Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A propos de livres...
2 février 2010

Ru - Kim Thúy

ru Liana Levi – janvier 2010 – 143 pages

Présentation de l'éditeur :

Une femme voyage à travers le désordre des souvenirs : l'enfance dans sa cage d'or à Saigon, l'arrivée du communisme dans le Sud-Vietnam apeuré, la fuite dans le ventre d'un bateau au large du golfe de Siam, l'internement dans un camp de réfugiés en Malaisie, les premiers frissons dans le froid du Québec. Récit entre la guerre et la paix, ru dit le vide et le trop-plein, l'égarement et la beauté. De ce tumulte, des incidents tragi-comiques, des objets ordinaires émergent comme autant de repères d'un parcours. En évoquant un bracelet en acrylique rempli de diamants, des bols bleus cerclés d'argent ou la puissance d'une odeur d'assouplissant, Kim Thúy restitue le Vietnam d'hier et d'aujourd'hui avec la maîtrise d'un grand écrivain.

Auteur : Kim Thúy a quitté le Vietnam avec d'autres boat people à l'âge de dix ans. Elle vit à Montréal depuis une trentaine d'années. Son parcours est hors du commun. Elle confie avoir fait toutes sortes de métiers - couturière, interprète, avocate, restauratrice - avant de se lancer dans l'écriture (en français) de ce premier roman.

Mon avis : (lu en février 2010)

J'ai découvert ce livre et son auteur en regardant l'émission de télévision La Grande Librairie sur France 5 et j'ai eu très envie de lire ce livre.

Pour Kim Thúy, Ru est le premier de trois romans, les deux autres sont à écrire. « Ru est le roman de mes origines, un livre qui s'articule autour du mot survivre. Mon deuxième livre sera autour du mot vivre, et mon troisième, autour du mot aimer. Tu ne peux pas aimer pendant que tu essayes de survivre, ni même pendant l'apprentissage du mot vivre. »

Dès la première page du livre, on apprend que « En français, ru signifie «petit ruisseau» et au figuré, « écoulement (de larmes, de sang, d'argent) » (Le Robert historique). En vietnamien, ru signifie «berceuse» ou «bercer». » Dans ce livre Kim Thúy évoque avec beaucoup de délicatesse, de sensibilité et de poésie ses origines. En 1968, Kim Thúy est née à Saigon pendant l'offensive du Têt. Elle a 10 ans lorsqu'elle fuit avec sa famille le Vietnam comme boat people. Elle vivra quatre mois dans un camp de réfugiés en Malaisie avant d'arriver à Grandy au Canada.

A travers ce récit, l'auteur rend hommage aux personnes qu'elle a rencontrées durant toutes ces années en tout premier lieu ses parents, mais aussi son oncle Deux, sa grand-mère, les habitants de Grandy, Johanne, Monsieur Ming… Les souvenirs sont multiples parfois drôles, tendres ou dramatiques, Kim s'attache à des petits détails qui donnent une grande force à son témoignage plein d’espoir et d’avenir. En citant un proverbe que Kim a appris de sa mère « la vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite », cela résume bien son envie d’aller de l’avant sans s’encombrer du passé « pour marcher jusqu’à nos rêves, jusqu’à l’infini. »

Un livre magnifique à découvrir sans tarder !

Extrait : (début du livre)

Je suis venue au monde pendant l’offensive du Têt, aux premiers jours de la nouvelle année du Singe, lorsque les longues chaînes de pétards accrochées devant les maisons explosaient en polyphonie avec le son des mitraillettes.

J’ai vu le jour à Saigon, là où les débris des pétards éclatés en mille miettes coloraient le sol de rouge comme des pétales de cerisier, ou comme le sang des deux millions de soldats déployés, éparpillés dans les villes et les villages d’un Vietnam déchiré en deux.

Je suis née à l’ombre de ces cieux ornés de feux d’artifice, décorés de guirlandes lumineuses, traversés de roquettes et de fusées. Ma naissance a eu pour mission de remplacer les vies perdues. Ma vie avait le devoir de continuer celle de ma mère.

Je m’appelle Nguyễn An Tịnh et ma mère, Nguyễn An Tĩnh. Mon nom est une simple variation du sien puisque seul un point sous le i me différencie d’elle, me distingue d’elle, me dissocie d’elle. J’étais une extension d’elle, jusque dans le sens de mon nom. En vietnamien, le sien veut dire «environnement paisible» et le mien, «intérieur paisible». Par ces noms presque inter changeables, ma mère confirmait que j’étais une suite d’elle, que je continuerais son histoire.

L’Histoire du Vietnam, celle avec un grand H, a déjoué les plans de ma mère. Elle a jeté les accents de nos noms à l’eau quand elle nous a fait traverser le golfe du Siam, il y a trente ans. Elle a aussi dépouillé nos noms de leur sens, les réduisant à des sons à la fois étrangers et étranges dans la langue française. Elle est surtout venue rompre mon rôle de prolongement naturel de ma mère quand j’ai eu dix ans.


Grâce à l’exil, mes enfants n’ont jamais été des prolongements de moi, de mon histoire. Ils s’appellent Pascal et Henri et ne me ressemblent pas. Ils ont les cheveux clairs, la peau blanche et les cils touffus. Je n’ai pas éprouvé le sentiment naturel de la maternité auquel je m’attendais quand ils étaient accrochés à mes seins à trois heures du matin, au milieu de la nuit. L’instinct maternel m’est venu beaucoup plus tard, au fil des nuits blanches, des couches souillées, des sourires gratuits, des joies soudaines.

C’est seulement à ce moment-là que j’ai saisi l’amour de cette mère assise en face de moi dans la cale de notre bateau, tenant dans ses bras un bébé dont la tête était couverte de croûtes de gale puantes. J’ai eu cette image sous les yeux pendant des jours et peut-être aussi des nuits. La petite ampoule suspendue au bout d’un fil retenu par un clou rouillé diffusait dans la cale une faible lumière, toujours la même. Au fond de ce bateau, le jour ne se distinguait plus de la nuit. La constance de cet éclairage nous protégeait de l’immensité de la mer et du ciel qui nous entouraient. Les gens assis sur le pont nous rapportaient qu’il n’y avait plus de ligne de démarcation entre le bleu du ciel et le bleu de la mer. On ne savait donc pas si on se dirigeait vers le ciel ou si on s’enfonçait dans les profondeurs de l’eau. Le paradis et l’enfer s’étaient enlacés dans le ventre de notre bateau. Le paradis promettait un tournant dans notre vie, un nouvel avenir, une nouvelle histoire. L’enfer, lui, étalait nos peurs : peur des pirates, peur de mourir de faim, peur de s’intoxiquer avec les biscottes imbibées d’huile à moteur, peur de manquer d’eau, peur de ne plus pouvoir se remettre debout, peur de devoir uriner dans ce pot rouge qui passait d’une main à l’autre, peur que cette tête d’enfant galeuse ne soit contagieuse, peur de ne plus jamais fouler la terre ferme, peur de ne plus revoir le visage de ses parents assis quelque part dans la pénombre au milieu de ces deux cents personnes.

Publicité
Publicité
Commentaires
P
Il y a longtemps que je n'ai lu quelque chose de si sensible, fragile et de fort en même temps. J'ai ressenti beaucoup de fierté que Kim Thuy soit Québecoise, son cheminement en tant que rescapée de la folie humaine, est d'une telle limpidité, la lire m'a fait vraiment du bien. Même si ce beau moment est dû à ce foutu mal qu'est la guerre, il y a, du moins pour moi, tellement de beauté et de noblesse dans son livre que je n'ai pu m'empêcher de remettre en question quelques fois mes convictions. Une richesse de coeur, de partage et un échange de couleur, de culture et de bagage humain, c'est peut-être cela les accomodements raisonables... Dire les choses avec respect et chaleur humaine.<br /> Merci madame Thuy vous m'avez vraiment fait du bien!
Répondre
N
j'aimerai en savoire plus sur la vie et les difficultés traversés par kim thuy et ces parents en bateau
Répondre
D
Il faudra 30 ans pour que cette jeune femme d’origine vietnamienne raconte. Elle avait dix ans quand tout lui est arrivé: la partition de son pays en deux communautés ennemies, la guerre, les camps de rééducation, les boat people, les camps de réfugiés, l’exode, et enfin l’accueil inconditionnel au Canada. Que ne pouvons-nous pas nous laisser inspirer de cette réussite d’intégration de peuples immigrés au Canada! Cela tient peut-être à ce qu’ils sont les maîtres de la pédagogie et qu’ils sont généreux de nature et que le combat contre la sévérité de la nature, donne de l’humilité et de la solidarité!<br /> Kim Thuy se penche sur les pages éparses de son passé répandu sur la plage, retrouve quelques bribes et fragments, et fabrique patiemment un livre beau comme un vitrail où se jouent la lumière et les couleurs de l’espoir. Point d’hostilité alors que les épreuves ont été une vraie descente aux enfers. Point de recherche de culpabilité, rien qu’une dignité sereine et louable, presque aristocratique, un amour de la vie inconditionnel. La peur est muselée. La poésie et l’humour lui redonnent maintenant une nouvelle harmonie. Une nouvelle vie grâce à l’écriture sensuelle, à côté de ce rêve américain réussi mais de béton, qui n’est pas elle. Le souvenir de ses attaches asiatiques ne la caractérisent qu’à traits grossiers. Ce qui la fait, c’est sa langue d’adoption, un merveilleux français qui nous berce et nous bouleverse, dans lequel elle pense, elle aime, elle ressent. Derrière les yeux bridés, il y a les yeux de l’âme. Grâce aux efforts de chacun dans sa famille elle a conservé le sens de la cohésion, elle n’a pas sombré dans l’aliénation et a eu, à tout moment, la capacité de rebondir en préservant son mystère intime d’humanité…et celle de pouvoir savourer les moindres moments de bonheur. On ressort de ce livre, plein de respect, baigné d’espoir, baigné du bonheur d’avoir vaincu le mal dans l’homme… car elle décline à tous les modes le verbe aimer, et le chante sur tous les tons, comme si le français devenait une langue tonale!<br /> Dans ce premier roman elle trouve des phrases, qui semblent l’effet d’une grâce… C’est un livre-bijou merveilleux.
Répondre
L
Moi aussi j'ai beaucoup aimé ces petits tableaux, ces souvenirs, ces eflleurement, ces affleurements, et moi aussi j'ai mis un lien vers ton article afin de confronter les critiques.
Répondre
A
@Paul-A.Proulx : Merci beaucoup pour ce commentaire très intéressant qui complète bien tout ce que m'a appris "Ru".
Répondre
A propos de livres...
Publicité
A propos de livres...
Newsletter
55 abonnés
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 1 375 909
Publicité