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A propos de livres...
10 avril 2012

Ouvrière - Franck Magloire

Ouvriere_2003 Ouvriere_2004 5507

Éditions de l'Aube - avril 2003 – 176 pages

Éditions de l'Aube – mars 2004 – 176 pages

Points – janvier 2012 – 184 pages

Quatrième de couverture :
La vie de Nicole s’est décidée en une heure : le temps d’aller demander une place à l’usine. Elle y travaillera pendant trente ans, pour offrir à ses enfants une vie décente. Chaque matin, alors que tous dorment encore, Nicole se rend dans la zone industrielle de l’Espérance. À six heures précises, elle est une ouvrière. Elle est surtout une femme digne, dont le destin est lié à celui de Moulinex.

Auteur : Né en 1971, Franck Magloire livre ici le récit de la vie de sa mère, ouvrière chez Moulinex jusqu’à la fermeture de l’usine. Il est aussi l’auteur de En contrebas et de Présents.

Mon avis : (lu en avril 2012)
C'est l'article de Clara sur ce livre qui m'a donné envie de le découvrir.
Dans ce livre, Franck Magloire donne la parole à sa mère Nicole qui a été pendant trente ans ouvrière chez Moulinex de Caen. Elle nous raconte sa vie a l'usine, la routine de son travail ouvrier, la camaraderie avec ses collègues de travail, l'usine est comme une deuxième famille, elle raconte également l'évolution du travail et des conditions de travail durant ces trente ans. Elle nous décrit les bruits des machines dans les ateliers, les odeurs du vestiaire, l'organisation du travail, les pauses... Nicole donne son point de vue de simple ouvrière, il n'y a pas de message syndicale ou politique. Cela commence le premier jour, où elle sera embauchée en quelques minutes, le dernier jour sera celui de la fermeture de l'usine en 2001 malgré la résistance des salariés. 
Un témoignage touchant, digne et vrai. Très belle découverte.

Extrait : (page 39)
Ces dernières trente minutes avant d’entrer dans l’usine que certaines d’entre nous appellent la taule sont à moi, et j’y tiens... oh ! bien sûr, pas une de plus ni une de moins, je ne veux surtout pas être en retard, je ne l’ai jamais été en trente ans... sauf peut-être une fois, à cause d’un accident sur le viaduc de Cadix qui enjambe le canal et relie les quartiers HLM au périphérique vers Paris... une femme s’était encastrée dans la rambarde métallique... ce jour-là, la chaussée n’était pourtant pas glissante, et la circulation pas plus chargée qu’à l’habitude... sans doute s’était-elle rendormie au volant... au début, cette tragédie ne m’avait pas réellement affectée, elle m’avait presque paru normale... j’ai un peu honte, je le confesse maintenant, mais cet incident devait advenir fatalement... j avais mis mes feux de détresse, j’attendais derrière, masquée par le camion des secours, en tête du cortège des voitures qui me suivaient tout en clignotant... quand nous avons été autorisés à le dépasser, le corps de cette femme avait déjà été recouvert d’une bâche jusqu’aux chevilles... de voir furtivement cette masse inerte qui me semblait s’être simplement assoupie et emmitouflée sous une ouverture, égoïstement j’ai pensé à moi, moi qui aurais pu être à sa place, en retard et encore groggy de sommeil j’aurais accéléré et hop ! plus rien, noir... dans l’urgence les secouristes n’avaient pas pris soin de ramasser une de ses chaussures qui gisait sur le sol et qui avait dû être violemment arrachée sous le choc... j’ai figé mon regard plusieurs secondes sur elle, et si je ne parvenais pas à reconnaître avec exactitude en quelle matière elle était faite, je devinais facilement à son bout rond typique et à son épaisseur matelassée ce à quoi elle pouvait servir... je trouvais indécent qu’elle ait dû mourir avec de telles chaussures à ses pieds, non pas tant parce que je revendiquais une quelconque lubie d’élégance féminine, mais surtout parce qu’elle se rendait sur son lieu de travail avec ses chaussures d’atelier aux pieds...

Beaucoup de mes collègues, dont certaines de mes amies, viennent au boulot, elles aussi, chaussées de leurs sabots de sécurité et cintrées dans leur blouse déjà boutonnée... coût l’attirail porté parfois une bonne heure avant, en comptant la route à faire... pour gagner du temps au vestiaire, pour ne pas être en retard aussi, et chaque fois, je revois la chaussure de cette femme sur la chaussée... ce n’est pas le spectre de la mort qui me glace, l’âge aidant, je l’ai apprivoisée, et nous serons toutes emportées à plus ou moins brève échéance... abrégées chacune de sept à dix ans dans tous les cas, à considérer les chiffres... cette différence d’espérance de vie court irrémédiablement entre nous et ces femmes qui sont cadres... je tiens ça d’une militante cégétiste que j’ai bien connue, elle aimait à citer les statistiques de classes qu’elle trouvait en fouinant dans les bouquins, avant d’en faire partager tout l’atelier sur ses tracts collés copieusement sur le tableau d’affichage à l’entrée... sans effets apparemment... alors cette façon qu’ont certaines de mes collègues de devancer le temps, d’endosser l’heure finale nui les tue un peu plus chaque jour... elles naissent, vivent, meurent Moulinex... les chaussures aux pieds, la corne aux mains, le nylon à leurs débuts le coton doublé désormais, à même le torse, sans maquillage ni apprêts pour beaucoup... déjà en tenue de travail, elles se fondent dans le moule de l’usine, la prolongent de chez elles à la boîte, de la boîte à chez elles, sur l’ensemble du trajet... pour le moment, pour moi, ces trente minutes de répit où je n’ai pas enfilé la moindre fonction, je ne suis pas encore ouvrière...

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Lu dans le cadre du Challenge Petit BAC 2012
logo_Petit_BAC_2012
"Métier"

star_4

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Commentaires
T
noté !
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C
Je suis contente que tu aies aimé car ce livre est un témoignage très fort !
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