Actes Sud – août 2010 – 350 pages
Quatrième de couverture :
C'est une saison singulière pour Avignon et les amoureux du théâtre : la grève des intermittents paralyse le festival. Un à un les spectacles sont annulés. Les visiteurs déambulent sous un soleil de plomb, à la recherche des rares lieux où joueront quand même quelques comédiens. Comme Mathilde, dite la Jogar : devenue célèbre depuis qu'elle a quitté Avignon, elle est enfin de retour dans cette ville où elle a grandi, et pour un rôle magnifique. L'homme qu'elle a tant aimé, et qui l'a tant aimée, Odon Schnadel, a appris sa présence par la rumeur. Lui-même vit ici en permanence, entre sa péniche sur le fleuve et le petit théâtre qu'il dirige. Cette année-là, avec sa compagnie, Odon a pris tous les risques. Il met en scène une pièce d'un auteur inconnu, mort clans des circonstances équivoques : un certain Paul Selliès dont la jeune sœur Marie - une écorchée vive - vient elle aussi d'arriver à Avignon, un peu perdue, pleine d'espérances confuses... ou de questions insidieuses. Car autour de l'œuvre de Paul Selliès plane un mystère que ces personnages dissimulent ou au contraire effleurent, parfois sans faire exprès, souvent clans la souffrance. Plongée au cœur des passions, des rêves et des mensonges, des retrouvailles sans lendemain, des bonheurs en forme de souvenirs, des amours que l'on quitte, des îles qu'on laisse derrière soi, le nouveau roman de Claudie Gallay noue et dénoue les silences d'un été lourd de secrets.
Auteur : Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L'Office des vivants (2000), Mon amour, ma vie (2002), Les Années cerises (2004), Seule Venise (2004, prix Folies d'encre et prix du. Salon d'Ambronay), Dans l'or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008), qui a reçu le Prix des lectrices de Elle et fera prochainement l'objet d'une adaptation cinématographique.
Mon avis : (lu en septembre 2010)
Dans son nouveau livre, Claudie Gallay a quitté le Cap de La Hague, le vent et les tempêtes pour un cadre diamétralement opposé, le Festival d'Avignon en 2003 pendant l'été de la canicule. Cette année, le festival est perturbé par les grèves des intermittents du spectacle.
La ville est envahie par des manifestants, des comédiens ou des spectateurs qui recherchent les spectacles qui seront joués. Là vont s’affronter trois personnages. Odon Schnadel, il dirige le théâtre du Chien-Fou, et il met en scène la pièce Nuit rouge d’un auteur inconnu, Paul Selliès.Mathilde, dite la Jogar, est devenue célèbre, originaire d’Avignon, elle n’y est pas revenue depuis cinq ans. A cette époque, elle avait quitté Odon pour faire carrière. Et enfin Marie, elle est la sœur de Paul Selliès, marginale avec ses piercings, elle est venue à Avignon en stop depuis Versailles parce qu’elle a vu par hasard qu’on jouait une pièce de son frère. Elle est convaincue qu’Odon est responsable de la mort de son frère.
Amour, trahison, théâtre, écrivain....voilà les ingrédients de ce roman qui se lit facilement. Les chapitres courts, des phrases simples décrivent parfaitement l’atmosphère tendue et lourde d’Avignon et les ressentis des personnages principaux et secondaires.
J’ai lu ce livre avec beaucoup de plaisir, j’ai aimé cette atmosphère étouffante et chaude, j’ai trouvé très attachante Marie et ses blessures. Une très belle découverte !
Extrait : (début du livre)
Il fait encore nuit et le fleuve est tranquille quand Odon Schnadel sort de sa péniche. Il tient un bol à la main. C'est son premier café, noir, brûlant. Il a mal au crâne. Il glisse deux aspirines dans le bol.
La chaleur est étouffante.
Des branches flottent, cassées plus au nord et charriées, apportées là, elles se confondent avec les eaux brunes.
Les arbres souffrent, même ceux qui ont les racines dans l'eau.
Sur le pont, ça sent le vernis. Il y a des pinceaux rouges dans une boîte, un pot, des chiffons. L'odeur du vernis ajoute au mal de crâne.
Odon boit son café en regardant couler le fleuve. Quelque part sur l'île, un chien hurle.
Une lucarne grillagée est plantée dans la porte. Faible halo jaune. Quand Mathilde est partie, il s'est juré ça, la laisser briller jusqu'à ce qu'elle revienne.
Cinq ans. Les ampoules ont grillé. Il les a remplacées.
Aujourd'hui, elle est là, quelque part en ville, pour le temps du festival. Depuis des semaines, la rumeur se répand, la Jogar revient entre ses murs, elle joue Sur la route de Madison au théâtre du Minotaure.
On parle d'elle dans les journaux.
On parle d'elle partout, dans son quartier, dans la rue. On dit qu'elle dort à la Mirande, l'un des plus beaux hôtels de la ville. On dit aussi qu'elle a renié son nom en devenant la Jogar.
Odon finit son café, le bol entre les mains, les coudes au bastingage.
Big Mac le crapaud se terre dans le talus.
Un train passe.
Odon tire une cigarette du paquet, arrache le filtre avec les dents. C'est sa dernière, il froisse le paquet, le jette dans le fleuve.
Il pisse dans l'eau.
Un poisson nage à la surface. Un silure est en train de crever dans les branches, entre la péniche et la rive. Tout a soif cet été, la terre, le ciel, même le fleuve réclame sa part.
Il pose son bol, remonte le silure, le rejette vers les courants.
Jeff arrive juste après huit heures, il cale le Solex contre le saule, enjambe la barrière.
Des touffes d'orties et d'herbes vertes ont pris racine au pied de la passerelle. Un pot avec un vieux géranium, les tiges noueuses, sèches.
Jeff monte sur la péniche.
Il enlève sa casquette. Ses cheveux sont trempés par la sueur.
Il jette le journal sur la table, entre le cendrier et le bol. Il le jette toujours de la même façon, la main désinvolte. La casquette suit.
Avant, il était cantinier à la prison. Quand la prison a fermé, il a gardé les clés, un trousseau entier. Depuis deux ans, il squatte une cellule avec la vue sur l'arrière du palais des Papes. Il touche une aide de l'Etat. Il fait aussi des petits boulots comme s'occuper de la péniche et du théâtre d'Odon.
Il sort un trèfle de sa poche.
- Je l'ai trouvé sur la rive. C'est un bon présage, il dit, en montrant les quatre feuilles.
Odon s'en fout, il vient d'ouvrir le journal.
- Bon présage, tu parles...
Sur la première page, en grand titre : Avignon, état de choc !
Après une semaine de grève, la direction du festival vient de décider l'annulation de tous les spectacles in. La nouvelle tombe dans les journaux.
Ça fait des années que le malaise grandit, il fallait bien que ça éclate.
Odon est inquiet. La veille encore, par solidarité, sa compagnie n'a pas voulu jouer.
Il passe ses mains sur son visage. Sa peau est sèche. Ou c'est l'intérieur de ses mains.
Il regarde le fleuve. Le soleil éclaire la surface de reflets rouges.
Jeff range le trèfle.
Il choisit une pomme dans la corbeille. Il se cale contre le bastingage, racle la peau avec les dents, après il attaque la chair. Il mange aussi le trognon. Il fait comme ça depuis toujours. Il avale aussi les pépins. Il paraît qu'il y a de l'arsenic dedans. Il n'y a que la queue qu'il ne mange pas.
- On dit que ce sera un sale été, il dit. Un été pourri.
Il énumère les travaux qu'il doit faire avant l'automne, laver le pont, vidanger le groupe électrogène, réparer la table pliante. Il doit aussi évacuer les branches mortes et jeter tous les pots de peinture vides qui traînent un peu partout.
Jeff est payé pour nettoyer, vernir, empêcher que tout ne devienne un taudis.
Il n'empêche pas.
Le pont est encombré par plusieurs grands fauteuils, un divan, un siège pivotant de coiffeur, une table basse au milieu. Un auvent de canisses protège tout ça du soleil.
Un piano. Jeff glisse sa main sur les touches, ramène un mélange de poussière et de pollen. Ses doigts laissent leur empreinte, une sueur qui s'efface.
Odon tourne les pages du journal. Rubrique Spectacles. La Jogar est en photo. Dans un salon d'hôtel, en robe du soir. La chevelure épaisse, les yeux sombres. Sur ses lèvres, ce sourire qui fait dire d'elle qu'elle est arrogante.
- Elle est revenue... dit Jeff en se penchant sur son épaule.
- Ça ne te regarde pas.
Il se redresse.
- J'aime pas qu'elle soit là.
- C'est pas ton problème.
Jeff recule.
- Je m'éloigne du journal alors.
- C'est ça, éloigne-toi.
Odon referme le journal.
- Faudrait que t'arraches les orties, on va bientôt plus pouvoir sortir.
- Je vais le faire.
- Deux semaines que tu le dis, Jeff... Tu as commencé à vernir le pont aussi et t'as pas fini.
- J'arrose les fleurs déjà...
- Oui, les fleurs tu les arroses mais les orties ça s'arrache, et Monsieur Big Mac n'aime pas leur odeur.
- Parfois, on n'aime pas et puis on s'attache, dit Jeff.
Odon plaque la main sur la table, les doigts écartés.
Jeff se tait.
Avec la chaleur, les feuilles se dessèchent, elles jaunissent, crèvent. Sous l'un des hublots, le lierre se transforme en lianes.
Il remplit l'arrosoir.
Des plantes sont alignées sur une planche au-dessus du piano. Des fleurs qui poussent dans des pots en verre, on voit les racines par transparence. C'est Jeff qui les plante. Quand il n'a plus de pots, il utilise des boîtes de conserve, avec une pointe il perce des trous. Il récupère de la terre à limon dans un endroit secret de l'île.
Tout ce que Jeff plante prend racine.
Il dit, Si je plantais la mort, elle pousserait aussi.
Odon pense à Mathilde. La nuit, il s'empêchait de dormir pour la regarder. Sa bouche lourde, son corps nu sous le drap, il en parcourait tous les contours, il la couvait, la recouvrait, il aimait tout d'elle, son ventre doux, l'odeur de sa peau, son rire, ses désirs, sa voix. Quand elle est partie, elle a dit, Tu penseras à moi de temps en temps ? Il n'a pas pu répondre. Il a posé un long baiser dans ses cheveux.
Jeff arrose les plantes au-dessus du piano. Il parle du festival de l'an passé.
- D'où il était le gars qui nous aidait pour les décors, il avait un drôle d'accent ?
- Du Michigan...
Jeff le sait mais il aime entendre prononcer ce nom, Michigan.
- Oui, c'est ça, il jouait du banjo...
Il parle encore, tout seul, en arrosant la terre.
Livre 10/14 pour le Challenge du 1% littéraire
Déjà lu du même auteur :
Les déferlantes
Dans l'or du temps
Mon amour ma vie
L'office des vivants