce corbeau ou plutôt cette colombe qui envoie ces messages d'amour ? Chacun a sa petite idée... Le lecteur est invité à deviner lui aussi, l'auteur ne sera dévoilé que dans les dernières pages.

Ils sont solitaire ou en couple, vivent des amours cachés, inavouables ou fantasmés, s'unissent ou se quittent... Ces mystérieuses enveloppes vont bouleverser la routine du lieu et à travers ce roman jubilatoire, le lecteur découvre les relations surprenantes qui existent ou qui se nouent et se dénouent entre ses habitants de cette place d’Arezzo. 
Au début de la lecture, j'ai eu peur de me perdre au milieu de la grosse vingtaine de personnages, mais en les retrouvant tour à tour dans les trois parties suivantes, je m'y suis attachée et je les ai regrettés en les quittant à la fin de l'histoire...
C'est mon premier coup de coeur de cette Rentrée Littéraire.

Un grand Merci à Laure et aux éditions Albin Michel pour m'avoir permis de faire cette très belle découverte.

Note :  ♥♥♥♥♥

Extrait : 

 
Déjà lu du même auteur :

oscar_et_la_dame_rose Oscar et la dame rose odette_toulemonde Odette Toulemonde et autres histoires

la_reveuse_d_ostende La rêveuse d'Ostende ulysse_from_Bagdad Ulysse from Bagdad

le_sumo_qui_ne_voulait_pas_grossir Le sumo qui ne pouvait pas grossir l_enfant_de_no__p L'enfant de Noé

quand_je_pense_que_Beethoven Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent...  

mr_ibrahim_ldp_2012 Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran 

les_10_enfants Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eus 

la_part_de_l_autre_2003 La Part de l'autre

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Pavé de l'étépav_2013n°2

29 août 2013

Résidence secondaire - Isabelle Motrot

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Plon - mars 2006 - 247 pages

J'ai lu - septembre 2008 - 218 pages

Quatrième de couverture :
Avec sa résidence secondaire, Pierre s'était offert un 4x4 et un cancer du poumon. " Dans un petit village de Normandie, entre Deauville et Trouville, plusieurs couples profitent de leur résidence secondaire. Ou plutôt tentent d'en profiter. Bobos, écolos, aristos ou prolos... Tout propriétaire de résidence secondaire se reconnaîtra dans ce livre, et surtout y reconnaîtra une peinture sarcastique de ses voisins. Une joyeuse comédie de mœurs taillée dans un humour débridé et cinglant.

Auteur : Isabelle Motrot est journaliste, chroniqueuse dans la bande à Ruquier On va s'gêner ! sur Europe 1 et On a tout essayé sur France 2 et rédactrice en chef du Bateau Livre sur France 5.

Mon avis : (lu en août 2013)
J'ai trouvé par hasard ce livre dans la bibliothèque bretonne que je fréquente une ou deux fois par an. Le sujet et l'auteur m'ont interpellée. Pour me sortir un peu de ma lecture de "Le Monde selon Garp" un peu de légèreté n'était pas de trop... 
Beaucoup rêvent d'avoir un jour une résidence secondaire, mais cela peut être également source de soucis... Le lecteur suit plusieurs couples dans leurs résidences secondaires en Normandie entre Deauville et Trouville. Ils sont de conditions sociales très différentes et ont des résidences secondaires modestes ou plus tape à l'oeil. Ils vont découvrir les problèmes de voisinages, l'authenticité des produits "fermiers", les artisans locaux pas toujours fiables, les embouteillages du dimanche soir... Au fil des week-end, nous suivons cette comédie grinçante aux personnages attachants avec des dialogues jubilatoires et plein d'humour. 
Un livre léger et amusant qui se lit facilement et qui m'a fait passer un très bon moment. 

Note : ♥♥♥♥♥

Extrait : (début du livre)
Avec sa résidence secondaire, Pierre s'était offert un 4x4 et un cancer du poumon. L'élégante maison de campagne était un ancien pressoir normand, près de Deauville, et le véhicule, une Jeep Grand Cherokee hors de prix, destinée à parcourir les pistes dangereuses de la Normandie profonde (où la vache féroce est tapie). Le cancer, lui, fourbissait ses armes à la faveur des emboutaillages. Car « aller respirer en sur la côte normande » se traduisait invariablement par des heures d’attente derrière le volant, pendant lesquelles Pierre réglait ses affaires en téléphonant et... en fumant. Durant les mois d'hiver, Pierre et Catherine Dartois fermaient leur résidence secondaire. Le soleil étant terriblement nécessaire à Catherine, sujette à la dépression saisonnière. Megève et les Maldives (« ou Saint-Barth, depuis ces affreux problèmes de tsunami ! ») remplaçaient la Normandie pendant les frimas.

Ce premier week-end de mars marquait donc le début de la saison, la réouverture du Pressoir. Comme chaque année, Pierre partait en éclaireur pour rouvrir la maison. En guerrier âpre et courageux, il allait affronter l'humidité du refuge campagnard, près à pourfendre les linceuls de toiles d'araignée qui auraient pu s'y installer durant l'hiver. Catherine lui était reconnaissante de cette attitude de mâle dominant et l'attendait au chaud, dans leur caverne (200 mètres carrés) du 7e arrondissement. C'était un rituel plus qu'une nécessité, car Pierre ne risquait pas grand-chose en matière de mauvaise surprise. Son épouse prévenait toujours Denise, leur femme de ménage normande, quelques jours auparavant. Denise ouvrait et dépoussiérait, allumait le chauffage et préparait le bois dans les cheminées. Elle remplissait le frigo et le congélateur, disposait des fruits et des fleurs, des serviettes dans les salles de bains et du papier dans les toilettes (« Denise, je vous ai dit et répété : blanc ! Je me moque des promos, Denise ! »).

 Challenge Petit BAC 2013
petit_bac_2013
"Chiffre/Nombre"

 

28 août 2013

Les Renards pâles - Yannick Haenel

Lu dans le cadre de La Rentrée Littéraire 2013 Libfly
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les_Renards_p_les Gallimard - août 2013 - 192 pages

Présentation de l'éditeur :
Un homme choisit de vivre dans sa voiture. À travers d'étranges inscriptions qui apparaissent sur les murs de Paris, il pressent l'annonce d'une révolution. 

Le Renard pâle est le dieu anarchiste des Dogon du Mali ; un groupe de sans-papiers masqués porte son nom et défie la France. 
Qui est ce solitaire en attente d'un bouleversement politique? Qui sont les Renards pâles? 
Leur rencontre est l'objet de ce livre ; elle a lieu aujourd'hui.

Auteur : Yannick Haenel, romancier, essayiste né en 1967, a cofondé avec François Meyronnis la revue «Ligne de risque» en 1997. Il est l’auteur d’«Évoluer parmi les avalanches» (2003) et de «Cercle» (2007), prix Décembre et prix Roger-Nimier.

Mon avis : (lu en juin 2013)
Après avoir été expulsé de son meublé, le narrateur décide de vivre dans sa voiture. Il devient un solitaire, il se met en marge de la société.
L'auteur nous fait de belles descriptions assez précises du XXème arrondissement de Paris que le narrateur arpente de long en large. Au hasard de ses promenades il tombe impasse Satan sur un graffiti surprenant qu'il décrit comme "une sorte d'épouvantail : cancrelat de sortilège, poisson-sorcier". Il se met alors à rechercher le sens de cet étrange dessin. Il fait alors la connaissance de sans-papiers venant du Mali qui connaissent ce dessin, il est alors question pour la première fois de « Renards pâles », ce dessin est l'un des masques du « Renard pâle » un dieu des Dogons. Dans la deuxième partie du livre, le narrateur découvre et dévoile au lecteur le monde des sans-papiers, certains se sont regroupés, ils s'appellent entre eux « les Renards pâles » et manifestent masqués contre ce qu'ils subissent en France.

Difficile de dire si j'ai aimé ou non ce livre, je crois ne pas avoir tout compris. Est-ce une fable ? Un réquisitoire contre le sort des sans-papiers à Paris... J'ai aimé ces longues marches et les descriptions de Paris.

J'ai découvert par hasard que de la page 37 à 52, l'auteur a repris intégralement la nouvelle "Vers les animaux" qu'il avait écrite pour le recueil Noël, quel bonheur !: Treize nouvelles affreusement croustillantes publié en novembre 2012 chez Armand Colin.

Merci à Libfly et Le Furet du Nord pour m'avoir permis de découvrir ce livre à l'occasion de l'opération On vous lit tout.

Note : ♥♥♥♥♥

Extrait : (début du livre)
C'est l'époque où je vivais dans une voiture. Au début, c'était juste pour rire. Ça me plaisait d'être là, dans la rue, sans rien faire. Je n'avais aucune envie de démarrer. Pour aller où d'ailleurs ? Je me sentais bien sous les arbres, rue de la Chine. La voiture était garée le long du trottoir, en face du 27. Il y avait des pétales de cerisiers qui tournoyaient dans l'air ; ils s'éparpillaient avec douceur sur le pare-brise, comme des flocons de neige.

C'était un dimanche, vers 20 heures. Je m'en souviens très bien parce que, ce jour-là, on m'avait mis à la porte. Depuis quelques mois, je n'arrivais plus à payer le loyer ; la propriétaire de la chambre m'avait rappelé à l'ordre, et puis ce matin-là elle a frappé à ma porte ; comme je n'ouvrais pas, elle s'est mise à hurler que j'avais la journée pour quitter son meublé. Je me suis rendormi, avec une légèreté qui aujourd'hui me paraît extravagante. A l'époque, j'accordais peu d'importance à ce qu'on nomme les relations humaines ; peut-être n'avais-je pas besoin de faire croire aux autres que j'étais vivant.

Bref, j'ai traîné toute la journée au lit, puis vers la fin de l'après-midi, alors que la lumière d'avril entrait dans la chambre avec ses couleurs chaudes, à ce moment où l'on prend plaisir à baigner son visage dans les rayons du soleil, j'ai rassemblé mes affaires ; ça faisait à peine trois cartons : du linge, des livres et une plante verte – un papyrus qui m'accompagne depuis toujours.

Déjà lu du même auteur :

jan_karski Jan Karski 

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"Animal"

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20 août 2013

Un père en colère - Jean-Sébastien Hongre

Lu en partenariat avec Max Milo Editions

un_p_re_en_col_re Max Milo Editions - mars 2013 - 222 pages

Quatrième de couverture : 
Et si c’était au tour des parents de se rebeller ?
« Un père en colère » : la révolte d’un homme dépassé par le comportement de ses enfants. Sa lutte pour reconstruire sa famille et renouer avec sa femme. Son cri pour raviver la tendresse dans le cœur de ses deux adolescents en dérive.
Une fiction à l'intrigue implacable, qui ne triche pas avec la réalité et qui creuse au fond de notre époque pour en extraire la voie de l’espérance.

Auteur : Jean-Sébastien Hongre est l'auteur de Un joueur de poker (Anne Carrière, 2010). Originaire de Picardie, il vit à Paris.

Mon avis : (lu en août 2013)
Une famille à la dérive avec un couple divorcé, des enfants qui ont pris le pouvoir et une mère prisonnière dans son propre logement... Voilà le départ de ce roman, Stéphane et Nathalie se sont rencontrés dans une librairie, ils se sont aimés et se sont installés dans une jolie maison à côté de Paris. Ils ont élevé leurs deux enfants Fred et Léa.
Vingt ans après, Nathalie a été victime d'un accident de voiture et Stéphane crie sa colère vis à vis de ses enfants devenus des monstres, ingrats, qui préfèrent trafiquer ou dealer plutôt que se mettre au travail... Une réflexion sans concession de notre société, de l'éducation que nous donnons ou non à nos enfants et des conséquences. Un roman qui se lit facilement. Stéphane, le père en colère, est touchant et attachant, il ose parler, être lucide sur le comportement de ses enfants qu'il réprouve. Il se sent coupable de ne pas avoir réagi plus tôt laissant ses propres enfants prendre le dessus et faire leur loi... Une belle découverte très instructive.
Merci à Jean-Sébastien Hongre, à Pauline et à Max Milo Editions pour m'avoir permis de découvrir ce livre. 

Autre avis : Canel

Extrait : (début du livre)
Stéphane remonte la rue principale de Saugny au ralenti, pour se donner le temps, se calmer, reconstituer quelques forces après une journée éprouvante. Au coup de fil de Nathalie, il a deviné qu'il aura besoin de sang-froid. Il lui faudra contrôler son agacement et les effets de la fatigue accumulée. De rares piétons, tête baissée, ombres craintives, se hâtent de rentrer chez eux. Stéphane entend presque les verrous des serrures qui claquent derrière eux lorsque, enfin, ils atteignent leur asile pour la nuit. Cela fait plusieurs années que dans cette petite ville de banlieue, la rue est désertée dès la fin du jour.
Il gare sa 106 le long du trottoir, devant la grande maison en briques rouges. À peine le seuil franchi, il soupire : les cendriers pleins, la boîte de pizza par terre, la dizaine de canettes de bière 8-6 vides sur la table, tout ce désordre lui donne la nausée. Il a un haut-le-coeur tandis qu'il progresse lentement dans la pièce. Il slalome en évitant tout contact avec les détritus, s'oriente à la musique et aux rires en grimaçant. « Ils » sont là, cela ne fait pas de doute, songe-t-il. Devant l'entrée de la cuisine, il se fige malgré lui ; ses muscles se rétractent, tout son être se recroqueville, comme pour se prémunir d'avance des coups qu'il risque de prendre. Cela l'humilie d'être à 48 ans dans cet état de fébrilité, lui qui sait gérer son stress au bureau. Mais il doit passer par là pour retrouver Nathalie, répondre à son appel à l'aide, l'extraire du piège. En bruit de fond, un animateur radio s'esclaffe avec de jeunes auditeurs sur les
« fellations profondes », avant d'annoncer la session « Rap Anthologie » et le groupe Lunatic.

En poussant la porte, Stéphane est saisi à la gorge par une épaisse fumée et une odeur de haschisch qui lui brûle les narines. Il découvre quatre jeunes d'une vingtaine d'années dont, face à lui, un beur aux tatouages imposants qu'il connaît de vue, Rachid. À sa gauche, Kamel, un autre jeune beur, un maigrichon à la tête de fouine qu'il se rappelle avoir souvent croisé. L'un roule un joint, l'autre se sert un whisky. Au bout de la table, Léa se tartine un sandwich avec du pain de mie et du jambon sous vide. Fred, de dos, rigole bruyamment, puis cesse lorsque les regards de ses amis se fixent sur Stéphane. Le voilà qui se retourne.
Avec son oreillette branchée à l'iPhone, son survêtement de marque, ses bagues de mauvais goût, Fred ressemble à la version « blanc » d'Anelka ; même apparence « bling-bling », même air suffisant, même allure d'adolescent révolté à deux doigts de sortir de la pièce en claquant la porte, et dans les yeux une lueur provocante et agressive. Il a encore forci, tout en muscles. L'apparente puissance de son corps est sûrement indispensable dans son monde, songe Stéphane. Lui a toujours traîné un physique maladif d'intellectuel. Il n'a jamais vraiment aimé ce corps maigre, instable, souvent atteint de bronchites chroniques durant sa jeunesse, sans cesse en trahison ouverte, le poussant à se réfugier dans les livres, les jeux de l'esprit, et plus tard dans les innombrables mystères des mathématiques. Son corps a comme refusé de prendre de l'assurance, lui léguant avec le temps la taille d'un grand enfant chétif et des bras trop maigres. Avec l'esprit logique par lequel il analyse chaque chose, il a conclu depuis longtemps que son physique, quoi qu'il fasse, le desservirait. Il a décidé de ne pas lui donner d'importance, de l'oublier en quelque sorte, de se développer « ailleurs ».

 

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