Nicole Krauss – L'histoire de l'amour
Gallimard – août 2006 - 356 pages
Folio – février 2008 – 459 pages
traduit de l’américain par Bernard Hoepffner avec Catherine Goffaux
Prix du meilleur livre étranger 2006
Quatrième de couverture :
A New York, la jeune Alma ne sait comment surmonter la mort de son père. Elle croit trouver la solution dans un livre que sa mère traduit de l'espagnol, et dont l'héroïne porte le même prénom qu'elle. Non loin de là, un très vieil homme se remet à écrire, ressuscitant la Pologne de sa jeunesse, son amour perdu, le fils qui a grandi sans lui. Et au Chili, bien des années plus tôt, un exilé compose un roman. Trois solitaires qu'unit pourtant, à leur insu, le plus intime des liens : un livre unique, L'histoire de l'amour, dont ils vont devoir, chacun à sa manière, écrire la fin. Cet admirable roman, hanté par la Shoah, offre une méditation déchirante sur la mémoire et le deuil. Mais c'est avant tout un hymne à la vie, écrit dans une langue chatoyante et allègre, l'affirmation d'un amour plus fort que la perte, et une célébration, dans la lignée de Borges, des pouvoirs magiques de la littérature. Il impose d'emblée Nicole Krauss comme une romancière de tout premier plan.
Auteur : Poétesse et romancière, Nicole Krauss est née en 1974 à New York. Elle publie en 2002 son premier roman Man Walks Into A Room, puis en 2005 L'histoire de l'amour, son premier livre traduit en français, récompensé par le prix du meilleur livre étranger en 2006. Elle publie fréquemment dans The New Yorker. Elle vit à Brooklyn, New York, avec son mari Jonathan Safran Foer
Mon avis : (lu en août 2010)
"L'histoire de l'amour", c'est le titre d'un manuscrit qui relie trois histoires. Celle de Leopold Gurski, un vieil émigré juif d'origine polonaise de New York, il a échappé à la Shoah et vit dans le souvenir d'Alma, son amour de jeunesse. Celle d'une adolescente de 14 ans, elle essaie de soutenir sa mère après la mort de son père. Un inconnu demande à sa mère de traduire un roman espagnol, « l'histoire de l'amour », dans lequel l'héroïne porte le prénom d'Alma, le prénom que lui ont donné ses parents après avoir lu ce même roman. Enfin, celle de Zvi Litvinoff, polonais exilé au Chili depuis 1941 et qui est l'auteur du roman.
Tour à tour chacun des trois personnages est le narrateur, et petit à petit le lecteur découvre les liens qui relient ces trois histoires.
En tête de chapitres, un petit dessin indique au lecteur qui est le narrateur : un cœur pour Leopold Gurski, une boussole pour la jeune Alma et une livre ouvert pour Zvi Litvinoff.
Dans L'histoire de l'amour, il est question de solitude, de deuils et de rendez-vous manqués. C’est un livre plein de sensibilité qui évoque l’amour des livres, de la lecture, de l’écriture et de l’influence que peut avoir un livre sur nos vie…
Un très beau livre que j’ai dévoré.
Un grand merci à Papillon (Journal d'une lectrice) qui m'a choisi ce livre lors du Swap in' Follies co-organisé par Amanda et Manu.
Extrait : (page 70)
1. MON NOM EST ALMA SINGER
Quand je suis née, ma mère m'a donné le nom de toutes les jeunes femmes qui se trouvaient dans un livre que mon père lui avait offert et qui s'appelait L'histoire de l'amour. A mon frère elle a donné le nom d'Emanuel Chaim, à cause de l'historien juif Emanuel Ringelblum qui avait enterré des bidons de lait remplis d'archives dans le ghetto de Varsovie, du violoncelliste juif Emanuel Feuermann, un des plus grands prodiges musicaux du vingtième siècle, également à cause de l'écrivain juif de génie Isaac Emmanuilovitch Babel et de Chaim, l'oncle de ma mère, un plaisantin, un véritable clown, qui faisait rire tout le monde comme des fous, et qui a été tué par les nazis. Mais mon frère refusait de répondre à ce nom. Quand on lui demandait comment il s'appelait, il inventait quelque chose. Il est passé par quinze ou vingt noms. Pendant un mois il a parlé de lui-même à la troisième personne comme étant Mr. Fruit. Le jour de son sixième anniversaire il a pris son élan et a sauté par une fenêtre du premier étage en essayant de voler. Il s'est cassé un bras et a désormais une cicatrice permanente sur le front, mais plus personne ensuite ne l'a jamais appelé autrement que Bird.
2. CE QUE JE NE SUIS PAS
Mon frère et moi, nous avions un jeu à nous. Je montrais une chaise et je disais : « CECI N'EST PAS UNE CHAISE. » Bird montrait une table. « CECI N'EST PAS UNE TABLE. » Je disais : « CECI N'EST PAS UN PLAFOND. » Nous continuions de la sorte. « IL NE PLEUT PAS DEHORS. » « MA CHAUSSURE N'EST PAS DÉLACÉE ! » hurlait Bird. Je montrais mon coude. « CECI N'EST PAS UNE ÉGRATIGNURE ! » Bird soulevait un genou. « CECI N'EST PAS UNE ÉGRATIGNURE NON PLUS ! » « CECI N'EST PAS UNE BOUILLOIRE ! » « PAS UNE TASSE ! » « PAS UNE CUILLÈRE ! » « PAS DE LA VAISELLE SALE ! » Nous niions des pièces tout entières, des années, le temps qu'il faisait. Un jour, au plus fort de nos hurlements, Bird a respiré profondément. De toute la puissance de ses poumons, il a glapi : « JE ! N'AI PAS ! ÉTÉ ! MALHEUREUX ! TOUTE ! MA VIE ! » « Mais tu n'as que sept ans », lui ai-je dit.