Le monde à l'endroit - Ron Rash
Seuil - août 2012 - 280 pages
traduit de l'anglais (États-Unis) par Isabelle Reinharez
Titre original : The World Made Straight, 2006
Quatrième de couverture :
Travis Shelton, 17 ans, découvre un champ de cannabis en allant pêcher la truite au pied de Divide Mountain, dans les Appalaches. C'est un jeu d'enfant d'embarquer quelques plants sur son pick-up. Trois récoltes scélérates plus tard, Travis est surpris par le propriétaire, Toomey, qui lui sectionne le tendon d'Achille, histoire de lui donner une leçon.
Mais ce ne sera pas la seule de cet été-là: en couflit ouvert avec son père, cultivateur de tabac intransigeant, Travis trouve refuge dans le mobile home de Leonard, un prof déchu devenu dealer. L'occasion pour lui de découvrir les lourds secrets qui pèsent sur la communauté de Shelton Laurel depuis un massacre perpétré pendant la guerre de Sécession. Confronté aux ombres troubles du passé, Travis devra également affronter les épreuves du présent.
Le père, Toomey, Leonard, trois figures qui incarnent chacune une forme d'autorité masculine, vont tragiquement façonner son passage à l'âge d'homme.
Ce roman, le troisième de Ron Rash - après Un pied au paradis et Serena - à être traduit en français, confirme par son lyrisme âpre que cet écrivain est avant tout un poète, ardent défenseur de sa terre et de la mémoire de celle-ci.
Auteur : Né en Caroline du Sud en 1953, Ron Rash est l'auteur de quatre recueils de nouvelles et de cinq romans, tous lauréats de prestigieux prix littéraires - Sherwood Anderson Prize, O. Henry Prize, James Still Award, Novello Literary Award, Frank O'Connor Award.
Mon avis : (lu en février 2013)
Ron Rash est un auteur que je ne connaissais pas et ce livre est une très belle découverte.
Travis Shelton est né en Caroline du Nord, aux pieds des Appalaches et est le fils d'un producteur de tabac, il a 17 ans, il s'ennuie dans ses études qu'il a laissé tombé. Il a une seule passion, la pêche à la truite. Un jour, qu'il était parti pêcher dans un lieu éloigné et sauvage, il découvre une plantation de cannabis. Il n'hésite pas à emporter quelques plants qu'il ira revendre à Leonard, un dealer local. De l'argent facilement gagné et Travis recommence jusqu'au jour où les propriétaires de la plantation illicite l’attrapent et lui sectionne le tendon d’Achille. Le père de Travis le renvoi de chez lui et Travis va se réfugier chez Leonard.
Leonard, est un ancien prof, il a été injustement accusé de détenir de la drogue et il a perdu son travail puis sa femme et sa fille sont parties pour l'Australie. Il est devenu un marginal, vit dans un mobile home et vend maintenant de l'alcool aux mineurs, des cachets et de la marijuana. Une belle relation va se nouer entre les deux hommes avec en toile de fond un événement historique ayant eu lieu pendant la guerre de Sécession, le massacre de Shelton Laurel.
C'est un beau roman initiatique ou la nature est très importante, il est question de truites brunes, arc-en-ciel ou mouchetées, de bruants jaunes... Les paysages ne sont pas un simple décor ils ont une place centrale dans ce livre. Les personnages sont hauts en couleur. Un vrai dépaysement.
Extrait : (début du livre)
Travis tomba sur les pieds de marijuana en pêchant dans Caney Creek. C’était un samedi, la première semaine d’août, et après avoir aidé son père à pincer le tabac toute la matinée il avait eu le restant de la journée pour lui. Il avait enfilé sa tenue de pêche et suivi cinq kilomètres de chemin de terre pour aller au bord de la French Broad. Il roulait vite, la canne et le moulinet bringuebalant bruyamment sur le plateau du pick-up qui soulevait dans son sillage un nuage de poussière rouge. La Marlin .22 long rifle glissait sur son râtelier bricolé, à chaque virage un peu sec. Les vitres étaient baissées, et si la radio avait fonctionné il l’aurait mise à fond. Le pick-up était un vieux Ford de 1966, esquinté par une douzaine d’années de travaux agricoles. Travis l’avait payé trois mois plus tôt cinq cents dollars à un voisin.
Il se gara à côté du pont et remonta la rivière vers le point où Caney Creek venait s’y jeter. La lumière de l’après-midi tombait à l’oblique sur Divide Mountain et donnait à l’eau la teinte d’or foncé du tabac qui sèche. Un poisson jaillit des bas-fonds, mais la canne à pêche à la cuiller de Travis était démontée, et même si elle ne l’avait pas été il ne se serait pas donné la peine de lancer. Rien ne nageait dans la French Broad qu’il puisse vendre, rien que des truites brunes et des arc-en-ciel élevées en couvoir, quelques achigans à petite bouche et des poissons-chats. Les vieux qui pêchaient dans la rivière restaient au même endroit pendant des heures, aussi immobiles que les souches et les pierres sur lesquelles ils étaient assis. Travis aimait se déplacer sans arrêt, et il pêchait là où même les jeunes pêcheurs ne voulaient pas aller.
En quarante minutes il avait remonté Caney Creek sur presque un kilomètre, la canne encore en deux parties. Il y avait des truites dans ce tronçon inférieur, des brunes et des arc-en-ciel qui venaient d’en bas, de la rivière, mais le Vieux Jenkins refusait de les acheter. La gorge se resserrait et se transformait en un mur d’eau et de rocher d’une dizaine de mètres de haut, avec en dessous le bassin le plus profond du ruisseau. C’était là que tout le monde faisait demi-tour, mais Travis avança dans l’eau jusqu’à la taille pour atteindre le côté droit de la chute. Puis il commença à grimper, la canne serrée dans sa main gauche, ses doigts utilisant saillies et fissures comme prises et comme appuis.
Arrivé en haut, il emboîta les deux éléments de la canne et fit passer du monofilament dans les anneaux. Il s’apprêtait à attacher la cuiller Panther Martin argent quand un tapotement se fit entendre au-dessus de sa tête. Travis repéra le bruant jaune à une dizaine de mètres dans le noyer blanc, et regretta aussitôt de n’avoir pas pris sa carabine. Il scruta les bois à la recherche d’un arbre mort ou d’un vieux piquet de clôture où pourrait se trouver le nid de l’oiseau. Un type de Marshall qui montait des mouches donnait deux dollars pour un bruant jaune ou un canard carolin, cinq cents pour une seule belle plume, et Travis avait besoin du moindre dollar et de la plus petite pièce de cinq cents s’il voulait payer l’assurance de son pick-up, ce mois-ci.
Les seuls poissons qu’on trouvait aussi loin étaient ce que les manuels de pêche et les magazines spécialisés nommaient les saumons de fontaine, même si Travis n’avait jamais entendu le Vieux Jenkins ni personne les appeler autrement que truites mouchetées. Jenkins jurait ses grands dieux qu’elles étaient meilleures que n’importe quelle brune ou arc-en-ciel, et les payait cinquante cents pièce à Travis, aussi petites soient-elles. Le Vieux Jenkins les avalait avec la tête et le reste, comme des sardines.
Sélection roman
Jury Mars
Challenge 6% Littéraire 2012
37/42