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A propos de livres...
2 décembre 2010

Le cimetière des bateaux sans nom – Arturo Pérez-Reverte

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (26/26)
Challenge terminé !

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Seuil – mars 2001 – 568 pages

Points – mai 2004 – 568 pages

Succès du livre éditions - juin 2008

traduit de l'espagnol par François Maspero

Quatrième de couverture :
Un marin exilé de la mer follement épris d'une femme dangereuse et belle. Un brigantin englouti depuis plus de deux siècles dans la pénombre verte de la Méditerranée. Une ancienne carte nautique qui n'en finit pas de révéler ses énigmes. Un secret dont les bribes éparpillées dans les liasses jaunies des bibliothèques et des musées excite la convoitise de chasseurs d'épaves sans scrupules. Et une fabuleuse histoire d'amour et d'aventure dont l'inoubliable héroïne est la mer. De Melville à Stevenson, de Conrad à Patrick O'Brian, c'est toute la grande littérature de la mer qui revit dans les pages de ce fascinant et merveilleux roman, comme un hymne à l'or magique des rêves et une métaphore de la part d'ombre tapie en chacun de nous.

Auteur : Arturo Pérez- Reverte est né à Cartagena, Espagne, en 1951. Licencié en Sciences politiques et en journalisme, il a travaillé longtemps comme grand reporter et correspondant de guerre pour la télévision espagnole, notamment pendant la crise du Golfe et en Bosnie. Le Cimetière des bateaux sans nom est le cinquième grand roman d'Arturo Pérez- Reverte (après Le Tableau du maître flamand, Le Maître d'escrime, Club Dumas et La Peau du tambour), tous des succès mondiaux dont plu-sieurs ont été portés à l'écran. Il partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et sa passion pour la mer et la navigation.

Mon avis : (relu en novembre 2010)
Coy est un marin sans bateau. Lors d’une vente aux enchères il croise Tanger Soto, une femme troublante dont il tombe amoureux. Tanger Soto travaille au musée de la Marine de Madrid. Elle vient d’acquérir l’Atlas maritime des côtes d’Espagne d’Urrutia Salcedo datant de 1767. Elle va entraîner Coy à la recherche d’un vieux brigantin englouti, le Dei Gloria, qui aurait coulé aux larges des côtes espagnoles plus de deux siècles auparavant. Nous allons d’abord suivre la piste du Dei Gloria à travers les bibliothèques et les archives marines. Puis la recherche se poursuivra dans les eaux de la Méditerranée. Les relations entre Coy et Tanger sont mystérieuses et ambigües... Sans oublier qu’ils ne sont pas les seuls dur la piste du brigantin englouti…

L'auteur nous dépeint avec beaucoup de justesse ces deux personnages principaux et à travers de superbes descriptions, il rend hommage à la Méditerranée. Le lecteur est conquis par une ambiance et une atmosphère digne de Jules Verne. Ce livre est un vrai jeu de piste, qui nous parle de cartes, de trésor, de corsaires et de mer et de marins... J'ai relu ce livre avec beaucoup de plaisir !

Extrait : (début du livre)
Observons la nuit. Elle est presque parfaite, l'étoile Polaire est visible à sa place exacte, à droite de la ligne formée par Merak et Dubhé, en multipliant par cinq la distance qui les sépare. La Polaire va rester au même endroit durant les vingt mille prochaines années ; et tous les navigateurs qui la contempleront éprouveront du réconfort en la voyant là-haut, car il est bon que demeure ainsi quelque part un repère immuable, quand les gens ont besoin de tracer des routes sur une carte marine ou sur le paysage confus d'une vie. Si nous continuons à prêter attention aux étoiles, nous trouverons sans difficulté Orion, puis Persée, puis les Pléiades. C'est facile parce que la nuit est limpide, il n'y a pas de nuages ; pas même un souffle de brise. Le vent de suroît est tombé au coucher du soleil, et le bassin est un miroir noir qui reflète les grues du port, les châteaux éclairés sur les montagnes, et les feux – vert à gauche et rouge à droite – des phares de San Pedro et de Navidad.

Approchons-nous maintenant de l'homme. Il est immobile, appuyé sur le faîte du rempart. Il regarde le ciel, qui s'annonce plus sombre vers l'est, et il pense que demain soufflera le vent d'est et qu'il fera grossir la houle. Il semble aussi sourire, d'une manière étrange ; quelqu'un qui pourrait voir son visage éclairé d'en bas par les lueurs du port conclurait qu'il existe des sourires meilleurs que celui-là : chargés de plus d'espoir et de moins d'amertume. Mais nous nous n'en connaissons pas la cause.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (26/26)
Challenge terminé !

Lu dans le cadre du Challenge Voisins, voisines
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Espagne

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27 novembre 2010

Sanctuaires ardents – Katherine Mosby

sanctuaires_ardents La Table Ronde – août 2010 – 381 pages

traduit de l'anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud

Quatrième de couverture :
Depuis l'arrivée du couple Daniels, la petite bourgade de Winsville, en Virginie, est en émoi. L'intense beauté de Vienna, sa déroutante culture, sa passion immodérée pour les arbres suscite l'admiration des uns, l'effroi des autres, les commentaires de tous. Un jour, Willard s'en va, laisse Vienna élever seule leurs deux enfants, Willa et Elliott, deux sauvageons pétris de curiosité et de connaissances. Dès lors, les rumeurs enflent. Jalousies et désirs se multiplient, se cristallisent. Puis le destin commence à s'acharner sur les Willard. Forte de sa foi païenne, de son appétit de vivre, de l'amour qu'elle porte à Willa et Elliot, Vienna entre alors éperdument en résistance.

Auteur : Katherine Mosby est née à Cuba en 1957, elle vit aujourd'hui à New-York. Professeur à l'université de Columbia, Katherine Mosby collabore également au New Yorker et à Vogue. Sanctuaires ardents, le premier de ses 4 romans, avait été salué par toute la presse à sa sortie en 1995, ainsi que par de nombreux écrivains allant de Larry McMurty à Paul Bowles.

Mon avis : (lu en novembre 2010)
« Souviens-toi, être différent ne fait pas de vous quelqu'un de spécial, mais être spécial fait de vous quelqu'un de différent. » Cette phrase de présentation résume parfaitement l'état d'esprit de ce livre.
Cette histoire commence dans les années 30 et se poursuivra après la Seconde Guerre Mondiale. Suite à son mariage avec Willard, Vienna, originaire du Nord de l'Amérique vient s'installer dans le Sud, à Winsville, petite ville de Virginie. Elle sera assez vite abandonnée par son mari, et elle élèvera ses deux enfants avec beaucoup de liberté. C'est une superbe femme, originale, intelligente mais plutôt associable, elle déplaît aux habitants de Winsville car elle est trop différente. Elle rejette la religion, mais se prend de passion pour la nature, elle élève ses enfants presque comme des sauvageons : Willa, la petite fille, se promène toujours pieds nus, Eliott, le petit garçon, se passionne pour les animaux, en particulier les oiseaux.
Lecture agréable, qui éveille tous nos sens : il est question d'odeurs, de couleurs, de chants d'oiseaux, d'amour des arbres, il se dégage de ce livre beaucoup de poésie. Les personnages sont originaux et très attachants.

Extrait : (page 11)
Ils ne semblaient pas habiter le monde de la même façon que lui, rivé à la terre par sa large ossature à chacun de ses pas pesants. Willa en particulier paraissait planer avec l'énergie du vol suspendu, pareille à un colibri humain, comme si le mouvement était son état naturel alors que l'immobilité exigeait d'elle un gros effort. Elle avait les traits délicats et, comme la splendeur ostentatoire de certaines églises que sa mère jugeait prétentieuses, d'autant plus impressionnants aux yeux d'Addison qu'ils possédaient une finesse peu réaliste, bien différente des surfaces de son propre visage, auxquelles une découpe grossière avait conféré une humanité reconnaissable, comme une tête sculptée dans le pommeau d'une canne. Willa avait une beauté déroutante et subtile : aussi évidente quand son visage était animé qu'absente au repos, quand ses traits fins et réguliers ne se distinguaient plus de ceux de tout un tas de jolies filles au teint pâle.

La famille Daniels suscitait en Addison le besoin d’une langue plus extravagante que ne le permettait son maigre vocabulaire. Plus tard, il ne pourrait expliquer ce qui avait rendu cette première rencontre avec les Daniels aussi fondamentale, mais il se rappellerait la façon dont la lumière miroitait à travers les branches des platanes, les feuilles en mouvement pointillant le sentier de cette même luminescence qu’il sentait à l’intérieur de lui, excitante et insaisissable.

Livre 28/28 pour le Challenge du 4% littéraire 1pourcent2010

Lu dans le cadre du challenge_100_ans_article_300x225

21 novembre 2010

La couleur des sentiments – Kathryn Stockett

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Jacqueline Chambon Editions - septembre 2010 – 525 pages

traduction de l'anglais (États-Unis) par Pierre Girard

Quatrième de couverture :
Chez les Blancs de Jackson, Mississippi, ce sont les Noires qui font le ménage, la cuisine, et qui s'occupent des enfants. On est en 1962, les lois raciales font autorité. En quarante ans de service, Aibileen a appris à tenir sa langue. L'insolente Minny, sa meilleure amie, vient tout juste de se faire renvoyer. Si les choses s'enveniment, elle devra chercher du travail dans une autre ville. Peut-être même s'exiler dans un autre Etat, comme Constantine, qu'on n'a plus revue ici depuis que, pour des raisons inavouables, les Phelan l'ont congédiée. Mais Skeeter, la fille des Phelan, n'est pas comme les autres. De retour à Jackson au terme de ses études, elle s'acharne à découvrir pourquoi Constantine, qui l'a élevée avec amour pendant vingt-deux ans, est partie sans même lui laisser un mot. Une jeune bourgeoise blanche et deux bonnes noires. Personne ne croirait à leur amitié ; moins encore la toléreraient. Pourtant, poussées par une sourde envie de changer les choses, malgré la peur, elles vont unir leurs destins, et en grand secret écrire une histoire bouleversante. Passionnant, drôle, émouvant, La Couleur des sentiments a conquis l'Amérique avec ses personnages inoubliables. Vendu à plus de deux millions d'exemplaires, ce premier roman, véritable phénomène culturel outre-Atlantique, est un pur bonheur de lecture.

Auteur : Kathryn Stockett a grandi à Jackson. Elle vit actuellement à Atlanta avec son mari et leur fille, et travaille à l'écriture de son deuxième roman.

Mon avis : (lu en novembre 2010)
Ce livre a été, pour moi, dès les premières pages de lecture, un grand coup de cœur !
Je suis rentrée dans ce livre très rapidement et j’ai été transportée à Jackson, petite ville du Mississipi dans les années 60. C’est un récit à 3 voix sur la condition des Noirs à cette époque, aux États-Unis. Elles sont trois femmes : Aibileen et Minny deux bonnes noires et Miss Steeker une jeune femme blanche. On découvre une ségrégation qui perdure malgré tout, car des lois continuent à séparer les deux populations. De la rencontre improbable entre Miss Steeker, jeune bourgeoise blanche et Aibileen et Minny va naître une amitié et surtout un livre racontant les histoires des bonnes noires au service des maîtres blancs. Elles évoquent les vexations, les colères contenues et leurs tendresses immenses pour les enfants qu'elles élèvent.

Une histoire simple avec des personnages très attachants qui fait passer le lecteur par toutes les émotions de la tristesse à la colère sans oublier le rire car certaines situations sont vraiment pleines d’humour…

J’ai pris vraiment beaucoup de plaisir à lire ce livre, je l’ai savouré ne voulant pas le quitter trop vite. Un vrai grand coup de cœur !

Extrait : (début du livre)
AIBILEEN

Août 1962

Mae Mobley, elle est née de bonne heure un dimanche matin d'août 1960. Un bébé d'église, comme on dit. Moi je m'occupe des bébés des Blancs, voilà ce que je fais, et en plus, de tout le boulot de la cuisine et du ménage. J'en ai élevé dix-sept de ces petits, dans ma vie. Je sais comment les endormir, les calmer quand ils pleurent et les mettre sur le pot le matin, avant que les mamans aient seulement le temps de sortir du lit.
Mais un bébé qui hurle comme Mae Mobley Leefolt, ça j'en avais jamais vu. Le premier jour que je pousse la porte je la trouve toute chaude et toute rouge à éclater et qui braille et qui se bagarre avec son biberon comme si c'était un navet pourri. Miss Leefolt, elle a l'air terrifiée par son propre enfant. "Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Pourquoi je ne peux pas arrêter ça ?"
Ça ? Tout de suite, je me suis dit : il y a quelque chose qui cloche ici.
Alors j'ai pris ce bébé tout rouge et hurlant dans mes bras. Je l'ai un peu chahuté sur ma hanche pour faire sortir les gaz et il a pas fallu deux minutes pour que Baby Girl arrête de pleurer et me regarde avec son sourire comme elle sait faire. Mais Miss Leefolt, elle a plus pris son bébé de toute la journée. Des femmes qui attrapent le baby blues après l'accouchement, j'en avais déjà vu des tas. Je me suis dit que ça devait être ça.
Mais il y a une chose avec Miss Leefolt : c'est pas juste qu'elle fronce tout le temps les sourcils, en plus elle est toute maigre. Elle a des jambes tellement fines qu'on les dirait poussées de la semaine dernière. A l'âge de vingt-trois ans, la voilà efflanquée comme un gamin de quatorze. Même ses cheveux bruns sont tellement fins qu'on voit à travers. Elle essaie de les faire bouffer, mais ça les fait seulement paraître plus fins. Et sa figure, elle ressemble à celle du diable rouge sur la bonbonnière, avec le menton pointu et tout. Pour tout dire, elle a le corps tellement plein de pointes et de bosses qu'il faut pas s'étonner si elle arrive jamais à calmer ce bébé. Les bébés, ils aiment les grosses. Ils aiment fourrer la tête sous votre bras pour s'endormir. Ils aiment les grosses jambes, aussi. Ça, je peux vous le dire.
Mae Mobley, à un an, elle me suivait déjà partout où j'allais. Quand arrivait cinq heures elle se cramponnait à mes Scholl, elle se traînait par terre et elle bramait comme si j'allais jamais revenir. Après, Miss Leefolt me regardait de travers, à croire qu'il aurait pas fallu décrocher ce bébé qui criait à mes pieds. Je pense que c'est le risque qu'on prend, quand on laisse quelqu'un d'autre élever ses enfants.   

Livre 27/28 pour le Challenge du 4% littéraire 1pourcent2010

16 novembre 2010

Le voyage dans le passé - Stefan Zweig

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traduit de l'allemand par Baptiste Touverey, suivie du texte original en Allemand

Grasset & Fasquelle - octobre 2008 – 172 pages

Livre de Poche – mars 2010 – 177 pages

Quatrième de couverture :
Le voyage dans le passé est l'histoire des retrouvailles au goût amer entre un homme et une femme qui se sont aimés et qui croient s'aimer encore. Louis, jeune homme pauvre mû par une " volonté fanatique " tombe amoureux de la femme de son riche bienfaiteur, mais il est envoyé quelques mois au Mexique pour une mission de confiance. La Grande Guerre éclate. Ils ne se reverront que neuf ans plus tard. L'amour résiste t-il à tout ? A l'usure du temps, à la trahison, à une tragédie ? Dans ce texte bouleversant, jamais traduit en français jusqu'à ce jour, on retrouve le savoir-faire unique de Zweig, son génie de la psychologie, son art de suggérer par un geste, un regard, les tourments intérieurs, les arrières-pensées. les abîmes de l'inconscient.

Auteur : Né en Autriche en 1881, mort au Brésil en 1942, auteur de romans, de pièces de théâtre et de poèmes, Stefan Zweig excelle dans la nouvelle, l'essai et la biographie. Sont parus les biographies de Magellan, Marie-Stuart, Marie-Antoinette et Fouchet, ainsi que trois tomes de sa correspondance, couvrant d'abord les années 1897-1919, puis 1920-1931 et enfin 1932-1942. Le voyage dans le passé est dans la lignée des célèbres nouvelles : Brûlant secret et La peur.

Mon avis : (lu en novembre 2010)
Voilà un auteur dont j'ai beaucoup entendu parler, entre autre dans la blogosphère, et je n'avais pas encore eu l'occasion de le lire. Voici donc le premier livre de Stefan Zweig que je lis.

Ce livre est en fait une nouvelle de 100 pages nous racontant un amour passé. Un jeune homme Louis tombe amoureux de la femme de son patron, ils vivent deux ans proche l'un de l'autre sans s'avouer cette amour interdit. Or un jour, Louis est envoyé en mission pour deux ans au Mexique, c'est alors qu'il ressent un déchirement de quitter cette femme mais il ne peut refuser cette superbe promotion. Mais lorsque ses deux ans de mission s'achèvent, la Première Guerre Mondiale éclate et il est impossible pour Louis de revenir en Europe. Et c'est seulement neuf années plus tard qu'ils pourront enfin se retrouver. Mais les sentiments peuvent-ils rester intacts durant tout ce temps ? Voilà la question qui est au centre de cette histoire.
J'ai beaucoup aimé cette lecture qui nous permet de ressentir l'atmosphère d'une autre époque, avec
des descriptions si précises des sentiments des personnages.
J'ai seulement feuilleté rapidement la version allemande... je n'ai même pas pris le temps d'essayer de lire quelques pages en VO... Aurai-je un jour le courage de le faire ?
Je compte bien après cette première expérience découvrir de nouveaux livres de Stefan Zweig.

Extrait : (page 44)
Les dix jours qui les séparaient du départ, ils les passèrent tous deux dans un état de continuelle et grisante frénésie. La soudaine explosion des sentiments qu'ils s'étaient avoués, par l'immense puissance de son souffle, avait fait voler en éclat toutes les digues et barrières, toutes les convenances et les précautions : comme des animaux, brûlants et avides, ils tombaient dans les bras l'un de l'autre quand ils se croisaient dans un couloir obscur, derrière une porte, dans un coin, profitant de deux minutes volées ; la main voulait sentir la main, la lèvre la lèvre, le sang inquiet sentir son frère, tout s'enfiévrait de tout, chaque nerf brûlait de sentir contre lui le pied, la main, la robe, une partie vivante, n'importe laquelle, d'un corps qui se languissait de lui. En même temps, ils étaient obligés de se maîtriser dans la maison, elle, de dissimuler sans cesse devant son mari, son fils, ses domestiques, la tendresse qui l'illuminait un instant auparavant, lui, de garder l'esprit en éveil pour les calculs, les conférences, les comptes dont il avait la responsabilité. Ils se contentaient à chaque fois d'attraper au vol des secondes, des secondes vibrantes, clandestines, guettées par le danger ; ce n'était que des mains, des lèvres, des regards, d'un baiser avidement dérobé, qu'ils parvenaient furtivement à se rapprocher, et la présence vaporeuse, voluptueuse de l'autre, grisé lui-même, les grisait. Mais ce n'était jamais assez, tous les deux le sentaient : jamais assez.

Livre lu dans le cadre du logo_challenge_ABC- (25/26)

31 octobre 2010

Jours toxiques – Roxana Robinson

Lu dans le cadre du partenariat Blog-O-Book et les éditions Buchet - Chastel

jours_toxiques Buchet-Chastel – septembre 2010 – 583 pages

traduit de l'américain par Julie Sibony

Quatrième de couverture :
Cet été-là, Julia Lambert, professeur d'art à New York et artiste peintre, accueille ses parents dans sa petite maison vétuste du Maine, au bord de l'Atlantique.
Elle tient à s'occuper de son père, un ancien neurochirurgien autoritaire, et de sa mère, toujours heureuse et stoïque, qui perd inexorablement la mémoire. Quand Julia apprend de Steven, son fils aîné, que Jack, son cadet, se drogue à l'héroïne, elle s'effondre. Héroïne. Le mot résonne avec incrédulité et angoisse dans cette famille cultivée, tolérante et sans histoire de la bourgeoisie américaine, et rend toxiques ces jours de vacances.
Julia met tout en oeuvre pour arracher son fils, esclave du velours noir que l'enfer de ses veines réclame goulûment, au danger et à une mort certaine. Elle rassemble autour de lui, pour une improbable médiation, outre ses parents et Steven, Wendell, son ex-mari, Harriet, sa soeur complexée, et Ralph, un ancien héroïnomane devenu spécialiste de la désintoxication. Mais en s'invitant avec fracas au coeur d'une famille confrontée pour la première fois à l'addiction, l'héroïne convie aussi le blâme, la rage, la honte, les regrets et ravive d'intimes blessures.
La tragédie de Jack fera voler en éclats les non-dits du cercle familial et révélera les failles de chacun sous les apparences du bonheur. Et s'il est vrai que le bonheur a un prix, pourquoi Jack serait-il le seul à en payer le lourd tribut ?

Auteur : Journaliste et critique littéraire, Roxana Robinson est l'auteur de quatre romans, de plusieurs recueils de nouvelles et d'une biographie de Georgia O'Keeffe. Elle vit à Manhattan et enseigne l'écriture à la New School de New York.

Mon avis : (lu en octobre 2010)
C'est l'histoire d'une famille qui est bouleversée par la toxicomanie d'un fils. Julia est professeur d'histoire de l'art à l'Université, divorcée. C'est l'été, et elle reçoit ses vieux parents Edward et Katharine dans sa petite maison de vacances du Maine. Son fils aîné Steven vient les rejoindre et avoue à sa mère que son jeune frère Jack ne va pas bien, il se drogue à l'héroïne. C'est un choc pour Julia qui veut se battre pour sortir son fils de ce cauchemar. Avec son ex-mari Wendell, elle rassemble la famille autour d'eux pour tenter une médiation et aider Jack à s'en sortir. L'auteur nous donne une description de la dépendance à l'héroïne avec un criant réalisme. Les différents personnages de l'histoire ont chacun leurs caractères, leurs faiblesses et leurs secrets. On découvre les conséquences du mal-être de Jack sur chacun des membres de la famille. Chacun va faire le point sur ses relations qu'ils ont avec les autres membres de la famille. Un livre juste, avec de la douleur et des regrets, mais aussi de l'espoir. Le récit est dur et bouleversant. C'est un roman plein d'émotions qui ne peut pas laisser indifférent.

Merci à Blog-O-Book et aux éditions Buchet - Chastel pour m'avoir permis de découvrir ce livre fort et bouleversant.

Extrait : ici

Livre 19/21 pour le Challenge du 3% littéraire 1pourcent2010

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30 octobre 2010

Seul dans Berlin - Hans Fallada

Livre lu dans le cadre du partenariat Livraddict et Folio

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Denoël – juin 2002 – 558 pages

Folio – janvier 2004 – 560 pages

traduit de l'allemand par A. Virelle et A. Vanevoorde

Quatrième de couverture :
Mai 1940, on fête à Berlin la campagne de France. La ferveur nazie est au plus haut. Derrière la façade triomphale du Reich se cache un monde de misère et de terreur. Seul dans Berlin raconte le quotidien d'un immeuble modeste de la rue Jablonski, à Berlin. Persécuteurs et persécutés y cohabitent. C'est Mme Rosenthal, juive, dénoncée et pillée par ses voisins. C'est Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille. Ce sont les Quengel, désespérés d'avoir perdu leur fils au front, qui inondent la ville de tracts contre Hitler et déjouent la Gestapo avant de connaître une terrifiante descente aux enfers. De Seul dans Berlin, Primo Levi disait, dans Conversations avec Ferdinando Camon, qu'il était "l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie". Aucun roman n'a jamais décrit d'aussi près les conditions réelles de survie des citoyens allemands, juifs ou non, sous le IIIe Reich, avec un tel réalisme et une telle sincérité.

Auteur : Hans Fallada, pseudonyme de Rudolf Ditzen (1893-1947), exerça une multitude de métiers - gardien de nuit, exploitant agricole, agent de publicité - avant de devenir reporter puis romancier. Écrivain réaliste populaire, il dressa un tableau très fidèle de la société allemande entre les deux guerres, et termina en 1947 par Seul dans Berlin, son chef-d'œuvre.

Mon avis : (lu en octobre 2010)
Ce livre a été lu dans le cadre d'un partenariat Livraddict et Folio. Le livre prévu (Les fantômes de Breslau) n'étant finalement pas disponible, Folio nous a proposé de choisir un titre de son catalogue. J'ai donc choisi Seul dans Berlin de Hans Fallada.

A travers une galerie de personnages, l'auteur dépeint la vie quotidienne des allemands à Berlin sous le régime nazi à partir de mai 1940. Dans un même immeuble modeste de la rue Jablonski, cohabitent, Madame Rosenthal, Otto et Anna Quangel, un couple tranquille, la famille Persick, Borkhausen et sa famille, le conseiller Fromm...
Madame Rosenthal est juive, son mari a été arrêté par la Gestapo et elle est persécutée par la famille Persick. Chez les Persick, le père a ses entrées au Parti, les deux fils aînés sont à la SS, le jeune fils, Baldur est le plus talentueux de la famille il va bientôt rentrer dans l'école des futurs cadres nazis. Borkhausen est un mouchard et un voleur. Après avoir appris la mort de leur fils lors de la Campagne de France, et pour donner un but à leur vie, les Quangel entrent en résistance, en écrivant des cartes postales appelant à la rébellion et en les déposant dans toute la ville de Berlin. Nous découvrons les différentes attitudes possible : la résistance, la lâcheté, le profiteur, la passivité, la collaboration, la délation... Toute la population allemande est sous l'emprise de la peur.

Ce livre est très intéressant pour connaître la réalité de la vie à Berlin pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il se lit lentement, le style est littéraire, les descriptions sont précises. L'auteur a construit son histoire en lui donnant un certain suspens : la Gestapo va-t-elle oui ou non découvrir qui est le mystérieux « Trouble-fête » ? et parfois des passages plutôt drôles : lorsque Borkhausen se fait avoir à ses propres entourloupes...
Merci à Livraddict et aux éditions Folio pour m'avoir permis de découvrir ce livre que j'ai beaucoup aimé.

Extrait : (page 34)
Involontairement, il prend les mains de Trudel dans les siennes, et il l’éloigne de l’affiche.
- Qu’y a-t-il donc ? demande-t-elle, toute surprise.
Mais elle suit le regard de Quangel et lit également le texte. Une exclamation, qui peut tout signifier, lui vient aux lèvres : protestation contre ce qu’elle vient de lire, désapprobation du geste de Quangel, ou indifférence. Elle remet son agenda en poche et dit ;
- Ce soir, c’est impossible, père. Mais je serai chez vous demain vers huit heures.
- Il faut que tu viennes ce soir, Trudel, répond Otto Quangel... Nous avons reçu des nouvelles
d’Otto...
Il voit que toute gaieté disparaît des yeux de la jeune fille.
- Otto est mort, Trudel !
Du fond du coeur de Trudel monte le même “Oh !” profond qu’il a eu lui aussi en apprenant la nouvelle. Un moment, elle arrête sur lui un regard brouillé de larmes. Ses lèvres tremblent. Puis elle tourne le visage vers le mur, contre lequel elle appuie le front. Elle pleure silencieusement.
Quangel voit bien le tremblement de ses épaules, mais il n’entend rien.
“Une fille courageuse ! se dit-il. Comme elle tenait à Otto !... À sa façon, il a été courageux, lui aussi.
Il n’a jamais rien eu de commun avec ces gredins. Il ne s’est jamais laissé monter la tête contre ses parents par la Jeunesse Hitlérienne. Il a toujours été contre les jeux de soldats et contre la guerre, cette maudite guerre !...”
Quangel est tout effrayé par ce qu’il vient de penser. Changerait-il donc, lui aussi ? Cela équivaut presque au “Toi et ton Hitler” d’Anna.
Et il s’aperçoit que Trudel a le front appuyé contre cette affiche dont il venait de l’éloigner. –Au dessus de sa tête se lit en caractère gras :
AU NOM DU PEUPLE ALLEMAND
Son front cache les noms des trois pendus...
Et voilà qu’il se dit qu’un jour on pourrait fort bien placarder une affiche du même genre avec les noms d’Anna, de Trudel, de lui-même... Il secoue la tête, fâché... N’est-il pas un simple travailleur manuel, qui ne demande que sa tranquillité et ne veut rien savoir de la politique ? Anna ne s’intéresse qu’à leur ménage. Et cette jolie fille de Trudel aura bientôt trouvé un nouveau fiancé...
Mais ce qu’il vient d’évoquer l’obsède :
“Notre nom affiché au mur ? pense-t-il, tout déconcerté. Et pourquoi pas ? Être pendu n’est pas plus terrible qu’être déchiqueté par un obus ou que mourir d’une appendicite... Tout ça n’a pas d’importance... Une seule chose est importante : combattre ce qui est avec Hitler... Tout à coup, je ne vois plus qu’oppression, haine, contrainte et souffrance !... Tant de souffrance !... “Quelques milliers”, a dit Borkhausen, ce mouchard et ce lâche... Si seulement il pouvait être du nombre !... Qu’un seul être souffre injustement, et que, pouvant y changer quelque chose, je ne le fasse pas, parce que je suis lâche et que j’aime trop ma tranquillité...”
Il n’ose pas aller plus avant dans ses pensées. Il a peur, réellement peur, qu’elles ne le poussent implacablement à changer sa vie, de fond en comble.

8 octobre 2010

Rosa Candida – Audur Ava Ólafsdóttir

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Rosa_candida Zulma – août 2010 – 336 pages

traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson

Quatrième de couverture :
Le jeune Arnljótur va quitter la maison, son frère jumeau autiste, son vieux père octogénaire, et les paysages crépusculaires de laves couvertes de lichens. Sa mère a eu un accident de voiture. Mourante dans le tas de ferraille, elle a trouvé la force de téléphoner aux siens et de donner quelques tranquilles recommandations à son fils qui aura écouté sans s'en rendre compte les dernières paroles d'une mère adorée. Un lien les unissait : le jardin et la serre où elle cultivait une variété rare de Rosa candida à huit pétales. C'est là qu'Arnljótur aura aimé Anna, une amie d'un ami, un petit bout de nuit, et l'aura mise innocemment enceinte. En route pour une ancienne roseraie du continent, avec dans ses bagages deux ou trois boutures de Rosa candida, Arnljótur part sans le savoir à la rencontre d'Anna et de sa petite fille, là-bas, dans un autre éden, oublié du monde et gardé par un moine cinéphile.

Auteur : Audur Ava Ólafsdóttir est née en 1958 à Reykjavík. Rosa candida, largement salué par la presse et la critique lors de sa parution en 2007 et deux fois primé, est traduit pour la première fois en français.

Mon avis : (lu en octobre 2010)
Ce livre est pour moi un vrai coup de cœur, c’est frais, c’est tendre, c’est touchant, c’est poétique.
Arnljótur est un jeune homme de 22 ans, il quitte son père et son frère jumeau autiste, avec quelques boutures de Rosa candida dans son sac-à-dos. Il part sur le continent pour restaurer une roseraie renommée laissée à l’abandon au sein d'un monastère. C’est sa mère décédée dans un accident de voiture il y a quelques années qui lui a appris à jardiner et à aimer les plantes. Après une relation d’une soirée avec Anna, il devenu « accidentellement » père d’une petite fille Flóra Sól.
Ce voyage est pour Arnljótur une façon de se retrouver, d’apprendre à se connaître. Il va faire des rencontres, en particulier le père Thomas un moine cinéphile, qui répond aux questions d’Arnljótur en lui conseillant des films…
Cette histoire est pleine de poésie, il n’y a aucune indication géographique précise mais des descriptions de paysages qui donnent au livre une atmosphère toute particulière.
J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à lire ce livre islandais. A découvrir sans hésiter !

Extrait : (début du livre)
Comme je vais quitter le pays et qu’il est difficile de dire quand je reviendrai, mon vieux père de soixante-dix-sept ans veut rendre notre dernier repas mémorable. Il va préparer quelque chose à partir des recettes manuscrites de maman – quelque chose qu’elle aurait pu cuisiner en pareille occasion.
« J’ai pensé, dit-il, à de l’églefin pané à la poêle et ensuite une soupe au cacao avec de la crème fouettée. » Pendant que papa essaie de trouver comment s’y prendre pour la soupe au cacao, je vais chercher mon frère à son foyer dans la vieille Saab qui va sur ses dix-huit ans. Jósef m’attend depuis un moment, planté sur le trottoir et visiblement content de me voir. Il est sapé à bloc parce que c’est ma soirée d’adieu, il porte la chemise que maman lui a achetée en dernier, violette à motifs de papillons.
Pendant que papa fait revenir l’oignon alors que les morceaux de poisson attendent, tout prêts, sur leur lit de chapelure, je vais dans la serre chercher les boutures de rosier que je vais emporter. Papa m’emboîte le pas, ciseaux à la main, pour couper de la ciboulette destinée à l’églefin et Jósef, silencieux, le suit comme son ombre. Il n’entre plus dans la serre depuis qu’il a vu les débris de verre causés par la tempête de février qui a réduit en miettes beaucoup de vitres. Il reste dehors, près de la congère, et nous suit du regard. Papa et lui portent le même gilet noisette avec des losanges jaunes.
«Ta mère mettait toujours de la ciboulette avec l’églefin », dit papa, tandis que je lui prends les ciseaux des mains et m’étire pour atteindre dans le coin de la serre la touffe toujours verte dont je lui tends une poignée. C’est moi le seul héritier de la serre de maman, comme papa me le rappelle régulièrement. Ce n’est pas qu’il s’agisse d’une culture de grande envergure comme trois cent cinquante pieds de tomate et cinquante plants de concombre qui se transmettraient de mère en fils ; il ne s’agit en fait que de roses qui poussent toutes seules, sans qu’on ait besoin de s’en occuper spécialement, et peut-être de la dizaine de plants de tomate qui restent. Papa se chargera d’arroser en mon absence.
« Je n’ai jamais été porté sur les légumes, mon petit Lobbi, c’était le dada de ta mère. Moi, je pourrais tout au plus manger une tomate par semaine. À ton avis, à la récolte, ça va donner combien de fruits par plant ?
— Tâche de les donner, alors.
— Je ne peux tout de même pas frapper à tout bout de champ chez les voisins avec mes tomates.
— Et Bogga ? »
Je dis cela tout en me doutant bien que la vieille amie de maman doit avoir les mêmes goûts que papa.
«Tu ne veux tout de même pas que j’aille toutes les semaines rendre visite à Bogga avec trois kilos de tomates. Elle insisterait pour que je reste à dîner. »
Je pressens aussitôt ce qu’il va dire ensuite.
« J’aurais voulu inviter la demoiselle et l’enfant, poursuit-il, mais va savoir si tu n’y serais pas opposé.
— Oui, j’y suis opposé. La demoiselle, comme tu dis, et moi, on n’est pas un couple et on ne l’a jamais été, même si on a un enfant ensemble. Ça a été un accident. »
J’ai déjà mis les choses au point et papa doit bien se rendre compte que l’enfant est le fruit d’un instant d’imprudence, et que ma relation avec la mère s’est limitée au quart, que dis-je, au cinquième d’une nuit.
«Ta mère n’aurait pas vu d’objection à les inviter au dernier repas. » Chaque fois que papa a besoin de donner du poids à ses paroles, il tire maman de sa tombe pour l’appeler en renfort.
Moi, je me sens tout drôle de me trouver sur le lieu même, si j’ose dire, de la procréation, en compagnie de mon vieux père et de mon demeuré de frère jumeau qui est là, juste derrière la vitre. Papa ne croit pas aux coïncidences, du moins pas quand il s’agit des événements primordiaux de l’existence, comme la naissance et la mort ; la vie ne s’allume pas, ni ne s’éteint comme ça, par hasard, dit-il. Il ne peut pas comprendre que la conception puisse résulter d’une rencontre fortuite, que l’occasion de coucher avec une femme puisse se présenter à l’improviste, pas plus qu’il ne peut comprendre que la mort puisse résulter d’une flaque d’eau ou de gravillons dans un virage, quand on peut se référer à autre chose : aux chiffres et aux calculs arithmétiques. Papa pense les choses autrement, le monde tient par des chiffres ; ils sont au cœur même de la création et on peut lire dans les dates une vérité profonde, y voir de la beauté. Ce que moi j’appelle hasard ou occasion, selon le cas, est pour papa un élément d’un système complexe. Trop de coïncidences, ça n’existe pas, une à la rigueur, mais pas trois ; pas de coïncidences en série, dit-il : l’anniversaire de maman, la date de naissance de sa petite-fille et le jour de la mort de maman, tout ça le même jour du calendrier, le sept août. Pour ma part, je ne comprends pas les calculs de papa ; d’après mon expérience, c’est justement quand on se met à escompter quelque chose de précis, que tout autre chose arrive. Je n’ai rien contre la marotte d’un électricien à la retraite à condition que ses calculs n’aient rien à voir avec ma négligence en matière de préservatifs.
« Tu n’es pas en train de filer à l’anglaise, mon petit Lobbi ?
— Non, je leur ai dit au revoir hier. » Je n’irai pas plus loin dans son sens et il change alors de conversation.
«Tu ne sais pas si ta mère avait par hasard une bonne recette de soupe au cacao ? J’ai acheté de la crème à fouetter.
— Non, mais on pourrait peut-être trouver ensemble comment faire. »

Livre 12/14 pour le Challenge du 2% littéraire 1pourcent2010

Lu dans le cadre du Challenge Viking Lit' Viking_Lit

5 octobre 2010

En cuisine – Monica Ali

Lu dans le cadre de babelio_masse_critique

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Belfond – août 2010 – 627 pages

traduit de l'anglais par Isabelle Maillet

Quatrième de couverture :
Après l'extraordinaire succès de Sept mers et treize rivières, Monica Ali nous plonge dans le melting-pot des cuisines d'un grand restaurant londonien. Profonde, douce-amère, une œuvre ambitieuse qui dépeint les désarrois d'une société attachée à ses traditions, confrontée à un monde nouveau qu'elle ne comprend pas. Chef des cuisines de l'hôtel Imperial, un palace plus vraiment à la hauteur de sa splendeur d'antan, Gabriel I.ightfoot doit composer chaque jour avec une équipe cosmopolite et chahuteuse, une petite amie chanteuse qui se pose des questions sur leur relation et un père malade qui lui laisse des messages aussi laconiques que culpabilisants sur son répondeur. Une mort va faire voler en éclats son fragile équilibre : le corps d'un des plongeurs est retrouvé dans les sous-sols du restaurant. Une mort solitaire, anonyme, parmi ces travailleurs immigrés interchangeables. Soudain, Gabriel prend conscience que ses cuisines cachent bien des secrets : trafics en tous genres, prostitution, chantages, violence quotidienne... Surgit Lena, une fille de l'Est, mystérieusement liée à la mort du plongeur. Irrésistiblement attiré par cette femme en perdition, Gabriel va prendre une décision qui remettra en question tout ce en quoi il avait cru jusqu'ici...

Auteur : Née en 1967 à Dacca (ex-Pakistan oriental), Monica Ali a émigré en Angleterre à l'âge de trois ans. Sélectionnée par la revue Granta parmi les vingt meilleurs romanciers britanniques de la décennie avant même que son premier roman, Sept mers et treize rivières (2004), ne soit publié, finaliste du Man Booker Prize 2003, lauréate de nombreux prix, Monica Ali est devenue en moins de un an un véritable phénomène dans le paysage littéraire international. Après le recueil de nouvelles Café; Paraiso (2007), En cuisine est son deuxième roman à paraître chez Belfond. Monica Ali vit à Londres avec son mari et leurs deux enfants.

Mon avis : (lu en octobre 2010)

Ce roman a pour cadre  la cuisine d’un grand restaurant londonien, le personnage principal est le chef de cuisine Gabriel, il a été embauché il y a quelques mois pour redorer le blason de l’ancien palace, mais il avait tout planifié : un an à l’Impérial avant d’ouvrir son propre restaurant à Londres puis son mariage avec sa petite amie Charlie. Mais l'évènement qui ouvre le livre va bouleverser sa vie tranquille. Cet événement, c'est la découverte du corps de Yuri, un des employés à la plonge, dans les caves de l’établissement.

Gabriel va réaliser que pratiquement toute son équipe est constituée de clandestins qui viennent du monde entier d’Inde, d’Afrique ou des pays de l’Est de l’Europe. Il va faire la rencontre de Lena une jeune plongeuse, qui s’était installée avec Yuri dans les catacombes du restaurant. Comme elle est seule et à la rue, Gabe va l’accueillir chez lui. En parallèle, il apprend que son père va mourir d’un cancer. Sa relation avec son père n’ayant jamais été très bonne, il va faire l’effort de renouer avec lui. Mais Gabriel Lightfoot va perdre peu à peu pied, et devenir dépressif.

Malgré des descriptions parfois un peu longue, j’ai plutôt aimé ce livre qui nous plonge dans les coulisses d’un grand restaurant mais aussi dans l’univers des clandestins avec les abus et la misère dans laquelle ils sont obligés de survivre.

Merci à Babelio et aux éditions Belfond pour m’avoir permis de découvrir ce livre.

Extrait : (début du livre)
Avec le recul, il avait le sentiment que la mort de l'Ukrainien marquait le début de la débâcle. Il n'aurait pu affirmer qu'elle en était la cause, ni même que c'était une cause en soi, car les événements qui avaient suivi lui paraissaient à la fois inévitables et imprévisibles ; s'il parvenait aujourd'hui à les assembler pour former une trame susceptible de lui apporter du réconfort, il avait cependant suffisamment changé pour comprendre qu'il s'agissait juste d'une histoire à raconter, et que les histoires sont en général peu fiables. Tout n'en avait pas moins commencé, à son sens, avec la mort de l'Ukrainien puisque, dans la mesure où l'on peut dire d'une existence qu'elle prend parfois un tournant décisif, la sienne était partie en vrille dès le lendemain.

En cette matinée de la fin octobre, Gleeson, le directeur de la restauration, s'assit en face de Gabriel pour leur réunion habituelle. Il semblait avoir perdu son charme professionnel tout d'onctuosité.
«Vous êtes bien conscient que ça s'est produit sur votre secteur, dit-il. Vous en êtes conscient, n'est-ce pas ?»
C’était la première fois que Gabe voyait se lézarder la façade du personnage. Lui-même savait parfaitement que le plongeur ukrainien faisait partie de son « secteur ». Donc, qu’est-ce qui tracassait Gleeson ? Dans ce métier, tant qu’on ne connaît pas toutes les données, mieux vaut ne pas poser de questions. Gabe tapota le col du vase en cristal posé sur la table en déclarant : « Les fleurs en plastique, c’est bon pour les relais routiers et les funérariums. »

Déjà lu du même auteur :

sept_mers_et_treize_rivi_res Sept mers et treize rivières

Livre 11/14 pour le Challenge du 1% littéraire 1pourcent2010

En cuisine par Monica Ali

En cuisine

En cuisine

Monica Ali

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2 octobre 2010

Le secret du bayou - John Biguenet

Livre lu dans le cadre du partenariat Blog-o-Book et Livre de Poche

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Albin Michel - mars 2008 – 407 pages

Livre de Poche – juin 2010 – 413 pages

traduction de l'anglais (États-Unis) par France Camus-Pichon

Quatrième de couverture : 
1957, côte de Louisiane. Dans le monde impitoyable des pêcheurs d'huîtres à la drague en haute mer, une flamboyante saga familiale tissée de haine, de violence, d'amour et de souffrance, aussi inexorable qu'une tragédie grecque. Fidèle à la tradition des grands romans du Sud profond aux accents faulkneriens, le superbe portrait d'une femme indomptable et farouche.

Auteur : Ecrivain résident à l'université de l'Arkansas puis à l'université du Texas, John Biguenet a publié des nouvelles, des essais et des poèmes dans de nombreuses revues (Esquire, Story, Zoetrope), ainsi que plusieurs ouvrages. Ses nouvelles, notamment, lui ont valu un O Henry Award. Président de l'American Literary Translators Association, John Biguenet enseigne actuellement à l'université Loyola de La Nouvelle-Orléans.

Mon avis : (lu en septembre 2010)
Ce livre nous raconte une histoire de rivalité entre deux familles propriétaires de parcs à huîtres en Louisiane.

D’un côté, il y a Horse Bruneau et ses trois fils, de l’autre la famille Petitjean, Félix et Mathilde, les parents et Alton et Thérèse, le fils et la fille.

Horse désire épouser Thérèse âgée de 18 ans en échange d’une dette de Félix. Mais Thérèse ne le veut pas et elle piège Horse et le tue. Les trois fils d’Horse sont convaincus que leur père a été tué par Alton et dès le soir de l’enterrement ils lui tendent une embuscade, le poignarde et le jette dans le bayou.

On découvre le monde rude et sans pitié des bayous, la vie difficile des pêcheurs d’huîtres et de crevettes. Une saga familiale à la fois dépaysante et captivante que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir.

Un grand merci à Blog-O-Book et au Livre de Poche pour m’avoir permis de découvrir ce livre.

Extrait : (début du livre)
Le claquement sourd de la pagaie contre l’eau noire trahissait l’impatience de Horse alors que sa pirogue, invisible sous la voûte sombre des arbres de la rive, s’engageait sur le bayou des Petitjean. Mais la progression du bateau était ralentie par des racines de cyprès inondés qui raclaient sa coque étroite, et par des branches basses ployant peut-être sous le poids de gros mocassins d’eau. À cette pensée, Horse tira son couteau de l’étui et le planta dans le bois du siège près de lui.
Bien qu’il fût près de minuit, la chaleur alourdissait toujours l’air. Plus tard, juste avant l’aube, la fraîcheur s’installerait. Les dormeurs, s’éveillant sous le lent tournoiement des pales d’un ventilateur, remonteraient sur leur corps frissonnant le drap chiffonné entre leurs pieds. Les épouses s’assiéraient dans leur lit pour remettre la chemise de nuit arrachée un peu plus tôt par leur mari. Les enfants iraient se blottir dans le lit d’un frère ou d’une sœur. D’ici là, quelques heures durant, la chaleur continuerait à suinter entre les lattes du parquet des maisons, à dégouliner des aiguilles de pin. Et la main d’un homme à fendre l’air humide comme l’aileron d’un requin l’océan.
Une lueur vacilla dans la nuit encombrée de formes enchevêtrées. Elle clignota plusieurs fois tandis que la pirogue glissait au ras des troncs noirâtres bordant la rive, jaillissant parfois même des eaux du bayou. Horse savait que ce fanal était l’éclairage extérieur de Felix Petitjean. Il se rappela que pour atteindre le mouillage à l’autre bout de la clairière, il lui faudrait franchir à découvert l’appontement de son vieux rival. La pleine lune, même à peine levée, l’inquiétait.
Alors qu’il cherchait un moyen de passer inaperçu, les arbres s’espacèrent. Il distinguait la maison, en retrait à une vingtaine de mètres du bayou. Aucune lumière à l’intérieur : toute la famille devait dormir.
Horse se pencha par-dessus bord, se propulsant le long de la berge à la force du poignet là où il le pouvait, pagayant de son mieux le reste du temps. Même s’il se vantait souvent, après une ou deux bières au R&J’s, d’être à cinquante-deux ans le pêcheur d’huîtres le mieux bâti de la paroisse de Plaquemines, il regrettait d’avoir fait à la rame le trajet depuis son repaire de Bayou Dulac. Ses épaules l’élançaient, son dos commençait à lui faire mal. «Mais qu’est-ce qui m’a pris de sortir cette pirogue ?» se répétait-il.
À l’approche du ponton mal équarri, il s’agrippa à un pilotis, laissant le courant paresseux amener l’embarcation contre les pneus fixés aux traverses. Au mouillage de l’autre côté, la Mathilde semblait somnoler.
Horse se redressa un peu et chuchota dans l’obscurité.
– Therese ?
Entre les pins à l’arrière du ponton, une silhouette surgit lentement de l’ombre. Une jeune fille pieds nus et en robe légère s’avança. Horse amarra sa pirogue.
– Non, protesta Therese, dénouant l’amarre. Allons faire un tour sur le bayou.
– Mais certainement, ma chère, tes désirs sont des ordres…
Il aida Therese à descendre dans la pirogue qui tanguait dangereusement.
– … C’est pour cette raison que tu m’as fait venir en bateau ?
– Contentez-vous de nous éloigner de la maison de mon père, répliqua-t-elle depuis l’avant, sans se retourner.
D’une poussée, Horse s’orienta vers les profondeurs du bayou. La présence de Therese à bord l’enhardissait, même si la lune montait peu à peu dans le ciel. Malgré ses épaules douloureuses, il ramait énergiquement.
La puissance de ses coups de pagaie soulevait presque l’embarcation hors de l’eau.
À l’entrée du chenal, quelque cinq cents mètres plus loin, la jeune fille demanda à Horse d’amarrer le bateau. Il le fit glisser entre les roseaux, l’immobilisant dans la vase de la rive marécageuse. La poupe était entraînée par les remous, alors il jeta par-dessus bord un seau rempli de béton en guise d’ancre et noua la corde au manche robuste du couteau qu’il avait planté dans le siège.
Therese pivota sur elle-même.
– Vous croyez que ça va tenir ?
– De toute façon, on ne s’en va pas, la rassura
Horse, faisant un dernier nœud autour du manche.
Il écrasa un moustique sur son cou.

Lu dans le cadre du challenge_100_ans_article_300x225

30 septembre 2010

Boomerang – Tatiana de Rosnay

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Éditions Héloïse d'Ormesson – avril 2009 – 376 pages

Livre de Poche - avril 2010 - 375 pages

traduit de l'anglais par Agnès Michaux

Quatrième de couverture :
Sa sœur était sur le point de lui révéler un secret... et c'est l'accident. Elle est grièvement blessée. Seul, l'angoisse au ventre, alors qu'il attend qu'elle sorte du bloc opératoire, Antoine fait le bilan de son existence: sa femme l'a quitté, ses ados lui échappent, son métier l'ennuie et son vieux père le tyrannise. Comment en est-il arrivé là? Et surtout, quelle terrible confidence sa cadette s'apprêtait-elle à lui faire? Rattrapé par le passé, Antoine Rey vacille. Angèle, une affriolante embaumeuse, lui apportera une aide inattendue dans sa recherche de la vérité. Entre suspense, comédie et émotion, Boomerang brosse le portrait d'un homme bouleversant, qui nous fait rire et nous serre le cœur.

Auteur : Née en 1961, Tatiana de Rosnay est franco-anglaise. Elle vit à Paris avec sa famille. Journaliste, elle est l'auteur de neuf romans, dont "La Mémoire des murs" et "Elle s'appelait Sarah" (Prix Chronos, Prix des lecteurs de Corse et Prix des lecteurs-choix des libraires du Livre de Poche).

Mon avis : (lu en septembre 2010)
Pour les 40 ans de Mélanie, Antoine offre à sa sœur un week-end surprise à Noirmoutier. C’est l’île de leur enfance, ils n’y sont pas retournés depuis plus de trente ans, Mélanie avait six ans et Antoine avait dix ans. C’était le dernier été qu’ils ont passé avec leur maman, celle-ci est décédée l’année suivante à l’âge de trente-cinq ans.
Antoine est architecte, divorcé, père de trois enfants dont l’adolescence le dépasse un peu. Mélanie est éditrice et célibataire. Ce week-end à Noirmoutier va faire resurgir les souvenirs du passé. C’est pendant le voyage du retour que Mélanie, alors au volant, commence cette phrase « Antoine, il faut que je te dise quelque chose. J'y ai pensé toute la journée. La nuit dernière, à l'hôtel, tout m'est revenu. C'est à propos… »
Et c’est l’accident.
A l’hôpital, Antoine s’interroge sur la révélation que sa sœur voulait lui faire. Il va également faire connaissance avec la belle et mystérieuse Angèle qui va l’aider à avancer dans sa vie.
Antoine va mener son enquête sur le passé de sa famille tout en gérant le mieux possible sa vie professionnelle, son rôle de père, ses sentiments et ses faiblesses.
Un livre très facile à lire et que l’on ne veut pas lâcher, des personnages attachants et originaux, un livre plein d’émotion qui m’a beaucoup touchée.

Extrait : (début du livre)
La petite salle d'attente est morne. Dans un coin, un ficus aux feuilles poussiéreuses. Six fauteuils en plastique se font face sur un lino fatigué. On m'invite à m'asseoir. Je m'exécute. Mes cuisses tremblent. J'ai les mains moites et la gorge sèche. La tête me lance. Je devrais joindre notre père avant qu'il ne soit trop tard, mais je suis tétanisé. Mon téléphone reste dans la poche de mon jean. Appeler notre père ? Pour lui dire quoi ? Je n'en ai pas le courage.
La lumière est crue. Des tubes de néon barrent le plafond. Les murs sont jaunâtres, craquelés par le temps. Hébété sur mon siège, désarmé, perdu, je rêve d'une cigarette. Je dois lutter contre un haut-le-cœur. Le mauvais café et la brioche pâteuse que j'ai avalés il y a deux heures ne passent pas.
J'entends encore le crissement des pneus. Je revois l'embardée de la voiture. Ce drôle de balancement quand elle s'est brutalement déportée vers la droite pour venir heurter le rail de sécurité. Puis le cri. Son cri. Qui résonne toujours en moi.
Combien de gens ont patienté ici ? Combien ont attendu sur ce même siège d'avoir des nouvelle d'un être cher ? Je ne peux m'empêcher d'imaginer ce dont ces tristes murs ont été témoins. Les secrets qu'ils renferment. Leur mémoire. Les larmes, les cris. Le soulagement et l'espoir, aussi.
Les minutes s'égrènent. Je fixe d'un œil vide la pendule crasseuse au-dessus de la porte. Rien d'autre à faire qu'attendre.

Après une demi-heure, une infirmière entre dans la pièce. Son visage est long et chevalin. De sa blouse dépassent de maigres bras blancs.
— Monsieur Rey ?
— Oui, dis-je, le souffle court.
— Vous voudrez bien remplir ces papiers. Nous avons besoin de renseignements complémentaires. Elle me tend plusieurs feuilles et un stylo.
— Elle va bien ? tenté-je d'articuler.
Ma voix n'est qu'un faible fil prêt à se rompre. De ses yeux humides, aux cils rares, l'infirmière me lance un regard inexpressif.
— Le docteur va venir.
Elle sort. Elle a le cul plat et mou.
J'étale les feuilles sur mes genoux. Mes doigts ne m'obéissent plus.
Nom, date et lieu de naissance, statut marital, adresse, numéro de sécurité sociale, mutuelle. J'ai les mains qui tremblent tandis que j'écris :
Mélanie Rey, née le 15 août 1967 à Boulogne-Billancourt, célibataire, 49 rue de la Roquette, 75011 Paris
.
Je ne connais pas le numéro de sécurité sociale de ma sœur, ni sa mutuelle, mais je dois pouvoir les trouver dans son sac à main. Où est-il ? Je ne me souviens pas de ce qu'est devenu ce fichu sac. Mais je me rappelle parfaitement la façon dont le corps de Mélanie s'est affalé quand on l'a extraite de la carcasse. Son bras inerte qui pendait dans le vide quand on l'a déposée sur la civière. Et moi ? Pas une mèche de travers, pas un bleu. Pourtant j'étais assis à côté d'elle. Un violent frisson me secoue. Je veux croire que tout cela n'est qu'un cauchemar et que je vais me réveiller.
L'infirmière revient et m'offre un verre d'eau. Je l'avale avec difficulté. L'eau a un goût métallique. Je la remercie. Je n'ai pas le numéro de sécurité sociale de Mélanie. Elle hoche la tête, récupère les papiers et sort.
Les minutes me semblent aussi longues que des heures. La pièce est plongée dans le silence. C'est un petit hôpital dans une petite ville. Aux environs de Nantes. Je ne sais pas vraiment où. Je pue. Pas d'air conditionné. La sueur s'instille de mes aisselles jusqu'au pli de mes cuisses. L'odeur âcre et épaisse de la peur et du désespoir me submerge. Ma tête me lance toujours. Je tente de maîtriser ma respiration. Je ne tiens que quelques minutes. Puis l'atroce sensation d'oppression me gagne à nouveau.

Paris est à plus de trois heures de route. Ne devrais-je pas appeler mon père ? Ou ferais-je mieux d'attendre ? Je n'ai aucune idée de ce que le médecin va me dire. Je jette un coup d'œil à ma montre. Vingt-deux heures trente. Où se trouve notre père à cette heure ? Est-il sorti dîner ? Ou dans son bureau à regarder une chaîne du câble, avec Régine dans le salon d'à côté, probablement au téléphone ou en train de se faire les ongles ?
Je décide de patienter encore un peu. J'ai envie de parler à mon ex-femme. Le nom d'Astrid est toujours le premier qui s'impose dans les moments de détresse. Mais... Elle et Serge, à Malakoff, dans notre maison, dans notre lit, cette manie qu'il a de décrocher, même si c'est son portable à elle qui sonne. Rien que d'y penser... « Salut Antoine, ça va, mon pote ? » C'est plus que je ne peux le supporter. Alors, voilà, je ne vais pas appeler Astrid, même si j'en crève d'envie.

Je suis toujours assis dans ce cagibi étouffant à essayer de garder mon calme. À tenter de dominer la panique qui s'empare de moi. Je pense à mes enfants. Arno, dans la pleine gloire de son adolescence rebelle. Margaux, à peine quatorze ans et déjà si mystérieuse. Lucas, onze ans, gros bébé comparé aux deux autres et à leurs hormones débridées. Impossible de m'imaginer leur annonçant : « Votre tante est morte. Mélanie est morte. Ma sœur est morte. » Ces mots n'ont aucun sens. Je les repousse farouchement.
Une heure supplémentaire d'angoisse pure. Prostré, la tête entre les mains, je me concentre sur ce que j'ai à faire. Demain, c'est lundi et après ce long week-end, il y a tant d'urgences à régler. Rabagny et sa foutue crèche, un chantier que je n'aurais pas dû accepter. Lucie, l'assistante cauchemardesque que je dois me décider à virer. La situation est absurde. Comment puis-je penser à mon boulot alors que Mélanie est entre la vie et la mort ? Pourquoi Mélanie ? Pourquoi elle ? Et pas moi ? Ce voyage, c'était mon idée. Mon cadeau pour son anniversaire. Ses quarante ans qu'elle redoutait tant.
Une femme, qui doit avoir mon âge, entre dans la pièce. Elle porte une blouse verte et le drôle de petit bonnet de papier que mettent les chirurgiens au bloc. Des yeux noisette perspicaces, une chevelure courte et châtain où courent quelques mèches grises. Elle sourit. Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je me lève d'un bond.
— C'était limite, monsieur Rey.
Je remarque avec effroi des taches brunes sur sa blouse. Est-ce le sang de Mélanie ?
— Votre sœur va s'en tirer.
Malgré moi, je sens mon visage qui se décompose et je fonds en larmes. Mon nez coule. Je suis gêné de pleurer devant cette femme, mais incapable de me retenir.
— Ça va aller, ne vous en faites pas, me dit le docteur.
Elle me prend fermement le bras. Ses mains sont petites et carrées. Elle m'oblige à me rasseoir et s'installe à côté de moi. Je gémis comme quand j'étais môme. Le chagrin me prend aux tripes, les sanglots sont irrépressibles.
— C'est elle qui conduisait, n'est-ce pas ? Je confirme d'un hochement de tête, en m'essuyant le nez d'un revers de main.
— Nous savons qu'elle n'était pas sous l'emprise de l'alcool. Les analyses le prouvent. Pouvez-vous m'expliquer ce qui s'est passé ?
Je m'efforce de répéter ce que j'ai déjà dit à la police et au SAMU. Ma sœur avait voulu prendre le volant pour la fin du voyage. C'était une bonne conductrice. J'avais parfaitement confiance à ses côtés.
— A-t-elle perdu connaissance ?
Sur son badge, je lis : « Docteur Bénédicte Besson ».
— Non.
À cet instant, un détail me revient. J'ai oublié de le confier aux ambulanciers pour la bonne raison que je ne m'en souviens que maintenant.
Je fixe les traits fins et bronzés du médecin. Mon visage est encore déformé par l'émotion. Je respire profondément.
— Ma sœur voulait me dire quelque chose. Elle s'est tournée vers moi. Et c'est là que tout est arrivé. La voiture a fait une embardée sur l'autoroute. Tout s'est passé si vite.
Le médecin me presse.
— Que voulait-elle vous dire ?

Mélanie. Ses mains sur le volant.
Antoine, il faut que je te dise quelque chose. J'y ai pensé toute la journée. La nuit dernière, à l'hôtel, tout m'est revenu. C'est à propos... Ses yeux. Troublés, inquiets. Puis la voiture quittant la route.

Déjà lu du même auteur :

elle_s_appelait_sarah_p Elle s'appelait Sarah

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