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A propos de livres...
13 mai 2009

Le meilleur reste à venir - Sefi Atta

le_meilleur_reste_avenir traduit de l'anglais (Nigeria) par Charlotte Woillez

Actes Sud – janvier 2009 - 429 pages

Présentation de l'éditeur
Enitan et Sheri sont cieux jeunes filles en rupture contre l'ordre et le désordre d'un Nigeria à peine sorti de la guerre du Biafra, un pays où se succèdent coups d'état militaires et régimes dictatoriaux. Deux jeunes filles puis deux femmes qui, du début des années 1970 au milieu des années 1990, veulent échapper à l'enfermement d'une société oppressive et machiste. Sheri, belle et effrontée mais blessée à jamais. choisira l'exubérance et la provocation. Enitan tentera de trouver son chemin entre la dérive mystique de sa mère, l'emprisonnement de son père, sa carrière de juriste et le mariage lui imposant, en tant que femme, contraintes et contradictions. Et c'est à travers la voix de ce personnage inoubliable que Sefi Atta compose ici un roman initiatique d'une remarquable puissance, un livre dans lequel le destin personnel dépasse le contexte historique et politique du Nigeria pour se déployer dans le sensible jusqu'au cœur même de l'identité et de l'ambiguïté féminines.

Biographie de l'auteur
Née à Lagos en 1964, Sefi Atta est romancière. nouvelliste et dramaturge. Publié simultanément au Nigeria, en Angleterre et aux États-Unis en 2005, Le meilleur reste à venir, son premier roman, a obtenu le prix Wole-Soyinka en 2006.

Mon avis : (lu en mai 2009)

C'est un roman social et urbain qui se déroule à Lagos, la capitale du Nigeria. A travers le vie de deux petites filles devenues adultes, nous découvrons les modes de vie du Nigeria, les coutumes, la famille, la condition de la femme... En toile de fond, il y a aussi l'histoire du Nigeria des années 70 aux années 90 avec les nombreux coups d'états, la misère, les inégalités sociales.

La narratrice Enitan grandit dans une famille chrétienne privilégiée, son père avocat veut qu'elle fasse des études, sa mère, suite à la perte d'un enfant, est surtout tournée vers son église. A l'âge de 10 ans, Enitan fait la rencontre de sa voisine mulsumane, Sheri, une fillette délurée de mère européenne et de père africain. Elles vont devenir amies et traverser ensemble les épreuves de la vie. Leur parcours à chacune sera différent pour échapper à leurs sorts de femmes soumises dans cette société commandée par les hommes. J'ai trouvé ce livre très intéressant et j'ai vraiment voyagé en lisant ce roman écrit avec à la fois beaucoup de simplicité et plein d'amour pour ses personnages et son pays. Bravo !

Extrait : (début du livre)

Dès le début j’ai cru tout ce qu’on me disait, même les plus purs mensonges, sur la façon dont je devais me tenir, en dépit de mes propres penchants. A l’âge où les petites filles nigérianes étaient des pros du ten-ten, le jeu où l’on doit taper des pieds en rythme et essayer de surprendre les autres avec de brusques mouvements de genoux, ce que je préférais, c’était m’asseoir sur la jetée et faire semblant de pêcher. Le pire, c’était d’entendre la voix de ma mère qui criait par la fenêtre de la cuisine : « Enitan, viens m’aider. »

Je rentrais en courant. Nous vivions au bord de la lagune de Lagos. Notre cour faisait environ un demi-hectare, et était entourée par une grande palissade qui glissait ses échardes dans les doigts insouciants. Je jouais tranquillement sur la rive ouest, car la rive est bordait les mangroves du parc Iyoki et une fois j’avais vu un serpent d’eau passer devant moi en ondulant. La chaleur, cette chaleur, c’est ce dont je me souviens en repensant à ces jours là, un soleil dégoulinant et de rares brises. En début d’après-midi, on mangeait et on faisait la sieste : déjeune copieusement et dors comme un ivrogne. En fin d’après-midi, après avoir fait mes devoirs, j’allais sur la jetée, un tout petit embarcadère en bois que je pouvais arpenter en trois pas si je faisais des enjambées assez longues pour sentir les muscles de mes cuisses s’étirer.

Je m’asseyais au bout, là où c’était couvert de coques, j’attendais que l’eau clapote à mes pieds, et je lançais ma ligne, tendue entre une branche d’arbre et le bouchon d’une bouteille de vin abandonnée par mon père. Parfois des pêcheurs approchaient, ramant en rythme, et j’adorais ça, plus encore que les tripes frites ; leur peau brûlée, couverte de sel et desséchée par le soleil, presque grises. Ils parlaient avec ce roucoulement des insulaires, leurs vocalises fusaient d’un canoë à l’autre. Jamais je n’ai eu envie de sauter dans la lagune comme eux. Elle sentait le poisson cru, elle était d’un marron sale qui, j’en étais sûre, avait un goût de vinaigre. En plus tout le monde savait que les courants pouvaient emporter les nageurs. Généralement les corps remontaient à la surface quelques jours après, gonflés, raides et pourris. C’est vrai.

Pas que je rêvais d’attraper des poissons. Ils frétillaient trop, et je ne me voyais pas regarder un autre être vivant suffoquer. Mais mes parents avaient envahi tous les autres endroits avec leurs disputes, leurs impardonnables débordements. Les murs ne m’épargnaient pas leurs cris. Un oreiller écrasé sur ma tête ne suffisait pas. La jetée était donc mon territoire, jusqu’au jour où ma mère décida qu’elle devait être démolie.

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10 mai 2009

Saucisses et petits gâteaux - Dominika Dery

Saucisses_et_petits_gateaux traduit de l'anglais Michèle Garène

Jean-Claude Lattès – avril 2006 - 377 pages

 

Présentation de l'éditeur
Au lendemain de l'écrasement du Printemps de Prague, la naissance de Dominika va illuminer l'existence d'un couple de dissidents qui connaît une vie difficile. La mère, économiste, a été reniée par ses parents, membres de l'élite du parti. Le père, ingénieur, est réduit à jouer les chauffeurs de taxi pour survivre, ce qui ne l'empêche pas de rester d'un optimisme à toute épreuve. La sœur de Dominika, belle adolescente pulpeuse poursuivie par une nuée d'admirateurs, et un énorme saint-bernard viennent compléter cette famille pittoresque. Dominika grandit dans cet univers hétéroclite, où se côtoient voisins cancaniers, indicateurs à la solde clé l'Etat et gentilles " grands-mères "... Elle n'a qu'un seul rêve : devenir danseuse. Ces souvenirs de petite fille dans la Tchécoslovaquie des années 1980 ne sont pas sans rappeler les premiers films de Kusturica ou encore Good bye Lenin. Un Hymne à l'enfance et un bouleversant témoignage d'une époque révolue.


Biographie de l'auteur
Dominika Dery est née à Prague en 1975. D'abord danseuse puis comédienne cru Théâtre national, elle a vécu quelque temps en France avant de s'installer en Australie. Saucisses et petits gâteaux est son premier livre.

Mon avis : (lu en août 2007)

C’est le regard d’un enfant sur sa vie quotidienne en Tchécoslovaquie dans les années 80. Les personnages sont attachants, on ressent tout l’amour qu’il y a dans cette famille. Sa mère est économiste, son père ingénieur travaille comme chauffeur de taxi pour faire vivre sa famille, Klara sa sœur plus âgée de 9 ans est souvent courtisée, Dominika rêve de devenir danseuse. Les voisins espionnent et dénoncent…Les produits occidentaux ne se trouvent qu'au marché noir par contre saucisses et petits gâteaux se consomment sans compter ! Contrairement à l'époque, le récit n'est pas sombre du tout, au contraire. C'est un beau témoignage. 

6 mai 2009

Le pendule de Foucault - Umberto Eco

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Grasset – février 1990 – 657 pages

LGF - avril 1992 – 656 pages

Résumé :
Après l'immense succès du Nom de la rose, voici le second grand roman d'un géant incontesté de la littérature mondiale. A Paris, au Conservatoire des Arts et Métiers où oscille le pendule de Foucault, Casaubon, le narrateur, attend le rendez-vous qui lui révélera pourquoi son ami Belbo se croit en danger de mort. A Milan, trois amis passionnés d'ésotérisme et d'occultisme ont imaginé par jeu un gigantesque complot ourdi au cours des siècles pour la domination mondiale. Et voici qu'apparaissent en chair et en os les chevaliers de la vengeance... Telles sont les données initiales de ce fabuleux thriller planétaire, incroyablement érudit et follement romanesque, regorgeant de passions et d'énigmes, qui est aussi une fascinante traversée de l'Histoire et de la culture occidentales, des parchemins aux computers, de Descartes aux nazis, de la kabbale à la science. Un de ces romans que l'on n'oublie plus jamais. Et assurément un classique.

Auteur : Umberto Eco, né le 5 janvier 1932 à Alexandrie (Alessandria), Piémont (Italie), est l'auteur mondialement connu de nombreux essais universitaires sur la sémiotique, l'esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique et la philosophie. Il est surtout connu du grand public pour ses œuvres romanesques. Titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l'École supérieure des sciences humaines à l'Université de Bologne, il en est professeur émérite depuis 2008. Son premier roman, Le Nom de la rose (1980) connaît un succès mondial avec 16 millions d'exemplaires vendus à ce jour et des traductions en vingt-six langues, son deuxième roman, Le Pendule de Foucault (1988) connaît également un énorme succès.

Mon avis : (lu en 1993)

Ce livre m'a autant passionné que le Nom de la Rose.

Avec près de vingt ans d’avance, Umberto Eco applique les recettes qu’utilisera plus tard Dan Brown dans le Da Vinci Code en imaginant un fil rouge à toutes les traditions ésotériques existantes. Par ce livre l'auteur cherche à dénoncer l'ésotérisme. C'est donc un livre anti-initiatique et anti-ésotérique.

Le Pendule de Foucault fait appel à beaucoup de références et de thèmes historiques, ésotériques, mythologiques, religieux, scientifiques, philosophiques, artistiques, politiques... On retrouve certaines dans des ouvrages ou des mythes mais d'autres viennent de l'imagination créative de l'auteur. Le livre peut alors sembler difficile d'accès mais il est possible de suivre l'histoire proposée sans avoir pour autant la vaste culture qu'Umberto Eco.

Un pendule de Foucault, du nom du physicien français Jean Bernard Léon Foucault, est une expérience conçue pour mettre en évidence la rotation de la Terre par rapport à un référentiel galiléen. Elle s'explique par l'existence de la force de Coriolis dans le référentiel non galiléen lié à un observateur terrestre.

Vidéo du pendule de Foucault au Musée des Arts et Métiers :

Une caméra est installée en haut du pendule de Foucault de l'Institut de géophysique de Munich. On peut ainsi le voir évoluer en direct.

 

Extrait : « - Mais en somme, et je m'excuse si je suis banal, les Rose-Croix existent ou pas ?
- Que signifie exister ?
- A vous l'honneur.
-La Grande Fraternité Blanche, que vous les appeliez Rose-Croix, que vous les appeliez chevalerie spirituelle dont les Templiers sont une incarnation occasionnelle, est une cohorte de sages, peu, très peu d'élus, qui voyage à travers l'histoire de l'humanité pour préserver un noyau de sapience éternelle. L'histoire ne se développe pas au hasard. Elle est l'aeuvre des Seigneurs du Monde, auxquels rien n'échappe. Naturellement, les Seigneurs du Monde se défendent par le secret. Et donc, chaque fois que vous rencontrerez quelqu'un qui se dit Seigneur, ou Rose-Croix, ou Templier, celui-là mentira. Il faut les chercher ailleurs.
-Mais alors cette histoire continue à l'infini ?
-C'est ainsi. Et c'est l'astuce des Seigneurs.
-Mais qu'est-ce qu'ils veulent que les gens sachent ?
-Qu'il y a un secret. Autrement pourquoi vivre, si tout était ainsi qu'il apparaît ?
-Et quel est le secret ?
-Ce que les religions révélées n'ont pas su dire. Le secret se trouve au-delà ».

6 mai 2009

Le nom de la rose – Umberto Eco

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Grasset – 1982 - 549 pages

LGF – mai 2002 – 640 pages

Traduit par Jean-Noël Schifano

Prix Médicis étranger en 1982.

Présentation de l'éditeur
1327, Guillaume de Baskerville, moine franciscain, ex-inquisiteur et représentant du Saint-Empire, se rend dans une abbaye située aux confins de la Provence et de la Ligurie, afin de découvrir comment est mort l’un des moines, retrouvé défenestré.
Commence alors une incroyable enquête, où l’on va de découvertes en découvertes, dans le monde médiéval et monacal où les superstitions, les croyances et l’ignorance ne rendent pas facile la tâche de l’enquêteur.
Un roman admirable, mythique, où se côtoient une trame policière très bien montée et des enseignements précieux sur le monde médiéval.

Auteur : Umberto Eco, né le 5 janvier 1932 à Alexandrie (Alessandria), Piémont (Italie), est l'auteur mondialement connu de nombreux essais universitaires sur la sémiotique, l'esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique et la philosophie. Il est surtout connu du grand public pour ses œuvres romanesques. Titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l'École supérieure des sciences humaines à l'Université de Bologne, il en est professeur émérite depuis 2008. Son premier roman, Le Nom de la rose (1980) connaît un succès mondial avec 16 millions d'exemplaires vendus à ce jour et des traductions en vingt-six langues, son deuxième roman, Le Pendule de Foucault (1988) connaît également un énorme succès.

Mon avis : (lu en 1992)

Ce livre est un roman policier médiéval. Le Nom de la rose est une histoire en sept chapitres, chiffre symbolique qui représente le nombre de jours, de morts et d'étapes de l'enquête.

Nous sommes en 1327, dans une abbaye d'Italie du Nord. Un moine franciscain Guillaume de Baskerville et son jeune second Adso de Melk enquêtent sur une série de meurtres mystérieux qui impliquent l'Église. Les bénédictins y vivant sont mystérieux, l'ambiance du monastère est inquiétante. Umberto Eco n'est pas seulement un romancier, c'est surtout un érudit. Il entraîne le lecteur dans une histoire originale en huit-clos dans un monastère qui nous entraîne dans un aventure à la fois philosophique et policière avec un rythme effréné, le tout enveloppé de mystères. Certains passages sont en latin (non traduits !), cela semble surprenant, mais on comprendra mieux l'utilité au moment du dénouement. Le livre est très richement documenté. Et cela m'a passionnée.

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Une adaptation de ce livre a été réalisé en 1986 par Jean-Jacques Annaud avec Sean Connery, Michael Lonsdale, Christian Slater, Valentina Vargas. Le réalisateur n'a retenu que l'ambiance, les personnages et le fil conducteur du roman, et malgré cela le film est très bon.

Si vous avez aimé le film, je vous invite vraiment à lire le livre.

Extrait : "Telle était la situation quand – déjà novice bénédictin au monastère de Melk -je fus arraché à la tranquillité du cloître par mon père, qui se battait dans la suite de Louis, non le moindre d'entre ses barons, et qui trouva sage de m'emmener avec lui pour que je connusse les merveilles d'Italie et fusse présent quand l'empereur serait couronné à Rome. Mais le siège de Pise l'absorba tout entier dans des préoccupations militaires. J'en tirai avantage en circulant, mi par oisiveté, mi par désir d'apprendre, dans les villes de la Toscane, mais cette vie libre et sans règle ne seyait point, pensèrent mes parents, à un adolescent voué à la vie contemplative. Et suivant le conseil de Marsile, qui s'était pris d'affection pour moi, ils décidèrent de me placer auprès d'un docte franciscain, frère Guillaume de Baskerville ; ce dernier allait entreprendre une mission qui devait le conduire jusqu'à des villes célèbres et des abbayes très anciennes. C'est ainsi que je devins son secrétaire en même temps que son disciple ; je n'eus pas à m'en repentir car je fus avec lui le témoin d'événements dignes d'être consignés, tel qu'à présent je le fais, et confiés à la mémoire de ceux qui viendront après moi.

Alors je ne savais pas ce que frère Guillaume cherchait, et à vrai dire je ne le sais toujours pas aujourd'hui, et je présume que lui-même ne le savait pas, mû qu'il était par l'unique désir de la vérité, et par le soupçon – que je lui vis toujours nourrir- que la vérité n'était pas ce qu'elle lui paraissait dans le moment présent. Et, en ces années-là, il était sans doute distrait de ses chères études par les devoirs impérieux du siècle. La mission dont Guillaume était chargé me restera inconnue tout au long du voyage, autrement dit il ne m'en parla pas. Ce fut plutôt en écoutant des bribes de conversations, qu'il eut avec les abbés des monastères où au fur et à mesure nous nous arrêtâmes, que je me fis quelque idée sur la nature de sa tâche. Cependant je ne la compris pas pleinement tant que nous ne parvînmes pas à notre but, comme je le dirai ensuite. Nous avions pris la direction du septentrion, mais notre voyage ne suivit pas une ligne droite et nous nous arrêtâmes dans plusieurs abbayes. Il arriva ainsi que nous virâmes vers l'occident tandis que notre destination dernière se trouvait à l'orient, comme pour longer la ligne montueuse qui depuis Pise mène dans la direction des chemins de saint Jacques, en faisant halte sur une terre que les terribles événements qui s'y passèrent me dissuadent de mieux identifier, mais dont les seigneurs étaient fidèles à l'empire et où les abbés de notre ordre d'un commun accord s'opposaient au pape hérétique et corrompu. Notre voyage dura deux semaines entrecoupées de moult vicissitudes, et dans ce laps de temps j'eus la possibilité de connaître (pas suffisamment, loin de là, comme j'en suis toujours convaincu) mon nouveau maître."

6 mai 2009

Nous étions les Mulvaney - Joyce Carol Oates

nous__tions_les_Mulvaney traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claude Seban

Stock – janvier 2009 - 595 pages

Présentation de l'éditeur
A Mont-Ephraim, petite ville des Etats-Unis située dans l'Etat de New York, vit une famille pas comme les autres : les Mulvaney. Au milieu des animaux, ils cohabitent dans une ferme respirant le bonheur, où les corvées elles-mêmes sont vécues de manière cocasse, offrant ainsi aux autres l'image d'une famille parfaite, comme chacun rêverait d'en avoir. Jusqu'à cette nuit de 1976 où le rêve vire au cauchemar... Une soirée de Saint-Valentin arrosée. Un cavalier douteux. Des souvenirs flous et contradictoires. Le regard des autres qui change. La honte et le rejet. Un drame personnel qui devient un drame familial. En dressant le portrait de la dissolution d'une famille idéale, Joyce Carol Oates épingle l'hypocrisie d'une société où le paraître règne en maître et érige en roi les princes bien pensants ; où un sourire chaleureux cache souvent un secret malheureux ; où il faut se taire, au risque de briser l'éclat du rêve américain.

Auteur :

Née en 1938, Joyce Carol Oates a publié son premier roman en 1963. Devenue professeur de littérature à l’université de Princeton, elle poursuit la plus prolifique des carrières littéraires avec Blonde, Eux, Bellefleurs, Confessions d’un gang de filles.

Mon avis : (lu en mai 2009)

J’ai pris ce livre un peu par hasard à la bibliothèque, je ne connaissais pas l’auteur et j’ai longtemps laissé ce roman sous ma PAL avant que Florinette m’incite à le lire il y a quelques temps…

L’écriture de ce livre est vraiment belle : l’auteur nous décrit avec beaucoup de précision les paysages, les personnages et les évènements des plus banals au plus importants. Les animaux du livre sont tout également des personnages à part entière. Les Mulvaney sont une famille unie malgré les caractères si différents de ces membres : Judd, Marianne, Patrick, Mike les enfants, Michael et Corinne les parents. Un évènement tragique va bousculer l’harmonie de cette famille idéale. Chacun va réagir à sa façon et leurs vies et leurs relations vont être totalement bouleversées. Ce livre est plein d’humanité. J'ai beaucoup aimé. A découvrir !

Extrait : (début du livre)

Une maison de conte de fées.

Nous étions les Mulvaney, vous vous souvenez ? Vous croyiez peut-être notre famille plus nombreuse ; j'ai souvent rencontré des gens qui pensaient que nous, les Mulvaney, formions quasiment un clan, mais en réalité nous n'étions que six : mon père Michael John Mulvaney ; ma mère Corinne ; mes frères Mike et Patrick ; ma soeur Marianne et moi... Judd.

De l'été 1955 au printemps 1980, date à laquelle mes parents durent vendre la propriété, il y eut des Mulvaney à High Point Farm, sur la route de High Point, onze kilomètres au nord-est de la petite ville de Mont-Ephraim, Etat de New York, dans la vallée de Chautauqua, cent dix kilomètres au sud du lac Ontario.

High Point Farm était une propriété bien connue dans la vallée -inscrite plus tard aux Monuments Historiques - et "Mulvaney" était un nom bien connu.

Longtemps vous nous avez envié, puis vous nous avez plaints.

Longtemps vous nous avez admirés, puis vous avez pensez Tant mieux !...  ils n'ont que ce qu'ils méritent.

"Trop brutal, Judd !" dirait ma mère, gênée, en se tordant les mains. Mais j'estime qu'il faut dire la vérité, même si elle fait mal. Surtout si elle fait mal.

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2 mai 2009

Un tout petit mensonge - Francesca Clementis

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Belfond – mars 2005 - 388 pages

Edition France loisirs – 2006 – 458 pages

traduit de l'anglais par Isabelle Vassart

Présentation de l'éditeur
Omissions, déformations et autres révélations, une irrésistible comédie de mœurs à l'anglaise. Ou les aventures cocasses d'une adorable menteuse... En règle générale, Lauren n'est pas vraiment encline au mensonge. Le problème, c'est qu'elle n'est pas très à l'aise en société. Elle a beau être une redoutable femme d'affaires, quand elle sort, elle se transforme en reine des gaffes. Pas facile, dans ces conditions, de lier connaissance. Aussi, quand on lui présente Chris, un garçon tout à fait charmant, voire franchement séduisant, elle se dit qu'il serait temps de montrer à quel point elle peut être brillante et spirituelle. Quitte à déformer légèrement la vérité. Pas grand-chose, trois fois rien... juste de quoi déclencher une cascade de quiproquos et bouleverser la vie de tout son
entourage...

Biographie de l'auteur
Diplômée de philosophie, Francesca Clementis a travaillé dans la publicité pendant une dizaine d'années, avant de se consacrer à l'écriture. Elle vit actuellement à Londres avec son mari et leur fille. Après Lorna et ses filles (Belfond, 2004), Un tout petit mensonge est son second roman à paraître en France.

Mon avis : (juin 2008)

J’ai pris ce livre un peu par hasard à la bibliothèque : format idéal pour le train. Au début, l’histoire est prenante mais ensuite j’ai été déçu par certaines longueurs. C’est un peu comme une comédie sans prétention : cela distrait, mais sans plus. Je ne le conseille donc pas.

2 mai 2009

Le cercle du Karma - Kunzang Choden

le_cercle_du_karma Actes Sud – janvier 2007 - 425 pages

Traduit par Sophie Bastide-Foltz

Présentation de l'éditeur
Fille d'un "religieux laïque" et maître ès calligraphie, frustrée d'avoir vu l'accès au savoir réservé, dans la tradition bhoutanaise, aux seuls garçons, la jeune Tsomo, un an après la mort de sa mère bien-aimée, prend prétexte de la nécessité d'aller pieusement célébrer sa mémoire dans un temple éloigné de son village pour quitter sa famille. C'est alors que la jeune fille entame sa longue marche, véritable odyssée qui la mène de son village près de Thimphu, la capitale du Bhoutan, à Kalimpong en Inde et jusqu'à Bodh Gaya, haut lieu du bouddhisme. Dans ce voyage, solitaire, qui est celui de toute une vie, une femme en quête de la sagesse promise par les enseignements du Bouddha part à la découverte de sa force intérieure et traverse d'innombrables épreuves jusqu'à ce que s'accomplisse enfin la métamorphose qui la fait accéder à la vérité si longtemps recherchée... Premier roman en provenance du Bhoutan, un pays longtemps "interdit", ce foisonnant récit initiatique est une invitation à voyager au cœur d'une culture profondément méconnue. Brossant, à travers son attachante héroïne, le portrait d'une génération de femmes-pionnières prenant en main leur destin, Kunzang Choden offre, sur son pays, des aperçus inédits et particulièrement audacieux s'agissant d'un royaume réputé pour sa fermeture, car abordés avec une simplicité et une franchise - voire, parfois, un humour - qui ne cessent de surprendre.

Auteur : Née en 1952, bouthanaise jusqu'au plus profond de l'être, Kunzang Choden a consacré la majeure partie de sa carrière a l'analyse de l'évolution de son pays. Après avoir étudié à l'université de New Delhi, elle part pour les Etats-Unis, où elle achève sa formation à l'université du Nebraska. Dès lors, elle s'applique à étudier et rapporter divers aspects du Bouthan, et notamment les traditions orales et le statut de la femme, à travers des ouvrages comme 'Dawa, l'histoire d'un chien errant au Bouthan'. De manière plus concrète, elle a pris part à plusieurs reprises à des projets internationaux en faveur du développement de ce pays, au sein de l'Unesco par exemple. En 2007 sort en France 'Le Cercle du karma', son premier roman, dont l'intrigue se déroule également au Bouthan. Plume subtile et éloquente, Kunzang Choden est de ces écrivains dont les mots nous font voyager.

Mon avis :(lu en mars 2008)

C’est le récit d’une quête vers le bonheur, la sérénité pour Tsumo. Elle est née fille au Bhoutan et là-bas l’instruction est réservée aux garçons. Durant toute sa vie, elle va fuir pour échapper à son destin de femme : sa famille, son mari… Elle nous raconte son histoire et celle de son peuple si riche en traditions à travers un long voyage de vie qui la conduit du Bhoutan jusqu’à l’Inde. Elle fait des rencontres émouvantes. Ce récit nous donne aussi une grande leçon d'humilité pour nous occidentaux. Ce livre est à la fois dépaysant et apaisant. J’ai beaucoup aimé.

Extrait : (page 30)
Les anciens mettaient beaucoup de chose sur le compte du karma. Père se plaisait à expliquer chaque phénomène d'un point de vue religieux. Pour faire passer un message aux enfants, il racontait des histoires religieuses qu'ils adoraient écouter, lesquelles avaient souvent pour but d'illustrer la notion de karma. Tous les êtres étaient ce qu'ils étaient en raison de la façon dont ils avaient vécu au cours de leurs expériences passées, disait-il. Aum Choizom, par exemple, qui restait assise jour après jour devant chez elle à se chauffer au soleil dans l'espoir que celui-ci la guérirait de l'horrible toux qui l'épuisait et lui faisait cracher du sang, souffrait d'une maladie karmique. Aum Chomo et sa famille n'avaient quasiment rien à manger chez eux. Elle mendiait ou empruntait ici et là. Les villageois lui donnaient toujours quelque chose, parce qu'elle ne pouvait rien à sa condition. Tel était son karma. Des années plus tard, ses enfants ayant grandi, les choses changèrent. Leur famille devint prospère. Le karma, là encore. Tsomo fut rassurée d'apprendre que le karma d'un individu n'était pas obligatoirement mauvais tout au long de sa vie. Comme dans la vie d'Aum Chomo, les choses pouvaient changer.

 

Extrait : (page 135)
T
somo se dit qu'elle n'appartenait pas à un lieu comme la grenouille à l'étang, elle ne pouvait pas non plus s'envoler, comme l'oiseau, et s'échapper du mariage. Elle n'était désormais la femme de Wangchen que de nom. Kesang s'épanouissait alors qu'elle s'étiolait. Wangchen buvait plus que de raison. Il s'était mis à la frapper régulièrement. Il s'emportait à la moindre contrariété, ne pouvait supporter la moindre réflexion de la part de Tsomo. Une nuit, il dit qu'il avait besoin d'aller aux toilettes, à quoi sans réfléchir Tsomo répondit qu'elle aussi avait besoin d'y aller. C'était vrai, et dans le passé, ils y étaient souvent allés ensemble.
'Tu me surveilles ?' lui lança-t-il d'une voix pleine de défi dans le noir, et il lui envoya sa main en pleine figure.

 

Extrait : (page 254)
Accepter l'aumône l'incita à une réflexion plus approfondie qui lui fit prendre conscience que charité et partage étaient deux choses bien différentes. C'étaient généralement les pauvres qui partageaient ce qu'ils avaient, tandis que les riches faisaient la charité. Les pauvres partageaient sans motivation aucune, pas même pour acquérir des mérites. Ils partageaient, poussés par une compassion qui leur venait de leur propre expérience. Ils savaient ce que signifiait avoir faim ou manquer de chance. Le pauvre vieil homme qui donnait la moitié de son chapati à un mendiant, la jeune femme qui se privait de son vieux châle pour couvrir un jeune inconnu dormant sur un morceau de carton posé à même les dalles de pierres froides autour du chorten : leur compassion était vraie, inconditionnelle.

1 mai 2009

Dans le berceau de l'ennemi – Sara Young

dans_le_berceau_de_l_ennemi traduit de l'anglais (États-Unis) par Florence Hertz

France Loisirs – 2008 - 473 pages

Résumé : Alors que l'étau se resserre autour de Cyrla, la jeune fille, à moitié Juive, n'a qu'un moyen d'échapper à la menace : endosser l'identité de sa cousine décédée après une tentative ratée d'avortement. Pourtant, le danger est colossal, car cela signifie faire confiance au soldat allemand qui a mis sa cousine enceinte et gagner le Lebensborn dans lequel celle-ci est inscrite. Pour survivre, il lui faudra se réfugier dans le sein même de l'ennemi...

Auteure de plusieurs publications destinées à la jeunesse, Sara Young a longtemps publié sous le nom de plume de Sara Pennypaker. Avec son dernier ouvrage Dans le berceau de l'ennemi, elle s'attaque à un genre qu'elle n'a encore jamais exploité, celui de roman d'amour sur fond historique. Un style qu'elle manie déjà à merveille et qui séduit un lectorat très vaste.

Mon avis : (lu en avril 2009)

Une histoire belle et émouvante un mélange de fiction et d'Histoire. En effet, ce livre nous entraine au cœur des Lebensborn (source ou fontaine de vie), organisation SS fondé en 1935 par Himmler.

Ce sont des foyers maternels dans lesquels étaient suivies les jeunes femmes enceintes, « valables d’un point de vue racial », afin de repeupler la nation et de lui donner de futurs soldats. Ensuite, les enfants étaient confié à l’adoption dans des familles allemandes, ou s'ils ne sont pas « conformes » ils étaient purement et simplement éliminés. C'est l'histoire de Cyrla moitié juive qui pour sauver sa vie va se réfugier dans un Lebensborn sous l'identité de sa cousine décédée suite à un avortement.

On va suivre la grossesse de Cyrla-Anneke au sein du Lebensborn et tous les sentiments qui l'envahisse : la peur et la détresse. Elle va rencontrer d'autres futurs mamans : des fanatiques, des résignées... Elle y rencontre aussi Ilse, une infirmière et Karl, le fiancé de sa cousine : des Allemands qui subissent malgré eux l'idéologie nazie et qui vont l'aider.

Ce livre est également intéressant du point vu historique, on y voit les années 41-42 aux Pays-Bas et en Allemagne, bien sûr la vie dans un Lebensborn. Ce livre se lit facilement, on est vraiment pris par la fiction et les personnages si attachants. A découvrir.

Extrait : (début du livre)

chapitre 1 : Septembre 1941

— Quoi, chez nous aussi ? Nee !
En franchissant la porte de la salle à manger, je vis ma tante renverser quelques gouttes de soupe sur la nappe. Le bouillon était maintenant si maigre que les taches partiraient vite, mais mon cœur se serra quand elle ne lâcha pas sa louche pour les essuyer. Depuis le début de l'occupation allemande, elle se refusait à affronter la réalité, paraissant même parfois tellement absente que j'avais l'impression de perdre ma mère une deuxième fois.
— Évidemment, ici aussi, Mies, s'emporta mon oncle, dont la peau pâle parsemée de taches de rousseur s'empourpra.
Il ôta ses lunettes pour en essuyer la buée avec sa serviette.
— Tu n'imaginais quand même pas que les Allemands avaient annexé les Pays-Bas pour le plaisir de donner une terre d'accueil aux Juifs ? Nous avons déjà de la chance que ça ne soit pas arrivé plus tôt.
Je m'assis après avoir posé le pain sur la table.
— Que se passe-t-il ?
— Des restrictions ont été imposées aux Juifs aujourd'hui, expliqua mon oncle. Ils ne pourront quasiment plus sortir de chez eux.
Il examina ses verres, rechaussa ses lunettes, puis me regarda.
Je me figeai d'angoisse, la main crispée sur ma cuillère, me souvenant soudain d'une scène dont j'avais été témoin dans mon enfance.
Alors que nous rentrions de l'école en groupe, nous avions vu un passant qui battait son chien. Nous lui avions crié d'arrêter - nous étions assez nombreux pour nous sentir ce courage - et certains des plus âgés avaient même essayé de lui arracher le pauvre animal. Mon attention avait été attirée par un garçon qui, je le savais, se faisait souvent maltraiter par les grands. Il hurlait comme nous : « Arrêtez ! Arrêtez ! », mais son regard m'avait glacée. J'y avais lu une satisfaction sournoise, cette même expression que je venais de reconnaître chez mon oncle quand il s'était tourné vers moi.
— Tout va changer, maintenant, Cyrla.
J'eus un coup au cœur et baissai la tête. Craignait-il qu'il ne soit trop risqué de me garder chez lui ?
En tout cas, il me signifiait que je n'étais pas chez moi. Je regardai fixement la nappe blanche, avec sa sous-nappe de soie bordée de franges dorées. À mon arrivée, j'avais trouvé étrange cette habitude de couvrir une table de salle à manger, mais à présent j'en connaissais toutes les couleurs, tous les motifs. Je relevai les yeux pour considérer cette pièce que j'avais appris à aimer, avec ses hautes fenêtres d'un blanc lumineux donnant sur notre petite cour, les trois aquarelles du Rijksmuseum accrochées l'une au-dessus de l'autre par une cordelière, le salon qui se profilait derrière la lourde tenture de velours bordeaux avec le piano dans un coin, couronné des photos de famille encadrées. Mon cœur battit encore plus fort. Où irais-je s'il ne voulait plus de moi ?
Je jetai un coup d'œil à ma cousine : Anneke était le sauf-conduit qui me protégeait dans le territoire périlleux des humeurs de mon oncle. Mais, distraite ce jour-là, elle écoutait à peine ce qu'on lui disait, absorbée par des pensées secrètes. Elle n'avait même pas entendu la menace brandie par son père.
Je demandai, tâchant de rester calme :
— Quoi ? Qu'est-ce qui va changer ?
Occupé à couper le pain, il ne s'interrompit pas, mais je surpris le regard qu'il lançait à ma tante pour la faire taire.
— Tout va changer, c'est tout.
Arrivé à la troisième tranche, il reposa le couteau d'un geste lent et ajouta.
— Rien ne sera plus pareil.
J'attirai la miche à moi, m'emparai du couteau à la manière précise et déterminée d'un joueur d'échecs, et coupai une quatrième tranche. Je parvins à reposer le couteau à pain sur la planche sans trembler, mais je dus ensuite mettre les mains sur mes genoux pour les soustraire à sa vue. Droite et fière, je lui dis sans ciller :
— Tu avais oublié une tranche, oncle Pieter.
Il sembla gêné mais son visage resta sombre comme une meurtrissure.
Quand le repas s'acheva enfin, mon oncle retourna à la boutique pour écouter la radio qu'il dissimulait dans l'atelier malgré l'interdiction. Ma tante, Anneke et moi, nous débarrassâmes la table puis nous nous attelâmes à la vaisselle. Nous nous activions en silence, moi toute à ma peur, ma tante cloîtrée dans sa tristesse, et Anneke obnubilée par son secret.
Au-dessus de l'évier, ma cousine poussa un cri. Le couteau à pain tomba par terre, et elle leva la main au-dessus du bac. Du sang coula dans l'eau savonneuse, teintant la mousse de rose. J'attrapai un torchon pour lui envelopper le doigt, puis la menai à la banquette sous la fenêtre. Elle s'assit, passive, contemplant sans réagir le sang qui imprégnait le tissu. Son inertie me fit peur. Anneke prenait grand soin de ses mains. Elle pouvait même se priver de sa ration de lait pour y tremper les ongles, et elle parvenait encore à trouver du vernis alors que plus personne en Hollande ne semblait en posséder. Si la perspective d'une cicatrice la laissait tellement indifférente, alors son secret devait être vraiment grave.
Ma tante s'agenouilla devant elle pour examiner la blessure, la grondant d'avoir été distraite. Anneke, tête en arrière et yeux clos, se contentait de se masser la gorge de sa main libre avec un sourire heureux. C'était l'expression que je voyais sur son visage quand elle rentrait sur la pointe des pieds dans notre chambre au milieu de la nuit : troublée, méditative, changée.
Je n'aimais pas Karl.
Soudain, je compris.
Dès que ma tante nous laissa pour chercher du désinfectant et une compresse, je chuchotai :
— Tu te rends compte de ce que tu as fait ?
— Plus tard, murmura-t-elle. Quand ils dormiront.
La soirée, occupée par du repassage et du raccommodage, me sembla interminable. Nous avions mis un disque de Hugo Wolf sur l'électrophone, que nous écoutions tout en travaillant, mais j'aurais préféré le silence, car, pour la première fois, je percevais à quel point la vie tragique de Wolf avait influencé sa musique. Le souffle du désespoir en rendait la beauté trop poignante. Quand ma tante annonça qu'elle montait se coucher, j'échangeai un regard avec Anneke, et nous la suivîmes.
Après de rapides ablutions, quand nous fûmes prêtes à nous mettre au lit, il ne me fut plus possible de contenir mon impatience.
— Alors... ?
Ma cousine se tourna vers moi avec un sourire. Je ne lui en avais jamais vu d'aussi radieux.
— C'est merveilleux, Cyrla, dit-elle en posant la main sur son ventre.
Sa coupure avait dû se rouvrir et du sang saturer son pansement car, alors qu'elle exprimait ainsi son bonheur, une fleur rouge s'épanouit sur le coton bleu hâle de sa chemise de nuit.

chapitre 2

— Je pars, je m'en vais !
Maintenant qu'elle avait commencé, Anneke était intarissable.
— Nous nous marierons ici, à Schiedam, à la mairie probablement. La famille de Karl vit juste à l'extérieur de Hambourg. Nous nous installerons peut-être là-bas après la guerre, avec un jardin pour les enfants, près d'un parc... Hambourg ! Tu imagines, Cyrla ?
— Chut ! Elle va nous entendre.
Ce n'était pas ma tante que nous redoutions, mais Mme Bakker qui vivait dans la maison mitoyenne. Elle était vieille et alimentait ses incessants commérages en espionnant ses voisins. Tous les matins, elle se postait dans son salon pour surveiller les allées et venues dans la Tielman Oemstraat grâce à deux miroirs fixés à ses fenêtres. Un soir, nous l'avions entendue tousser et en avions déduit que sa chambre à coucher devait se trouver de l'autre côté du mur. Nous la jugions fort capable de coller un verre à la paroi qui séparait nos deux appartements pour écouter nos conversations. Mais au fond, je me moquais bien de Mme Bakker. Avant tout, je cherchais à faire taire Anneke.
Je lui ôtai son pansement et nettoyai sa coupure avec l'eau de notre broc.
— Change ta chemise de nuit. Je descends te chercher une autre compresse.
Une fois dans le couloir, je pris le temps de me calmer, puis j'allai prendre le pansement ainsi qu'une tasse de lait et une assiette de spekulaas. Anneke n'avait quasiment rien avalé au dîner, et elle adorait les petits biscuits aux épices qu'elle subtilisait dans la boulangerie où elle travaillait. Si j'arrivais à détourner son attention, peut-être cesserait-elle de parler de départ. Et puis en lui démontrant à quel point je lui étais indispensable, je lui ferais comprendre ce qu'elle perdrait en nous quittant. Rien n'était plus terrible que les départs.
Je m'assis près d'elle sur le lit pour lui panser le doigt, incapable de la regarder en face. Elle, en revanche, ne me lâchait pas des yeux. Je voulais encore espérer.
— Tu es sûre ? Et si tu te trompais... Vous n'avez pas fait attention... ?
Elle détourna la tête.
— Ce sont des choses qui arrivent.
Sa gêne ne dura pas. Son sourire revint, ce sourire merveilleux qui me désarmait.
— Un bébé... tu imagines ?
Je passai un bras autour de sa taille et posai la tête sur son épaule, inspirant la bonne odeur qu'elle rapportait de la boulangerie, cet arôme de gâteau, sucré et chaud, qui lui allait si bien. Je me demandai quel parfum s'accrochait à ma peau. Celui du vinaigre que j'avais manipulé toute la semaine pour les conserves de légumes ? Ou du détergent avec lequel je faisais le ménage dans l'atelier de couture de mon oncle ?
Anneke essuya de ses caresses les larmes qui coulaient sur mes joues.
— Je suis désolée, Cyrla. Tu vas me manquer. C'est toi que je regretterai le plus.
Ma cousine savait être adorable. Parfois, il lui arrivait de me blesser, pas par méchanceté mais innocemment, comme le font les filles très belles qui n'ont pas dû apprendre à ménager les autres. Je lui en voulais, alors, mais sa gentillesse spontanée me faisait vite honte d'éprouver un tel sentiment.
— Si tu savais comme je suis heureuse ! s'exclama-t-elle comme si son air radieux ne m'avait pas assez convaincue. Il est tellement beau !

Extrait : (page 174)

Dès la porte franchie, on tombait sur un bureau en bois massif, aussi imposant qu'un deuxième mur, derrière lequel était accrochée une photo de Hitler. En dessous était assise une dame au chignon gris acier formé de tresses aussi serrées que les amarres d'une péniche sur un quai. Elle se leva et fit un salut au conducteur et au garde ; elle était aussi grande qu'eux. L'aigle nazi brillait à son revers. Je reculai d'un pas.

- Bonjour, Frau Klaus. Heil Hitler, dit le conducteur en lui tendant mon dossier.

Elle le compara à des papiers qui se trouvaient devant elle. Je lui tournai le dos pour leur cacher mon visage de menteuse.

Le long du mur s'alignaient d'autres photos de Hitler. Il recevait un bouquet des mains d'une fillette vêtue d'une robe blanche ; bras tendu, il saluait une mer de soldats ; il passait en voiture découverte devant des foules d'Allemands qui agitaient leurs mouchoirs. Il y en avait plusieurs d'autres de Heinrich Himmler qui, comme Isaak me l'avait appris, était le commandant en chef des Lebensborn. En face, je vis des affiches représentant des mères avec leurs enfants. LES MÈRES DE SANG PUR SONT SACRÉES ! disait l'une. LE BERCEAU EST PLUS FORT QUE LES CHARS ! disait une autre. Je n'arrivai pas à les regarder longtemps.

Le sol à losanges noirs et blancs brillait sous la lumière d'un lustre. Je n'avais plus l'habitude d'avoir autant de lumière le soir. A côté de moi, un guéridon en acajou sentait l'encaustique citronnée, odeur familière chez nous, par-dessus laquelle flottait un riche arôme de rôti de porc, que je n'avais pas senti depuis longtemps. A cela se mêlaient des effluves de pain qui cuisait dans un four, additionnés d'une note sucrée, vanillée. Le parfum d'Anneke. Mais Anneke, maintenant, c'est moi. Sur le guéridon était posé un énorme bouquet de chrysanthèmes roses et blancs, et, devant, une coupe de fruits : reinettes, poires rouges et brillantes, gros raisins si foncés qu'ils semblaient tout à fait noirs. Et tout cela n'était qu'une décoration pour le hall d'accueil... Depuis quand n'avais-je pas vu un tel luxe ?

- Suivez-moi, ordonna Frau Klaus d'un ton autoritaire.

23 avril 2009

Les cinq personnes que j'ai rencontré là-haut – Mitch Albom

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Oh ! éditions – mai 2004 – 281 pages

Pocket – décembre 2005 – 223 pages

traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Edith Soonckindt

Présentation de l'éditeur
Pendant des années, le vieil Eddie, petit bonhomme trapu de 83 ans, a veillé au bon fonctionnement des attractions de la fête foraine de Kuby Pier. Comble de l'ironie, c'est ici qu'il vient tout juste de mourir, écrasé sous la nacelle d'un manège alors qu'il tentait de sauver la vie d'une fillette... Arrivé dans l'au-delà, le défunt se retrouve embarqué sur un vaste océan multicolore et multiforme où, comme dans un rêve éveillé, il va faire cinq rencontres bouleversantes et déterminantes : avec Marguerite, son amour perdu, mais aussi son ancien capitaine d'infanterie, une vieille femme aux cheveux blancs, un mystérieux homme bleu et une toute jeune Asiatique détenant, dans ses petits doigts atrocement brûlés, le secret d'Eddie et de sa destinée...

Biographie de l'auteur
Mitch Albom est né en 1960 à Philadelphie. Après avoir obtenu un diplôme de sociologie, il poursuit des études de journalisme à l'université de Columbia à New York et devient l'un des principaux journalistes sportifs des Etats-Unis, travaillant pour la presse, la radio et la télévision. Dans son ouvrage La dernière leçon (Pocket, 2004) il retranscrit les conversations qu'il a eues avec Morrie Schwartz, son ancien professeur d'université atteint d'une maladie mortelle. L'adaptation télévisée de ce récit a remporté quatre Emmy Awards en 2000, et il est resté quatre ans dans la liste des meilleures ventes du New York Times. Les cinq personnes que j'ai rencontrées là-haut (Oh ! éditions, 2004) est publié aux Etats-Unis en 2003 : le succès est immédiat. Le livre, traduit dans 37 pays, s'est vendu à plus de 5 millions d'exemplaires, et a été adapté pour la télévision. Mitch Albom vit avec son épouse à Franklin dans le Michigan.

Mon avis : (lu en décembre 2005)

Eddie, 83 ans va mourir en sauvant une fillette de la mort. Il monte au Paradis et là il va rencontrer 5 personnes qui lui expliquent et décodent les grandes étapes de sa vie sur terre. Certaines de ces cinq personnes sont de sa famille, d'autres lui sont inconnus.

Ce livre est très émouvant et se lit rapidement. L'histoire est simple et elle nous amène à réfléchir sur la vie et sur la mort. Ce livre est malgré tout plein d'espoir ! Les personnages sont attachants et j'ai passé un merveilleux moment de lecture.

Extrait : (page 61)
'Alors ma mort a été inutile, comme ma vie.
- Aucune vie n'est inutile, lui rétorqua l'Homme Bleu. Le seul moment que nous gâchons, c'est celui où nous croyons être seul.'
Il fit quelques pas vers sa tombe et sourit. Ce faisant, sa peau prit une très belle teinte caramélisée, lisse et parfaite. C'était même la peau la plus parfaite qu'Eddie ait jamais vue.
'Attendez ! 'hurla-t-il, mais il fut soudain emporté à toute vitesse dans les airs, loin du cimetière, et se mit à planer au-dessus de l'immense océan gris.
Au dessus de lui il aperçut les toits de la fête foraine d'autrefois, avec ses clochetons, ses tourelles et ses drapeaux claquant au vent.
Puis tout disparut.

Extrait : (page 141)
Il est rare que les parents lâchent leurs enfants, du coup ce sont leurs enfants qui les lâchent. Ils avancent. Ils s'éloignent. Les monuments qui leur servaient de repères - l'approbation d'une mère, d'un père - sont remplacés par leurs propres réussites. Ce n'est que beaucoup plus tard, quand la peau pendouille et que le cœur s'affaiblit, que les enfants comprennent ; que leurs réussites s'ajoutent à celles de leurs parents, pierre après pierre, dans les eaux de la vie.

13 avril 2009

Avis de tempête - Susan Fletcher

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traduit de l'anglais par Marie-Claire Pasquier

Plon – février 2008 - 444 pages

J’ai lu – janvier 2010 – 406 pages

Présentation de l'éditeur
Après le succès international de son premier roman, La Fille de l'Irlandais, Susan Fletcher revient avec un deuxième livre encore plus réussi. Moïra, vingt-huit ans, est au chevet de sa jeune sœur, Amy, qu'une terrible et inexplicable chute a plongée dans le coma depuis cinq ans. Habitée par le remords, Moïra parle à sa cadette. Elle s'excuse de n'avoir pas été la sœur rêvée. D'une extrême sensibilité, c'est une écorchée vive qui ne peut, n'a jamais pu et ignore comment s'abandonner à l'amour des autres, de ses parents, de sa sœur, et plus tard de son époux... Au travers de cette confession, Moïra cherche à la fois à se faire pardonner, et à assumer enfin son statut de femme, en paix avec elle-même. Avec de saisissantes descriptions de la nature et de la mer, qui rehaussent ses talents d'artiste, Susan Fletcher nous conte une histoire émouvante d'amour, de peine et de rédemption.

Biographie de l'auteur
Susan Fletcher est née en 1979 dans les West Midlands. Son premier roman,
La Fille de l'Irlandais est couronné par les deux prix littéraires les plus prestigieux attribués aux premiers romans en Grande-Bretagne (le Whitbread et le Betty Trask Award).

Mon avis : (lu en avril 2009)

C'est l'histoire de Moïra, elle est au chevet d'Amy sa jeune sœur qui est dans le coma depuis cinq ans à la suite d'une chute inexplicable. Moïra se sent coupable de ne pas avoir assez aimé cette sœur de onze ans sa cadette. Elle va donc lui raconter au cours de chacune de ses visites à l'hôpital sa vie et ses secrets intimes : son enfance, ses années de pension, sa rencontre avec Ray son mari, sa vie de femme mariée... Tout y est raconté avec douceur et pudeur, les descriptions des paysages sont superbes, on a l'impression d'être face aux paysages marins décrits, on entend parfaitement les bruits, on imagine aussi les odeurs. Les mots sont justes, imagés, tous nos sens sont en éveil. Moïra est très attachante malgré son apparence "dure et obstinée". Tout comme son premier livre "La fille de l'irlandais", j'ai été embarquée par cette histoire poignante et magnifique.

Extrait : Les premières lignes

Cela fait quatre ans. Quatre - et combien de mois ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus. Il me reste les années, mais j'ai perdu les unités de temps plus petites, plus pâles - les semaines, les jours et, en leur sein, les heures muettes. Elles m'ont quittée, ou peut-être du moins, mon désir de les compter. Jadis, je comptais : les minutes et les bruits de ton cœur ; les secondes sur ma montre. Je regardais venir les saisons : les arbres changer, les pousses jaillir de la terre, et les gelées, et je voyais ton fantôme fragile s'éloigner à travers les champs labourés. Je me disais : l'année dernière... et je t'imaginais telle que tu étais alors - en train de manger, ou dans l'herbe. Et c'est de cette façon, ma douce, que je mesurais nos vies, au début : par des retours, par la lente rotation silencieuse du monde. J'ai compté quatre citrouilles, quatre mois de mai printaniers. Des pins, des jours fériés ; une année bissextile. J'ai compté dix mille marées, Amy. J'étais la fille au boulier. C'est la nuit que je comptais tout ça.
J'étais dans l'espérance.
Dans l'espérance, comme une mariée, et soulagée, car ce n'était pas là une mort. Au début, c'est ce que j'avais cru. Tout le monde. Elle n'est pas morte, donc tout ira bien, voilà ce que je me disais. Je m'asseyais, je calmais ma respiration, et j'imaginais tel ou tel avenir avec toi - rétablie, avec une peau de fruit mûr, toutes tes blessures guéries. Tout ce que je trouvais de doux, de lisse, je te l'apportais, je le posais sur ton lit, parce que je me disais que cela devait te manquer, un monde qui contient de telles choses - de la lavande, des coquilles d'œufs, ou la peau sèche, transparente, d'une vipère abandonnée sur une pierre. Je disais : Il neige. Ou bien : Les fraises sont précoces. Til envoya une carte postale, et je te la lus. Elle parlait des déserts, et de leurs ciels immenses, sans nuages, si bien que l'espace d'un instant cette chambre n'eut plus des murs verts, et nous n'étions plus dans une ville, loin de la mer, avec ton odeur aigre et ton coeur fragile, malade.
J'ai dit aussi : C'est comme ça, ma douce, qu'on marche. En appuyant mon poing contre la plante de tes pieds et en repliant tes orteils, à la manière des chats.
Et maintenant ? Ai-je gardé l'espérance ? L'espoir que tu retrouves ta vie d'avant ? Peut-être. Mais l'espoir, c'est comme tout. Il perd de sa fraîcheur, de son velouté, il racornit. Je suis plus vieille, j'ai cessé de compter, ou de peler des oranges dans ta chambre pour la parfumer, et je n'apporte plus de coquillages pour les coller contre ton oreille. Je ne te parle plus de ton médecin couleur noix de cajou qui t'a recousue, t'a sauvé la vie et connaît l'obscurité de tes entrailles. C'est un homme solitaire, je crois. J'ai vu ses yeux.
C'est fini, les coquilles d'oeufs et les chansons. Faut-il m'en vouloir ? Je ne suis plus qu'une pauvre visiteuse qui regarde les arbres par la fenêtre mais sans te les décrire. Et puis je suis fatiguée. Trouve une pierre, soupèse-la : je suis lourde comme elle. Oui, j'ai le cœur aussi lourd. Je ne viens plus déposer sur ton lit un joli monde inventé. A quoi bon ? A quoi cela a-t-il servi ?

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