Un avenir – Véronique Bizot
Actes Sud – août 2011 – 103 pages
Quatrième de couverture :
Paul reçoit une lettre de son frère Odd qui lui annonce qu’il " disparaît pour un temps indéterminé " et lui demande en post-scriptum s’il peut passer chez lui pour vérifier que le robinet d’un lavabo du deuxième étage de la maison familiale a bien été purgé. Malgré "un rhume colossal ", Paul, ni une ni deux, prend sa voiture et parcourt les trois cents kilomètres qui le séparent dudit robinet.
Un avenir est l’histoire d’une grande famille, une cascade narrative, un engrenage existentiel qui, sur une intrigue faussement fluette, nous entraîne d’un triplex monégasque (où l’art animalier fait bon ménage avec le cours de l’acier) à la jungle malaise (dans l’état du Sarawak pour être précis) sans quitter le vieux canapé de la bibliothèque familiale, ou presque. Mais c’est aussi un road-trip en tracteur, une balade aux abords inquiets de l’enfance, une épique séance de natation, un caprice écossais, une vue en coupe de la neurasthénie masculine, entre autres. Véronique Bizot déploie un style irrésistible, miracles de phrases en fugue jamais alourdies par leur insondable richesse. Son univers est singulier, unique, joyeusement déroutant : la noirceur y est délicieuse parce que toujours saturée d’incongruité drolatique, de lucidité étonnée, de souriant désarroi et de métaphysique légèrement récalcitrante.
Auteur : Véronique Bizot est l'auteur de deux recueils de nouvelles, Les Sangliers (2005) et Les Jardiniers (2008) et d’un roman, Mon couronnement (2010), Véronique Bizot est, de son propre aveu, une “gentille personne affligée de la conscience du pire”.
Mon avis : (lu en février 2012)
J’ai lu ce livre sur le conseil du « Café Lecture » de la Bibliothèque.
Le narrateur Paul reçoit une lettre de son frère Odd, il lui annonce qu’il va disparaître pour un temps indéterminé et en post-scriptum il lui demande de passer chez lui vérifier que le robinet du lavabo a été purgé. Sans hésiter, Paul parcourt 300 kilomètres pour se rendre dans la demeure familiale. Mais la neige va le bloquer dans la maison et c’est l’occasion de revenir sur ses souvenirs d’enfant et de peu à peu raconter au lecteur l'histoire de sa famille, avec ses six frères et sœurs, ses parents. Il ne se passe pas grand chose, il règne dans cette maison d'enfance une atmosphère particulière...
C'est un récit court mais pas si facile à lire car les phrases sont souvent très longues, « Une fois sur place et trouvant une maison glaciale, j’ai poussé la conscience jusqu’à contrôler la totalité des robinets, après quoi j’ai allumé un feu dans la cheminée de la bibliothèque et passé là deux ou trois heures, assis avec une boîte de kleenex dans le canapé, face au fauteuil de vieux velours jaune qui avait gardé l’empreinte du corps de notre frère et dans lequel il avait probablement médité son projet de disparition, à moins qu’il n’ait été pris d’une subite impulsion, comme autrefois notre père, que nous avons connu assis en pyjama dans ce même fauteuil jusqu’à ce qu’un matin on ne l’y voie plus, ni là ni nulle part, et qu’il nous ait fallu recevoir, cinq ans plus tard, un avis de décès en provenance d’un gouvernement de Malaisie pour cesser de l’attendre. », j'ai eu du mal à entrer dans le livre, mais vu le nombre pages, j'ai persévéré et la conclusion m'a surprise...
Je ne pense pas garder un grand souvenir de ce livre, mais ayant dans ma PAL depuis plus d'un an « Mon couronnement », je n'ai pas terminé de découvrir cette auteur.
Extrait : (début du livre)
Le mercredi notre frère m’écrivit qu’il disparaissait pour un temps indéterminé, un bref courrier posté d’une gare que j’ai reçu le jeudi, dont j’ai aussitôt transmis copie aux autres, qu’ils n’aillent pas se lancer dans d’inutiles recherches, et j’ai ensuite parcouru sous la neige, le cerveau embrouillé par un rhume colossal, les trois cents kilomètres qui séparent mon domicile du sien afin de vérifier, comme il me le demandait en post-scriptum, que le robinet d’un lavabo du second étage, à propos duquel il conservait un doute, avait bien été purgé par lui avant son départ. Une fois sur place et trouvant une maison glaciale, j’ai poussé la conscience jusqu’à contrôler la totalité des robinets, après quoi j’ai allumé un feu dans la cheminée de la bibliothèque et passé là deux ou trois heures, assis avec une boîte de kleenex dans le canapé, face au fauteuil de vieux velours jaune qui avait gardé l’empreinte du corps de notre frère et dans lequel il avait probablement médité son projet de disparition, à moins qu’il n’ait été pris d’une subite impulsion, comme autrefois notre père, que nous avons connu assis en pyjama dans ce même fauteuil jusqu’à ce qu’un matin on ne l’y voie plus, ni là ni nulle part, et qu’il nous ait fallu recevoir, cinq ans plus tard, un avis de décès en provenance d’un gouvernement de Malaisie pour cesser de l’attendre. Cet avis de décès avait à l’époque révolté nos sœurs, qui les a fait toutes les trois se ruer sur un atlas afin de localiser l’endroit précis et, soupçonnaient-elles, paradisiaque pour lequel notre père non seulement nous avait tous les six abandonnés après avoir vidé ses comptes bancaires, mais où, comme elles l’ont dit en martelant la péninsule malaise de leurs index, il n’avait vraisemblablement fait que couler cinq idylliques et indignes années, après quoi, refermant définitivement l’atlas, elles ont déclaré qu’il était hors de question de faire rapatrier son corps. Et si notre frère Odd, que je n’avais pas vu depuis longtemps, laissait maintenant entendre dans son courrier qu’il n’était pas certain de revenir un jour, je n’en ai pas pour autant conclu qu’il s’installait là-bas en Malaisie, bien que l’idée m’ait naturellement effleuré. Ce que j’en ai conclu, c’est qu’il nous incombait désormais d’assurer les frais d’entretien de la maison, lesquels, comme je venais de le constater en parcourant les étages, avaient à ce stade occasionné la vente d’un assez grand nombre de meubles et de tableaux. Assis face à la cheminée et voyant par les fenêtres la neige qui continuait de tomber, compromettant mon retour, je me faisais la réflexion qu’il aurait mieux valu vendre la maison au lieu d’y laisser notre frère, qui avait mené là une existence certainement effarante, bien qu’il fût le seul d’entre nous, après le mariage de deux de nos sœurs et l’internement de la troisième, à avoir déclaré vouloir y vivre. Nous savions cependant tous qu’il n’avait, à ce stade de sa vie, d’autre solution que de rester dans cette maison, laquelle ne pourrait maintenant être légalement vendue sans son accord, nous l’avions sur les bras avec ses quelque vingt pièces et le double de fenêtres, ses murs lézardés, sa toiture instable et son parc qui ne ressemblait plus qu’à un vague pâturage cerné par les orties.
Sans doute notre frère n’avait-il finalement pas supporté l’idée d’un hiver supplémentaire dans cet endroit, bien qu’il eût à l’époque prétendu avoir à son égard quantité de projets, tous appuyés par les banques locales, comme il nous l’avait affirmé avec un enthousiasme suspect. L’un de nos deux récents beaux-frères, un Suisse qui faisait commerce international de l’acier, s’était alors posément enquis de savoir à quel type de projet songeait notre frère, qui avait répondu songer notamment à un genre de maison d’hôtes, ainsi qu’à la réunion de deux salons du rez-de-chaussée, laquelle formerait une salle pour séminaires ou banquets, et nous avions tous vigoureusement hoché la tête, à l’exception de notre beau-frère qui n’avait fait que produire l’un de ses opaques sourires suisses. Malgré notre conscience que celui qui resterait vivre là était à plus ou moins brève échéance condamné au dépérissement, nous avons feint de croire que notre frère saurait s’en tirer avec cette salle de séminaires et de banquets et, après lui avoir concédé le droit d’occuper le lieu comme s’il s’agissait d’une faveur, nous l’avons laissé livré à lui-même. Et alors que le feu s’éteignait dans la cheminée et qu’étant allé rebrancher le compteur électrique j’allumais quelques lampes (et tu n’as même pas remplacé les ampoules grillées), j’en venais peu à peu à envisager qu’il soit en réalité parti se tuer quelque part. Si bien que sortant de mon portefeuille sa lettre, je l’ai relue sans y voir soudain autre chose que l’indication de son imminent suicide, en dépit de son post-scriptum prétendument préoccupé de ce robinet pour lequel il m’avait fait faire un trajet de trois cents kilomètres.