Hypothermie – Arnaldur Indridason
Livre lu dans le cadre du - (12/26)
Éditions Métailié – février 2010 – 294 pages
Présentation de l'éditeur :
Un soir d'automne. Maria est retrouvée pendue dans son chalet d'été sur les bords du lac de Thingvellir. Après autopsie, la police conclut à un suicide. Quelques jours plus tard, Erlendur reçoit la visite d'une amie de cette femme qui lui affirme que ce n'était pas "le genre" de Maria de se suicider et qui lui remet une cassette contenant l'enregistrement d'une séance chez un médium que Maria était allée consulter pour entrer en contact dans l'au-delà avec sa mère. Celle-ci lui avait promis de lui envoyer un signe. Au pays du fantastique et des fantômes, aussi dubitatif que réticent, le commissaire Erlendur, troublé par l'audition de la cassette, se sent obligé de reprendre l'enquête à l'insu de tous. II découvre que l'époux de Maria n'est pas aussi fiable qu'il en a l'air et ses investigations sur l'enfance de la suicidée, ses relations avec une mère étouffante vont le mener sur des voies inattendues semées de secrets et de douleur. Obsédé par le deuil et la disparition, harcelé par les frustrations de ses enfants, sceptique devant les croyances islandaises, bourru au cœur tendre, le commissaire Erlendur poursuit sa recherche sur lui-même et rafle tous les suffrages des lecteurs.
Auteur : Arnaldur Indridason est né à Reykjavik en 1961. Diplômé en histoire, il est journaliste et critique de cinéma. II est l'auteur de romans noirs couronnés de nombreux prix prestigieux, publiés dans 37 pays.
Mon avis : (lu en février 2010)
Devenue depuis longtemps une inconditionnelle de Arnaldur Indridason, des descriptions de l'Islande et surtout de son commissaire Erlendur, j'ai dévoré « Hypothermie » avec beaucoup de plaisir. L'histoire se déroule en automne, Marie, la cinquantaine, est découverte pendue par Karen sa meilleure amie, dans son chalet d'été sur les bords du lac de Thingvellir. Après une enquête rapide, la police conclut à un suicide. Depuis la mort de sa mère quelques années auparavant, Marie était devenue une femme dépressive. Mais Karen ne croit pas au suicide et elle remet au commissaire Erlendur un enregistrement d'une séance chez un médium. Troublé par ce qu'il entend sur l'enregistrement, le commissaire Erlendur va mener en solitaire une enquête non officielle qui tourne autour du deuil, de la mort, de l'au-delà, des disparitions... Comme d'habitude, Erlendur est touché par ses problèmes familiaux, ses rapports avec ses enfants sont meilleurs mais il est toujours hanté par la disparition de son jeune frère lors d'une tempête de neige à l'âge de dix ans.
J'ai encore été conquise par cette nouvelle histoire islandaise, l'auteur nous dévoile un peu plus du personnage d'Erlendur, ses rapports avec son ex-femme, en s'attaquant à ceux des autres, il devient plus serein face à ses propres fantômes... A lire !
Extrait : (page 13)
L'appel parvint à la Centrale d'urgence peu après minuit. Depuis un téléphone portable, une voix féminine affolée s'exclama :
– Elle s'est... Maria s'est suicidée... Je... C'est affreux... c'est horrible !
– Quel est votre nom, s'il vous plaît ?
– Ka... Karen.– D'où nous appelez-vous ? demanda l'employé de la Centrale d'urgence.
– Je suis... je me trouve dans... sa maison d'été...
– Où ça ? Où est-ce ?
– ... au lac de Thingvellir. Dans... dans sa maison d'été. Faites vite... je... je vous attends...
Karen avait bien cru qu'elle ne parviendrait jamais à retrouver cette maison. La dernière fois qu'elle y était venue remontait à loin, presque quatre ans. Maria lui avait pourtant fourni des indications détaillées, mais celles-ci lui étaient plus ou moins entrées par une oreille et ressorties par l'autre : elle était certaine de se rappeler la route. Elle avait quitté Reykjavik peu après huit heures du soir, par une nuit aussi noire que du charbon. Elle avait traversé la lande de Mosfell où il n'y avait que peu de circulation, n'y avait croisé que les phares de quelques voitures qui retournaient vers la capitale. Seul un autre véhicule roulait en direction de l'est, elle suivait la lueur rouge des feux arrière, heureuse d'être accompagnée.
Elle, qui n'aimait pas conduire de nuit, se serait mise en route plus tôt, si elle n'avait pas été retardée. Elle était chargée de communication dans une grande banque et elle avait fini par croire que les réunions et les coups de téléphone n'allaient jamais prendre fin. Elle savait la montagne de Grimannsfell à sa droite même si elle ne la voyait pas plus que celle de Skalafell, à sa gauche. Elle avait dépassé la route vers Vindashlid, la ferme où elle avait passé deux semaines en été, toute gamine. Elle avait suivi les feux arrière à une vitesse confortable jusqu'au moment où ceux-ci étaient descendus vers le champ de lave de Kerlingarhraun. Puis leurs chemins avaient divergé. Les lueurs rouges avaient accéléré avant d'aller se perdre dans l'obscurité. Elle s'était dit que la voiture se dirigeait peut-être vers la dorsale d'Uxahryggir et, de là, vers le nord et la vallée de Kaldadalur. Elle avait souvent emprunté ce chemin, elle trouvait jolie la route qui longeait la vallée de Lundarreykdalur et débouchait sur le fjord de Borgarfjördur. Il lui était revenu en mémoire le souvenir d'une belle journée d'été sur les bords du lac de Sandkluftavatn. Elle avait obliqué vers la droite pour continuer de s'enfoncer dans les ténèbres de Thingvellir, les plaines de l'ancien Parlement. Il lui était difficile de s'orienter en ces lieux plongés dans le noir. Aurait-elle dû tourner plus tôt ? Avait-elle pris le bon accès vers le lac ? Ou peut-être était-ce le prochain ? À moins qu'elle ne l'ait déjà dépassé ?
Elle s'était trompée deux fois de suite et avait dû rebrousser chemin. C'était jeudi soir et la plupart des chalets étaient inoccupés. Elle avait emporté avec elle quelques provisions, quelques livres, et Maria lui avait dit qu'ils venaient d'installer une télévision. Elle avait avant tout l'intention de dormir et de se reposer. La banque s'était mise à ressembler à un asile d'aliénés depuis la toute récente opa. Elle avait renoncé à tenter de comprendre les affrontements opposant quelques groupes de grands actionnaires qui s'étaient ligués contre d'autres. De nouveaux communiqués de presse paraissaient toutes les deux heures et les choses ne s'étaient pas arrangées à l'annonce du parachute doré de cent millions de couronnes islandaises attribué à l'un des directeurs de l'établissement dont l'un des groupes d'actionnaires désirait se séparer. La direction de la banque était parvenue à susciter la colère populaire et Karen était chargée de trouver des moyens de l'apaiser. Cela durait depuis plusieurs semaines et elle en avait plus qu'assez lorsqu'elle avait finalement eu l'idée de s'échapper de la ville.
Maria lui avait souvent proposé de lui prêter son chalet d'été pour quelques jours et elle s'était décidée à l'appeler. Évidemment, avait-elle répondu. Karen s'était avancée sur un chemin des plus rudimentaires à travers des buissons et des broussailles jusqu'au moment où les phares de son véhicule avaient illuminé le chalet au bord du lac. Maria lui avait remis la clef en lui indiquant à quel endroit elle en trouverait une autre. Il pouvait parfois être utile d'en cacher une en réserve aux abords de la maison. Elle avait hâte de se réveiller le lendemain entourée par les teintes automnales des plaines de Thingvellir. Du plus loin qu'elle se souvenait, on avait fait de la publicité pour des excursions spécialement consacrées à l'observation des couleurs dont le parc national se parait à l'automne, du reste elles n'étaient nulle part aussi belles que sur les rives du lac où les bruns rouille et les jaunes orangés de la végétation à l'agonie s'étendaient aussi loin que portait le regard.
Elle avait commencé par sortir son bagage de la voiture et le déposer à côté de la porte, sur la terrasse. Elle avait enfoncé la clef dans la serrure, ouvert la porte et cherché à tâtons l'interrupteur. Une lumière s'était allumée dans le couloir menant à la cuisine et elle était entrée avec une petite valise qu'elle avait posée dans la chambre conjugale. Elle avait été étonnée de constater que le lit n'avait pas été fait. Cela ne ressemblait pas à Maria. Une serviette de bain traînait sur le sol des toilettes. En allumant la lumière de la cuisine, elle avait perçu une étrange présence. Elle n'avait pas peur du noir, mais son corps avait brusquement été parcouru d'une sensation désagréable. La salle à manger était plongée dans l'ombre. Quand il faisait jour, on y jouissait d'une vue sublime sur le lac de Thingvellir. Karen avait allumé la lumière de la salle. Quatre poutres imposantes traversaient le plafond de part en part et à l'une d'elles était pendu un corps qui lui tournait le dos.
Elle sursauta si violemment qu’elle heurta le mur et que sa tête se cogna contre le lambris. L’espace d’un instant, ses yeux se voilèrent de noir. Accroché à la poutre par une fine cordelette bleue, le cadavre se reflétait dans la vitre obscure de la fenêtre. Elle ignorait combien de temps s’était écoulé avant qu’elle n’ose s’approcher un peu plus près. L’environnement paisible du lac s’était, en un instant, transformé en une vision d’effroi que jamais elle n’oublierait. Chaque détail s’était gravé dans sa mémoire. Le tabouret de la cuisine, cet objet qui n’avait pas sa place dans la salle à manger au style épuré, couché sur le côté en dessous du cadavre. La couleur bleue de la cordelette. Le reflet dans la fenêtre du salon. L’obscurité posée sur les plaines de Thingvellir. Et ce corps immobile sous la poutre.
Elle s’était approchée avec précaution et avait découvert le visage gonflé et bleui. Son mauvais pressentiment s’était vérifié. C’était son amie. C’était Maria.
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