Home - Toni Morrison
Éditions Christian Bourgeois – aôut 2012 - 154 pages
traduit de l'anglais (États-Unis) par Christine Laferrière
Titre original : Home, 2012
Quatrième de couverture :
Toni Morrison nous plonge dans l'Amérique des années 1950.
« Home est un roman tout en retenue. Magistral. [...] Écrit dans un style percutant, il est d'une simplicité trompeuse. Ce conte au calme terrifiant regroupe tous les thèmes les plus explosifs que Morrison a déjà explorés. Elle n'a jamais fait preuve d'autant de concision. C'est pourtant dans cette concision qu'elle démontre toute l'étendue et la force de son écriture. »
The Washington Post
« Ce petit roman envoûtant est une sorte de pierre de Rosette de l'œuvre de Toni Morrison. Il contient en essence tous les thèmes qui ont toujours alimenté son écriture. [...] Home est empreint d'une petite musique feutrée semblable à celle d'un quatuor, l'accord parfait entre pur naturalisme et fable. [...] Mme Morrison adopte un style tranchant qui lui permet de mettre en mots la vie quotidienne de ses personnages avec une précision poétique. »
The New York Times
Auteur : Toni Morrison est née en 1931 à Lorain (Ohio) dans une famille ouvrière de quatre enfants. Après des études de lettres et une thèse sur le thème du suicide dans l’oeuvre de William Faulkner et de Virginia Woolf, elle fait une carrière de professeur aux universités de Texas Southern, Howard, Yale et Princeton. Après avoir travaillé comme éditrice chez Random House, elle obtient en 1988 le prix Pulitzer avec Beloved. Le prix Nobel de littérature lui est décerné en 1993. Aujourd’hui retraitée de l’université, Toni Morrison a toujours eu le souci de s’entourer d’artistes contemporains - musiciens, plasticiens, metteurs en scène - avec qui elle a régulièrement collaboré. En septembre 2011, elle a ainsi présenté l’adaptation de son Desdemona par Peter Sellars au théâtre des Amandiers de Nanterre. Toni Morrison est l’invitée d’honneur du festival America qui se tient à Vincennes du 20 au 23 septembre.
Mon avis : (lu en septembre 2012)
Je n’avais encore jamais lu de livre de Toni Morrison avant celui-ci, et ce fut une belle découverte.
L'histoire se situe dans l'Amérique des années 1950, dans un pays profondément raciste.
Frank Money est un vétéran noir de la guerre de Corée qui traverse une bonne partie des États-Unis pour retourner dans sa Géorgie natale. Il doit retrouver sa jeune sœur Cee qui a besoin de lui.
Le livre est construit avec en alternance des chapitres écrits en italiques où Frank est le narrateur, il revient sur ses souvenirs d’enfance, puis sur ses souvenirs de Corée. Les autres chapitres sont écrits la 3ème personne et sont consacrés d’abord aux différents personnages de l’histoire : Frank, Cee, Lenore la grand-mère, Lily la femme que Frank rencontre après son retour de Corée, puis au voyage à travers les États-Unis et au dénouement de l’histoire.
Le style est épuré mais profond, beaucoup de thèmes sont évoqués par Toni Morrison par cette courte histoire.
Extrait : (début du livre)
Ils se sont dressés comme des hommes. On les a vus. Comme des hommes ils se sont mis debout.
On n'aurait pas dû se trouver à proximité de cet endroit. Comme la plupart des terres cultivées à l'extérieur de Lotus, Géorgie, celle-ci comportait une multitude d'avertissements effroyables. Les menaces étaient accrochées à des clôtures en treillis retenues par un pieu tous les quinze mètres environ. Mais quand on a vu un passage creusé par un animal quelconque - un coyote ou un chien de chasse - on n'a pas pu résister. On était seulement des gosses. Elle, l'herbe lui arrivait à l'épaule et moi, à la taille, donc on a traversé le passage à plat ventre, en prenant garde aux serpents. La récompense valait bien le mal que le jus d'herbe et les nuées de moucherons nous avaient fait aux yeux, parce que juste en face de nous, à environ cinquante mètres, ils se sont dressés comme des hommes. Les sabots en l'air qui cognaient et frappaient, la crinière rejetée en arrière pour dégager des yeux blancs affolés. Ils se mordaient comme des chiens mais quand ils se sont mis debout, en appui sur leurs jambes de derrière, celles de devant autour du garrot de l'autre, on a retenu notre souffle, émerveillés. L'un était couleur de rouille, l'autre d'un noir profond ; tous les deux luisants de sueur. Les hennissements n'étaient pas aussi effrayants que le silence qui a suivi une ruade dans les lèvres retroussées de l'adversaire. Tout près, des poulains et des juments grignotaient de l'herbe ou regardaient ailleurs, indifférents. Puis ça s'est arrêté. Celui couleur de rouille a baissé la tête et piaffé pendant que le vainqueur s'éloignait en gambadant selon un arc de cercle, bousculant les juments devant lui.
Alors qu'on retraversait l'herbe en jouant des coudes pour regagner le passage et éviter la file de camions garés de l'autre côté, on s'est perdus. Bien qu'il nous ait fallu une éternité pour de nouveau apercevoir la clôture, aucun de nous deux n'a paniqué, jusqu'à ce qu'on entende des voix, pressantes, mais basses. Je l'ai attrapée par le bras et j'ai mis un doigt sur mes lèvres. Sans jamais lever la tête, juste en regardant à travers l'herbe, on les a vus tirer un corps d'une brouette et le balancer dans une fosse qui attendait déjà. Un pied dépassait du bord et tremblait, comme s'il pouvait sortir, comme si, en faisant un petit effort, il pouvait surgir de la terre qui se déversait. On ne voyait pas le visage des hommes qui procédaient à l'enterrement, seulement leur pantalon ; mais on a vu le tranchant d'une pelle enfoncer le pied qui tressautait pour lui faire rejoindre ce qui allait avec. Quand elle a vu ce pied noir, avec sa plante rose crème striée de boue, enfoui à grands coups de pelle dans la tombe, elle s'est mise à trembler de tout son corps. Je l'ai prise par les épaules en la serrant très fort et j'ai essayé d'attirer son tremblement dans mes os parce que, en tant que grand frère âgé de quatre ans de plus qu'elle, je pensais pouvoir y arriver. Les hommes étaient partis depuis longtemps et la lune était un cantaloup au moment où on s'est sentis suffisamment en sécurité pour déranger ne serait-ce qu'un brin d'herbe et repartir à plat ventre, en cherchant le passage creusé sous la clôture. Quand on est rentrés chez nous, on s'attendait à prendre une raclée ou du moins à se faire gronder pour être restés si tard dehors, mais les adultes ne nous ont pas remarqués. Leur attention était accaparée par des troubles.
Puisque vous tenez absolument à raconter mon histoire, quoi que vous pensiez et quoi que vous écriviez, sachez ceci : je l'ai vraiment oublié, l'enterrement. Je ne me souvenais que des chevaux. Ils étaient tellement beaux. Tellement brutaux. Et ils se sont dressés comme des hommes.
33/50 : Washington D.C.
Étudiante puis professeur à l'Université d'Howard
Challenge 1% Littéraire 2012
2/7