14 - Jean Echenoz
Audiolib - mars 2013 - 2h30 - Lu par l'auteur
Editions de Minuit - octobre 2012 - 123 pages
Quatrième de couverture :
Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d'entre eux. Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et dans quel état.
Comme il l’avait fait pour Courir et Des éclairs, c’est Jean Echenoz lui-même qui lit 14, donnant ainsi à son roman cette dimension d’intimité et d’humanité que ne peut écraser le terrifiant chaos qui va broyer des millions d’hommes.
Auteur : Né à Orange le 26 décembre 1947, grand nom de la littérature française contemporaine, Jean Echenoz s'impose avec un sens de l'observation unique et un style singulier. L'ancien étudiant en sociologie et en génie civil déclare être l'auteur de romans 'géographiques'. Il tâche en effet dans son oeuvre de tracer les conditions, les décors et les milieux qui fondent une existence, celle de personnages fictifs ou réels à l'instar de Ravel dans un roman éponyme ou d'Emile Zatopec dans 'Courir'. Amené à l'écriture suite à la découverte d''Ubu Roi' d'Alfred Jarry, Echenoz imprime sa propre empreinte avec un sens de la dérision hérité du dramaturge. Lauréat du prix Goncourt en 1999 pour 'Je m'en vais', l'auteur joue à détourner les codes du langage et les genres littéraires. Ainsi, il s'approprie le roman policier avec 'Cherokee' ou le roman d'espionnage avec 'Le Lac'. Ecrivain de la quête et de l'enquête, Jean Echenoz succède avec brio et innovation à la génération du Nouveau Roman, qui a fait la renommée de sa maison d'édition, Minuit.
Mon avis : (écouté en février 2014)
La quatrième de couverture résume parfaitement ce court roman sur la Première Guerre Mondiale : "Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d'entre eux. Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et dans quel état".
Anthime, Charles, Bossis, Arcenel et Padioleau sont originaires tous les cinq du même coin de Vendée. Début août, une belle journée d'été et tout à coup les cloches se sont mises à sonner le tocsin, c'était la guerre. Ils sont partis la fleur au fusil persuadés d'être de retour pour Noël... Laissant au village Blanche qui fait battre le cœur des deux frères, Charles et Anthime. En s'inspirant de carnets écris jours après jours par un appelé, l'auteur nous raconte le quotidien dans les tranchées. Beaucoup de sujets sont évoqués : les combats en première ligne, les début de l'aviation militaire, le gaz, le morale des troupes, les blessés, les déserteurs, le retour à la maison... L'essentiel est dit avec peu de mots. Un livre fort pour ne pas oublier le sacrifice de tous ses soldats.
La lecture de ce livre par l'auteur est formidable.
Extrait : (début du livre)
Comme le temps s'y prêtait à merveille et qu'on était samedi, journée que sa fonction lui permettait de chômer, Anthime est parti faire un tour à vélo après avoir déjeuné. Ses projets : profiter du plein soleil d'août, prendre un peu d'exercice et l'air de la campagne, sans doute lire allongé dans l'herbe puisqu'il a fixé sur son engin, sous un sandow, un volume trop massif pour son porte-bagages en fil de fer. Une fois sorti de la ville en roue libre, pédalé sans effort sur une dizaine de kilomètres plats, il a dû se dresser en danseuse quand une colline s'est présentée, se balançant debout de gauche à droite en commençant de suer sur son engin. Ce n'était certes pas une grosse colline, on sait jusqu'où montent ces hauteurs en Vendée, juste une légère butte mais assez saillante pour qu'on pût y bénéficier d'une vue.
Anthime arrivé sur cette éminence, un coup de vent tapageur s'est brutalement levé qui a manqué faire s'enfuir sa casquette puis déséquilibrer sa bicyclette - un solide modèle Euntes conçu par et pour des ecclésiastiques, racheté à un vicaire devenu goutteux. Des mouvements d'air d'une aussi vive, sonore et brusque ampleur sont plutôt rares en plein été dans la région, surtout sous un soleil pareil, et Anthime a dû mettre un pied à terre, l'autre posé sur sa pédale, le vélo légèrement penché sous lui pendant qu'il revissait la casquette sur son front dans le souffle assourdissant. Puis il a considéré le paysage autour de lui : villages éparpillés alentour, champs et pâturages à volonté. Invisible mais là, vingt kilomètres à l'ouest, respirait aussi l'océan sur lequel il lui était arrivé d'embarquer quatre ou cinq fois même si, ne sachant guère pêcher, Anthime n'avait pas été bien utile aux camarades ces jours-là - sa profession de comptable l'autorisant quand même à tenir le rôle toujours bienvenu de relever et dénombrer les maquereaux, merlans, carrelets, barbues et autres plies au retour à quai.
Nous étions au premier jour d'août et Anthime a laissé traîner un coup d'oeil sur le panorama : depuis cette colline où il se trouvait seul, il a vu s'égrener cinq ou six bourgs, conglomérats de maisons basses agglutinées sous un beffroi, raccordés par un fin réseau routier sur lequel circulaient moins de très rares automobiles que de chars à boeufs et de chevaux attelés, transportant les moissons céréalières. C'était sans doute un plaisant paysage, quoique momentanément troublé par cette irruption venteuse, bruyante, vraiment inhabituelle pour la saison et qui, contraignant Anthime à maintenir sa visière, occupait tout l'espace sonore. On n'entendait rien d'autre que cet air en mouvement, il était quatre heures de l'après-midi.
Déjà lu du même auteur :
Challenge Petit Bac 2014
"Moment/Temps" (3)