La fille de l'hiver - Eowyn Ivey
Lu dans le cadre du Challenge Un mot, des titres...
Le mot : FILLE
Fleuve Noir – janvier 2012 - 432 pages
traduit de l'anglais (États-Unis) par Isabelle Chapman
Titre original : The Snow Child, 2012
Quatrième de couverture :
L’Alaska, ses forêts impénétrables, ses étendues enneigées. Son silence. Sa solitude.
Depuis la mort de leur bébé, le mariage de Mabel et Jack n'a plus jamais été le même. Partir vivre sur ces terres inhospitalières paraissait alors une bonne idée. Seulement, le chagrin et le désir d'enfant les ont suivis là-bas et la rudesse du climat, le travail éreintant aux champs les enferment chacun dans leur douleur.
Jusqu'à ce soir de début d'hiver où, dans un moment d'insouciance, le couple sculpte un bonhomme de neige à qui ils donnent les traits d'une petite fille. Le lendemain matin, celui-ci a fondu et de minuscules empreintes de pas partent en direction de la forêt…
Peu de temps après, une petite fille apparaît près de leur cabane, parfois suivie d'un renard roux tout aussi farouche qu'elle. Qui est-elle ? D'où vient-elle ? Est-elle une hallucination ou un miracle ? Et si cette petite fille était la clé de ce bonheur qu'ils n'attendaient plus ?
Inspiré d'un conte traditionnel russe, La fille de l'hiver est un roman à la fois moderne et intemporel où le réalisme des descriptions n'enlève rien à la poésie d'une histoire merveilleuse… dans tous les sens du terme.
Auteur : Eowyn Ivey a grandi en Alaska où elle vit toujours avec son mari et leurs deux filles. Cette ancienne journaliste, devenue libraire, aime à se définir comme une entremetteuse, qui présente des livres aux lecteurs. La fille de l'hiver est son premier roman, inspiré d'un conte russe, mais aussi de ses expériences personnelles et de son cadre de vie.
Mon avis : (lu en juillet 2012)
L’auteur s’est inspiré d’un conte traditionnel russe pour écrire cette belle histoire. Après la perte d'un enfant à la naissance et l'impossibilité de donner la vie, Mabel et Jack sont partis s'installer en Alaska. Leur douleur les incite à se réfugier dans le travail et la solitude.
Pourtant aux premiers jours de l’hiver, un jour de première neige, le couple s'amuse à faire un bonhomme de neige au forme d'une petite fille. Le lendemain, tout a fondu, les moufles et l'écharpe ont disparu... Peu temps après, ils leur semble apercevoir une petite fille à la lisière de la forêt... Où est le rêve ? Où est la réalité ? Cette histoire est vraiment troublante... Je n'en dévoilerai pas plus...
Mabel et Jack ont également des voisins qui veillent sur eux, dans cet endroit hostile, la solidarité est importante. George et Ester sont parents de trois grands garçons, ils sont exubérants et originaux .
J'ai beaucoup aimé les superbes descriptions en toutes saisons des grands espaces et des paysages de l'Alaska. Elles sont si précises et évocatrices que je n'avais aucun mal à les imaginer.
Une très belle découverte !
Autres avis : Valérie, Kathel, Clara, Emmyne
Extrait : (début du livre)
Mabel avait su d'avance ce qui l'attendrait. C'était le but recherché après tout. Aucune voix d'enfant, ni cris de joie ni pleurs. Aucun bruit de jeux en provenance de la rue, aucun frottement de petits pieds sur le bois de marches polies par les ans, aucun cliquetis de jouets traînant sur le carrelage de la cuisine. Tous ces échos retentissants de son échec et de ses regrets, elle les avait volontairement laissés loin derrière elle, pour mieux embrasser le silence.
Un silence qu'elle avait imaginé aussi paisible en Alaska que la neige soufflant dans l'immensité d'une nuit pleine de promesses. Hélas, ce n'était pas ce qu'elle avait trouvé. Quand elle faisait le ménage, les crins de son balai crissaient sur le plancher telles les dents pointues d'une furie qui lui grignoterait le cœur. Quand elle faisait la vaisselle, les assiettes et les bols s'entrechoquaient comme s'ils allaient se briser. Le seul son qui n'émana pas d'elle fut un brusque «croa croa» provenant du dehors. Mabel essora sa lavette et regarda par la fenêtre juste à temps pour voir un corbeau voleter de branche en branche dans les bouleaux dépouillés de leurs feuilles. Il n'y avait pas d'enfants jouant à se poursuivre sur le tapis d'automne en s'appelant à tue-tête ; il n'y avait même pas d'enfant solitaire sur une balançoire.
*
Il y en avait eu un. Une toute petite chose, née immobile et silencieuse. Dix années s'étaient écoulées depuis, mais aujourd'hui encore il lui arrivait de revivre ce moment et de regretter de ne pas avoir posé sa main sur le bras de Jack, de ne pas l'avoir arrêté. Si seulement... Elle aurait pris la tête du bébé dans le creux de sa main et coupé quelques mèches de ses minuscules cheveux afin de les conserver dans un médaillon autour de son cou. Elle aurait contemplé son petit visage et su si c'était un garçon ou une fille, puis elle se serait tenue au côté de Jack pendant qu'il l'inhumait dans la terre hivernale de Pennsylvanie. Elle aurait marqué sa tombe... Si seulement elle s'était autorisé ce deuil.
C'était un enfant, après tout, même s'il ressemblait davantage à un petit être échangé par une fée. Visage chiffonné, menton miniature, oreilles pointues ; elle en avait vu assez pour le pleurer ; elle aurait pu l'aimer tel qu'il était.
Les Filles de l’ouragan – Joyce Maynard
Lu dans le cadre du Challenge Un mot, des titres...
Le mot : FILLE
Philippe Rey – janvier 2012 – 330 pages
traduit de l’anglais (États-Unis) par Simone Arous
Titre original : The good daughters, 2010
Quatrième de couverture :
Elles sont nées le même jour, dans le même hôpital, dans des familles on ne peut plus différentes. Ruth est une artiste, une romantique, avec une vie imaginative riche et passionnée. Dana est une scientifique, une réaliste, qui ne croit que ce qu’elle voit, entend ou touche. Et pourtant ces deux femmes si dissemblables se battent de la même manière pour exister dans un monde auquel elles ne se sentent pas vraiment appartenir. Situé dans le New Hampshire rural et raconté alternativement par Ruth et Dana, Les Filles de l’ouragan suit les itinéraires personnels de deux « sœurs de naissance », des années 1950 à aujourd’hui. Avec la virtuosité qu’on lui connaît, Joyce Maynard raconte les voies étranges où s’entrecroisent les vies de ces deux femmes, de l’enfance et l’adolescence à l’âge adulte - les premières amours, la découverte du sexe, le mariage et la maternité, la mort des parents, le divorce, la perte d’un foyer et celle d’un être aimé - et jusqu’au moment inéluctable où un secret longtemps enfoui se révèle et bouleverse leur existence. C’est un roman sur la culture des fraises et la conscription pour le Vietnam ; sur l’élevage des chèvres et les rêves vains de fortune vite gagnée ; sur l’amour de la terre et l’amour d’un père ; sur des individus qui, sans cesser de se chérir, peuvent soudain se blesser profondément. Les Filles de l’ouragan est surtout une histoire sur les liens qui constituent une famille, un foyer, sur la force dévastatrice de l’amour qui s’achève, et l’apaisement qu’apporte le pardon.
Auteur de plusieurs romans et essais (dont Long week-end), collaboratrice de multiples journaux, radios et magazines, Joyce Maynard, 57 ans, vit désormais entre la Californie et le Guatemala. Surnommée lors de ses débuts fracassants en 1972 la Françoise Sagan américaine, elle est également connue pour sa relation avec J.D. Salinger alors qu’elle avait 18 ans, relation douloureuse sur laquelle elle est revenue dans son autobiographie vingt ans plus tard (Et devant moi, le monde).
Mon avis : (lu en juillet 2012)
Au cœur d’une Amérique rurale, des années 50 à nos jours, c’est l’histoire de Ruth et Dana des « sœurs d’anniversaire ». Elles sont nées toutes les deux un 4 Juillet 1950 dans un petit village du New Hampshire. Et elles appartiennent à deux familles très différentes.
Ruth est la dernière d’une famille de cinq filles, ses parents sont agriculteurs depuis plusieurs générations. Très tôt, elle se découvre un sens artistique et un attachement sans faille pour la terre familiale. Sa mère est plutôt distante avec elle, contrairement à son père dont elle est très proche.Dana vit dans une famille bohème. Sa mère est artiste peintre, son père fourmille d’idée et enchaîne projets sur projets dans l’espoir de faire fortune. Leurs vies très différentes ne vont cesser de se croiser durant toutes ses années.
Le lecteur comprend assez vite le secret qui entoure Ruth et Dana et c’est parfois énervant de voir que ni l’une ou ni l’autre ne l’ont pas compris plus tôt !
Une lecture très agréable avec des personnages aussi attachants qu’originaux. Une belle découverte de l'Amérique rurale.
Extrait : (page 17)
Ruth
La Grande Perche
Mon père me disait que j'étais un bébé de l'ouragan. Cela ne signifiait pas que j'étais née au cours d'un ouragan. Le jour de ma naissance, le 4 juillet 1950, se situe bien avant la saison des ouragans.
Il voulait dire que j'avais été conçue pendant un ouragan. Ou dans son sillage.
« Arrête ça, Edwin », intervenait ma mère chaque fois qu'elle le surprenait à me raconter cette histoire. Pour ma mère, Connie, tout ce qui avait à voir avec le sexe ou ses conséquences (à savoir ma naissance, ou du moins le fait de relier ma naissance à l'acte sexuel) ne pouvait être un sujet de discussion.
Mais quand elle n'était pas là, il me racontait cette nuit où il avait été appelé pour dégager la route d'un arbre abattu par la tempête, il me décrivait la pluie battante, le vent impétueux. «Je n'ai pas été comme mes frères faire la guerre en France, disait-il, mais j'ai eu l'impression de livrer une bataille, en luttant contre ces bourrasques qui soufflaient à cent cinquante kilomètres à l'heure. Et là il se passe une chose bizarre. Craint-on vraiment pour sa vie dans des moments pareils ? Mais c'est à de tels moments que l'on se sait vivant.»
Il me racontait cette pluie qui s'abattait si violemment sur la cabine du camion qu'il n'y voyait plus rien, comme son cœur battait fort alors qu'il progressait dans l'obscurité, et ensuite - exposé au déluge, il coupait l'arbre et dégageait les grosses branches sur le bord de la route, ses bottes lourdes de pluie s'enfonçaient dans la boue, ses bras tremblaient.
« Le bruit du vent avait quelque chose d'humain, se souvenait-il, comme le gémissement d'une femme. »
Plus tard, me remémorant la façon dont mon père me racontait cette histoire, je me rendis compte que les mots qu'il utilisait pour décrire la tempête auraient aussi bien pu évoquer un couple faisant l'amour. Il imitait le bruit du vent, et je me jetais contre sa poitrine pour qu'il me protège de ses bras puissants. Je frémissais rien qu'à l'idée de ce qu'avait dû être cette nuit.
Pour une raison que j'ignorais, mon père se plaisait à me la raconter - pas à mes sœurs ni à notre mère, mais à moi, son unique public. Bon, il y avait peut-être une raison. J'étais sa fille de l'ouragan. Sans la tempête, aimait-il à dire, je ne serais pas là.
J'étais née neuf mois plus tard, au jour près, à la maternité du Bellersville Hospital, en pleine Fête nationale, juste après la fin des premières moissons et alors que les fraises étaient à leur apogée.
Déjà lu du même auteur :