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A propos de livres...
14 décembre 2012

Avenue des géants - Marc Dugain

avenue_des_geants Gallimard – avril 2012 – 368 pages

Quatrième de couverture :
Al Kenner serait un adolescent ordinaire s'il ne mesurait pas près de 2,20 mètres et si son QI n'était pas supérieur à celui d'Einstein. Sa vie bascule par hasard le jour de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Plus jamais il ne sera le même. Désormais, il entre en lutte contre ses mauvaises pensées. Observateur intransigeant d'une époque qui lui échappe, il mène seul un combat désespéré contre le mal qui l'habite. Inspiré d'un personnage réel, Avenue des Géants, récit du cheminement intérieur d'un tueur hors du commun, est aussi un hymne à la route, aux grands espaces, aux mouvements hippies, dans cette société américaine des années 60 en plein bouleversement, où le pacifisme s'illusionne dans les décombres de la guerre du Vietnam.

Auteur : Né en 1957, après avoir vécu les sept premières années de sa vie au Sénégal, Marc Dugain revient en France avec ses parents. Il intègre quelque temps plus tard l'Institut d'études politiques de Grenoble, où il étudie les sciences politiques et la finance, avant de prendre la tête d'une compagnie d'aviation. Mais l'écriture l'a toujours démangé. Aussi, il se décide à prendre la plume, et signe "La Chambre des officiers" en 1998. Ce premier roman reçoit près de vingt prix littéraires et est adapté au cinéma. Il sort ensuite "Campagne anglaise", "Heureux comme Dieu en France", "La Malédiction d'Edgar" et plus récemment "Une exécution ordinaire" (2007), et se constitue peu à peu un lectorat fidèle. Friand d'horizons lointains, Marc Dugain vit au Maroc depuis 2001.

Mon avis : (lu en décembre 2012)
C'est à la fois un livre coup de cœur et un livre coup de poing.
Marc Dugain s'est inspiré de la vie d'un tueur en série américain des années 70 pour créer le personnage d'Al Kenner. Le 22 novembre 1963, jour de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, la vie d'Al va basculer, encore adolescent il commet son premier meurtre. Il est alors interné dans un hôpital psychiatrique et rencontre des psychiatres qui l'écoutent. Son intelligence lui permet d'apprendre beaucoup de la psychiatrie.
Al Kenner est hors norme, il mesure 2,20 m et a un QI exceptionnel, supérieur à celui d'Einstein. Il aime les grands espaces et en même temps il est renfermé sur lui-même, il est lucide et il connaît très bien le mal qui le ronge et fait beaucoup d'effort pour vivre avec. Son contexte familiale est terrifiant, il a toujours été considéré comme un monstre par sa mère et son père ne s'est jamais interposé pour le protéger des maltraitances de sa mère.

Entre roman policier et roman américain, Marc Dugain a construit avec beaucoup de talent cette histoire prenante et passionnante de la vie d'Al Kenner. L'auteur tente de comprendre sa psychologie et le lecteur s'interroge : naît-on tueur ou le devient-on ? Al Kenner est à la fois attachant et d'une froideur et d'une lucidité troublante. Ce livre est également l'occasion de découvrir les États-Unis des années 60 et 70 avec la guerre du Vietnam, les communautés hippies...
Enfin, la conclusion de cette histoire m'a stupéfaite, car à aucun moment, je ne m'étais attendu à cela...
Ce roman ne peut pas laisser indifférent le lecteur.  

Autres avis : Clara, Canel, Jostein

Extrait : (début du livre)
Comme chaque mois, elle lui fait face après s'être installée lourdement sur sa chaise. Elle sort les livres de son sac, une dizaine. Pour la plupart ils ont une couverture cartonnée. Il y jette un coup d’œil rapide, et les pose devant lui. Elle sourit d'un trait fin sans le regarder en face. Elle fait en sorte depuis des années de ne jamais croiser son regard, ce qui l'oblige à beaucoup tourner les yeux. Elle baisse souvent la tête. C'est l'occasion pour lui de voir le sillon de sa calvitie au milieu de son crâne s'élargir. Elle a les cheveux longs et il est difficile de dire quand ils sont propres. Même propres, ils n'ont pas l'air de l'être. Elle a dû être passablement jolie, pour autant qu'on puisse distinguer une ancienne beauté derrière des traits bouffis. Affaissé il l'est aussi, mais il a de bonnes raisons de l'être. Alors qu'elle, on se demande. Il aime bien cette femme. En fait, il en est venu à conclure qu'il l'aime bien parce qu'il ne ressent rien pour elle, ni amour ni haine. Parfois un peu d'agacement. Il lui en veut d'être la seule personne à lui rendre visite. Il lui en veut pour les autres qui ne le visitent jamais, ce qui est un peu injuste vu qu'il n'y a plus d'autres. Il est assez perspicace pour avoir remarqué que depuis longtemps elle a quelque chose à lui dire. Mais quoi ? Il n'en sait rien. Il sent juste la pesanteur d'une parole qui ne s'exprime pas. C'est au-delà de la timidité. Elle n'est jamais vraiment naturelle devant lui. Elle compose. Assez maladroitement et souvent sa voix est en décalage avec ses expressions. Parfois il la sent illuminée, parfois complètement éteinte. Elle a de gros seins flasques qui finissent une gorge fripée. Pour une femme qui doit avoir la soixantaine il ne trouve pas cela très reluisant. Mais il lui est reconnaissant de ne pas le faire fantasmer. On ne tire pas sur un moteur sans essence. 
- Vous avez parlé avec les journaux de ce qu'on avait évoqué ? 
Elle prend un temps pour répondre. Rien d'extraordinaire à cela, elle prend toujours un temps pour répondre comme si elle se sentait une responsabilité. 
- Oui. A plusieurs journaux de la côte. Ils sont int... comment dire, intrigués. Ils réfléchissent. Mais je crois que cela peut se faire. 
Ses yeux se remettent à tourner. Quand elle fait comme ça, il lui écraserait son poing sur la tête, mais au fond il n'en a pas très envie. Et puis il imagine les dégâts que cela causerait pendant qu'elle continue de sa voix où chaque mot semble s'excuser de sortir de sa bouche petite pour un visage de cette taille. Elle doit avoir du sang indien. Pas du sang frais, du sang qui remonte au début du siècle où on leur a réglé leur compte. 
- C'est un peu risqué pour eux, vous comprenez... 
- Vous voulez dire comme critique littéraire ? 
- Oh non ! Là-dessus ils se feront leur propre opinion. C'est plus de révéler qui vous êtes ou pas. Et s'ils ne disent pas qui vous êtes, on pourrait le leur reprocher un jour. En même temps, ils se disent qu'à révéler votre identité, ils pourraient faire un coup. Enfin, les médias... quoi... 

Il opine à contretemps comme si la conversation ne l'intéressait déjà plus. Il a toujours agi ainsi. C'est une façon de prendre l'ascendant sur ses interlocuteurs. Il se ravise : 
- J'en ai lu des critiques dans ma vie. Je ne vois pas ce que je pourrais leur envier. Je me suis avalé 3 952 livres depuis le début des années 70. Une lecture dans le moindre détail, et ce n'est pas vous qui me direz le contraire. Maintenant, est-ce que ça me donne le droit d'avoir une opinion sur la littérature ? Je le crois. 
- Ils m'ont dit qu'ils pensaient à vous plutôt comme critique de polars. 
Il s'efforce de ne pas paraître énervé pour ne pas l'effrayer, car elle s'effraie facilement. 
- Ça flaire le bon coup. Vous leur direz que le polar ne m'intéresse pas. Mais pas du tout. Trop de conventions, de lieux communs, d'énigmes sans intérêt. 
Ils restent un bon moment sans rien se dire, chacun regardant ailleurs. Il n'y a rien pour poser ses yeux dans cette pièce, alors chacun balaye le mur opposé. Il en a déjà assez d'elle, mais il se contrôle, ne veut pas qu'elle le ressente, elle n'y est pour rien. Soudain ça fuse : 
- Vous pouvez leur annoncer le chiffre. 3 952 livres de 71 à aujourd'hui. Et si vous voulez les faire rire, dites-leur que je n'en avais lu qu'un seul entre ma naissance en 48 et 1971. Je l'ai lu trois fois. Devinez lequel ? 
Elle répond : 
- La Bible. 
- Non, Crime et châtiment. Un sacré bon livre, vraiment. Je ne crois pas qu'on en ait écrit de meilleur. 
Il lit dans ses yeux qu'elle se demande si ce n'est pas une plaisanterie. Elle a un joli nez droit et des yeux d'une couleur originale. Mais elle sent la peur comme un cadavre sent la mort. Une peur générale de l'existence. D'ailleurs elle se met du patchouli sans compter pour la masquer. Ça doit en tromper un grand nombre. Pas lui. 
Il reprend l'inspection des livres qu'elle lui a apportés. Il y découvre un intrus. 
- C'est quoi ce livre pour enfants ? 
- Une proposition. On s'est aperçus qu'on manquait d'enregistrement pour les enfants. Et il y a beaucoup plus d'enfants aveugles qu'on ne le croit. 
- Vous l'avez fait exprès ? 
Elle se met à fondre comme une glace en plein soleil, s'essuie le front avec le dos de la main. Elle ne voit pas de quoi il parle. 
- Vous ne savez sans doute pas que ma grand-mère écrivait des livres pour enfants, dit-il doucement pour la rassurer car elle est d'un rouge inquiétant. Mais ce n'est pas le plus important, vous m'imaginez enregistrer des CD pour enfants avec la voix que j'ai ? Il faut être un peu désespéré pour avoir une idée pareille. Et c'est un travail énorme de se mettre à la place d'un enfant lorsqu'on ne vous a jamais laissé la chance d'en être un. Je n'ai pas ce don. 
Elle enchaîne à toute vitesse : 
- Personne n'est aussi médaillé que vous pour la lecture. C'est vous que l'éditeur veut, enfin... qu'on veut. 
Elle croit le flatter. Il a passé l'âge, même s'il est fier de ses médailles. 
Il lui promet d'essayer, cela ne coûte rien et tout le monde sera content. Il aime bien faire des compromis. Cela peut paraître un peu stupide à dire mais il ressent un vrai plaisir aux compromis. Si chacun acceptait de faire la moitié du chemin, il est convaincu qu'on éviterait les conflits. Il le dit souvent dans ses prêches à ses gars. Dès que l'idée du compromis a germé dans votre esprit, la violence a perdu. Même si vous n'avez pas l'intention de faire la moitié du chemin, un pas vers l'autre et la violence est derrière vous. Il ne veut plus discuter de cette histoire de livres pour enfants, c'est d'accord, il essaiera. Sinon il aurait l'impression d'obéir au passé et il ne le veut plus jamais. 
- Les bons critiques comprennent que la promenade de l'auteur autour du sujet est plus essentielle que l'essence de ce sujet. Il est là, l'authentique voyage de la littérature. Si on devait se taper des milliers de pages juste pour ce qui doit être dit, dites-moi quel serait l'intérêt ? J'ai entendu tellement de saloperies sur des gens qui ne le méritaient pas. Quand vous lisez ce que Mary McCarthy  ouHenry Miller  ont écrit sur Salinger, incapables de le lire autrement qu'au premier degré, je me pose des questions sur la pertinence de leur jugement et j'en viens à me demander si ce n'est pas l'aveu de la médiocrité de leurs propres écrits. Ça me fout dans de ces rognes parfois ! Je vous passe tout ce que j'ai pu lire sur Carver. Bien sûr, maintenant ils l'ont foutu au Panthéon, tout juste s'ils ne l'ont pas enterré dans le caveau familial de Tchekhov, mais moi j'étais là quand ils dégoisaient sur son minimalisme. Il a fallu qu'il meure. Tous ces gens-là préfèrent les momies aux vivants. Qu'ils fassent comme ils veulent après tout, mais pour les polars qu'ils ne comptent pas sur moi, c'est compris ? C'est un genre mineur, méprisable. Même le plus minable des polars n'est pas capable de retranscrire 10 pour cent de la réalité dont il parle. 
Il dit tout ça, sans élever la voix. Il est rare qu'il élève la voix. Ses colères s'épanouissent dans un caisson étanche. Quand il est en colère, il est le seul à le savoir. 
- Si vraiment vous ne voulez pas du livre pour enfants... 
Pour lui l'affaire était entendue. Pourquoi revient-elle dessus ? Il a connu beaucoup de gens comme elle qui ne peuvent pas faire un pas en avant sans regarder derrière eux. 
- Je vous ai dit que je le lirai. 
Elle affiche un petit sourire pitoyable. Elle regarde l'heure à sa montre et sourit de nouveau pour se dégager du regard insistant qu'il pose sur elle. Elle le prend comme une mauvaise intention alors qu'il en a seulement marre de fixer le mur derrière elle. 
- Vous allez revenir quand ? 
Elle semble soudain soulagée. 
- Dans quatre semaines. 
Il pourrait lui interdire l'entrée. Il suffirait qu'il le demande à l'administration. Elle n'aurait plus qu'à leur déposer les livres. Il en a le pouvoir, c'est une certitude, mais ce serait en abuser. Parfois, il ressent comme une colère sourde à l'idée d'être condamné à ne voir pour femme que ce haut de crâne aux allures de champ de blé mouillé. Il est sûr qu'elle se défonce. C'est le genre à tenir un pétard d'une main et un café de l'autre au petit déjeuner en oubliant de manger. Elle doit siroter des sodas toute la journée, entrecoupés d'un hamburger qui a épongé toute la graisse de la plaque. Depuis qu'elle vient le voir, une bonne trentaine d'années, il lui est reconnaissant de ne lui avoir rien confessé de personnel la concernant. Il ne l'aurait pas supporté. Difficile de l'expliquer mais il l'aurait mal pris. Il peut accepter une relation professionnelle, rien d'autre. Il guette les tentatives de privautés pour les étouffer et elle le sait. Elle n'a jamais commis d'impair. 

Déjà lu du même auteur : 

l_insomnie_des__toiles L'insomnie des étoiles

 Grand_Prix_des_Lectrices_2013 
Sélection roman 
Jury Novembre

50__tats
36/50 : Montana
Al Kenner a passé son enfance dans le Montana

  Challenge Thriller 

challenge_thriller_polars
catégorie "Même pas peur" : 16/12

 

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Commentaires
S
Hop, billet ajouté !
Répondre
L
Sur ma PAL !!!!
Répondre
E
je l'ai noté chez Canel, tu confirmes!!
Répondre
K
Oh, oui, un drôle de coup de poing !
Répondre
C
Un coup de coeur !
Répondre
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