Actes Sud – janvier 2010 – 311 pages
traduit de l’espagnol (Chili) par Claude Bleton
Présentation de l'éditeur :
Tommy a douze ans, et une maladie cardiaque qui lui interdit les jeux turbulents des garçons de son âge. Caché sous une table, il s'amuse à enregistrer sur son Mp3 le joyeux verbiage d'un banquet nuptial. Et voilà que l'on parle de sa mère, brutalement disparue dix ans plus tôt. Une brèche s'ouvre dans les secrets si bien gardés d'une famille recomposée, comme il en existe tant. La vie que tous croyaient ordonnée et paisible dérape, et les liens se distendent à mesure que l'histoire se tisse. Dans les non-dits de l'autre, chacun cherche sa propre vérité. L'enfant découvre à travers la mort violente de sa mère l'improbable "faute" de la judéité. Le père voit se raviver l'abyssale impuissance à protéger ceux qu'il aime. Et la belle-mère d'affronter une fragilité qui lui vient de l'enfance, une incapacité d'aimer et d'être aimée. Le reste est silence explore avec grâce la part d'ombre de chacun - cet infime espace intime auquel même l'amour ne peut donner accès - pour rappeler que c'est l'addition de toutes ces blessures qui constitue la pierre angulaire de l'édifice familial.
Auteur : Carla Guelfenbein est née en 1959 à Santiago du Chili. Exilée en Angleterre après le coup d'État de Pinochet, elle y étudie la biologie, puis le dessin. De retour au Chili, elle travaille dans des agences de publicité. Le reste est silence est son troisième roman, en cours de traduction dans une dizaine de langues. Ma femme de ta vie (2007).
Mon avis : (lu en avril 2010)
C'est Bellesahi qui m'a donné envie de lire ce livre. Tout d'abord, je trouve la photo de la couverture magnifique et elle reflète parfaitement le livre. Et je n’hésite pas à dire que ce livre a été pour moi un vrai coup de cœur !
C'est un récit à trois voix, l'on entend tour à tour Tommy, Alma et Juan.
Tommy a 12 ans, il souffre d'une maladie cardiaque qui l'empêche de vivre normalement. Il aime jouer à enregistrer les conversations d'adultes avec son Mp3 et dès le début du livre, lors d'un mariage il apprend un terrible secret : sa mère, Soledad qu'il croyait morte de maladie se serait en fait suicidée. Cette révélation va bouleverser sa vision de la vie. Il va alors essayer de comprendre ce qu’il s’est passé, il part donc seul sur les traces de sa mère.
Juan est le père de Tommy, il est chirurgien-cardiaque, il protège maladroitement son fils et il se protège derrière une certaine froideur. Il n’exprime pas ses sentiments.
Alma est la nouvelle femme de Juan, elle voit que son couple ne va pas bien mais elle n’arrive plus à communiquer avec Juan. Elle va retrouver Leo, un ancien amour, et se laisser séduire.
Chacun des trois personnages sont touchants, ils ont chacun des douleurs qu’ils refusent d’exprimer. L’auteur nous montre que les secrets et les silences de la famille peuvent donner de la douleur et de la souffrance. Un livre vraiment très émouvant et bouleversant. Une superbe découverte, à lire !
Extrait : (début du livre)
Parfois, les mots sont comme des flèches. Ils vont et viennent, blessent et tuent, comme à la guerre. Voilà pourquoi j'aime bien enregistrer les adultes. Surtout quand ils parlent de leurs affaires et que soudain, comme par magie, ils éclatent tous de rire en même temps. Au niveau du sol, ça ne manque pas de jambes qui s'agitent dans tous les sens. On en voit de toutes sortes : des jambes de chameaux, de lapins, de flamants, de singes, et même d'animaux dont je n'ai pas encore appris le nom. A ma table sont assises trois dames aux chevilles aussi grosses que les pattes d'un éléphant, un homme chaussé comme un golfeur, et une girafe qui fi nit par enlever ses sandales dorées. Ils ont beau tous parler en même temps, je n'aurai pas de mal à obtenir un enregistrement qui en vaille la peine, je branche mon Mp3 et j'enregistre :
— Teré et son mari sont arrivés chacun dans une voiture différente, tu as remarqué ?
— Non, mais ça ne m'étonne pas.
Dans le parc, les jeunes mariés posent devant un photographe, avec la volière du grand-père en toile de fond. Mon cousin Miguel sourit comme s'il avait un bout de bois en travers de la bouche. Au milieu des robes colorées, je repère Alma. Elle agite les mains et dessine des figures quand elle parle. Ses cheveux sont roux et elle a le même nom que le plus grand radiotélescope du monde. La principale mission d'ALMA est d'étudier la formation des étoiles. Avec Kájef, mon meilleur ami, nous avons découvert qu'il peut analyser des particules organiques comme le carbone, ce qui résoudrait la Grande Enigme de l'apparition de la vie. C'est incroyable, la quantité de choses qu'ALMA peut voir. Par contre, Alma, la femme de papa, est plutôt distraite. Mais je m'en fiche, parce que ça ne la gêne pas que je sois un peu lent et maladroit. On fait parfois des choses que papa désapprouve. Aujourd'hui, par exemple, c'est elle qui l'a persuadé que mes cousins se moqueraient du costume d'enfant vieux que je porte dans les grandes occasions. Pourtant, nous savons tous les deux que ma façon de m'habiller est sans importance. On ne peut pas dire que mes cousins soient méchants, mais ils ont toujours l'air pressé des gens qui vont chercher un trésor dans une contrée lointaine, mais sans vous inviter.
— Je t'assure que non, elles ne se connaissent même pas.
La voix de la femme est aussi rauque que celle d'un crapaud. Je lève un peu mon Mp3.
— Je croyais qu'elles étaient amies. Tiens, elle est là, avec les jeunes mariés, devant la volière.
De tous les oiseaux qu'il y a dans la cage de mon grand-père, mes préférés sont les faisans dorés.
— Tu es folle, jamais de la vie, tu connais Marisol !
La brise marine soulève la nappe. Des chaussures d'homme s'arrêtent devant la table sous laquelle je suis caché.
— Carmen, comme je suis content de te voir !
C'est papa, avec cette voix de docteur qu'il ne laisse jamais à la maison. S'il me surprend à enregistrer les adultes, il va piquer une belle colère. Il appelle ça "une atteinte à la vie privée des gens". Mais je me demande un peu ce que c'est, la "vie privée". Si je comprends bien, c'est ce qu'on fait et ce qu'on ressent quand on est seul. Dans ces conditions, ces conversations n'ont rien de privé. Une dame agite son pied dans tous les sens, on dirait qu'elle a un caillou dans sa chaussure.
— Je vous en prie, restez assise, insiste papa.
Je retiens mon souffle sans lâcher mon Mp3.
— Il y a des années qu'on ne s'est pas vus, dit la femme.
— Cinq, six ?
— Au moins.
— Tu es en pleine forme, Carmen. Comme je suis content que tu sois venue. Et Jorge ? – Papa parle sur un ton détendu et joyeux, celui qu'il utilise quand on lui demande un conseil.
— Il est parti avec une fille il y a deux ans. Sa secrétaire ! explique la femme en partant d'un grand éclat de rire. Ne t'inquiète pas, je suis ravie, elle m'en a débarrassé. C'était un bon à rien.
— Si tu le dis ! répond papa.
— Nous le disons toutes, intervient vivement une autre femme. A croire qu'on l'a piquée avec une aiguille.
Peu après, les chaussures de papa s'éloignent. J'ai de la chance qu'il ne m'ait pas vu. Papa et Alma restent ici et moi je dois rentrer à Santiago avec un oncle. "Nous avons besoin de nous reposer de vous", m'a dit Alma de sa voix douce, avec un grand sourire. N'empêche, j'ai trouvé que ce n'était pas juste.
— Juan s'est remarié, n'est-ce pas ?
— Oui, avec une femme beaucoup plus jeune que lui.