Livre lu dans le cadre du partenariat Livraddict et Folio

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Denoël – juin 2002 – 558 pages

Folio – janvier 2004 – 560 pages

traduit de l'allemand par A. Virelle et A. Vanevoorde

Quatrième de couverture :
Mai 1940, on fête à Berlin la campagne de France. La ferveur nazie est au plus haut. Derrière la façade triomphale du Reich se cache un monde de misère et de terreur. Seul dans Berlin raconte le quotidien d'un immeuble modeste de la rue Jablonski, à Berlin. Persécuteurs et persécutés y cohabitent. C'est Mme Rosenthal, juive, dénoncée et pillée par ses voisins. C'est Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille. Ce sont les Quengel, désespérés d'avoir perdu leur fils au front, qui inondent la ville de tracts contre Hitler et déjouent la Gestapo avant de connaître une terrifiante descente aux enfers. De Seul dans Berlin, Primo Levi disait, dans Conversations avec Ferdinando Camon, qu'il était "l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie". Aucun roman n'a jamais décrit d'aussi près les conditions réelles de survie des citoyens allemands, juifs ou non, sous le IIIe Reich, avec un tel réalisme et une telle sincérité.

Auteur : Hans Fallada, pseudonyme de Rudolf Ditzen (1893-1947), exerça une multitude de métiers - gardien de nuit, exploitant agricole, agent de publicité - avant de devenir reporter puis romancier. Écrivain réaliste populaire, il dressa un tableau très fidèle de la société allemande entre les deux guerres, et termina en 1947 par Seul dans Berlin, son chef-d'œuvre.

Mon avis : (lu en octobre 2010)
Ce livre a été lu dans le cadre d'un partenariat Livraddict et Folio. Le livre prévu (Les fantômes de Breslau) n'étant finalement pas disponible, Folio nous a proposé de choisir un titre de son catalogue. J'ai donc choisi Seul dans Berlin de Hans Fallada.

A travers une galerie de personnages, l'auteur dépeint la vie quotidienne des allemands à Berlin sous le régime nazi à partir de mai 1940. Dans un même immeuble modeste de la rue Jablonski, cohabitent, Madame Rosenthal, Otto et Anna Quangel, un couple tranquille, la famille Persick, Borkhausen et sa famille, le conseiller Fromm...
Madame Rosenthal est juive, son mari a été arrêté par la Gestapo et elle est persécutée par la famille Persick. Chez les Persick, le père a ses entrées au Parti, les deux fils aînés sont à la SS, le jeune fils, Baldur est le plus talentueux de la famille il va bientôt rentrer dans l'école des futurs cadres nazis. Borkhausen est un mouchard et un voleur. Après avoir appris la mort de leur fils lors de la Campagne de France, et pour donner un but à leur vie, les Quangel entrent en résistance, en écrivant des cartes postales appelant à la rébellion et en les déposant dans toute la ville de Berlin. Nous découvrons les différentes attitudes possible : la résistance, la lâcheté, le profiteur, la passivité, la collaboration, la délation... Toute la population allemande est sous l'emprise de la peur.

Ce livre est très intéressant pour connaître la réalité de la vie à Berlin pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il se lit lentement, le style est littéraire, les descriptions sont précises. L'auteur a construit son histoire en lui donnant un certain suspens : la Gestapo va-t-elle oui ou non découvrir qui est le mystérieux « Trouble-fête » ? et parfois des passages plutôt drôles : lorsque Borkhausen se fait avoir à ses propres entourloupes...
Merci à Livraddict et aux éditions Folio pour m'avoir permis de découvrir ce livre que j'ai beaucoup aimé.

Extrait : (page 34)
Involontairement, il prend les mains de Trudel dans les siennes, et il l’éloigne de l’affiche.
- Qu’y a-t-il donc ? demande-t-elle, toute surprise.
Mais elle suit le regard de Quangel et lit également le texte. Une exclamation, qui peut tout signifier, lui vient aux lèvres : protestation contre ce qu’elle vient de lire, désapprobation du geste de Quangel, ou indifférence. Elle remet son agenda en poche et dit ;
- Ce soir, c’est impossible, père. Mais je serai chez vous demain vers huit heures.
- Il faut que tu viennes ce soir, Trudel, répond Otto Quangel... Nous avons reçu des nouvelles
d’Otto...
Il voit que toute gaieté disparaît des yeux de la jeune fille.
- Otto est mort, Trudel !
Du fond du coeur de Trudel monte le même “Oh !” profond qu’il a eu lui aussi en apprenant la nouvelle. Un moment, elle arrête sur lui un regard brouillé de larmes. Ses lèvres tremblent. Puis elle tourne le visage vers le mur, contre lequel elle appuie le front. Elle pleure silencieusement.
Quangel voit bien le tremblement de ses épaules, mais il n’entend rien.
“Une fille courageuse ! se dit-il. Comme elle tenait à Otto !... À sa façon, il a été courageux, lui aussi.
Il n’a jamais rien eu de commun avec ces gredins. Il ne s’est jamais laissé monter la tête contre ses parents par la Jeunesse Hitlérienne. Il a toujours été contre les jeux de soldats et contre la guerre, cette maudite guerre !...”
Quangel est tout effrayé par ce qu’il vient de penser. Changerait-il donc, lui aussi ? Cela équivaut presque au “Toi et ton Hitler” d’Anna.
Et il s’aperçoit que Trudel a le front appuyé contre cette affiche dont il venait de l’éloigner. –Au dessus de sa tête se lit en caractère gras :
AU NOM DU PEUPLE ALLEMAND
Son front cache les noms des trois pendus...
Et voilà qu’il se dit qu’un jour on pourrait fort bien placarder une affiche du même genre avec les noms d’Anna, de Trudel, de lui-même... Il secoue la tête, fâché... N’est-il pas un simple travailleur manuel, qui ne demande que sa tranquillité et ne veut rien savoir de la politique ? Anna ne s’intéresse qu’à leur ménage. Et cette jolie fille de Trudel aura bientôt trouvé un nouveau fiancé...
Mais ce qu’il vient d’évoquer l’obsède :
“Notre nom affiché au mur ? pense-t-il, tout déconcerté. Et pourquoi pas ? Être pendu n’est pas plus terrible qu’être déchiqueté par un obus ou que mourir d’une appendicite... Tout ça n’a pas d’importance... Une seule chose est importante : combattre ce qui est avec Hitler... Tout à coup, je ne vois plus qu’oppression, haine, contrainte et souffrance !... Tant de souffrance !... “Quelques milliers”, a dit Borkhausen, ce mouchard et ce lâche... Si seulement il pouvait être du nombre !... Qu’un seul être souffre injustement, et que, pouvant y changer quelque chose, je ne le fasse pas, parce que je suis lâche et que j’aime trop ma tranquillité...”
Il n’ose pas aller plus avant dans ses pensées. Il a peur, réellement peur, qu’elles ne le poussent implacablement à changer sa vie, de fond en comble.