Seuil - janvier 2012 - 354 pages
traduit de l'anglais (États-Unis) par Philippe Loubat-Delranc
Titre original : The Chatham School Affair, 1996
Quatrième de couverture :
Août 1926. Chatham, Nouvelle-Angleterre, à quelques encablures du cap Cod : son église, son port de pêche et son école de garçons, fondée par Arthur Griswald, qui la dirige avec droiture et vertu. L'arrivée de la belle Mlle Channing, venue d'Afrique pour enseigner les arts plastiques à Chatham School, paraît anodine en soi, mais un an plus tard, dans cette petite ville paisible, il y aura eu plusieurs morts. Henry, le fils adolescent de M Griswald, est vite fasciné par celle qui va lui enseigner le dessin et lui faire découvrir qu'il faut " vivre ses passions jusqu'au bout ". Du coup, l'idéal de vie digne et conventionnelle que prône son père lui semble être un carcan. Henry assiste, complice muet et narrateur peu fiable, à la naissance d'un amour tragique entre Mlle Channing et M Reed, le professeur de lettres qui vit au bord du Noir-Etang avec sa femme et sa fille. Il voit en eux " deux figures romantiques, des versions modernes de Catherine et de Heathcliff ". Mais l'adultère est mal vu à l'époque, et après le drame qui entraine la chute de Chatham School, le lecteur ne peut que se demander, tout comme le procureur : " Que s'est-il réellement passé au Noir-Etang ce jour-là ? "
Utilisant avec une subtilité machiavélique la palette des apparences, des dits et des non-dits, Thomas H. Cook allie à une tragédie passionnelle digne des classiques du XIXe siècle un suspense d’une ambiguïté insoutenable.
Auteur : Né en 1947, Thomas Cook a été professeur d'histoire et secrétaire de rédaction au magazine Atlanta. Il vit à New York et au cap Cod. Un prestigieux Edgar Award a récompensé Au lieu-dit Noir-Etang en 1996 aux Etats-Unis, et Les Feuilles mortes a reçu le Barry Award en 2006.
Mon avis : (lu en juillet 2012)
Ayant beaucoup aimé Les feuilles mortes et Les leçons du Mal , j'étais très impatiente de découvrir le dernier livre paru en France de Thomas H. Cook. Il a été publié en 1996 au États-Unis, il est donc antérieur aux deux autres. Je n'ai pas été déçu au contraire, ce livre est un coup de cœur.
Tout d'abord, j'aime beaucoup le mystérieux du titre et surtout la couverture avec son phare.
Chatham, petite ville sans histoire de Nouvelle-Angleterre, Henry le fils du directeur de Chatham School se souvient du jour de l'arrivée de Mlle Channing, la nouvelle professeur d’arts plastiques en août 1926. Henry qui est le narrateur de cette histoire, longtemps après cette année scolaire qui marquera à jamais sa vie, il vit toujours à Chatham, en solitaire.
Mlle Channing est une artiste, son père un grand voyageur l'a élevé avec des principes très novateurs pour l'époque, « vivre selon ses passions », privilégier la liberté, son développement personnel...
Elle est logée dans un cottage isolé, au lieu-dit Noir-Etang où non loin de là vit M. Reed, professeur de littérature, avec sa femme et sa petite fille. Chaque jour, ils font ensemble le trajet entre le collège et leurs domiciles. Henry est le témoin privilégié du rapprochement qui s'opère peu à peu entre Mlle Channing et M. Reed, mais du haut de ses quinze ans il imagine certaines choses...
Dès le début, le lecteur comprend que cette histoire se terminera par un drame et tout au long du récit l'auteur nous en dévoile peu à peu des indices. Que s'est-il vraiment passé au "lieu-dit Noir -Étang" ?
Le style de ce livre est magnifique, il est écrit comme un roman classique, c'est également le portrait d'une époque et les lieux y sont superbement décrits.
La psychologie des personnages est très intéressante, autant pour les personnages principaux que sont Mlle Channing, M. Reed et Henry mais aussi pour le père d'Henry et directeur de Chatham School.
La construction du livre donne tout le suspens et même après le dénouement de l'histoire, le lecteur a droit à de nouvelles surprises dans les toutes dernières pages.
Un vrai coup cœur pour moi que je vous invite à découvrir.
Autres avis : Anna Blume, Clara, Mimi, Jostein, Canel, Constance, Theoma
Extrait : (début du livre)
Mon père avait une phrase préférée. Il l'avait empruntée à Milton, et aimait la citer aux garçons de Chatham School. Planté devant eux le jour de la rentrée des classes, les mains bien enfoncées dans les poches de son pantalon, il ménageait un silence, leur faisant face, l'air grave. "Prenez garde à vos actes, déclamait-il alors, car le mal contre lui-même se retourne." Il ne pouvait imaginer à quel point la suite des évènements le contredirait, ni à quel point j'en aurais éminemment conscience.
Parfois, en ces tristes journées d'hiver si fréquentes en Nouvelle-Angleterre où le vent malmène autant les arbres que les arbustes, où la pluie tambourine contre les toits et les vitres, je me sens de nouveau happé par l'univers de mon père, par ma jeunesse, par la petite ville qu'il aimait tant et où je vis toujours. Je regarde par la fenêtre de mon bureau et revois la grand-rue de Chatham telle qu'elle était alors : une poignée de petits commerces, un cortège fantomatique d'automobiles aux phares montés sur des pare-chocs inclinés. Dans mon esprit, les morts retrouvent la vie, reprennent leur enveloppe charnelle. Je vois Mme Albertson livrer son panier de palourdes au marché Kessler, M. Lawrence faire des embardées avec le scooter des neiges qu'il a construit de ses propres mains, des skis à l'avant, deux parties des chenilles d'un tank de la Première Guerre mondiale à l'arrière, le tout accroché au châssis cabossé d'un vieux roadster. En passant, il me fait signe, agitant sa main gantée dans l'air intemporel.
Me présentant une nouvelle fois sur le seuil de mon passé, je retrouve mes quinze ans, tous mes cheveux et une peau dépourvue de taches de vieillesse, le ciel loin de moi et de l'enfer de mes préoccupations. Je pressens même que, par essence, la vie a du bon.
Puis, de but en blanc, je repense à elle. Pas à la jeune femme que j'ai connue il y a si longtemps, mais à la petite fille qui contemple au loin la mer d'un bleu étincelant, son père, à côté d'elle, lui disant ce que tous les pères disent depuis toujours à leurs enfants : que l'avenir leur tend les bras, que c'est un pré d'herbe tendre qui n'abrite aucune sombre forêt. Je la revois dans mon cottage, ce jour-là, je réentends sa voix, ses paroles tintent encore à mon oreille, distantes clochettes, porteuses de la foi qu'elle eut brièvement en la vie. Ne te prive pas, Henry. Il y en a pour tout le monde.
Sélection policier
Jury Septembre
Déjà lu du même auteur :
Les feuilles mortes Les leçons du Mal
30/50 : Georgie
(Thomas H. Cook a étudié et enseigné en Georgie)
Challenge Thriller
catégorie "Même pas peur" : 3/12
Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012
"Couleur"