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A propos de livres...

14 septembre 2009

Le poids des secrets, Tome 2 : Hamaguri - Aki Shimazaki

Hamaguri_ hamaguri 

Actes de Sud – janvier 2007 - 118 pages

Présentation de l'éditeur
Deux petits enfants de Tokyo, Yukio et Yukiko, scellent un pacte de fidélité en inscrivant leurs noms à l'intérieur d'une palourde, comme un serment d'amour éternel. Devenus adolescents, ils se retrouvent à Nagasaki sans se reconnaître ; les sentiments qui les habitent désormais, qui les troublent profondément, leur seraient-ils interdits ? Aux dernières heures de sa vie, la mère de Yukio cherchera à ouvrir les yeux de son fils en lui remettant ce coquillage sorti du tiroir de l'oubli.

Biographie de l'auteur
Née au lapon, Aki Shimazaki vit à Montréal. Hamaguri est le second volet de sa pentalogie Le Poids des secrets, qui comprend Tsubaki, Tsubame, Wasurenagusa et Hotaru. Hamaguri a remporté le prix Ringuet de l'Académie des lettres du Québec, Wasurenagusa le prix Canada-Japon, et Hotaru le prix du Gouverneur général du Canada.

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Hamaguri (qui signifie palourdes en japonais) est le second tome de la série Le poids des secrets d'Aki Shimazaki. J'ai lu ce court roman en moins d'une heure. J'y ai retrouvé la poésie et la simplicité de l'écriture et de l'histoire du premier tome. On revit l'histoire de Tsubaki à travers les yeux de Yukio le demi-frère de Yukiko, le personnage principal du tome 1. Yukio nous raconte son histoire, sa relation avec sa mère, son père adoptif et surtout son amour impossible avec Yukiko. La partie historique, la seconde guerre mondiale et l’explosion de la bombe nucléaire sur Nagasaki est à peine évoquée, au profit de l’histoire d’amitié amoureuse entre Yukio et Yukiko qui ignorent qu’ils sont frère et sœur.

Une merveille encore une fois et je me lance sans tarder dans la lecture du tome 3 : Tsubame !

Extrait : (page 21)

Aujourd’hui, ELLE apporte des coquillages qui s’appellent hamaguri. ELLE les met par terre en deux rangs. Ils sont vraiment grands, mais toutes les dents de la charnière sont séparées. Je prends l’une des coquilles dans ma main. Elle est plus grande que le creux de ma main. Nous les comptons en ordre. Un, deux, trois, quatre… Je sait compter seulement jusqu’à dix. Après dix, je me tais. ELLE continue. Et en touchant à la dernière , ELLE crie :

- Vingt ! Il y en a vingt en tout. On va jouer au kaïawase.

Je répète le mot que j’ai entendu pour la première fois : - Kaïawase ?

- Oui. Les règles du jeu sont très simples : trouver les deux coquilles qui formaient la paire originale.

Je dis : - Mais les grandeurs et les motifs sont tous pareils.

- Non. Regarde bien, dit-ELLE.

ELLE prend deux coquilles et les colle l’une à l’autre. ELLE me montre le coquillage ainsi fermé et dit : - Ces deux coquilles ne sont pas de la même grandeur, n’est-ce pas ?

Je les regarde de très près et dis : - Tu as raison.

- Alors, il faut trouver la bonne paire. Ce n’est pas facile.

Je prends deux coquilles et j’essaie de les joindre, mais elles n’appartiennent pas à la même paire. Je les dépose par terre. ELLE continue. Puis ce sera mon tour. Ainsi, nous répétons le jeu jusqu’à ce que nous ayons reformé les dix coquillages.

Aujourd’hui, ELLE a trouvé sept paires et moi, j’en ai trouvé trois. ELLE m’a dit : « chez les hamaguri, il n’y a que deux parties qui vont bien ensemble. »

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13 septembre 2009

Du passé faisons table rase - Thierry Jonquet

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Albin Michel – novembre 1982 -

Dagorno – octobre 1994 – 248 pages

Actes Sud – juin 1999 – 279 pages

Folio – février 2006 – 283 pages avec Postface d’Hervé Delouche

Présentation de l'éditeur
Le passé n'oublie rien. Il y aura toujours un ancien pour se souvenir. Une femme pour témoigner. Un enfant qui racontera... Dix ans après les faits, en France, dans les années quatre-vingt, le seul homme à " savoir " voit ressurgir le risque que la vérité n'éclate. Cette vérité concerne le Parti. Elle vise le leader, l'homme charismatique à la jeunesse méconnue. Quels furent ses positions et ses actes dans les années de guerre avant qu'il ne milite ? Comment faire taire l'inacceptable alors qu'un corbeau semble à nouveau déterminé à rouvrir les plaies ?

Auteur : Né à Paris en 1954, auteur de polars, Thierry Jonquet fait figure de référence dans ce genre littéraire et bien au-delà. Engagé politiquement dès son adolescence, il entre à Lutte ouvrière en 1970 sous le pseudonyme de Daumier (caricaturiste du XIXe siècle), puis à la Ligue communiste révolutionnaire l'année de son bac. Après des études de philosophie rapidement avortées et plusieurs petits boulots insolites, un accident de voiture bouleverse sa vie : il devient ergothérapeute et travaille successivement dans un service de gériatrie puis un service de rééducation pour bébés atteints de maladies congénitales, et enfin dans un hôpital psychiatrique où il exerce les fonctions d'instituteur. Inspiré par l'univers de Jean-Patrick Manchette, son premier roman, 'Le Bal des débris', est publié en 1984 bien qu'il ait été écrit quelques années plus tôt. 'Mémoire en cage' paraît en 1982, suivent 'Mygale' (1984), 'La Bête et la belle', 'Les Orpailleurs' (1993), qui confirment le talent de Thierry Jonquet pour le roman au réalisme dur, hanté par la violence et les questions de société. Les événements dramatiques de l’été 2003 ont inspiré Thierry Jonquet qui nous offre, avec Mon vieux, un texte captivant sur l’étonnante réaction humaine devant l’adversité. 'Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte', paru en 2006 évoque sans tabous la violence et l'antisémitisme qui sévissent dans certaines banlieues. Thierry Jonquet a également scénarisé plusieurs bandes dessinées parmi lesquelles 'Du papier faisons table rase', dessiné par Jean-Christophe Chauzy. Plébiscité par la critique, l'une des plus élogieuses est signée Tonino Benacquista qui écrit de lui : 'Jonquet sculpte la fiction, c'est le matériau qu'il façonne pour lui donner une âme, le même que celui d'Highsmith ou de Simenon, il est difficile d'en citer beaucoup d'autres.' Alors qu'il venait de publier 'Ad Vitam aeternam', Thierry Jonquet, décède en août 2009, après avoir lutté deux semaines contre la maladie.

Thierry_Jonquet

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Ce livre a été publié pour la première fois en 1982 sous le pseudonyme de Ramon Mercader (c'est aussi le nom de l'assassin de Troski en 1940). Dès sa sortie, ce livre ferra scandale car à travers ce roman de politique-fiction Thierry Jonquet critique le parti communisme français et ses dirigeants.

Automne 1972, c'est le prologue, et nous assistons à 4 assassinats : un vieil homme à Cologne en Allemagne, un chasseur lors d'une partie de chasse à côté de Lorient, un israélien en voyage d'affaire à Paris, un vieillard à Santiago du Chili. Quel est le lien entre ces 4 hommes ?

Thierry Jonquet dénonce la réécriture de la biographie du secrétaire général du Parti, René Castel. Il avait 27 ans en 1947 lorsqu'il adhère au Parti, il va franchir un à un tous les échelons de la hiérarchie et peu à peu devenir dirigeant jusqu'au poste suprême où il accède en 1972. L'auteur met en scène un chantage politique, il nous montre la vie interne d'un Parti qui n'hésite pas à masquer la réalité pour se donner une image parfaite aux yeux du monde. Plus qu'un roman policier, ce livre est plutôt un roman militant où l'écriture est sans concession et qui nous donne un leçon de mémoire et d'histoire.

Extrait : (page 39)

Octobre 1978

Jacques Delouvert tambourinait du doigt sur le tableau de son bureau. La main était grasse, rose et boudinée. Nerveuse pourtant. Par la grande baie vitrée, Delouvert pouvait contempler le spectacle des toits de Paris. Son bureau se trouvait au dernier étage du grand immeuble courbe de verre et de béton abritant les locaux du Parti. Mais Delouvert se foutait des toits de Paris, des pigeons, des reflets moirés du soleil sur les ardoises luisantes. Poésie de pacotille, sensibilité populiste, nostalgie petite-bourgeoise.

De sa grosse main, il saisit la fiche photocopiée qu'il étudiait depuis une heure. Il l'avait examinée à la loupe, détaillant lettre par lettre les annotations manuscrites et les cachets apposés en bas de page. Aucun doute possible : ce n'était pas un faux. D'ailleurs, quand bien même il se fût agi d'une contrefaçon, les renseignements consignés sur le document étaient rigoureusement exacts. Delouvert était un des rares hommes (une dizaine ?) à le savoir.

Il s'empara d'un gros briquet fixé sur un socle d'onyx, un cadeau offert par une délégation du Parti grec, et il fit brûler la feuille. Une odeur âcre s'en dégagea.

Déjà lu de Thierry Jonquet :

Ils_sont_votre__pouvante Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

les_orpailleurs_p Les orpailleurs  mon_vieux Mon vieux

12 septembre 2009

La sixième – Susie Morgenstern

La_sixieme Ecoles des Loisirs – janvier 1985 – 142 pages

Résumé du livre :

C'est officiel. Margot tient la lettre entre ses mains. Elle est admise en sixième au collège du Parc des Grands Pins. Enfin elle sera lycéenne, elle sera grande. D'abord les préparatifs, il faut acheter le carnet de correspondance, se munir de photos d'identité, il faut des photocopies des certificats de vaccination. Enfin, elle doit décider comment s'habiller pour ce premier jour. Sa soeur aînée est catégorique : jean et surtout pas de cartable ! Le premier jour arrive. Tout le monde avait un cartable et plein de filles étaient habillées en jupe ! Malgré cette déconvenue, Margot s'est retrouvée dûment insérée dans une classe et comme elle est pleine de bonne volonté et qu'elle rêve d'être populaire, elle est volontaire pour être déléguée de classe provisoire. Margot est consciencieuse, bonne élève, habitée par plein de bonnes intentions. Elle va devenir déléguée élue par la classe, et elle veut être responsable. Elle veut que sa classe chahuteuse et plutôt nulle devienne une classe exemplaire. Alors elle organise, elle entreprend. Mais rien ne marche comme prévu et les dépenses d'énergie se retournent souvent contre elle. Alors elle tempère. Un voyage à Rome de toutes les sixièmes renforce des amitiés. Puis une grève des profs providentielle fait vivre une belle journée à la sixième de Margot. Une journée où tous ensemble ils avaient vécu à leur goût.

Auteur : Née à Newark, New Jersey le 18 mars 1945, après des études littéraires, Susie Morgenstern, Française d'origine américaine, s'installe en France et se marie avec un mathématicien français. Elle abandonne ses activités de critiques littéraires pour se consacrer à l'écriture de romans et d'albums pour les jeunes lecteurs qu'elle n'hésite pas à illustrer elle-même à l'occasion. Auteur prolixe, principalement éditée par l'Ecole des Loisirs, elle reçoit de nombreuses récompenses, comme le Grand Prix du livre pour la jeunesse avec 'C' est pas juste', en 1981, le prix Loisirs Jeunes Lecteurs pour 'Un anniversaire pomme de terre' et le prix 1000 jeunes lecteurs pour 'Les deux moitiés de l'amitié' et 'Oukélé la télé', illustré par Pef. Certains de ses romans sont adaptés au cinéma ou à la télévision, comme 'L' amerloque' en 1996. Ses récits s'inscrivent dans la réalité : 'J' aime espionner la vie de tous les jours et essayer de construire autour de ce monde réel'. Elle enseigne aussi l'anglais à l'université de Nice, et trouve encore le temps de participer à des rencontres avec les enfants dans les écoles. Parmi ses nombreux livres, les plus célèbres sont 'La sixième', 'Même les princesses doivent aller à l'école', 'Lettres d'amour de 0 à 10', prix Chronos 6ème/5ème en 1997, et 'Joker', prix Chronos CE1/CE2 en 2000. Ils rencontrent un véritable succès auprès du jeune public qui ne se dément pas. Invitée au Salon du livre de Paris en 2005, Susie Morgenstern y fête ses soixante ans et ses soixante livres.

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Après avoir lu ce livre pour son cours de Français, mon plus jeune fils m’a encouragé à le lire. Il l’a lu facilement mais n’a pas été enthousiaste… Il est vrai que l’héroïne est une fille et qu’il n’a pas vraiment pu s’identifier à Margot !

Pour ma part, le livre m’a paru un peu vieillot, cette 6ème est plus proche de celle que j’ai connu que celle de mon fils aujourd’hui. Cependant ce livre donne un bon aperçu de ce qu'est la vie d'un élève en classe de sixième : les différents professeurs, la cantine peu appétissante, la densité de la journée de cours, la peur d’avoir un zéroCette classe est particulièrement dissipée, bavarde ne travaillant pas !  Margot est attachante tout d’abord dans sa grande envie de faire son entrée en 6ème, puis dans son rôle de déléguée : elle est volontaire, elle voudrait réussir à faire changer sa classe.

Un bon livre plein d'humour à faire lire à un futur collégien ou collégienne pour dédramatiser ce passage important.

Extrait : (page 27)

C’était le mercredi du papier de brouillon, du papier à double interligne, du papier à carreaux et de mille articles dépistés dans les rayons « Rentrée scolaire » parmi la foule d’enfants et de parents à la recherche urgente de stylos à bille, de cahiers de textes, de cartons, gommes et compagnie.

Margot était furieuse de voir toute la population de la ville se jeter dans ces achats le même jour. S’il n’y avait pas eu tant le monde, ça aurait pu être agréable mais c’était de la folie dans les magasins avec ces queues interminables pour payer. Elle voyait quelques visages de sa classe qui attendaient aussi. Margot avait la tête qui tournait. De retour à la maison, épuisée, elle vérifia si ses achats correspondaient bien à sa liste. A sa stupéfaction il y avait une douzaine de petites choses qui manquaient. Elle se mit à fouiller dans ses placards et dans de vieux sacs et en mendiants chez Anne elle combla à peu près le déficit. Elle vida son cartable des quelques bricoles qu’il contenait. En regardant son matériel et son horaire, elle rangea méthodiquement, cérémonieusement, ses affaires pour le lendemain. Au lit elle essaya d’apprendre par cœur les numéros des salles de classe : français : 212 ; anglais : 319 ; histoire-géo : 230 ; sciences-nat. : 324. Elle était sûre de se perdre. Elle rêva cette nuit d’un labyrinthe épouvantable et inextricable.

Le matin elle réussit à trouver la salle 212 et se félicita de son bon sens. Leur professeur leur donna un examen pour déterminer leur niveau. Denise lui fit un signe de dégoût. Il annonça sans enthousiasme qu’ils allaient lire Le Médecin malgré lui de Molière et il dicta les premiers devoirs. Il s’agissait d’une rédaction sur un quart d’heure de leur vie.

En anglais Margot appris à dire « le chat, le chien, le livre, le tableau noir, la craie, le professeur, la table ». Les élèves étaient hilares, se sentant comme des bébés qui apprennent à parler. Dan, excité, n’arrêtait pas de crier « Speak English ? » et « How do you do ? »

Au bout des deux premières heures, elle ne se sentait plus du tout en forme pour affronter les deux heures de maths qui allaient suivre. Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que la vie serait bien plus belle sans cette matière. Annick trouva le prof « extra ». « Pas moi », affirma Margot. Le mieux que l’on pouvait dire à l’avantage de ce cours, c’est que le prof n’avait pas donné de devoirs.

A midi, elle était suffisamment affamée pour se joindre à la ruée vers la cantine. Voilà un moment qui promettait d’être agréable. Elle était toujours prête à manger. Mais c’était la débandade. Elle avait peur d’être piétinée ou écrasée par la foule d’enfants et de cartables. Petit à petit, la panique la saisit. Elle se sentait emprisonnée, étouffée. Poussée par le courant, Margot se précipita devant l’entrée du réfectoire où un surveillant annonça qu’il n’y avait plus de place pour le premier service.

11 septembre 2009

Leçons Particulières - Alain Claude Sulzer

Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des romans de la rentrée littéraire ! Vous trouverez donc aussi cette chronique sur le site Chronique de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération en partenariat avec ulike_logo_petit, pour en savoir plus...

le_ons_particulieres traduit de l'allemand par Johannes Honigmann

Editions Jacqueline Chambon – septembre 2009 – 256 pages

Quatrième de couverture : Avant la chute du communisme, Léo, un étudiant qui a fui un pays de l'Est, est accueilli en Suisse par un couple et s'installe dans leur maison de banlieue. Martha, une mère de famille de trente-quatre ans, accepte de lui donner gracieusement des cours d'allemand. Dans cette langue qu'il maîtrise à peine, il s'entend avouer pour la première fois qu'il a abandonné sa fiancée au pays. Mais cette trahison n'est qu'un début. Alors qu'il est devenu l'amant de son professeur, il prend en secret des cours d'anglais pour pouvoir rejoindre son frère au Canada. Cet amour qui est pour Martha une révélation et qui va bouleverser sa vie n'est pour lui qu'un bonheur fugitif, qui n'a pas de place dans ses rêves d'avenir.
Pour Alain Claude Sulzer, l'amour est inséparable de la trahison, car il y en a toujours un qui aime plus que l'autre. Mais le roman dénonce aussi l'égoïsme inséparable de celui qui émigré. Obnubilé par le but qu'il s'est fixé, il utilise froidement tous ceux qui l'aident sans se préoccuper de leurs sentiments.

Auteur : Alain Claude Sulzer est né en 1953 à Riehen, près de Bâle, où il vit. Leçons particulières est son huitième roman. Un garçon parfait publié en 2008, a obtenu le prix Médicis étranger, et le prix de la Radio Suisse romande en 2009. Le livre est déjà traduit en une douzaine de langues.

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Comme l'indique le bandeau du livre, Alain Claude Sulzer est aussi l'auteur de « Un garçon parfait » Prix Médicis étranger 2008. Je n'ai pas lu ce premier livre.

Dans ce livre nous découvrons l'histoire de Léo, jeune émigré de 22 ans qui a fui un pays de l’Est (le nom du pays n'est pas précisé) pour une ville suisse. Il habite chez un couple de médecins, mais un problème de langue va vite se poser : «L'allemand de Léo était mauvais, il se résumait à quelques mots qu'il avait entendus dans la bouche de sa grand-mère.», c’est Martha, une suissesse de 37 ans, mère de deux enfants, qui va lui donner des leçons particulières d’allemand. «Chaque phrase, chaque mot qu'ils allaient se dire et se diraient désormais feraient partie de ses leçons. Parler de tout, de choses quotidiennes ou extraordinaires, de sujets banals ou importants, dans l'ordre ou pêle-mêle, c'était indispensable pour apprendre l'allemand et finir par le parler couramment.» Peu à peu le professeur et l’élève vont se rapprocher.

Il y a également d’autres personnages : le fils de Martha, Andreas adolescent de seize ans qui découvre le monde des adultes et se découvre lui-même. On a un aperçu de l'ancienne vie de Léo à travers les chapitres où il est question de sa grand-mère Olga restée dans son pays d'origine avec comme seule compagnie son chien Mazko.

J'ai passé un bon moment à lire ce livre très bien écrit avec des descriptions faites avec beaucoup de précision et des personnages plutôt attachants. Mais l'histoire ne m'a pas emballé plus que cela.

Extrait : (page 62)

Leo ouvrit l'étroite porte de guingois du jardin et s'engagea sur le chemin caillouteux qui menait à la maison de deux étages portant le numéro 28 ; il la trouva propre mais pas très gaie, ce qui était peut-être dû à l'absence de rideaux aux fenêtres. La maison était peinte en gris à l'extérieur, le tour des fenêtres en blanc.

Leo tenait dans sa main droite un porte-document ainsi que la boite de pralines enveloppée de papier cadeau et il appuya sur la sonnette de la main gauche. Comme s'il était attendu, une silhouette apparut derrière la vitre fumée et lui ouvrit la porte. Par quelle maladresse Leo laissa-t-il échapper le porte-documents et la boîte de pralines juste au moment où Martha Dubach lui ouvrit, il ne put jamais se l'expliquer, cela arriva, tout simplement. Il se produisit ce que Leo détestait le plus chez lui, il rougit fortement (à l'école, on l'avait surnommé le buisson ardent chaque fois qu'il arrivait de piquer un fard) et se mit à transpirer, ce qui augmenta encore son embarras. Mais Mme Dubach eut la décence de remédier à la situation par un haussement d'épaules. Leo ne remarqua pas qu'elle souriait, car il était encore occupé à ramasser le porte-documents et la boîte, laquelle n'avait subi qu'un léger choc à un coin. Tandis qu'il se redressait, l'enseignante tendit la main à son nouvel élève en disant : «  Je m'appelle Martha Dubach. » De l'autre main, elle saisit les pralines.

Leo était son premier élève particulier. Elle n'avait aucune expérience si ce n'est comme institutrice et encore celle-ci avait été limitée, car elle n'avait fait la classe que pendant un an ; à vingt et un ans, elle s'était mariée et était devenue mère. Depuis, elle n'avait mis les pieds dans une école que lorsqu'il s'agissait de ses propres enfants, et comme ni Andreas, ni Barbara n'avaient de problèmes scolaires, cela avait été rarement le cas. Forte de l'accord de Walter, accord donné avec plus d'indifférence que de réticence, elle s'était présentée à l'organisme d'assistance aux réfugiés, qui s'occupait notamment de trouver des enseignants pour des étudiants en provenance d'Europe de l'Est. Les cours d'allemand gratuits et bénévoles devaient faciliter leur intégration dans leur nouveau pays. L'organisme s'était félicité de son initiative, puis n'avait plus donné signe de vie pendant des semaines. Il n'avait fait appel à elle que quelques jours auparavant. Une femme avait téléphoné pour demander si sa proposition tenait toujours. Martha avait dit oui sans hésiter.

Merci aux Editions Jacqueline Chambon

Livre lu dans le cadre 07_chronique_de_la_rentree_litteraire en partenariat avec ulike_logo_petit

8 septembre 2009

Pour vous – Dominique Mainard

pour_vous Editions Joëlle Losfeld – août 2008 – 252 pages

Prix des libraires 2009

Présentation de l'éditeur
Encore adolescente, Delphine a compris de quoi les êtres humains ont besoin : de réconfort, d'illusion, de mensonge même, de tout ce qui peut rendre la vie supportable. Elle a trente-cinq ans et vit grâce à l'agence qu'elle a créée, Pour Vous, un lieu destiné à satisfaire les désirs et à panser les plaies des hommes et des femmes suffisamment riches pour y avoir recours. Mais comment peut-on jouer tous les rôles, adopter toutes les identités, sans se perdre ? De nombreux personnages ponctuent le roman : une vieille femme, grande lectrice de livres à l'eau de rose ; un adolescent autiste vivant dans le monde des jeux virtuels ; un homosexuel malade dont Delphine accompagnera les derniers mois et, enfin, l'amant de celui-ci, qui éveillera en elle des sentiments inconnus. Comme dans les précédents textes de Dominique Mainard, les histoires et les fables constituent l'un des fils conducteurs de Pour Vous, mais son thème principal est le cheminement par lequel Delphine s'ouvre à la compassion et à la vie.

Biographie de l'auteur
Dominique Mainard est l'auteur de plusieurs recueils de nouvelles et de romans. Leur histoire a paru pour la première fois en 2002 et a été couronné parle prix du Roman FNAC et le prix Alain-Fournier. Il a également fait l'objet d'une adaptation cinématographique, sous le titre Les mots bleus, réalisée par Alain Corneau en 2005. Son dernier livre, Je voudrais tant que tu te souviennes, a paru en 2007.

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Delphine est responsable d'une agence un peu spéciale « Pour vous », elle offre ses services à tous pour leur rendre la vie plus supportable : promener un vieux monsieur chaque dimanche, distraire un enfant autiste petit génie en informatique... L'agence fonctionne bien, il y a un tarif pour tout. Pas question ici d'empathie ou d 'altruisme. Tout est question de tarifs. Delphine accepte même de devenir mère porteuse pour un couple stérile. Suite à une enfance difficile, Delphine est devenue une "pierre sans parfum" comme le dit l'un des personnages, elle commercialise les sentiments. A travers le récit des différentes prestations, la propre vie de Delphine nous est peu à peu racontée. L'auteur nous livre une galerie de personnages plus vrais que nature. Cette histoire est très originale et souvent dérangeante, elle nous fait réfléchir sur les rapports humains. J'ai bien aimé les descriptions des sentiments ou des non-sentiments des personnages faites par l'auteur. Cette lecture me donne vraiment envie de découvrir d'autres livres de cette auteur.

 

Extrait : (page 52)
Voilà, tout a commencé ainsi, j'ai été la petite-fille d'une inconnue, puis la sœur, la maîtresse, l'amie, la confidente de centaines d'autres, et aujourd'hui je porte un enfant dont je ne suis pas vraiment la mère. Cette agence est un vaste sac où l'on trouve de tout, une boîte de Pandore, selon les termes d'un client, et il n'est rien en effet dont nous ne fassions commerce, la vie, l'amour, la mort.
Il me faut avouer ceci : je pensais que tout était verrouillé, inviolable, je me croyais faite d'un autre bois, d'une autre chair. Je n'avais jamais aimé, j'entends par-là aimer comme aiment les clients qui viennent me voir. J'avais connu des hommes, mais aucun n'avait compté. Peut-être était-ce le spectacle des larmes et des colères de mes clients qui m'avait prévenu contre toute passion, peut-être avais-je simplement, ainsi que me l'avait dit Marja dans un moment de colère, le cœur trop sec.

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5 septembre 2009

Mon vieux - Thierry Jonquet

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Seuil – avril 2004 – 324 pages

Points – mai 2005 – 387 pages

Quatrième de couverture :

Élevé dans la misère, Alain Colmont a quand même réussi à devenir prof, puis scénariste pour la télé. Mais un jour sa fille, Cécile, a un accident de scooter qui la défigure. Alain, qui l'adore, se ruine pour lui redonner un visage.
À La Courneuve, un vieillard qui titube au milieu de la route à 11 heures du soir est récupéré par la BAC. Pas moyen de savoir son nom, l'inconnu a la maladie d'Alzheimer.
À Belleville, une bande de clodos se retrouve régulièrement pour boire et se livrer à de petites combines. Cette vie-là, Daniel Tessandier, RMIste, n'en veut pas. Mais comment l'éviter lorsqu'on perd son appartement et qu'il n'y a pas de travail ?
C'est l'été, - l'été 2003. Étouffante, la chaleur commence à faire des ravages chez les plus démunis, vieillards, malades et rejetés de la vie. Pour Alain Colmont, la canicule risque de tourner au cauchemar...

Auteur : Né à Paris en 1954, auteur de polars, Thierry Jonquet fait figure de référence dans ce genre littéraire et bien au-delà. Engagé politiquement dès son adolescence, il entre à Lutte ouvrière en 1970 sous le pseudonyme de Daumier (caricaturiste du XIXe siècle), puis à la Ligue communiste révolutionnaire l'année de son bac. Après des études de philosophie rapidement avortées et plusieurs petits boulots insolites, un accident de voiture bouleverse sa vie : il devient ergothérapeute et travaille successivement dans un service de gériatrie puis un service de rééducation pour bébés atteints de maladies congénitales, et enfin dans un hôpital psychiatrique où il exerce les fonctions d'instituteur. Inspiré par l'univers de Jean-Patrick Manchette, son premier roman, 'Le Bal des débris', est publié en 1984 bien qu'il ait été écrit quelques années plus tôt. 'Mémoire en cage' paraît en 1982, suivent 'Mygale' (1984), 'La Bête et la belle', 'Les Orpailleurs' (1993), qui confirment le talent de Thierry Jonquet pour le roman au réalisme dur, hanté par la violence et les questions de société. Ainsi, 'Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte', paru en 2006 évoque sans tabous la violence et l'antisémitisme qui sévissent dans certaines banlieues. Thierry Jonquet a également scénarisé plusieurs bandes dessinées parmi lesquelles 'Du papier faisons table rase', dessiné par Jean-Christophe Chauzy. Plébiscité par la critique, l'une des plus élogieuses est signée Tonino Benacquista qui écrit de lui : 'Jonquet sculpte la fiction, c'est le matériau qu'il façonne pour lui donner une âme, le même que celui d'Highsmith ou de Simenon, il est difficile d'en citer beaucoup d'autres.' Alors qu'il venait de publier 'Ad Vitam aeternam', Thierry Jonquet, décède en août 2009, après avoir lutté deux semaines contre la maladie.

Thierry_Jonquet

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Dès le début du livre, on fait connaissance avec une galerie de personnages tous plus malchanceux les uns que les autres. Alain Colmont : Son père l'a abandonné à l'âge de 7 ans. Sa mère est devenu dépressive. Il a du travailler très tôt. Il s'est remis tout seul aux études, il a obtenu une licence d'histoire et est devenu professeur. Il écrit un jour un roman qui obtient un petit succès et sera adapté pour la télévision. Il quitte alors l'enseignement pour devenir scénariste pour la télévision. A seize ans, sa fille Cécile Colmont est victime d’un grave accident de scooter, elle sera plongée dans le coma avant de se réveiller défigurée. Jacques Brévart est un jeune aide-soignant dont la vie respire l'ennui, c'est le voisin d'Alain. Daniel Tessandier vit dans une chambre de bonne appartenant à une dame charitable, avec le RMI comme unique objectif, il veut conserver un semblant de vie sociale. Gérard Dancourt (Gégé) et Bernard Signot (Nanard) sont deux clochards de Belleville. Un vieil homme sans mémoire, sans papier atteint de la maladie d'Alzheimer qui végète dans la chambre 29 de l'hôpital Lyautey depuis 36 mois. Mathurin Debion est garçon de salle à l'hôpital Lyautey, il est alcoolique et rêve à son île de la Guadeloupe. Tous ces personnages vont se croiser durant l'été 2003 en région parisienne.

A travers des descriptions précises où le sens du détail rend le récit vivant, l'auteur crée un univers sombre et sordide où de pauvres gars vont faire basculer leurs vies du mauvais côté. C'est l'histoire réaliste d'un drame social découlant de drames personnels.

Malgré un sujet difficile, Thierry Jonquet a su magnifiquement construire une histoire qui oscille entre la réalité de la canicule, de la rue, du monde des clochards et des sans-abris et la fiction. Une totale réussite !!!

Extrait : (page 163)

Il se rendit au guichet d'accueil et, sitôt entré dans le hall où se trouvaient le kiosque à journaux et la cafétéria, il eut un rapide aperçu de ce qui l'attendait. Des vieillards des deux sexes erraient en robe de chambre, aggripés à leur déambulateur. D'autres végétaient sur des bancs, le regard vide et le menton dégoulinant de bave, leur bouche édentée grande ouverte. Sans le moindre signe d'agacement, de révolte. Ils tuaient le temps en attendant que le temps les tue.
Perdu au milieu d'eux, Alain eut l'impression d'avoir été convoqué pour une figuration dans un clip gore inspiré d'un tableau de Goya. Il lui était souvent arrivé d'effectuer une rapide apparition dans des téléfilms dont il avait signé le scénario, juste pour s'amuser, tantôt chauffeur-livreur, tantôt gendarme, tantôt infirmier. Il sentit un frisson lui parcourir l'échine. Erreur de casting ! L'espace d'un instant, l'envie lui prit de déguerpir au grand galop et d'oublier cette vision de cauchemar.

Déjà lu de Thierry Jonquet :

Ils_sont_votre__pouvante Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

les_orpailleurs_p Les orpailleurs

2 septembre 2009

Le Japon n'existe pas - Alberto Torres-Blandina

le_japon_n_existe_pas Éditions Métaillié – mai 2009 – 158 pages

traduit de l'espagnol François Gaudry

Présentation de l'éditeur
Voyageurs qui n'aimez pas les longues attentes dans les aéroports, ce livre est pour vous. Dans un terminal, un balayeur affable et disert bavarde avec les passagers en attente, devine leur destination, leur donne des conseils, raconte des histoires passionnantes sur ses voisins, flirte avec la vendeuse de journaux. Il propose même à ses interlocuteurs en partance pour Tokyo une théorie originale: "Le Japon n'est qu'une façade. Une opération marketing comme une autre. On l'a inventé pour vendre de la technologie et ça a marché. Made in Japan est aujourd'hui le meilleur label pour vendre une voiture ou un téléviseur." D'histoire en histoire cet étrange balayeur nous surprend avec humour et bonheur. Le premier roman plein d'ironie et d'énergie d'un jeune homme prometteur.

Biographie de l'auteur
Alberto Torres-Blandina vit à Valence. Il est musicien, chanteur-compositeur et enseigne l'espagnol. Ce livre a reçu le Prix Las Dos Orillas qui consiste en la publication simultanée en Italie, Grèce, Espagne, Portugal et France.

Mon avis : (lu en septembre 2009)

Il s'appelle Salvator Fuensanta, c'est un vieil homme à quelques semaines de la retraite, il est balayeur dans un aéroport espagnol. Il aime bavarder et raconter des histoires aux voyageurs qui attendent leur embarquement. Nous suivons donc le monologue de cet homme et ses récits qui se suivent au gré des rencontres. Ses histoires sont plus ou moins réalistes ou empreintes de sagesse : le lecteur découvrira : les dessous du code de la drague qui existe dans tous les aéroports du monde, les amours compliqués de Rosalia et Roberto, l'existence du Club des Désirs Impossibles, Pau le poète faussement finlandais, la vie cruelle d'Eduardo qui est parti en Inde chercher le renouveau de l'être humain, mais aussi la non existence du Japon concept marketing créé de toutes pièces...

Un roman décalé, très dépaysant qui est à la fois plein de poésie et d'humour.

Extrait : (page 58)

Mademoiselle ! Vous avez oublié votre livre sur le siège !
De rien. J'ai vu que vous partiez et je me suis rendu compte que vous alliez oublier quelque chose. Tenez, le voilà : Baudelaire, Les Fleurs du mal. Je vois que vous le lisez en français... Vous êtes française ? Non, bien sûr, je trouvais que vous n'aviez pas tellement une tête de Française...
Eh bien, je ne sais trop comment décrire une « tête de Française ». Après tant d'années ici, je pourrais vous dire qui est de Paris et qui d'une autre ville, mais ne me demandez pas de vous expliquer, je ne saurais pas. Ça tient à de petits détails...
Moi ? Non, je ne l'ai pas lu. Je ne connais presque rien en poésie. Enfin, je connais un poète... mais ce n'est pas un poète important...
Je ne crois pas que vous le connaissiez. Il est finlandais...
Exact ! C'est Jussi Latval. Vous l'avez lu ? Incroyable ! Il n'y a pas longtemps j'ai fait la connaissance d'un couple qui était tombé amoureux grâce à un de ses poèmes... Oui, c'est ce que je leur ai dit, que c'était un peu bizarre de tomber amoureux avec ces poèmes, si existentiels...
Comment dites-vous ? Derrière la routine des lèvres / Maintenant dans mon demi-sommeil / Enfin je t'embrasse... Non, je ne le connaissais pas. C'est peut-être celui-là. Il a dû l'écrire dernièrement...
Oui, oui, je sais qu'il est mort et que les morts n'écrivent pas... Mais ce mort est un peu spécial... Il a rendu l'âme dans cet aéroport. Vous le saviez ? Non ? Eh bien, maintenant vous le savez.
Que savez-vous de plus sur Jussi ? ... Ce que vous avez lu sur Internet. Il y a beaucoup de sites sur lui ? C'est vrai ? Je vais vous raconter quelque chose. Vous avez cinq minutes ? Bon, venez avec moi, on va s'asseoir là, parce que rester debout toute la journée...


31 août 2009

Les orpailleurs – Thierry Jonquet

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Gallimard – février 1993 – 316 pages

Folio – octobre 1998 - 399 pages

Trophée 813 du meilleur roman noir en 1993.
Prix Mystère de la critique 1993.

Quatrième de couverture :

La main droite avait été tranchée, net, au niveau du poignet. Rien ne permettait d'identifier le cadavre, celui d'une femme. Dans la semaine qui suivit, on en découvrit deux autres, assassinées selon le même rituel. Si le meurtrier tuait ainsi en amputant ses victimes, c'était avant tout pour renouer avec ses souvenirs. Il effectuait un voyage dans le temps. Mais pour aller au bout du chemin, il lui fallut emprunter une route que bien d'autres avaient suivie avant lui. Des hommes, des vieillards, des enfants. Des femmes aussi.

Auteur : Né à Paris en 1954, auteur de polars, Thierry Jonquet fait figure de référence dans ce genre littéraire et bien au-delà. Engagé politiquement dès son adolescence, il entre à Lutte ouvrière en 1970 sous le pseudonyme de Daumier (caricaturiste du XIXe siècle), puis à la Ligue communiste révolutionnaire l'année de son bac. Après des études de philosophie rapidement avortées et plusieurs petits boulots insolites, un accident de voiture bouleverse sa vie : il devient ergothérapeute et travaille successivement dans un service de gériatrie puis un service de rééducation pour bébés atteints de maladies congénitales, et enfin dans un hôpital psychiatrique où il exerce les fonctions d'instituteur. Inspiré par l'univers de Jean-Patrick Manchette, son premier roman, 'Le Bal des débris', est publié en 1984 bien qu'il ait été écrit quelques années plus tôt. 'Mémoire en cage' paraît en 1982, suivent 'Mygale' et 'La Bête et la belle', qui confirment le talent de Thierry Jonquet pour le roman au réalisme dur, hanté par la violence et les questions de société. Ainsi, 'Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte', paru en 2006 évoque sans tabous la violence et l'antisémitisme qui sévissent dans certaines banlieues. Thierry Jonquet a également scénarisé plusieurs bandes dessinées parmi lesquelles 'Du papier faisons table rase', dessiné par Jean-Christophe Chauzy. Plébiscité par la critique, l'une des plus élogieuses est signée Tonino Benacquista qui écrit de lui : 'Jonquet sculpte la fiction, c'est le matériau qu'il façonne pour lui donner une âme, le même que celui d'Highsmith ou de Simenon, il est difficile d'en citer beaucoup d'autres.' Alors qu'il venait de publier 'Ad Vitam aeternam', Thierry Jonquet, décède en août 2009, après avoir lutté deux semaines contre la maladie.

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Mon avis : (lu en août 2009)

C'est en lisant les premières lignes de ce livre que j'ai découvert des noms de personnages qui ne m'étaient pas inconnus... En effet, ce sont ceux de la série télévisée "Boulevard du Palais", qui ont été inspirés par ce livre de Thierry Jonquet. C'est une série que j'aime beaucoup regarder et cela m'a donnée d'autant plus envie de lire "Les orpailleurs".

Cela commence à Belleville avec la découverte du cadavre d'une jeune femme à qui il manque une main. Quelques jours plus tard, on trouve d'autres victimes avec la même mutilation. L'enquête est mené par le commissaire Rovère et la juge Nadia Lintz. Le commandant Gabriel Rovère est un flic désabusé et alcoolique qui effectue pourtant son métier avec beaucoup de talent. La juge Nadia Lintz se donne totalement à son métier pour oublier des problèmes familiaux, elle vient également d'emménager et sympathise avec son propriétaire, l'étrange Isy Szalcman.

Le livre est bien plus fort que la série, les personnages sont attachants et forts. L'intrigue est parfaitement menée, j'ai eu beaucoup de peine à lâcher le livre pour vaquer à mes occupations quotidiennes ! L'auteur nous présente tous les mécanismes d'une enquête judiciaire vue de l'intérieur. Il nous donne également le point de vue du meurtrier que nous suivons dans ses œuvres funestes. Plusieurs enquêtes s'entremêlent : aujourd'hui et dans le passé, à Belleville mais aussi jusqu'en Pologne, on passe du fait divers et une affaire d'un tueur en série à l'Histoire avec un grand H. Les descriptions sont si précises qu'on visualise facilement les lieux ou l'action décrite. L'histoire est sombre mais certains dialogues sont plein d'humour.

En conclusion, je suis vraiment contente d'avoir découvert ce livre qui m'a beaucoup plu et je compte lire d'autres Thierry Jonquet.

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La série « Boulevard du Palais » existe depuis 1999, avec Anne Richard (la Juge Nadia Lintz), Jean-François Balmer (Commandant Gabriel Rovère), Olivier Saladin (le docteur Pluvinage : médecin légiste, poète à ses heures), Marion Game (greffière totalement dévouée à sa patronne), Philippe Ambrosini (Dimeglio), Michel Robin (Isy Szalcman): le propriétaire de Nadia)... Certains scénarios sont signés Thierry Jonquet.

Extrait : (page 12)

Dimeglio, entraîné par ses cent kilos, poursuivit sa descente tout schuss, atteignit le premier étage, faillit glisser sur le palier de l’entresol, se rattrapa tant bien que mal, et jaillit au-dehors, sous le regard épouvanté de la concierge, une Mme Duvalier, sans aucun rapport avec le dictateur, évidemment. Ladite dame s’était munie d’un de ces masques que portent les maçons afin de se protéger de la poussière, lorsqu’ils poncent les murs, ou dans d’autres circonstances analogues. Bravache, elle se tenait devant sa loge, les deux poings sur les hanches, le bigoudi en bataille. Une nature, la Duvalier ! songea Dimeglio, en serrant les dents.

Il sortit dans la rue, avala quelques goulées d’air frais, puis dévisagea un à un les badauds qui l’observaient, effarés. Ils étaient nombreux malgré l’heure matinale et l’interrogeaient du regard, attentifs, comme s’ils s’attendaient à ce qu’il prononce une allocution.

Une délégation de petites vieilles du quartier, accourues à l’annonce de la nouvelle, portant toutes un cabas vide mais déjà prêt à recevoir les trésors qu’elles iraient glaner sur le marché du boulevard de Belleville, plus tard, à la fin de la matinée, quand les commerçants abandonnent sur le macadam les légumes invendables.

Puis les menuisiers d’un atelier voisin, aux cheveux couverts de sciure, graves et vaguement condescendants ; ils s’étaient résolus, après mille réticences, à abandonner varlope et trusquin pour venir voir œuvrer la flicaille.

Et encore, massés au carrefour, craintifs, prêts à déguerpir au moindre signe hostile, quelques manutentionnaires tamouls employés dans les ateliers de confection du quartier, et qui ne lâchaient pas pour autant leurs diables chargés de ballots de tissus bariolés.

Indifférent à leur attente, Dimeglio reprit lentement son souffle. Son regard croisa celui d’un vieillard très raide, qui semblait surveiller la place comme un général le champ de bataille. Malgré la douceur du temps, il portait un curieux manteau de cuir à martingale, dont la coupe évoquait une quelconque origine militaire. Appuyé sur une canne, goguenard, sa casquette vissée sur le front, il toisait les flics d’un air supérieur, mécontent de leur précipitation et en même temps amusé par le spectacle de leur apparente incompétence. Un troisième car de police en tenue – Dimeglio disait « le prétoriens » - se faufila sur la petite place et les hommes en descendirent pour se déployer en renfort face aux badauds. Alignés sur le trottoir, ils interdirent l’accès des immeubles proches de celui où l’on avait trouvé le corps. Une camionnette de pompier occupait déjà le terre-plein de la place, garée au beau milieu d’un quadrilatère formé par des platanes rabougris.

- Le commissaire a pensé que c’était mieux d’envoyer des renforts. C’est un quartier sensible, ici ! expliqua le brigadier en s’avançant vers Dimeglio.

Livres dans ma PAL de Thierry Jonquet :

mon_vieux"Mon vieux", du_pass__faisons_table_rase_p"Du passé faisons table rase"

29 août 2009

La maison des lumières - Didier Van Cauwelaert

la_maison_des_lumi_re Albin Michel – mars 2009 - 177 pages

Présentation :

Imaginez qu’une peinture ait le pouvoir de vous rendre la femme de votre vie, telle qu’elle était avant qu’elle vous quitte…

A vingt-cinq ans, Jérémy Rex, boulanger à Arcachon, est entré dans un tableau de Magritte. Que s’est-il passé, pendant son bref arrêt cardiaque au milieu d’un musée ? Asphyxie du cerveau, hallucination causée par le mélange d’alcool et d’antidépresseurs, expérience aux frontières de la mort ? Censée avoir duré moins de cinq minutes, la nuit d’amour qu’il a vécue à l’intérieur de cette huile sur toile va faire basculer son destin.
De Venise à Créteil en passant par la forêt amazonienne et les bords du lac Léman, alternant les rites chamaniques et les protocoles inquiétants de l’Institut de recherche avancée sur le cerveau, Jérémy n’aura de cesse d’aller retrouver le bonheur entrevu derrière la façade de La Maison des lumières.
Mais ceux qui l’aident à explorer les états modifiés de conscience veulent-ils vraiment son bien ? Scientifiques et sorciers, marchands d’art et agents immobiliers, tous le manipulent dans leur propre intérêt, afin de récupérer le secret qu’il détient.
Dans les romans de Didier Van Cauwelaert, la manipulation agit toujours comme un révélateur. Transformer un homme ordinaire en héros de l’impossible, capable de faire voler ses limites en éclats pour redonner un sens à sa vie, tel est l’enjeu romanesque de La Maison des lumières.

L’auteur : Né en 1960 à Nice, Didier van Cauwelaert cumule, depuis ses débuts, prix littéraires et succès public : Prix Del Duca pour son premier roman en 1982 (Vingt ans et des poussières), prix Roger Nimier, prix Goncourt (Un aller simple, 1994), Molière 1997 du meilleur spectacle musical (Passe-Muraille), Grand Prix du théâtre à l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre, Grand Prix des lecteurs du Livre de Poche (La Vie interdite, 1999), Prix Femina Hebdo du Livre de Poche (La Demi-pensionnaire, 2001), etc.

Mon avis : (lu en août 2009)

J'étais curieuse de lire ce livre qui tourne autour du tableau de Magritte "L'Empire des lumières". Ce livre qui se lit facilement. Jérémie Rex, boulanger à Arcachon est seul à Venise pour un voyage qu'il a gagné à un concours. Il se retrouve propulsé à l'intérieur d'un tableau de Magritte. Il va y vivre une nuit d'amour exceptionnelle avec la femme de sa vie, au temps où elle l'aimait encore... Après, il n'aura de cesse de vouloir retourner dans le tableau pour y retrouver le bonheur.
On se laisse porter par l'histoire mais elle nous laisse un goût de trop peu, d'inachevée... Je n'ai pas été conquise.

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Extrait : (début du livre)

J'ai rencontré Philippe Necker dans une collision de gondoles. Deux hommes seuls à Venise, l'air en deuil ou largué de frais, fatalement ça crée un lien. Pendant que nos gondoliers remplissaient leurs constats, on a échangé quelques mots. Il venait de Paris, j'étais d'Arcachon. Son métier l'obligeait à passer vingt-quatre heures sur place ; moi j'avais gagné un séjour pour deux.

Chacun a médité la phrase de l'autre. Comme il avait l'air aussi déprimé que moi, je lui ai proposé de partager mon bon pour un dîner aux chandelles à la Luna del mare. Il m'a dit merci, mais qu'il devait travailler toute la nuit. On a échangé nos numéros de portables, au cas où, et on est repartis sous les Sole mio de nos gondoliers.

Je me suis retourné malgré moi, sur la banquette rouge en velours boutonné conçue pour les baisers romantiques. Lui aussi, de dos, enlaçait le vide. L'autre main traînant dans l'eau noire du canal, la tête basse, un peu voûté, les cheveux couleur cendres et le teint de cire, il avait une élégance naturelle en décalage avec son accoutrement ridicule. Le bermuda rayé vert pomme et le polo touristique avaient tout du camouflage. C'était peut-être un type des services secrets, ou alors un tueur à gages.

Je me suis demandé ce qu'il imaginait sur moi, de son côté. Sous mon physique balourd de plagiste en hiver, pouvait-on encore deviner la star que j'avais été de quatre à douze ans ? Ou bien ne voyait-on que le glandeur anxieux que j'étais devenu par la suite ?

Il ne s'est pas retourné. Il avait déjà dû m'oublier. Sa gondole a disparu sous un pont, et j'ai pensé qu'on en resterait là.

Je ne me doutais pas que ce désabusé en fin de course, qui avait deux fois mon âge et le cœur brisé par le même genre de femme, allait faire basculer mon destin.

L'hôtel où m'a conduit le gondolier est une espèce de ruine cachée par une bâche, qui représente sa façade telle qu'elle était autrefois. Le « charmant petit canal à l'écart des grands axes », d'après Internet, est un égout à ciel ouvert. A quoi bon râler : c'est gratuit.

La réceptionniste parle franco-italien avec un accent russe. La mondialisation. Elle épluche mon voucher, me félicite pour ma victoire au jeu-concours, s'étonne que je sois seul, et prend l'empreinte de ma carte de crédit pour les extras du minibar.

– Per favore, un petit autographe…

C'est fou comme ce mot continue de me crisper, dix ans plus tard. Si mon nom fait encore froncer des sourcils en France, à cause des rediffusions, ma tête heureusement ne dit plus rien à personne.

– Grazie mille, signore, juste une petite fiche de renseignements, scusi, et je vous laisse profiter de votre séjour.

– Y a pas de quoi.

A la rubrique « profession », je marque un temps, comme d'habitude. Que vais-je répondre, aujourd'hui ? Comédien en préretraite, musicien sans emploi, boulanger au chômage ? Il n'y a pas assez de cases pour me situer socialement. Autant écrire « touriste ».

28 août 2009

L’ombre du vent – Carlos Ruiz Zafon

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traduit de l’espagnol par François Maspero

Grasset – avril 2004 – 524 pages

LGF – janvier 2006 – 636 pages

Prix Planeta en 2004

Présentation de l'éditeur
Dans la Barcelone de l'après-guerre civile, "ville des prodiges" marquée par la défaite, la vie est difficile, les haines rôdent toujours. Par un matin brumeux de 1945, un homme emmène son petit garçon - Daniel Sempere, le narrateur - dans un lieu mystérieux du quartier gothique : le Cimetière des Livres Oubliés. L'enfant, qui rêve toujours de sa mère morte, est ainsi convié par son père, modeste boutiquier de livres d'occasion, à un étrange rituel qui se transmet de génération en génération : il doit y " adopter " un volume parmi des centaines de milliers. Là, il rencontre le livre qui va changer le cours de sa vie, le marquer à jamais et l'entraîner dans un labyrinthe d'aventures et de secrets " enterrés dans l'âme de la ville " : L'Ombre du Vent. Avec ce tableau historique, roman d'apprentissage évoquant les émois de l'adolescence, récit fantastique dans la pure tradition du Fantôme de l'Opéra ou du Maître et Marguerite, énigme où les mystères s'emboîtent comme des poupées russes, Carlos Ruiz Zafon mêle inextricablement la littérature et la vie.

Auteur : Né à Barcelone en 1964, Carlos Ruiz Zafón vit aujourd'hui à Los Angeles. A 14 ans, il écrit son premier roman, histoire truculente de cinq cents pages. A 19 ans, il choisit de faire carrière dans le monde de la publicité, qu'il quitte rapidement pour se consacrer à El principe de las tinieblas. Ce roman, qui lui vaudra en 1993 le premier Edebé, prix de littérature jeunesse, se vend à 150 000 exemplaires et se retrouve traduit dans plusieurs langues. Suivront El Palacio de la medianoche, Las Luces de septiembre et Marina. L'ombre du vent a obtenu le prix Planeta en 2004.

Mon avis : (lu en août 2009)

Ce livre m'a été conseillé, il y a quelques mois pour la première fois et depuis j'en ai entendu beaucoup de bien, c'est donc avec une grande envie que je me suis lancée dans sa lecture. Et j'ai plongé dans l'aventure et je n'ai pas lâché le livre.

L'histoire se déroule dans Barcelone, après-guerre mais toujours sous la dictature de Franco. Daniel a 10 ans et son père l'emmène dans un lieu magique et secret : "le Cimetière des livres oubliés", là, Daniel a le droit de choisir un de ces livres afin de le sortir de l'anonymat. Il choisira "L'ombre du vent" de Julian Carax, il va partir à la recherche de cet écrivain qui l'a ému et dont le passé semble si mystérieux. C'est un magnifique roman où se mélange aventures, histoire, amour, amitié mais aussi haine et vengeance.

Les personnages sont justes et touchants, ils nous transportent dans les ruelles, dans les quartiers de Barcelone avec beaucoup de poésie. On imagine parfaitement les lieux et il nous font rêver... C'est beau, c'est poétique. C'est pour moi un vrai coup de cœur !

le_jeu_de_l_Ange Un nouveau livre de Carlos Ruiz Zafón vient de sortir en août 2009, « Le jeu de l'Ange » et j'ai très envie de le découvrir !

Extrait : (début du livre)

Le Cimetière des Livres Oubliés

Je me souviens encore de ce petit matin où mon père m'emmena pour la première fois visiter le Cimetière des Livres Oubliés. Nous étions aux premiers jours de l'été 1945, et nous marchions dans les rues d'une Barcelone écrasée sous un ciel de cendre et un soleil fuligineux qui se répandait sur la ville comme une coulée de cuivre liquide.
- Daniel, me prévint mon père, ce que tu vas voir aujourd'hui, tu ne dois en parler à personne. Pas même à ton ami Tomás. A personne.
- Pas même à maman ? demandai-je à mi-voix.
Mon père soupira, en se réfugiant derrière ce sourire triste qui accompagnait toute sa vie comme une ombre.
- Si, bien sûr, répondit-il en baissant la tête. Pour elle, nous n'avons pas de secrets. Elle, on peut tout lui dire.
Peu après la fin de la guerre civile, ma mère avait été emportée par un début de choléra. Nous l'avions enterrée à Montjuïc le jour de mon quatrième anniversaire. Je me rappelle seulement qu'il avait plu toute la journée et toute la nuit, et que, lorsque j'avais demandé à mon père si le ciel pleurait, la voix lui avait manqué pour me répondre. Six ans après, l'absence de ma mère était toujours pour moi un mirage, un silence hurlant que je n'avais pas encore appris à faire taire à coups de mots. Nous vivions, mon père et moi, dans un petit appartement de la rue Santa Ana, près de la place de l'église. L'appartement était situé juste au-dessus de la boutique de livres rares et d'occasion héritée de mon grand-père, un bazar enchanté que mon père comptait bien me transmettre un jour. J'ai grandi entre les livres, en me faisant des amis invisibles dans les pages qui tombaient en poussière et dont je porte encore l'odeur sur les mains. J'ai appris à m'endormir en expliquant à ma mère, dans l'ombre de ma chambre, les événements de la journée, ce que j'avais fait au collège, ce que j'avais appris ce jour-là... Je ne pouvais entendre sa voix ni sentir son contact, mais sa lumière et sa chaleur rayonnaient dans chaque recoin de notre logis, et moi, avec la confiance d'un enfant qui peut encore compter ses années sur les doigts, je croyais qu'il me suffisait de fermer les yeux et de lui parler pour qu'elle m'écoute, d'où qu'elle fût. Parfois, mon père m'entendait de la salle à manger et pleurait en silence.
Je me souviens qu'en cette aube de juin je m'étais réveillé en criant. Mon cœur battait dans ma poitrine comme si mon âme voulait s'y frayer un chemin et dévaler l'escalier. Mon père effrayé était accouru dans ma chambre et m'avait pris dans ses bras pour me calmer.
- Je n'arrive pas à me rappeler son visage. Je n'arrive pas à me rappeler le visage de maman, murmurais-je, le souffle coupé.
Mon père me serrait avec force.
- Ne t'inquiète pas, Daniel. Je me rappellerai pour deux.
Nous nous regardions dans la pénombre, cherchant des mots qui n'existaient pas. Pour la première fois, je me rendais compte que mon père vieillissait et que ses yeux, des yeux de brume et d'absence, regardaient toujours en arrière. Il s'était relevé et avait tiré les rideaux pour laisser entrer la douce lumière de l'aube.
- Debout, Daniel, habille-toi. Je veux te montrer quelque chose.
- Maintenant, à cinq heures du matin ?
- Il y a des choses que l'on ne peut voir que dans le noir, avait soufflé mon père en arborant un sourire énigmatique qu'il avait probablement emprunté à un roman d'Alexandre Dumas.
Quand nous avions passé le porche, les rues sommeillaient encore dans la brume et la rosée nocturne. Les réverbères des Ramblas dessinaient en tremblotant une avenue noyée de buée, le temps que la ville s'éveille et quitte son masque d'aquarelle. En arrivant dans la rue Arco del Teatro, nous nous aventurâmes dans la direction du Raval, sous l'arcade qui précédait une voûte de brouillard bleu. Je suivis mon père sur ce chemin étroit, plus cicatrice que rue, jusqu'à ce que le rayonnement des Ramblas disparaisse derrière nous. La clarté du petit jour s'infiltrait entre les balcons et les corniches en touches délicates de lumière oblique, sans parvenir jusqu'au sol. Mon père s'arrêta devant un portail en bois sculpté, noirci par le temps et l'humidité. Devant nous se dressait ce qui me parut être le squelette abandonné d'un hôtel particulier, ou d'un musée d'échos et d'ombres.
- Daniel, ce que tu vas voir aujourd'hui, tu ne dois en parler à personne. Pas même à ton ami Tomás. A personne.
Un petit homme au visage d'oiseau de proie et aux cheveux argentés ouvrit le portail. Son regard d'aigle se posa sur moi, impénétrable.
- Bonjour, Isaac. Voici mon fils Daniel, annonça mon père. Il va sur ses onze ans et prendra un jour ma succession à la librairie. Il a l'âge de connaître ce lieu.
Le nommé Isaac eut un léger geste d'assentiment pour nous inviter à entrer. Une pénombre bleutée régnait à l'intérieur, laissant tout juste entrevoir les formes d'un escalier de marbre et d'une galerie ornée de fresques représentant des anges et des créatures fantastiques. Nous suivîmes le gardien dans le couloir du palais et débouchâmes dans une grande salle circulaire où une véritable basilique de ténèbres s'étendait sous une coupole percée de rais de lumière qui descendaient des hauteurs. Un labyrinthe de corridors et d'étagères pleines de livres montait de la base au faîte, en dessinant une succession compliquée de tunnels, d'escaliers, de plates-formes et de passerelles qui laissaient deviner la géométrie impossible d'une gigantesque bibliothèque. Je regardai mon père, interloqué. Il me sourit en clignant de l'œil.
- Bienvenue, Daniel, dans le Cimetière des Livres Oubliés.
Çà et là, le long des passages et sur les plates-formes de la bibliothèque, se profilaient une douzaine de silhouettes. Quelques-unes se retournèrent pour nous saluer de loin, et je reconnus les visages de plusieurs collègues de mon père dans la confrérie des libraires d'ancien. A mes yeux de dix ans, ces personnages se présentaient comme une société secrète d'alchimistes conspirant à l'insu du monde. Mon père s'agenouilla près de moi et, me regardant dans les yeux, me parla de cette voix douce des promesses et des confidences.
- Ce lieu est un mystère, Daniel, un sanctuaire. Chaque livre, chaque volume que tu vois, a une âme. L'âme de celui qui l'a écrit, et l'âme de ceux qui l'ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. Chaque fois qu'un livre change de mains, que quelqu'un promène son regard sur ses pages, son esprit grandit et devient plus fort. Quand mon père m'a amené ici pour la première fois, il y a de cela bien des années, ce lieu existait déjà depuis longtemps. Aussi longtemps, peut-être, que la ville elle-même. Personne ne sait exactement depuis quand il existe, ou qui l'a créé. Je te répéterai ce que mon père m'a dit. Quand une bibliothèque disparaît, quand un livre se perd dans l'oubli, nous qui connaissons cet endroit et en sommes les gardiens, nous faisons en sorte qu'il arrive ici. Dans ce lieu, les livres dont personne ne se souvient, qui se sont évanouis avec le temps, continuent de vivre en attendant de parvenir un jour entre les mains d'un nouveau lecteur, d'atteindre un nouvel esprit. Dans la boutique, nous vendons et achetons les livres, mais en réalité ils n'ont pas de maîtres. Chaque ouvrage que tu vois ici a été le meilleur ami de quelqu'un. Aujourd'hui, ils n'ont plus que nous, Daniel. Tu crois que tu vas pouvoir garder ce secret ?
Mon regard balaya l'immensité du lieu, sa lumière enchantée. J'acquiesçai et mon père sourit.
- Et tu sais le meilleur ? demanda-t-il.
Silencieusement, je fis signe que non.
- La coutume veut que la personne qui vient ici pour la première fois choisisse un livre, celui qu'elle préfère, et l'adopte, pour faire en sorte qu'il ne disparaisse jamais, qu'il reste toujours vivant. C'est un serment très important. Pour la vie. Aujourd'hui, c'est ton tour.
Durant presque une demi-heure, je déambulai dans les mystères de ce labyrinthe qui sentait le vieux papier, la poussière et la magie. Je laissai ma main frôler les rangées de reliures exposées, en essayant d'en choisir une. J'hésitai parmi les titres à demi effacés par le temps, les mots dans des langues que je reconnaissais et des dizaines d'autres que j'étais incapable de cataloguer. Je parcourus des corridors et des galeries en spirale, peuplés de milliers de volumes qui semblaient en savoir davantage sur moi que je n'en savais sur eux. Bientôt, l'idée s'empara de moi qu'un univers infini à explorer s'ouvrait derrière chaque couverture tandis qu'au-delà de ces murs le monde laissait s'écouler la vie en après-midi de football et en feuilletons de radio, satisfait de n'avoir pas à regarder beaucoup plus loin que son nombril. Est-ce à cause de cette pensée, ou bien du hasard ou de son proche parent qui se pavane sous le nom de destin, toujours est-il que, tout d'un coup, je sus que j'avais déjà choisi le livre que je devais adopter. Ou peut-être devrais-je dire le livre qui m'avait adopté. Il se tenait timidement à l'extrémité d'un rayon, relié en cuir lie-de-vin, chuchotant son titre en caractères dorés qui luisaient à la lumière distillée du haut de la coupole. Je m'approchai de lui et caressai les mots du bout des doigts, en lisant en silence :

L'Ombre du Vent
Julián Carax

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