Plus haut que la mer - Francesca Melandri
Lu en partenariat avec Folio
Folio - mars 2016 - 224 pages
Gallimard - février 2015 - 208 pages
traduit de l'italien par Danièle Valin
Titre original : Più alto del mare, 2011
Prix de l'Union Interalliée 2016
Prix Jean Carrière 2015
1979. Paolo et Luisa ne se connaissent pas. À bord du bateau qui les emmène sur l’Île où sont détenus leurs proches, chacun ressasse la tragédie dont il a été victime. Le fils de Paolo a été condamné pour des actes terroristes. Le mari de Luisa pour avoir tué deux hommes. Le mistral empêche les visiteurs de regagner la côte. Ils passent la nuit sur l’Île, surveillés par un agent, Pierfrancesco, avec qui une étrange complicité va naître. Un roman tout en subtilité sur ces infimes moments de grâce qui font basculer les vies.
Mon avis : (lu en mai 2016)
Voilà un livre que je voulais lire depuis plus d'un an grâce à plusieurs avis de lectrices du Café Lecture de la Bibliothèque. Aussi, lorsque les éditions Folio m'ont proposé de recevoir ce livre, je n'ai pas hésité.
1979, Luisa et Paolo se rencontrent sur le bateau qui se rend sur l'Ile où se trouve une prison de haute sécurité. Luisa est venue rendre visite à son mari violent emprisonné pour deux meurtres. C'est la première fois qu'elle vient le voir dans cette prison, elle est éblouie par le spectacle de la mer qu'elle n'avais encore jamais vu.
Pour Paolo, ce n'est pas la première fois qu'il vient sur l'Ile voir son fils brigadiste rouge. La tempête se lève et impossible pour Luisa et Paolo de prendre le bateau pour quitter l'Ile. Ils vont devoir y passer une nuit. Ils sont sous la responsabilité de Nitti l'un des gardien de l'Ile. Tout les trois vont passer ensemble la soirée et la nuit et une vraie complicité va naître à ces trois personnes si différentes. Une parenthèse inoubliable dans la vie de chacun.
J'ai beaucoup aimé cette histoire touchante et simple, l'auteur décrit avec beaucoup de justesse les personnages, leurs préoccupations et l'Ile perdue en pleine mer, battue par la tempête. Un vrai coup de cœur !
Merci les éditions Folio pour cette très belle découverte.
Extrait : (début du livre)
L’air épicé, ça non, ils ne s’y attendaient pas.
Ils avaient toujours pensé qu’ils arriveraient la nuit et d’ailleurs, quand on vint les prendre dans toutes les prisons d’Italie, le ciel était noir comme une carie. On les amena en Chinook, ta-ta, ta-ta, ta-ta, comme s’ils venaient tout droit du Vietnam et non de Praia a Mare ou de Viterbe. Des militaires hurlaient et des types blonds et rasés, muets comme des pierres, contrôlaient le déroulement de la manœuvre. Ils apprirent par la suite que c’étaient des Américains. Et ils ne s’en étonnèrent même pas.
La peur de mourir était bien là, et pourtant en entrant dans le ventre de l’hélicoptère ils avaient tous levé les yeux vers le ciel. Il était noir de nouvelle lune. On avait veillé à ça aussi en montant l’opération : qu’une mer claire ne révèle pas d’en haut les contours de la côte. Mais les agents secrets de l’impérialisme et du capitalisme n’avaient pas réussi à éteindre les étoiles qui étaient donc là, palpitantes et précises. Certains d’entre eux ne les avaient pas vues depuis des mois, d’autres depuis des années. Qui sait s’ils les reverraient un jour.
Ils avaient décollé depuis un moment lorsqu’un soldat en tenue de camouflage s’adressa à eux l’air jovial : « Maintenant on va ouvrir la trappe et on va vous apprendre à voler. » Comme s’il voulait donner raison à tous ceux qui disaient ces années-là : désormais, l’Italie c’est l’Amérique du Sud. Et puis ils ne jetèrent personne.
À l’arrivée, sur les quelques mètres qui séparaient l’hélicoptère du bâtiment blanc de la prison de haute sécurité, ils les rouèrent de coups de pied et de coups de bâton pour ne pas leur laisser le temps de comprendre où ils avaient débarqué. Mais là-dessus aussi ils avaient déjà leur petite idée. Depuis des semaines, le téléphone arabe carcéral signalait des va-et-vient d’ouvriers dans ce bâtiment bas au bout de l’Île, loin des petites prisons des détenus ordinaires, des bureaux de l’administration, de l’embarcadère, du village où vivaient les gardiens, de l’école et de l’église, et même du phare à l’écart sur son rocher – bref, loin de Dieu, des hommes et de tout. De plus, il y avait déjà un moment que l’information avait filtré jusqu’aux oreilles de certains parlementaires, ceux qui depuis des mois dormaient chaque nuit dans un endroit différent avec leur portefeuille et leur passeport toujours prêts sur la table de nuit : en cas de coup d’État militaire, c’est là qu’aurait lieu la déportation, ou plutôt la concentration des principaux opposants.